Un silence, des paroles qui ne font pas plaisir à entendre, qui sont lourdes de sens. Ce jeune homme effrayé par la Mort, effrayé par ce qu’elle provoque… Le voilà en train de traîner avec un garçon comme toi, quelqu’un qui pourrait se livrer à elle, sans broncher un instant. Un trop grand sens du sacrifice t’anime, contrairement à lui… Parce que ce n’est pas quelque chose qu’on lui apprit. Non, il a appris au contraire à survivre, au prix de certains vices. Toi, on t’avait appris à accepter la Mort, par loyauté envers ta patrie… Lors de votre rencontre, tu t’étais rendu compte qu’il avait quelque chose de similaire. Ou du moins… Qu’il comprenait ta certaine apathie, ce manque d’amour envers tout, cette difficulté à faire des choix. Mais… Tu avais bien conscience que sur ça, vous ne pourriez probablement jamais vous comprendre. Et l’ambiance lourde de cette discussion, ne cessait d’affirmer cette pensée.

Mais qu’il ne te comprenne donc jamais.
C’était mieux ainsi.
Tu ne souhaites pas qu’il finisse comme toi.
Tu ne le souhaites pour personne.

Un soupir alors que sa voix brise enfin le silence. Deux mots. Deux mots seulement. Tu as presque l’impression d’entendre des sanglots. Une plainte discrète… Mais tu n’avais pas osé te retourner pour vérifier. Tu n’avais pas osé regarder, faire face à son visage, voir l’expression qu’il pouvait avoir. Peut-être qu’au fond, tu as peur… Peur de lire de la peine que tu as pu lui causer. Oui toi… Tu étais le seul à pouvoir le blesser. Parce qu’il n’y a que vous deux. Et parce que c’est bien ton genre… Blesser autrui, sans le vouloir. Les rendre tristes. En colère… Tu es doué pour ça… Alors que paradoxalement, tu ne comprends pas ces sentiments.

Sa voix tremble.
Tu l’entends.

Un regard… Tu poses un regard timide sur lui… Mais il te tourne le dos, il refuse que tu le voies. Il se cache ? Tu ne veux pas tirer de conclusions hâtives. Tu n’oses pas non plus lui poser la question. Que ferais-tu si c’était le cas ? Le consoler ? Tu n’es pas doué pour ça… Lui offrir une étreinte comme la dernière fois ? Tu ne sais pas si ce serait approprié, alors que ce sont tes mots qui l’ont probablement rendus si silencieux.

Tais-toi.

« Ryoji… ? »

C’est mieux ainsi.

« Est-ce que... »

Tais-toi.

« Est-ce que je t’ai blessé avec mes mots ? »

Tu ne feras que tout empirer…
Un soupir…

« Non… Pas besoin de répondre. »

Tu sais probablement déjà la réponse.

« Allons manger avant que ce ne soit plus l’heure adéquate. »

Tu te relèves un peu difficilement avant de remettre ton manteau. Tu fais tout pour ne pas croiser son regard. Tu fuis… Encore et toujours...

Tu devrais savoir que ta façon de vivre ne plaît que rarement aux autres… Qu’on finit par avoir peur de toi. On finit par te rejeter… Ton cœur si vide est sans doute trop dur à supporter. Tu pensais que cette information était acquise et pourtant, tu n’avais pas fait assez attention. Tu n’avais pas assez pris en compte ses émotions. Tu te souviens des mots de Ryoji, lorsqu’il disait qu’il avait une certaine apathie… Pourtant, tu l’avais vu pleurer. Une première fois où tu avais tenté de le consoler. Une seconde fois, où seuls les murmures de sanglots pouvaient te confirmer son état. En réalité, il est probablement plutôt sensible. Ou alors le problème venait juste de toi… Ah… Tu aurais dû faire plus gaffe.

Tu aurais dû....
Tu ne l’as pas fait.
Tant pis, le mal était fait.

Silencieusement, tu te préparais à sortir, n’attendant pas une quelconque réponse de sa part. L’ambiance était déjà trop lourde, la conversation n’avait plus à continuer. Ainsi peut-être ses larmes arrêteraient de couler. Mais… Contre toute attente, il se décide à parler. Il veut s’expliquer, comme si c’était un besoin pour lui, de s’exprimer. Et tu écoutes ses paroles, qui te laissent perplexe. Il dit que blesser n’est pas le bon terme… Mais ainsi, il affirme que ce qu’il ressent est plus ou moins similaire. Que tes mots l’ont touché, et ce, pas de la bonne manière. C’est juste qu’il n’était pas capable de se mettre à ta place, qu’il est terrifié à l’idée que la Mort puisse être une délivrance. Il est effrayé par Elle. Il ne peut pas comprendre tes valeurs, ta façon de vivre.

