Qu’est-ce que l’on connaît de toi ? Ô jeune lieutenant, héritier d’un clan, soldat sanguinaire et loyal, on ne voit que cette façade froide et impénétrable. Derrière ce mur, il y a pourtant bien des secrets. Ryoji en avait pour certains la clé… Il sait ton faible pour le thé, le blanc en particulier. Il t’a rencontré en découvrant ton intérêt pour la musique, on pourrait même parler de sensibilité… Désormais, il sait que tu n’es pas doué à l’origami, que tu joues avec des enfants. Tu connais quelques jeux de société, mais tu n’y joues que peu souvent. Et lesquels ? Tu lui donnes des réponses trop courtes. Des petites bribes d’informations. Si on ne force pas, il est impossible de te connaître. Non pas que tu cherches spécialement à être secret. Ce n’est juste pas naturel. Tu ne te trouves pas intéressant après tout…

Tu es une arme.

Quel intérêt de parler de toi ?
Pourquoi en savoir plus sur toi ?

« Oui… »

Mais toi aussi, tu te montres curieux. Curieux envers Ryoji, sur sa vie, sur tout ce que tu ne sais pas de lui. Même si, ta question était aussi pour fuir… Même si tes yeux eux, avaient bien du mal à soutenir les siens. Tu te concentrais plus sur sa voix, sa réponse. Vers 1548 ou 1547… Tu faisais le calcul dans ta tête et tu prenais conscience de quelque chose. Oh, ce n’était pas grand-chose, juste un petit détail, mais… C’était pourtant une information basique que tu aurais dû demander bien avant. Si au moins, tu voulais prétendre à le connaître un minimum. Le considérer un peu plus qu’une simple connaissance.

« Je ne m’étais jamais fait la réflexion avant… Mais tu es plus âgé que moi... »

Quand on te voit physiquement, cela ne semble pas si étonnant, légèrement plus petit, le visage androgyne, mais, lorsqu’on voyait, entendait la maturité dont tu étais capable, le doute persiste. Comme si tu avais pris des années en plus. Et peut-être aussi que le côté parfois enfantin de Ryoji renforçait cette idée. Tu ne connaissais pas sa date d’anniversaire d’ailleurs… Tu aurais voulu lui demander, mais tu n’avais pas osé le couper dans ses mots. Lorsqu’il parlait de Kanagawa. De votre patrie, là où vous êtes nés tous les deux…

Toi, tu mourrais pour elle.
Lui voulait l’oublier.

Ton cœur se serre. Tu ne connaissais pas grand-chose de son passé, et même avec ce qu’il t’avait raconté, tu n’étais pas capable de le comprendre. On t’a tellement appris à aimer ce pays. Et même si on met de côté ton éducation, ton cœur, ton âme, aime profondément l’Empire. C’était pourquoi les événements t’affectaient plus que tu ne le pensais. Parce que c’est douloureux de voir la région où on a grandi mourir. C’est douloureux de constater l’effroi, la peur sur tous ces visages que tu observais, ces habitants que tu désirais plus que tout protéger.

Ah, ton visage devient plus sombre quand tu y songes.

« Je vois… Tu détestes Kanagawa pas vrai… ?»

À tes yeux, c’est incompréhensible.
Mais sans doute que pour lui, c’était toi le plus étrange.
Tout n’est qu’une question de point de vue finalement.

« Et bien… Tu sais, je fais partie de l’armée impériale… Faire des allers-retours entre Hefei et Nagano serait fatigant et probablement impossible physiquement. Donc c’est la ville où j’y réside depuis… Hmmm… 4 ans ? J’y suis allé en décembre 1547... »

Tu faisais le lien…
Amusant non ?

« A quelques mois près, on aurait pu se croiser... »

La conversation arrivait à se maintenir, mais pour combien de temps encore ? Était-ce étrange que cela paraissait être un véritable effort ? Tu as tant besoin de réfléchir. Réfléchir sur ce que tu dois répondre, ce que tu dois dire. Chaque étape est difficile, et tu as l’impression que quand tu es celui qui s’initie, le négatif ne fait que revenir. Était-ce à cause de tes choix de questions ? Était-ce parce que trop de choses t’échappaient ? Parce que tu n’es pas compréhensif sur tout ? Parce que tu manques d’émotions ? Tu te rends compte que tu es parfois bien trop à l’ouest. Comme cette réflexion sur vos âges respectifs. Il avait 22 ans, et tu l’apprenais que maintenant ? Tu aurais presque honte que ce fut si tardif. Rien n’a de sens, rien n’est fait dans l’ordre.

