Stupide. Tu étais profondément stupide, bien trop têtu, tu gardais la tête sous l’eau, tu préférais te noyer plutôt que d’avouer. Accepter le fait que tu pouvais avoir des désirs, que tu pouvais avoir des émotions… Tu préférais rejeter ce qu’il t’offrait, cette chaleur dont tu rêvais au fond de toi. Ryoji te la proposait, il aurait pu t’apporter ce réconfort dont tu avais besoin, mais non. Ce serait trop simple pas vrai ? Si tu acceptais tout ça. Si tu te montrais sincère. Tu t’enfermes depuis toutes ces années, depuis que tu es un enfant.

Cela ne pouvait pas changer aussi facilement.

Tu avais peur de le regarder, peur de voir sa réaction face à ta réponse. Tu te montrais si froid Ozora… Toute cette tension palpitante s’était dissipée, à cause de toi, à cause d’une question. Tu es un Homme physiquement, mais tu étais aussi une arme. C’est ce que tu lui disais. C’était là, ta vérité. Pourtant, tu restais silencieux, tu ne répondais pas sur l’instant. Tu continuais de l’écouter, tes lèvres scellées.

Les désirs font partie de nous, les Hommes.
Oui…
Mais tu continueras de nier. Encore et encore….

Et sa main ne quitte pas ta joue, sa tendresse reste toujours présente, malgré cette expression si sérieuse qu’il affichait. Il te citait une phrase qu’on lui avait souvent dite, une phrase dont tu n’arrivais pas à comprendre le sens. Tu ne comprenais pas ce qu’il cherchait à te dire, à t’expliquer. Il semblerait l'avoir compris, cherchant un exemple. Prenant sa propre expérience comme explication. Lui qui n’avait pas de parents, pas beaucoup d’argent, lui qui n’avait pas de belle place dans la société, qui recherchait de nouveau de l’amour… C’était ce qu’il désirait le plus. C’était ce qu’il cherchait, en tant qu’enfant, en tant qu’orphelin. Même s’il n’en avait pas conscience…

Comprends-tu ?

Soudainement, il se rapproche, te forçant sur l’instant à poser tes yeux dorés dans les siens. Ses mots sont désagréables… Tu voudrais te boucher les oreilles, devenir sourd quelques instants. Même si tu aimes le son de sa voix, même si tu aimes qu’il te parle. À ce moment-là, tu voulais tout simplement tout rejeter.

La vérité.

Finalement, il recule, se décalant, brisant cette proximité entre vous, laissant s’échapper de ses lèvres un long soupir.

Tu as des désirs, tu préfères simplement les masquer.
Tu ne t’autorises pas tout ça.

C’est ce qu’il interprète dans tes yeux…

Et tu restes silencieux, toujours allongé quelques secondes… Tout résonne dans ta tête, tout reste ancré, notamment son expression. Tu as l’impression que ton cœur se serre, pourtant, tu te persuades que ce n’est qu’une impression, une illusion. Et tu redresses doucement, toujours à côté de lui, alors qu’un mur semble s’être dressé entre vous deux. Vas-tu parler Oz ? Vas-tu lui répondre ?

Dire ne serait-ce qu’un mot ?
Ne serait-ce que pour le contredire, pour montrer ton déni ?

« … Je... »

Tu baisses la tête, posant ton regard sur tes mains.

« J’ai des parents, j’ai de l’argent, un statut… J’ai tout ce que tu désirais enfant... »

Sauf de l’affection.
De l’amour.
Tu connaissais à peine cette saveur.

« Je n’ai pas besoin de plus… Je n’ai pas à désirer quoi que ce soit… Une arme est dénuée de ce genre de choses. »

Tu enlaces tes doigts délicatement, presque comme un geste de prière.

« Je n’ai pas appris à éprouver ce genre de choses… Je n’ai jamais appris ce concept… C’est mieux ainsi. »

Un soupir.

« Désolé... Je ne te comprendrais jamais...»

Ah… Tu es cruel.
Tu es si cruel...

Dis Ozora…

Est-ce que tu l’écoutais vraiment ? Est-ce que tu essayais réellement de comprendre ? Lui qui cherchait à t’ouvrir les yeux, qui tentait de te partager son point de vue. De ses lèvres ne sortait que la vérité, cette vérité que tu rejettes, encore et encore. Tu te contentais de rester dans le déni et après toutes ces minutes de silence, tout ce que tu lui répondais, c’était ça ? C’était juste pour lui dire que tu étais une arme, qu’il pourrait être jaloux de toi, c’était juste pour le contredire.

T’excuser ?
T’excuser parce que tu ne le comprendras jamais ?

Tu étais si froid, si distant, le mur entre vous ne faisait que s’épaissir tandis que tu ne lui lançais pas même un regard. C’était la conséquence de tes choix, il fallait l’assumer, pas vrai ? C’était ton choix de te traiter ainsi. Comme une arme. Tu te privais toi-même de liberté, tu restais cette poupée de chiffon que tes parents pouvaient utiliser encore et encore, ils pouvaient te détruire pour te recoudre derrière, te jeter, t’abandonner… Tu l’accepterais… Tu ne ferais rien pour les arrêter…

Tu vivais dans la lâcheté.
Hier comme aujourd’hui.