« Tu n’as pas à comprendre. »

Aucune hésitation, dans le ton de ta voix, dans ton regard. Car oui, tu daignes poser tes yeux sur lui, alors qu’il s’apprêtait à partir. Tu n’avais pas envie que la discussion s’éternise, mais maintenant que tu savais pourquoi il était comme ça… Peut-être que tu pouvais faire quelque chose, non ? Alors tu l’empêches de partir trop loin. Tu saisis son manteau, pour qu’il reste à côté, qu’il puisse entendre ce que tu allais dire.

« Mes valeurs sont mes valeurs, tu n’as point à tenter de me comprendre. »

Un soupir.
Tu es hésitant.

« J-Je veux dire… Tu as le droit d’avoir peur de la Mort, ce n’est pas un mal. Nous sommes tous différents et, en réalité beaucoup d’Hommes ont peur de mourir. Ne cherche pas à changer ça… Il est même préférable que tu penses toujours ainsi. Un mode de vie similaire au mien, ne t’apportera pas grand-chose.»

Tu le relâches doucement.

« Enfin, je ne sais pas si j’arrive à bien m’exprimer… »

Mais au moins, tu as dit ce que tu pensais. Tu as fait ce qui te semblait nécessaire. Peu importe les conséquences, peu importe si ça ne lui fait rien. Tu pouvais désormais ouvrir la porte, sortir de l’auberge, un peu plus serein.

« Aurais-tu une envie particulière pour le repas ? »

La discussion était plus ou moins close… Maintenant, il fallait espérer qu’un peu de nourriture ramènerait de la joie entre vous deux.

Quels mots sont les bons ?
Tu ne sais pas.
Que faut-il dire pour rassurer ?
Que peux-tu ajouter ?
Comment s’exprimer ?
…

Tu ne sais pas.

Tu essayes, mais tu n’es pas sûr du résultat. Un seul soupir en réponse, quelques secondes de silence… La discussion est close, il est temps d’avancer, de prendre l’air. Mais… Ton cœur se serre, face à une chaleur soudaine. Tu sens son corps contre le tien, comme s’il s’était laissé tomber sur toi, afin de t’offrir une étreinte maladroite. Une étreinte qui sans doute veut laisser un message… Cependant, qu’est-ce que cela voulait dire exactement ? Qu’est-ce que ça signifie ?

Je ne comprends pas.
Je ne suis pas apte à comprendre ce geste Ryoji.

Alors tu décides de l’ignorer, de faire comme si de rien était. Tu ne t’attardes pas dessus, malgré ce pincement qui te prend. Tu reprends la discussion, tu réfléchis à autre chose. Oui, réfléchir à votre repas était le mieux à faire… Car au moins, tu étais persuadé d’avoir une réponse à cette question. C’était un peu plus à ta portée. Bien que cela ne t’arrangeait pas qu’il décide de juste te suivre. Au moins, il avait avoué une envie, un repas consistant et chaud. En rapport avec cette neige qui tombait par la fenêtre, cependant, plus que le temps extérieur, ce que tu observais, c’était ce visage rougit par les larmes.

Devrais-tu t’excuser ?
Non… La discussion était close.

« En effet… »

Même si tu n’avais pas beaucoup d’appétit, autant trouver un bon restaurant pour lui.
Il le méritait.

« L-Laisse-moi réfléchir un peu… Je ne connais pas vraiment les environs alors... »

Tu tentes de te remémorer de quelques conversations avec tes grands-parents… Ne t’avaient-ils pas parlé d’un bon endroit où manger ? Ah… Voilà ça te revenait.

« Je me souviens du nom, mais je ne sais guère où cela se trouve… Je vais aller me renseigner auprès de l’accueil. »

Sans attendre plus longtemps, tu étais parti demander quelques indications, un papier sur lequel on avait noté le chemin à faire. Pour ne pas prendre le risque de se perdre. Tu sortais de l’auberge, levant les yeux au ciel, sentant tes pieds s’enfoncer dans la neige, quelques flocons se poser sur ton visage. Une sensation de froid qui étrangement, n’était pas désagréable. Et tu avances d’un pas. Puis d’un autre. Sans que tu ne daignes rouvrir tes lèvres. Tu observais ces rues, tu écoutais ces voix inconnues, cette vie qui t’entourait. Et au milieu de tout cela, tu semblais contraster. Car plus qu’à la Vie, à la chaleur humaine, tu semblais plus te confondre dans la Mort, la mélancolie de l’hiver. Ces quelques regards te le faisaient bien comprendre.