Votre relation n’a pas de forme.
Pas de mots pour la définir.


« Oh, j’ai 20 ans. Enfin… Bientôt 21, même si cela n’apporte pas de réelles différences. »

Après tout, tu n’as pas vraiment d’intérêt pour cet événement. Il n’a jamais rien changé à ta vie… Du moins… Peut-être que ça commençait enfin à changer ?

Tu continuais quelques bouchées alors que Ryoji poussait un soupir. Tu pouvais sentir que parler de Kanagawa n’était pas agréable pour lui. Un passé qu’il rejette. Un passé qu’il veut oublier, jeter loin derrière lui. Alors pourquoi tu avais continué dessus ? Peut-être parce qu’une part de toi veut entendre qu’il ne déteste pas Kanagawa ? Ou bien, tu veux juste essayer d’en savoir plus sur lui ? Ce qu’il ressent… Même ses sentiments les plus désagréables. Même sa haine, sa rancune qui persiste après toutes ces années… Tu n’es pas apte de haïr. Tu ne peux pas compatir. Et tu as conscience que tu ne pourras donc jamais le comprendre. Est-ce important ? Pas à cet instant.

Sa réponse t’étonnait légèrement. Tu t’attendais à ce qu’il te dise haïr complètement l’Empire. Tu as plusieurs fois entendu sa rancune, donc ça te paraissait le plus logique. Devrais-tu être soulagé de cette information ? Devais-tu espérer le voir se réconcilier avec ? Ce n’est pas quelque chose dont tu devrais te mêler, tu le sais. Et puis… Sa situation était particulière. Tu ne savais pas si ça se faisait souvent, ta vie était bien trop différente. Mais...

Il s’était senti abandonné…
Ça, tu pouvais peut-être le comprendre.

« Je vois… Désolé je… Je pensais que tu allais me dire que tu détestais Kanagawa, non pas que je t’en aurais tenu rigueur… Enfin… J’imagine que ce n’est pas plus mal que je me sois trompé. »

Cela voulait dire qu’il avait malgré tout, quelques bons souvenirs.

Et toi, en avais-tu ? Une question qui n’a malheureusement pas… Aucune réponse. Ta vie te paraît si monotone. Sans aucun changement. Avais-tu changé entre toutes ces années ? Tu n’as pas l’impression. Est-ce commun ? Ryoji t’affirmait qu’à l’époque, il avait un caractère différent, qu’il commençait à peine à se remettre de ses blessures. Un petit rire s’échappait alors qu’il disait que peut-être vous vous seriez jamais entendus. Même s’il ne savait pas comment tu étais petit.

Tes lèvres restent scellées quelques instants.

Tu songes à ton passé… Tu n’y vois aucune différence… Tu ne devrais pas t’en soucier, alors pourquoi ce léger pincement au cœur ?

« Quand j’étais petit... »

Tu ne te souvenais pas de l’époque où tu étais apte à sourire. Où tu étais encore plein d’innocence. Naïf. Simplet… C’était à des jours heureux où tu recevais des compliments. Un peu d’affection. Des jours où on avait moins d’attentes.

C’était, il y a trop longtemps…

« Mon caractère n’a pas changé depuis... »

Toujours indifférent, toujours droit, obéissant, froid. Toujours vide… Quoique peut-être c’était pire avant…

« Je me demande si j’ai déjà un jour été différent… Que ce soit quand je venais d’arriver à Nagano ou alors lorsque j’étais encore bien plus jeune… Enfin… Je sais que la perception des gens était différente… On m’a toujours dit que mon caractère contrastait trop avec mon âge… À l’époque, cela devait être plus flagrant… »

Entendre un gamin arrivant à peine à l’école parler de mort et de sacrifice devait probablement être terrifiant. Voir un adolescent couvert de sang tuer sans hésitation, sans se soucier de son propre corps devait faire froid dans le dos. Voir ce regard si vide, si glacial, ne devait certainement pas inspirer la confiance.