Et finalement, ses yeux se posent sur les tiens, un regard qui te met mal à l’aise parce que c’est une expression que tu connais. Tu te mets à stresser soudainement, à avoir peur de ce qu’il pourrait te dire. Et il te traite d’idiot, il te l’avait sorti si naturellement…. Ce n’est pas vraiment habituel que quelqu’un te dise ça. C’est surprenant, assez étrange, et tu ne savais ni comment le prendre, ni comment y réagir… Cela ne t’avait pas blessé pour autant, et, tu ne le prenais pas mal en soit…

Après tout, il se montrait « gentil ».
Possible oui…

Au fond, tu n’en savais rien.

Ah, ça y est, tu l’entends… Ce ton d’agacement. Ça y est, tu te prends des paroles insupportables, tu te reprends cette vérité dans la face. Tu voudrais lui dire que tu ne t’inquiètes pas pour les autres, que tu fais qu’agir parce que tu as été élevé à mettre les autres avant toi. Tu voudrais lui dire que tu ne bégayais pas. Que rougir n’était qu’une réaction physique, que ce n’était pas lié à ta tête, à ton cœur. Tu voudrais juste renier chacun de ses mots.

Et peut-être que oui, c’était con comme façon de penser.
Mais tu ne savais pas faire autrement.
Tu ne voulais pas faire autrement…

Tu ne manquais de rien pas vrai ?
Et de l’affection ? De l’amour ?

Tu n’avais pas de désirs ?
Le désir de ressentir de la chaleur ?
Le désir de te sentir aimé, vivant…

Enfin, passons…

Ryoji ne souhaitait pas continuer la conversation. Il avait juste besoin d’un bon bol d’air frais, il voulait sortir retrouver un peu l’extérieur même si le soleil s’éclipsait. Et il te demande si tu voulais venir avec lui ? Tes lèvres s’étaient entrouvertes, prêtes à lui dire oui pour l’accompagner, pour rester avec lui. Mais n’était-ce pas de ta faute qu’il était agacé ? C’était désagréable… Tout cela te rappelait Yuan. Tout cela te rappelait qu’il risquait de s’éloigner, de partir à cause de ton comportement, de ton caractère trop difficile… Tu étais encore resté silencieux, tu n’avais pas répondu à ses mots. Et il n’avait pas envie de continuer, c’était mieux ainsi. C’était mieux si tu ne disais rien de plus.

Tu pourrais finir par tout briser.

« Je... »

Un soupir.

« Je pense qu’il est préférable que je m’abstienne... »

Tu étais le fautif après tout.
Tu ne voulais pas polluer l’air frais dont il avait besoin.

Il n’était pas étonnant que tu te retrouvais si seul. Tu as tant de gens autour de toi, des gens qui souhaitent de soutenir, t’aider, mais toi, tu restais dans ta bulle. Tu n’arrivais pas à saisir ces mains tendues. Tu es vraiment bien plus peureux qu’on ne le croirait pas vrai ? Et donc, maintenant que tu l’avais agacé, tu n’osais plus le regarder ? Tu n’osais plus rester à ses côtés ? Tu te persuadais que ta présence allait uniquement l’embêter, toujours de plus en plus, jusqu’au jour où il ne pourra plus te supporter. Parfois, tu ne dis pas que tu devrais agir ? Que tu devrais faire le premier pas… Tenter de le retenir ?

Tu entends son soupir.
Ne le prends pas mal.
C’est ce qu’il te dit.

« Je ne l’ai pas mal pris. »

Tu répondais tellement machinalement… Alors que lui prenait sa veste avant de te dire qu’il ne t’en voulait pas, que malgré tout, tu as été élevé ainsi… En effet, tes parents t’ont éduqué pour être fort, pour être le parfait soldat, pour être autant une lame et un bouclier pour Kanagawa. Ils n’avaient jamais cherché à te rendre aussi insensible, mais leur façon de faire, leurs remarques et leur pression t’avaient forcé à tout restreindre. À t’oublier. Et ils ne se sont jamais dit que c’était grave, même lorsqu’ils ont vu leur fils arrêter de sourire.

Il est vrai que petit, tu souriais…

Tu restais silencieux alors que ton regard daigne se reposer sur lui, lorsqu’il te disait de retirer cet air déprimé sur ton visage. Tu n’arrivais pas à comprendre ce qu’il voulait dire, à imaginer une telle expression sur ton visage, pour toi, tu devais juste avoir l’air vide mais pas triste. Et puis comment ça, ça ne t’allait pas ? Tu ne comprenais pas… Mais, après, ce n’était pas le plus important à retenir dans ces mots pas vrai ?

Je ne vais pas m’énerver sur toi.

Alors pourquoi ce visage ? Pourquoi ce ton de voix ?


… ou t’abandonner.