Mais tu y es habitué.
Depuis bien des années.

Et les minutes passent dans le silence, alors qu’enfin, vous parvenez au restaurant. Une belle bâtisse, chaleureuse et lumineuse, qui ne semblait cependant pas à portée de tout le monde. Vous entendez le bruit d’une petite cloche dès l’instant où vous passez, avec quelqu’un pour accueillir tout nouveau client le sourire aux lèvres.

« Bonjour… Auriez-vous une table pour deux ? »

Une petite vérification et le voilà qui vous guide jusqu’à votre table, vous laissant vous installer confortablement sur vos chaises. Face-à-face. Délicatement, tu retires ton manteau et tes gants, saisissant la carte des menus, inspectant chaque mets qui y était proposé. Un regard timide vers Ryoji, tu sembles te montrer hésitant à l’idée de prendre la parole.

« J’espère que le lieu t’ira. »

Ce serait une bonne chose s’il pouvait retrouver le sourire…

« Je me chargerais de payer, alors... Prends ce qui te fait plaisir.»

Un silence pesant…
Une atmosphère bien trop lourde.
Des retrouvailles qui ne se passaient pas comme tu l’espérais…

Mais tu n’étais pas étonné.

Le plus étonnant pour toi, était après tout d’avoir quelqu’un à tes côtés. Quelqu’un qui ne fuit pas malgré tes mots. Malgré ton caractère si froid… Oui, tu as face à toi ce mur de glace. Ryoji y était pleinement confronté, car tu ne cessais de t’enfermer derrière. Encore plus lorsque tu avais compris que tu l’avais fait pleurer. Dans ce restaurant, tu ne sais pas quoi dire, quel sujet aborder. Si tu devais seulement te permettre d’aborder un quelconque sujet de conversation. Tu te contentais du minimum. De quelques mots. D’une petite offre.

Que dire de plus ?
Que faire de plus ?

Heureusement, Ryoji semblait se démener pour continuer l’échange. Peut-être même tentait-il de te rassurer un peu ? En disant que ce lieu était parfait, même sans avoir goûté les plats… En te disant des banalités, une petite question simple, qui au moins, vous empêchait de complètement sombrer dans le silence. Pourtant, cela suffisait à te pousser dans une réflexion intense.

« Non… Je ne sais pas... »

Tu regardais tous ces plats, sans savoir vers quoi te diriger. Il te fallait probablement quelque chose de consistant, pour récupérer des forces. À la fois, tu n’as pas plus d’appétit que cela… Devais-tu partir sur quelque chose d’un peu plus léger ? Ah… Faire des choix, c’est définitivement trop compliquer pour toi.

« Je ne suis pas difficile alors… Et toi ?»

Un soupir.

« Si la viande te tente, prends… Ne te préoccupe pas du prix. »

Ah… Enfin, tu daignes un peu plus parler. Si tu ne t’ouvres pas, si tu restes froid, braqué dans ta cage, derrière ton fossé… Il y a une petite amélioration, et même la plus infime était agréable dans cette ambiance si lourde. Pourtant, tu aimerais changer ça. Tu aimerais que la chaleur du lieu lui fasse effet, pour le revoir avec son sourire, pour de nouveau entendre son rire. Tu sais aussi, que ta présence l’en empêchait sûrement. Et tu croises son regard, tu scelles tes lèvres, restant immobile à le regarder, le temps d’un petit instant. Te perdant dans mille pensées silencieusement. Des questions qui te traversent l’esprit, qui te laissent un goût amer. Des questions déplaisantes, qui te font toujours plus douter.

Peut-être qu’il aurait préféré ne pas être ici.
Peut-être que cela aurait été mieux pour lui…
Non, ce n’était pas le moment.

Tu tentes de balayer tes pensées, te cachant derrière la carte des menus, ignorant tout simplement son visage, ses yeux.

« Hmm… Aurais-tu quelque chose à me conseiller ? Ou bien… Un second plat qui te donnerait envie ? Je pourrais te faire goûter comme ça... »

Il y a plusieurs murmures, des conversations lointaines qui résonnent dans le restaurant, qui se confondent entre elles. Votre échange à côté, paraissait tellement plus timide… Il venait à peine de germer, tentant à deux, de retrouver une once de joie entre vous. Un peu de chaleur. C’est maladroit, ça paraît si banal. Mais cela changeait de ce silence si pesant qui vous a accablé sur le chemin.

C’était déjà bien…
Une première étape.

Même si toi, tu te caches.
Mettant une couche en plus sur ton mur.