« Après, je ne suis pas du genre à aller vers les autres saufs par devoir alors… Je ne t’aurais probablement jamais abordé… Et tu aurais probablement fait de même. »

Pourquoi aurait-il agi différemment ? Ah… Ou alors il aurait pu réagir comme eux… Et tu aurais sans aucun doute fait les mêmes erreurs. Avec lui, ou n’importe qui d’autre… Tu te demandes toujours si c’était une bonne idée de continuer cette relation. De ne pas l’arrêter avant que tu ne fasses le faux pas de trop.

Ah… Tu ne devrais pas penser de façon si pessimiste.

« Hmm… C’est bon, mais je n’ai pas assez d’appétit… Enfin, je terminerais quand même, c’est impoli de gaspiller. »

Et puis, il avait raison, tu en avais besoin. Si tu ne te forçais pas un peu, tu n’allais jamais retrouver ta forme. Un soupir et tu termines tes quelques bouchées, lentement, mais sûrement.

« Si tu veux un dessert, ne te gêne pas… Mais je ne pourrais pas t’accompagner. »

Ton enfance n’a rien de joyeuse pourtant, tu n’as pas connu la famine, tu n’as pas connu la pauvreté, tes parents sont toujours vivants et en forme… Non, toi, c’était complètement différent, le résultat est pourtant le même. Ça t’a brisé, transformé en cette poupée qui en réalité, est bien plus fragile qu’il n’y paraît… Ah… Oui, tu te souviens comme si c’était hier. La brutalité des coups d’une lance en bois, lorsque ça frappe en plein fouet sur la hanche, que tu te prends le pommeau dans l’estomac avec violence, lorsqu’on t’apprend à faire face à une vraie lame. Lorsqu’on te demande de te relever… Encore et encore. On te crie que tu ne mets pas assez de force. Que tu ne fais pas assez des efforts. Tu n’es pas assez bon. La douleur ne doit pas t’arrêter, tu n’as pas le droit de trembler. Oublie tes peurs, oublie les larmes, abandonne tout ce qui te sera inutile pour devenir le parfait soldat. Contente-toi de faire ce qu’on te demande. Contente-toi d’obéir. Tant pis si tu vomis. Tant pis si tu saignes. Tant pis si cela laisse sur toi des blessures intérieures qui ne guériront jamais.

C’est ce qu’ils ont dû se dire…

Tant pis…

Lorsque tu songes à ce passé, tu sens que ça te pèse… Toute lueur disparaît. Tu te souviens encore de toutes ces sensations. Pourtant, tu ne remets rien en question. Tu ne tiens pas en rigueur tes parents. Tu n’as pas la haine… Est-ce que la haine peut s’effacer d’ailleurs ? Tu ne sais pas si un jour Ryoji verra d’un meilleur œil Kanagawa, tu ne peux pas deviner… Tu espérais simplement qu’il ne t’en tiendrait pas rigueur. Parce que tu protèges, tu pourrais mourir pour ceux qu’ils détestent tant. Ces habitants…

« Tu sais… Moi aussi, je suis un habitant de Kanagawa… Et... Qui plus est, je suis un soldat… Est-ce difficile pour toi de discuter avec moi ? De... »

Ta gorge se serre.

« De me supporter ? »

Peut-être que tu t’inquiètes pour rien ?

« Enfin bref… Sache que… Si c’est trop difficile de venir à Kanagawa, mais que tu souhaites adresser quelques paroles à tes parents… Envoie-moi une lettre et je m’en chargerais pour toi. »

Même si tu n’es pas apte à comprendre l’amour qu’il éprouvait à leur égard. Même dans leurs morts. Quand tu y penses… Serais-tu triste si jamais ton père et ta mère mourraient ? Non…

Probablement pas…
Tu es vide.
Aujourd’hui comme hier.

Rien d’étonnant à ce que tu paraisses aussi terrifiant aux yeux des autres, encore plus avant. Tu ne savais pas trop comment réagir quand il te disait que lui aussi aurait pris peur. Tu ne peux t’empêcher de te dire que s’il voyait ton vrai visage, celui du soldat sur un champ de bataille… Il partirait. Il te fuirait, ne serait plus capable de te supporter. Étrangement, cette pensée t’angoisse, même si ce n’est pas une émotion dont tu as conscience. Tu avais juste cette étrange sensation au niveau de la poitrine. Ce froid qui semblait toujours plus t’enlacer, comme un frisson, un voile cousu à ta peau.