Pourquoi tu as l’impression d’être rassuré ? Pourquoi, tu as cette étrange sensation derrière ta poitrine ? Pourquoi… Pourquoi le fait que tu doutes de ses mots serre ton cœur ? Surtout lorsqu’il te dit qu’il espère un jour pouvoir te faire changer d’avis, qu’un jour, tu te sentiras purement comme un être humain. Un humain comme lui.

« Peut-être un jour... »

Tu mentais quand tu disais ça. Pour toi, c’était évident que ça n’arriverait jamais. Après tout, tu n’en avais pas le désir pas vrai ? Tu n’avais aucune intention de changer… C’est ce que tu te répétais.

Un soupir traverse tes lèvres alors qu’il te demande de nouveau si tu voulais l’accompagner prendre vite fait l’air. Tu te relevais, mettant rapidement ton manteau sur tes épaules, retirant par la même occasion l’épingle offerte pour la ranger dans sa boîte et laisser tes mèches légèrement décoiffées tranquilles.

«Et bien... Quelques minutes pourquoi pas. »

Vous sortez donc de l’auberge et toi, tu restais devant la bâtisse, regardant le ciel crépusculaire. Le soleil allait bientôt se coucher, finalement, tu n’auras pas vu ta journée passée.

« Pa-… »

Pardon.

Tu faillis t’excuser encore pour la conversation juste avant, mais… Tu avais l’impression que ça allait plus le faire soupirer qu’autre chose. Alors tu te résignais, tu scellais tes lèvres, laissant ton regard se perdre dans les nuages.

Prendre l’air te faisait du bien. Même si c’était un peu froid, cela ne brûlait pas tes poumons, ça rafraîchissait ta peau qui s’était un peu trop réchauffée dans la chambre. Pour bien des raisons… Que ce soit à cause de votre proximité ou… De la peur que tu avais ressenti, lorsque tu avais vu son regard en colère. Tu avais eu de nouveau l’envie de t’excuser et tu avais réussi à retenir ces mots, à garder ce pardon en toi, à ce qu’il reste sceller derrière tes lèvres. Après tout, pourquoi faire ? Tu commençais à comprendre que c’était une mauvaise habitude chez toi.

Et cela ne lui avait pas échappé.

Tu allais lui répondre, mais voilà, avant que tu puisses dire quoi que ce soit, il avait claqué de la langue, saisit ton bras pour t’amener jusqu’à lui. Pour t’offrir une étreinte se voulant chaleureuse et réconfortante. Tu ne savais pas comment réagir, tu restais silencieux, paralysé dans cette soudaine affection. Malgré tout ce qui s’était passé. Tu n’arrivais pas à comprendre. Tu ne savais pas si tu devais parler, si tu devais le repousser ou… Juste le laisser faire. Tu ne bougeais pas, écoutant ses paroles se glisser dans ta tête.

Le fait que tu n’avais pas à t’excuser.
Le fait qu’il ne t’abandonnerait pas.

Ryoji était trop gentil avec toi…. Peut-être que pour ça, il se différenciait de Yuan.

« D’accord... »

Non pas que tu lui en voudrais s’il te laissait derrière. Non pas que tu serais triste…
Enfin, tu crois.

Il te relâchait, te laissant toujours un peu plus perturbé. Étrange d’avoir trouvé cela si réconfortant… Tu ne devrais pas être déçu qu’il cesse ce geste. Tu ne devrais pas, pas vrai ? Mais voilà, heureusement pour toi, Ryoji te tirait de tes réflexions idiotes pour amener un sujet… Complètement inattendu. Tu restais silencieux quelques instants, le fixant longuement.

« Oh et bien... »

Pourquoi ça l’intéresserait ? Était-ce simplement sa curiosité en tant que roturier ? Difficile à dire, mais ce n’est pas comme si ça te dérangeait d’en parler.

« Ce n’est pas impossible que cela arrive. Mais mes parents ne cherchent pas pour l’instant à me trouver une partenaire, la lignée du clan est déjà perpétuée par d’autres membres de la famille alors cela reste assez secondaire. Même si mes grands-parents m’en parlent et qu’à des repas, on a déjà essayé de voir pour me trouver quelqu’un... »

C’était bien l’une des seules choses bénéfiques que t’offraient tes parents. Sur ce sujet, tu n’avais aucune pression, après tout, eux-mêmes se sont mariés tardivement, ayant consacré la majeur partie de leur vie à leur travail et leurs devoirs. Plutôt normal que tu suives le même schéma.

« C’est une drôle de question de ta part, je ne pensais pas que ça t’intéresserait. »

Tes yeux quittèrent les siens alors qu’un léger petit frisson te parcourait. Son sujet avait été un peu… Étrange et sorti de nulle part, mais c’est peut-être ça qui t’avait détendu au final. Avec ce petit air frais, cette petite étreinte…

« Il commence à se faire tard, nous devrions rentrer, je vais voir avec la gérante pour manger quelque chose. »

Après un soupir, un dernier regard vers le ciel crépusculaire, tu tournais les talons pour retourner à l’auberge. La journée a été bien longue et, tu n’arrivais pas trop à savoir comment tu te sentais à la fin, mais… Tu avais malgré tout créer de bons souvenirs, et, elle aura été plus appréciable que si tu avais seul à n’en point douter.