« En effet, le ragoût est un plat particulièrement consistant, et puis, il peut avoir bien des variations en fonction des pays et des régions, ce qui le rend pratique et plutôt populaire. »

Un soupir. Toi, tu es toujours perdu, incapable de choisir… Et tu tentes d’avoir son aide, d’avoir un quelconque conseil. Tu n’as guère l’envie de t’éterniser ici et de le faire attendre trop longtemps, cependant, si on te laissait dans ta réflexion… Et bien Ryoji pouvait patienter de longues minutes encore. Cependant, il ne semblait pas vouloir perdre du temps inutilement, décidant directement à ta place un plat qui saurait sans doute te satisfaire. Un pavé de saumon… Tu cherchais où c'était sur la carte, mais un doigt vint directement te guider. L’index sur ta carte, la penchant légèrement, tu pouvais de nouveau voir son visage. Faire face à son regard.

Cela ne mettait pas vraiment à l’aise.
Lorsque vos yeux se sont croisés.
Lorsqu’il t’annonce ce qu’il désire.

Si tu l’avais regardé avec curiosité suite à ses mots, c’est un battement de cœur qu’il arrive à te voler.

Un simple baiser.

Cela n’avait duré qu’une petite seconde, et pourtant, c’était suffisant pour que tes joues deviennent pourpres. Un contraste particulièrement voyant avec ton teint si pâle, avec la fatigue de ton visage. Tu te remémorais votre dernière rencontre, cette sensation qui était toujours aussi chaleureuse, aussi douce. Un embarras certain qui se lisait, tandis que tu ne savais plus quoi dire, quoi faire. Tu étais tout simplement perturbé. Autant par son geste que ses mots. Que voulait-il dire ?

Il me veut ?

Ça te paraît étrange. Incompréhensible. Indéchiffrable. Comme une grande énigme qui à tes yeux était parfaitement impossible à résoudre. Ah… Ce n’était pas si compliqué de briser un peu la glace.

« Qu- »

Tu as un peu peur de lui demander une explication…
Un peu peur de la réponse.

« P-Pourquoi ? »

Tu as osé timidement lui demander la raison. Mais tu n’as pas été capable de lui demander ce qu’il voulait dire… Tu n’as pas été capable de chercher plus loin. Probablement bien trop effrayé, à l’idée qu’il te désire… Parce qu’à tes yeux cela n’a pas de sens. Parce que tu ne penses pas mériter ces mots.

« C-Ca ne se fait pas en public…. »

Ça ne devrait pas se faire tout court. Vous êtes plus ou moins encore des étrangers entre vous… Mais c’était probablement parce qu’au fond de toi, tu apprécies cette petite chaleur que tu n’es pas totalement capable de la rejeter. Enfin, heureusement pour toi, le serveur est venu couper court à ta gêne, te forçant à passer à autre chose.

« Madame, monsieur, avez-vous faits votre choix ? »

Un instant de silence alors que tu t’apprêtais à lui répondre… Un instant de réflexion où tu prenais conscience de ce qu’il venait de dire. Et bien, cela ne t’étonnait pas vraiment, surtout lorsque tu es habillé de cette façon, coiffé et maquillé. Mais… Se faire mégenrer face à une connaissance, ce n’est pas la même chose. Tu toussotes un peu, les joues toujours légèrement teintés.

« V-Veuillez m’excuser, mais… Nous sommes deux hommes. »

La surprise et la gêne sur son visage, il semblait bien embêté, ne cessant de s’excuser auprès de toi. Tu n’es pas habitué à des excuses à ton égard, et cela ne te mettait pas vraiment à l’aise. Tu préférais partir le plus vite sur la commande.

« Ne vous en faites pas, ce sont des choses qui arrivent… D-Donc… On va vous prendre un ragoût et un pavé de saumon s’il vous plaît. A-Ah... Et... De l'eau s'il vous plaît...»

Un regard vers Ryoji, une demande silencieuse sur une boisson qu'il pourrait désirer.

Et puis, tout était noté, le serveur était parti…
Et toi, de nouveau seul avec lui.

Après tout ça, c’était encore plus dur de le regarder ou même juste de parler.

« J-J'espère que l'attente ne te paraît pas trop longue... »

C’est étrange…

Comment soudainement, tu ressens ton cœur qui se réchauffe. C’était comme une soudaine fièvre. Qui envahissait tout ton être. Une ivresse certaine alors que tes lèvres n’avaient nullement goûté à un quelconque alcool. Non… C’était là le goût de son baiser, le goût de ses paroles. Et cela ne te laissait pas indifférent. Un pouvoir sur toi, un simple geste qui suffisait à te rendre moins froid. Un simple geste qui pourtant, te mettait dans tous tes états… Tu te sens envahi de questions. Et inconsciemment, tu es bercé par des émotions. Elles s’entendent dans ton bégaiement, elles se voient dans ton regard et dans cette lueur timide, sur ton visage soudainement peint d’un rouge.