« Oui… C’est normal, mais… Est-ce que même en étant adulte je... »

Est-ce que je te fais peur ?

Tu n’as pas osé demandé.

« Non rien... »

Vous revenez sur vos plats et alors que ton assiette commençait enfin à se terminer, tu te demandes si Ryoji souhaitait un dessert. Un petit plus sucré pour bien digérer. Cependant, c’est un sourire qu’il t’offre. Un sourire narquois qui ne te dit rien qui vaille. Évidemment… Il fallait qu’il revienne sur ça. Tes joues se teintent alors que tu regardes ton assiette désormais vide. Tu as tellement un regard innocent, le visage peint par l’embarras. On en oublie ce que tu es réellement, tout ce que tu as fait. Tout ce sang sur tes mains. Mais tant mieux, parce qu’avec ses taquineries, il parvient à te tirer de tes eaux les plus profondes. N’est-il pas plu agréable d’être ainsi que juste noyé par ces sombres pensées ?

« J-Je ne suis pas un dessert... »

Voulait-il encore t’embrasser ? Ah… Étrangement, tu ne penses pas au fait que tu devrais l’arrêter la prochaine fois. Votre relation est étrange… Vraiment étrange. Puis finalement, après un rire doux, ce sont des rires enfantins que vous entendez. Ton regard suit celui de Ryoji pour observer quelques enfants s’amuser dehors. Tu vois ces sourires naïfs et innocents qui les animent, cette joie simple qui les habite. Un simple spectacle qui semble avoir l’effet d’un rayon de soleil sur toi. Une douceur se lit, une bienveillance à leur égard visible dans tes yeux. Il n’y avait pas besoin d’être dupe pour le voir.

« Je ne pense pas que ce soit une sortie scolaire… Mais ils ont l’air de s’amuser, c’est un fait… »

Si pour certains, ils devaient paraître trop bruyants, telle une cacophonie. Pour toi, ça a l’effet d’une douce symphonie.

« Les enfants font souvent plus de bruits que nécessaires… Ce n’est pas désagréable pour autant. »

Tu bois ta dernière gorgée d’eau avant de te relever délicatement.

« Sur ce… Je vais aller payer. »

Tu remettais tes gants, ta veste et tu partais vers le comptoir pour donner l’argent. Ainsi fait, sans plus attendre, tu retournais le rejoindre à la sortie du restaurant. Vous quittiez la chaleur, pour retrouver le vent frais qui chatouillait votre peau. Un soupir s’échappe alors que tu daignes enfin poser ton regard sur lui.

« … C’est… L’heure de la promenade digestive, c’est ça ? »

Cependant après quelques pas, une balle apparaît juste sous tes pieds, rien d’étonnant à ce que tu t’emmêles dedans. Par réflexe, tu t’étais accroché à ce qu’il y avait à ta portée, c’est-à-dire… Ryoji. Nul doute que si tu étais tombé tête la première, tu aurais pas mal douillé.

« D-Désolé... »

Les auteurs de ce qui aurait pu être un petit accident se présentèrent rapidement sous vos yeux, l’air, un peu embêtés pour la gêne occasionnée. Trois gamins et une gamine, sans aucun doute ceux que vous entendiez depuis plusieurs minutes déjà. Bien élevés, ils se sont néanmoins excusés, avec… L’énergie bien connue des enfants.

« Désolé ! La balle n'était pas pour vous, je visais Risa ! »

« Je suis trop douée en esquive ahah ! »

« Eeeeh ? C’est que de la chance t’es pas si douée ! »

Et voilà que ça part en débat, cependant, ils se sont rapidement reconcentrés sur vous.

« Vous avez l’air vachement pâle, vous êtes pas un fantôme pas vrai ? Vous faites pas peur pour des esprits… Vous avez l’air trop raffiné… Enfin… Vous aux cheveux violets, vous tirez une sale tronche… »

Ils avaient… Beaucoup d’énergie à revendre.

«Nous ne sommes pas des esprits… Et ne vous inquiétez pas, cela arrive, faites juste attention la prochaine fois…. A… A quoi étiez-vous en train de jouer ?»