Oui, c’est une œuvre teintée par la vie.
C’est une preuve que tu es vivant.
Bien plus que tu ne le penses.

Et ça empire, à chacun de ses mots. Ça te laisse perplexe, plus que tu ne l’es déjà.

« J-Je ne suis point un en-cas... »

Pourtant, était-ce réellement important ?
Lorsqu’enfin, tu retrouves ce sourire.
Lorsque de nouveau, tu entends ce rire.

Ah…

Peut-être qu’il avait bien fait de t’embrasser après tout… Tant pis si tu ne comprends pas tout. Tant pis si tu te poses trop de questions, si ton cœur bat la chamade, si tu n’es pas à l’aise avec tout ce qui se passe… Tant pis, car la joie l’envahissait, car il retrouvait cette douce et fervente mélodie.

Que demander de plus ?

Bon, tu te serais bien passé de ce léger moment embarrassant juste après ça. Il était encore plus dur de calmer tes battements. Pourtant, cela ne te gêne pas en temps normal, ce n’est pas une première fois, et en réalité, qu’on te voit comme un homme ou une femme, tu t’en fiches pas mal… C’était juste que… En voyant Ryoji en face, soudainement, tu avais senti tes joues se réchauffer… Étrange non ? Oui… C’était définitivement étrange.

Tout comme votre relation finalement.

Tu remarquas sur son visage, un regard particulièrement sérieux à l’égard du serveur. Comme s’il le menaçait, mais, peut-être que ce n’était que ton imagination. C’était juste, perturbant, de le voir te sourire juste après, dès l’instant où vous n’étiez que deux. Semblable à un masque qu’il mettait soudainement… Ou bien au contraire qu’il retirait. Puis, ses paroles t’étonnent, car à côté, il semblait jouer avec le premier truc qu’il avait vu. Un contraste particulier que tu pouvais observer. Entre ses dires, son comportement, son visage… Il n’est pas si facile à cerner pas vrai ? Quel visage voyais-tu ? Comment faisait-il pour afficher cette expression aussi aisément ? Pour changer cette lueur dans son regard comme si de rien était ? Tu ne pouvais t’empêcher de te le demander, mais ces questions resteront silencieuses…

« Bon… Tant mieux alors... »

Et alors que tu pensais que tout allait enfin se calmer, il semble vouloir te taquiner. Son ton te le fait bien comprendre, cependant, tu n’es pas sûr de quoi il parle. Du fait d’être mégenré devant lui ou qu’il t’ait embrassé ?

« M-Me remettre de quoi ? S-Si tu parles de l’erreur du serveur, oui ne t’en fais pas, je ne me sens pas réellement concerné par ce genre de choses. »

Mais s’il parlait d’autre chose ? S’il parlait de son baiser ?
Tu avais préféré ignorer cette possibilité.
Oui…

Il te fallait l’ignorer.

Tes joues se teintent toujours un peu plus… Un peu de rouge sur ce visage pâle, un rouge qui ne vient pas de ton maquillage ou même du sang d’un cadavre. Une émotion qui s’intensifie, un peu plus… Ses mots ne cessent de toujours plus t’emballer. Il ne cesse d’un peu plus t’embarrasser. Il parvient à colorer cette statue de marbre. Ses mots sont comme des coups de pinceaux. Son sourire, un éclat qui rend plus vivante l’œuvre… Ah… Tu as envie de te cacher… De te réfugier quelque part, dehors, là où il fait plus froid. Tes joues te semblent si chaudes… Peut-être que ça te rafraîchirait un peu… Mais tu ne peux pas alors… Tu devais y faire face.

« Un dessert… ?»

Parce que c’est ce qu’il préfère.

« C-Ce n’était pas vraiment la question... »

Le fait est qu’il parle comme s’il pouvait te savourer.
Tout comme il avait goûté tes lèvres.

Oh ce n’était qu’une petite taquinerie, ce rire, ce sourire, il te le fait comprendre, cependant, tu as parfois bien du mal à prendre du recul sur ce genre de choses. Comment réagir à ces phrases ? Comment faire comme si de rien n’était ? Enfin, il est vrai que grâce à cela, vous aviez retrouvé un peu de gaieté entre vous. Le vent semblait souffler moins fort, le froid était moins présent. Oui… Tu semblais mieux ressentir la chaleur de l’endroit. Une chaleur qui se propage dans ton corps, se glisse lentement dans ton cœur. Cela te soulageait d’une certaine manière, même si la conversation pouvait être un peu embarrassante. Même si ça résultait sur une menace envers le pauvre serveur. Mais…

N’était-ce pas touchant de savoir ce qu’il pourrait faire, juste parce qu’on t’avait mis mal ?
Plaisanterie ou non…

« Tu n’as pas à le faire… Ce sont des choses qui arrivent et puis, vraiment ça ne m’a pas mis mal… De toute façon, j’ai conscience d’avoir quelques traits féminins, mais je ne considère pas cela comme une insulte ou autre… Alors… Pas besoin de menace...»