Tu oses te montrer curieux, leur porter de l’attention, tout en observant leurs visages radieux.

« Oh, on jouait au ballon chasseur ! Vous connaissez ? »

« Oui... »

Oui… Tu connaissais, pour y avoir déjà joué plusieurs fois avec d’autres gamins. Cependant, l’avouer fut peut-être une erreur de ta part. Tu l’as vite compris en voyant cet éclat dans leurs yeux.

« Diiites ! Vous voulez pas vous amuser avec nous ? Plus on est de fous plus on rit non ? »

Tu n’étais probablement pas en état de jouer, ou du moins pas très longtemps. Si tu étais raisonnable, tu aurais dû refuser. Mais tu as du mal à dire non, et il faut dire que… Tu es possiblement faible face aux enfants, même si toi-même des fois, tu en étais un.

« Pourquoi pas. »

Cependant, tu repensais à Ryoji à tes côtés, tu aurais d'abord du demander son avis. Timidement, tu te retournes vers lui.

« E-Enfin… Seulement si ça te va aussi... »

La solitude t’a souvent accompagnée. Tu t’es habitué aux différents regards à ton égard. Lire la jalousie, l’admiration ou la terreur… Mais probablement qu’après les yeux plein de déception de tes parents… Le regard qui t’avait le plus marqué… C’était celui de Yuan… Une haine si visible que même toi, tu fus apte à la voir. Et ses mots résonnent. Et sa silhouette s’éloigne. Tu fus bien plus touché que tu ne le prétends. Parce qu’aujourd’hui, tu as toujours peur d’être de trop. Toujours peur d’être insupportable. Tu t’inquiétais pour rien. S’il n’appréciait pas ta présence, il ne serait pas venu jusqu’ici pour ton anniversaire. C’est ce qu’il te disait… C’était logique. Mais pas pour toi… Il te fallait l’entendre pour être un peu rassuré… Pourtant, le doute persistait. Une question restait.

Oui, mais pour combien de temps encore ?

Et il te dit qu’il met de côté ton appartenance à l’Empire… Il te dit que quand tu es avec lui, tu n’es pas le lieutenant.

Tu es juste Ōzora.

Tu ne sais pas ce que ça veut dire.
Tu ne sais pas qui tu es.
Quand on t’arrache ton nom de ta peau.
Quand on te retire tous tes devoirs.
Ton travail.

Ōzora…
Qui es-tu sans tout ça ?

Quelle expression s’affichait sur ton visage lorsque tu pensais à tout ça ? Était-il possible de voir la tristesse voiler tes yeux ? De la mélancolie ? Ou cela faisait-il ressortir ce vide qui t’habite ?

« Si tu le dis... »

Tu tentes de balayer cette question existentielle de ta tête. Tu détestes y penser. Ne serait-ce que songer à y réfléchir. C’est trop difficile. Trop terrifiant. Alors tu ignores, tu passes à autre chose. Tu te reconcentrais sur ce qu’il disait sur ses parents. Tu te proposais pour leur rendre visite à sa place s’il n’était pas en capacité pour. Peu importe les raisons… Que soit parce qu’il n’a pas la foi, qu’il est trop occupé, ou bien tout simplement parce qu’à cause des récents évènements aller à Kanagawa est bien compliqué.

« Ne me remercie pas pour ça, ce n’est pas grand-chose. »

Après tout ce qu’il faisait pour toi, tout ce qu’il t’offrait. C’était le minimum oui… En y songeant, tu aurais voulu lui donner le kimono que tu lui avais promis… Ah si, tu avais su que tu le verrais, tu l’aurais pris. Et si tu savais comment il arrivait à te faire rougir, sans doute que tu mettrais immédiatement ton masque. Bonne chose que tu ne t’en rendais pas compte pas vrai ? Ou que du moins, tu restais dans le déni. Tu es doué pour ça faut dire. Faire l’ignorant est toujours plus facile. Ignorer ses flatteries, ignorer cette déception dont il te parlait. La chaleur que tu ressens n’est pas désagréable pourtant.

Mais c’est juste bien trop étrange pour que tu oses y faire plus attention.