Oui, tu avais définitivement pris ses paroles un peu trop au sérieux.

Ton regard se reporte sur la serviette avec laquelle il jouait, comme s’il cherchait à réaliser quelque chose avec. Mais quoi ? Tu as rapidement eu la réponse. Des origamis… Cet art de papier peut se montrer très méthodologique, tu ne devrais pas avoir de mal à en faire pas vrai ? Toi qui es si perfectionniste, si patient. Et pourtant….

«J-Je ne dirais pas que je suis doué pour ça… Disons donc que… J’ai… Appris à en faire auprès de quelques enfants… »

Après tout, ce n’était pas ta famille qui t’apprendrait ce genre de trivialités pas vrai ? Il n’empêche que c’était étonnant de savoir que toi, l’homme de marbre, n’avait aucun mal à traîner et jouer avec des bambins remplis de vie.

« Mais, sans les étapes et les mesures, je trouve cela trop difficile… Enfin, le fait est que les enfants ont une façon de faire et… D’enseigner assez particulière. Je dirais plus libre et créatif… C’est une méthode que je n’arrive pas à suivre donc je ne suis pas très bon...»

Oh non, les résultats n’étaient pas très concluants, tout comme leurs explications en réalité. Pourtant, cela ne te dérangeait pas, cela les faisait rire que le soldat, l’adulte était aussi nul pour des trucs manuels. Un souvenir si doux, il laissait cette lueur de bienveillance dans ton regard.

« Ah, mais je peux te confirmer que c’est possible avec une serviette. C’est simplement que l’épaisseur et la texture ne sont pas les mêmes. Enfin, on m’a déjà dit que certains justement, se servent de cette différence comme un atout. Le rendu n’est pas exactement le même, mais propose plus de matière, selon ce qu’on veut représenter ou l’impression qu’on veut donner, la serviette pourrait être plus appropriée. Après tout, l’origami est une forme d’art, et chaque forme d’art a ses propres dérivés et interprétations. Une fleur en papier et une fleur faite avec une serviette se ressembleront sans pour autant avoir la même signification. Enfin... »

Tu déviais un peu de la question, tu ne trouves pas ?
Tu toussotes un peu.

« Euh… D-Désolé… Je m’égare… »

C’était fou comment tu pouvais, tout autant être muet comme tombe que parler inutilement de toute sorte d’information que tu avais retenue. Probablement parce que tu as cette habitude de réciter, et naturellement, tu contes ce que l’on t’a dit, comme une chanson apprise par cœur. Mais… C’était aussi une preuve que tu te sentais de nouveau un peu plus à l’aise.

Tout devient plus léger au fur et à mesure que la conversation renaît. Tout devient plus complexe lorsque tu comprends qu’il éprouve une réelle affection envers toi… Sa façon de parler par rapport à la bourde du serveur était une preuve… Sa façon de dire qu’il était rassuré que tu ne te sentes pas mal… Tu pourrais être touché et sans doute qu’une part de toi l’est. Mais l’autre, la version plus peureuse de toi-même… Qu’en pense-t-elle ? Elle est toujours terrifiée, terrifiée par l’amour, peu importe sa forme… Elle se dit qu’elle ne pourra jamais lui rendre, elle se dit qu’elle devrait prendre de la distance.

Pour se préserver...
Pour se protéger…

Heureusement, la conversation s’était portée sur un autre sujet, ne te donnant pas le temps de te perdre dans ce genre de pensées. Même si les origamis ne sont pas ton fort, cela te permettait d’en apprendre un peu plus sur lui. Sur le Ryoji enfant, celui que tu ne connaîtras jamais. Alors ainsi, il avait appris le violon seul ? Sans aucun apprentissage, était-ce réellement possible d’apprendre un instrument aussi complexe ? Ou bien les années, le talent avaient forgé sa musique ? Tu n’y connais vraiment rien alors, difficile à dire. Cependant, le premier violoniste devait bien avoir fait de même alors, cela ne paraissait nullement impossible. Et puis cela expliquait sa façon si libre et expressive de jouer.

Tout ton contraire.

Libre…

Qu’est-ce que c’est ?
Qu’est-ce que ça veut dire ?