Finalement, à votre sortie, le hasard vous avait fait rencontrer les petits garnements qui s’amusaient et dont les voix semblaient plutôt désagréables pour Ryoji. Tu avais remarqué son pas en arrière lorsqu’ils s’étaient approchés de vous avec plein d’énergie. Pourtant, il avait bien tenté de leur répondre face à la pique qu’il s’était prise. Son mécontentement était plutôt normal cependant, tu n’avais pas envie que ça finisse mal. Tu n’aimais pas vraiment couper les autres, c’est même contraire à tes habitudes. Cependant, en entendant le début de sa phrase, tu t’étais permis d’intervenir. À tes yeux ce ne sont que des enfants, ils ne pensent pas à mal. Tu avais entendu le claquement de langue de Ryoji, tu ne savais pas si tu devrais t’excuser de l’avoir interrompu. Ce n’était pas poli après tout… Ah… Peut-être que tu le feras après. Pour l’instant, tu te concentrais sur les enfants. Et que dire si ce n’est qu’encore une fois, tu te laissais entraîner par leur joie et leur envie de s’amuser. Tu n’étais juste pas capable de refuser leur proposition, tu attendais juste l’approbation de Ryoji. Qu’il ne dise pas non, ça te soulageait un peu. Et si sans le vouloir, tu l’avais forcé à faire quelque chose qu’il ne voulait pas ? Tu t’en serais voulu. Néanmoins… Il n’avait pas pu s’empêcher de s’inquiéter pour toi.

Dans les rires enfantins face à leurs nouveaux partenaires de jeu, tu entendais son inquiétude. Il te mettait face à une réalité difficile à entendre.

Physiquement, tu es assez fatigué.

Ah… Ces mots sont dissonants à tes oreilles. Ils contrastes trop avec ceux qui sont gravés dans ta tête.


Tu vas bien.
La fatigue ce n’est rien.
Relève toi.

« Je vais bien… »

Finalement, vous vous faites emporter par les gamins, impatients de commencer. Il fallait néanmoins rappeler les règles, mais cela n’était pas compliqué. Quelqu’un est désigné en tant que chasseur et peut se déplacer comme il veut, son but est de viser les autres avec les ballons. Les « gibiers » eux, peuvent se défendre uniquement avec les mains et les avant-bras, ils peuvent courir, esquiver le ballon, mais si ça touche une autre partie du corps, il devient lui aussi un chasseur. Le dernier gibier restant est considéré comme le vainqueur. En bref… C’est un jeu qui demande de l’effort physique et de la rapidité. Ryoji s’était vite pris au jeu et il était amusant de le voir se comporter ainsi. Il semblait avoir un véritable esprit de compétition. Des fois, ton regard s’arrêtait sur lui, simplement pour l’observer quelques instants, sentant ce petit battement… Mais dès qu’il te regardait à son tour ,probablement par inquiétude à ton égard, tu détournais les yeux, quelque peu embarrassé. Et puis, tu te recplongeais dans le jeu… Cependant… Tu t’étais vite fait toucher… Rien d’étonnant vu ton état. Tu étais bien trop vite essoufflé s’en était désolant. Et tes passes vers tes camarades de jeu étaient… Bien faibles lorsqu’on sait ce dont tu es capable en réalité. Pour un enfant et un inconnu, cela devait paraître correct. Mais quand on te connaît, qu’on a déjà assisté à la puissance de tes coups en combat, ça paraissait ridicule… Après, on pourrait croire que tu fais exprès face à des enfants.

Si seulement, c’était le cas…

Ton teint devenait encore un peu plus pâle alors que ton corps commençait à te faire comprendre que tu devrais arrêter.

Ah... Quand est-ce que la partie allait se finir ?

Je vais bien…

C’est ce que tu disais. C’est ce que tu pensais. Tu n’écoutes pas ton corps, tu fais semblant de ne pas entendre ce que cri ton cœur. Tu fais le sourd. Comme d’habitude finalement… Tu t’entêtes à faire comme si de rien était. À te dire qu’il faut juste supporter. Et au fur et à mesure des passes, tu te rends compte que quelque chose ne va pas avec toi… Tu te rends compte de ta faiblesse. Tes coups qui sont moins précis, ton souffle qui commence à saccader. Comment était-ce possible ? Tu ignores que c’est un tout. Une charge mentale et physique qui devient bien trop dure à supporter. C’est si lourd. Pesant. Tu ne sais pas comment te délester de ce fardeau, ne serait-ce qu’un peu. On te force à te reposer, mais était-ce suffisant, quand tu es incapable d’arrêter de penser ? Quand au final, tu te mets à jouer avec des enfants… Tu ne t’aides pas.