Libre…

Tu ne l’es pas.
Tu le sais.

« Je vois.»

Un ton qui manque cruellement de chaleur et pourtant, aucune tristesse ne se lisait dans ton regard. Parce que tu as accepté cette vérité. Tu n’as jamais cherché à t’en dévier. Tu n’avais donc pas à te plonger dans de terribles songes, non, tu avais simplement continué la conversation en répondant à sa fameuse question. Bien que tu t’étais quelque peu dissipé. Alors tu t’excuses, parce que tu ne savais probablement pas quoi dire d’autres. Même si c’était inutile et que Ryoji ne se retenait pas pour te le dire.

« D-Désolé… »

Ah que faire de toi ?

« Mais je n’ai pas raison après tout, ce ne sont pas mes mots. »

Tes yeux se posent sur ce sourire doux alors qu’il te parle d’art, du fait qu’il n’y était pas sensible, à part avec la musique. Cependant, il voudrait comprendre des tableaux, il voudrait s’intéresser à ce domaine qui avait l’air si passionnant. La peinture… Quand tu contemples des tableaux, tu ne sais jamais s’il y a quelque chose à dire ou à penser. Tu ne veux pas ressentir ces émotions qu’essayent de transmettre les artistes. Tu ne veux pas et tu t’y fermes, tu détournes le regard.

« L’art… Je pense que si tu es apte à aimer la musique, à exprimer des choses avec ton violon, alors en tant qu’artiste, tu devrais pouvoir interpréter des tableaux. Si tu fais des comparatifs par exemple… Enfin, je ne comprends pas ce domaine donc, difficile à dire. »

Néanmoins, la venue du serveur coupe votre échange, laissant enfin vos plats décorer la table. Une odeur appétissante s’en dégageait bien que tu avais l’impression que l’assiette était trop remplie pour toi. Tu remerciais silencieusement l’employé tout en remarquant le regard noir de Ryoji à son égard. Devrais-tu le relever ? Non, ce n’était pas si important. Alors tu continues de te taire, jusqu’à qu’il te pose une question qui te laisse… Perplexe. Tu y réfléchissais longuement, sans vraiment savoir quoi répondre.

« Je… Je ne sais pas… Je n’ai pas d’envie particulière... Que font les gens dans ce genre de situations ? »

Tes journées de repos ne sont pas de bons exemples, tu en as conscience. Tu ne réfléchis pas à ce que tu fais, tu te laisses emporter par le vent, tu marches, tu fais des siestes, tu lis… Tu fais ces trucs complètement banals sans aucune passion. Tu fais ce que les autres qualifieraient probablement d’ennuyant… Difficile d’avoir si peu d’intérêt pour la vie pas vrai ?

L’Art est un grand domaine que tu ne comprends pas… Tu as appris à dessiner et à peindre, mais les résultats ne sont pas bons, tu ne sais même pas si tu apprécies. Tu t’étais toujours contenté de reproduire, tu n’as jamais été vraiment capable de créer. Qu’importe, tu n’as pas d’intérêt pour tout ça. Qu’importe, car l’art ne te sert à rien. Pour l’arme, c’est inutile. Pour toi, c’est futile. Même si la musique a cet étrange pouvoir sur toi. Cela parvient à t’émouvoir, du moins, un minimum. Même si peu de gens peuvent le voir... Enfin, peu importe le domaine, la communication est difficile, visuelle ou non. Comprendre des messages, des émotions que d’autres veulent transmettre, cela te paraît impossible. Mais peut-être que Ryoji en serait capable ? Peut-être qu’il était plus apte à lire entre les lignes d’un artiste.

« Qui sait… Si tu n’essayes pas, tu ne sauras jamais.»

Un conseil que tu devrais appliquer à toi-même.

Un soupir, tu ne t’attendais pas à un rire face à tes propos. Tu ne pensais pas que ta réponse, ou… Du moins ta question, le ferait réagir ainsi. Pour toi, il allait sans doute être blasé ou juste désespéré par un cas tel que toi… Et si c’était juste toi qui t’imaginais des choses ? Et si tu étais le seul à croire que tu étais une présence insupportable ? Non… Tes expériences passées t’ont bien faits comprendre qu’au bout d’un moment on finit par se lasser, par ne plus te supporter. Le cas contraire serait étrange non ? Après tout tu es si froid, si peu passionné, si renfermé… Tu ne peux t’empêcher de trouver Ryoji encore plus bizarre, son comportement arrive toujours à te surprendre. Tu es perplexe. Mais à la fois, n’était-ce pas une bonne chose ?

Ah… Tu as si peur de refaire les mêmes erreurs.

Silencieux, tu le laisses réfléchir alors que tu offrais une petite prière aux Dieux avant de déguster une petite bouchée de ton plat. C’est alors que quelques idées semblaient lui venir en tête. Amusant non ? Lui-même ne savait pas ce que faisaient les gens en temps normal. Pourtant, il était apte à proposer un programme comparé à toi. Mais une fois encore, il te demande un choix. Qu’est-ce qui te tente ? Aller te balader dehors, ressentir ces légers flocons sur ta peau avant qu’ils ne fondent ? Jouer à des jeux de société ? Tu ne sais pas. Tu n’en sais rien.

« Je… Je n’en ai jamais fait non… Mais ce n’est pas avec une neige aussi fine qu’il est possible de faire quoi que ce soit… Enfin si peut-être… Au fond, je n’en sais rien, je ne joue pas vraiment avec... »

Tu détournes le regard, pour observer le ciel à travers la fenêtre du restaurant. Ce ciel gris et sombre.

« Quant à ce que je préfère… Honnêtement, rien ne me tente plus que l’autre… »

Faire un choix est trop compliqué.

« Désolé, je ne t’avance pas vraiment… Mais cela m’ira, peu importe ce que l’on fait alors… »

Tu veux la facilité.
Tu te comportes comme le lâche que tu es.
Est-ce que c’est mal ?
Est-ce qu’on devrait te le reprocher ?

Tes yeux se posent sur lui, alors que tu sembles juste perdu…

« Est-ce trop demandé de simplement te suivre ? »

Te côtoyer n’est pas toujours facile. Es-tu heureux d’être à ses côtés ? Es-tu intéressé par quelque chose ? Personne ne le sait… Tu ne dis rien. Tu ne montres rien. Et tu t’exprimes si mal… Les mots ne s’accordent pas, et au final, on se méprend. Tu as l’impression que c’était le cas pour Ryoji. Tu ne savais pas ce qu’il avait compris. S’il avait compris que toi, tout ce que tu voulais, c’était être avec lui. Enfin... Une chose était certaine, c’est que son sourire avait disparu. Tu n’entendais plus son rire, tu faisais face à cette expression sur son visage, une légère moue, mais pour quoi ? Était-il mécontent ? Sceptique ? Ennuyé ? Dans tous les cas, cela semblait négatif, et, peut-être qu’une part de toi culpabilisait.

Tu te dis qu’une fois encore, tu es un poids.
Désagréable.

Insupportable…

Mais il te laisse malgré tout le suivre. Il t’y autorise.

Tu ne peux t’empêcher d’être soulagé. Tu n’auras pas à faire de choix, tu n’auras pas à te prendre la tête sur ce genre de choses. Tu auras juste à te contenter de suivre le mouvement. Tu as un guide. Cependant, était-ce réellement une bonne chose ? À tes yeux oui. Le pauvre Ryoji, tu le forçais à toujours plus de réflexions tandis que toi, tu prenais quelques bouchées de ton plat. Enfin, au moins, il avait réussi à te partager un programme sympathique. Une balade digestive et ensuite une petite soirée jeux. Il te disait d’ailleurs qu’il en avait ramené quelques-uns. Avait-il préparé ses affaires en amont en pensant à passer du temps avec toi pour ton anniversaire ? Et si jamais tu n’étais pas venu ? Et si jamais vous ne vous étiez pas croisés ? Les questions se bousculent. Les réponses restent silencieuses.

« J’en connais… Peut-être deux ou trois, je ne suis pas sûr de me rappeler de toutes les règles comme ce n'est pas une activité à laquelle je suis habitué… Et puis je n’ai pas le matériel alors… Tes jeux seront suffisants, j’imagine. »

Son regard devient plus sérieux alors qu’il était plongé dans le tien.

Est-ce que cela te convient ?

« Oui… »

Tu ne parviens pas à garder tes yeux dans les siens, non, tu détournes la tête, tu te reconcentres sur ton plat. As-tu honte ? Es-tu gêné ? Ou bien… Était-ce cet étrange sentiment de culpabilité qui te prenait ? Toi, te sentir coupable ? De quoi exactement ? Probablement de tout… Mais devrais-tu te le permettre quand tu n’as rien éprouvé en mentant à une camarade ? En étant impassible face aux morts que tu as vues et données ?

Tu as un goût amer dans ta gorge.

« E-Et sinon… Tu dis que cela fait plusieurs années que tu as quitté Kanagawa… Tu te souviens de l’année exacte où tu es parti ? »

Tu tentes une conversation. Tu laisses parler une petite curiosité, mais n’était-ce pas pour fuir tes pensées actuelles ? N’était-ce pas pour fuir son regard si sérieux ? Fuir… Fuir encore et encore...