Parfois, tu es vraiment stupide.

Tu pourrais le dire non ?
Arrêtons.
Je suis trop fatigué.
Je suis épuisé…

Tu pourrais. Tu devrais. Cependant, ces mots sont comme noués dans ta gorge. Comme des paroles interdites, si elles sortaient, tu serais maudit. Par quoi ? Par qui ? Personne en réalité… Ce ne sont que les conséquences de leurs actions. De ta façon de penser aussi… Parce que tu ne cherches pas à changer. Tu ne cherches pas à te libérer. Tu ne forces pas sur ces chaînes, tu les laisses autour de ton cou, de tes poignets et de tes pieds. Tu restes dans ta cage, trop effrayé.

Soudainement, Ryoji demande une pause. Était-il trop fatigué lui aussi ? En avait-il marre ? Ou c’est parce qu’il faisait attention à toi ? Il cherche à dire quelque chose, cependant les gamins semblaient vouloir continuer. Difficile de prendre une quelconque décision face à leur entrain ou même juste d’en placer une…. Pourtant, tu aurais pu. Tu aurais pu saisir cette occasion.

Mais tu ne l’as pas fait.
Pourquoi ?

Parce que dans un soupir, ton regard se pose sur eux. Sur ces visages heureux. Ton ouïe se concentre sur ces rires, ces provocations enfantines. Sur les étincelles dans leurs yeux, surtout celui de Ryoji… Oui. Même si tu ne comprends pas ce qu’il y a d’amusant, pourquoi cet esprit compétitif, pourquoi ces sourires… Même si cela te paraît étrange et inaccessible… Tu aimes voir ces visages illuminés par la joie. Tu aimes que des enfants puissent s’amuser, courir et profiter de ces jours de paix. Tu ne veux pas qu’ils aient la même enfance que toi, morose et douloureuse…. Tu aimes voir Ryoji ainsi... C’était pour lui l’occasion de rattraper ces jours tristes.

La réalité est simple…
Peu importe la raison, que ce soit à cause d’un truc futile ou non.

Tu aimes voir des gens heureux autour de toi.

C’était la plus grande des récompenses.

Pour tous les combats que tu as menés et ceux à venir. Pour ce que tu endures, que ce soit dans le passé, en cet instant, ou le futur…

Malheureusement, si tu pensais pouvoir continuer encore et encore jusqu’à ce que les enfants soient rassasiés, tu avais fini par te faire dévorer. Tu n’as pas été capable de voir la balle et ce qui devait arriver arriva… Te voilà par terre, grimaçant légèrement à cause de la douleur. Faut dire que ta tête avait cogné le sol et ton dos avait lui aussi bien senti la chute. Ça t’avait complètement sonné sur le coup. Ah… Tu es vanné. Tu n’as plus de force… Tu restes donc ainsi, allongé au sol, les yeux fermés comme si tu prenais un instant de répit. Tu en profitais pour reprendre ta respiration. Et tu ressentais plus que jamais ton corps engourdi…

Ozora.
On t’appelle.

Tu entends ses pas qui se rapprochent, tu rouvres les yeux pour voir son visage, sentir sa main sur ton front. Ah, ton cœur manque un petit battement… Et il te demande si tu vas bien, si tu n’as rien de cassé. Tu vois à quel point il est inquiet pour toi… Tu te sentais un peu mal pour lui.

« Hmm… Je crois que ça va… Je me suis juste un peu cogné la tête… Désolé pour ça. »

Ton regard dévie pour se poser sur les enfants qui avaient accourus vers vous. Ils s’excusaient… Ils se sentaient mal pour toi…

« C-Ce n’est pas grave… J’ai juste eu du mal à suivre le rythme, le plus important, c’est que je vais bien et que vous vous soyez bien amusés… »

Ah, tu avais vraiment tout fait foirer pas vrai ? Encore une fois. Es-tu maudit ? Ou c’est juste qu’à chaque fois, tu fais mal les choses ? Tu n’as pas vraiment le temps de te poser ce genre de questions. Ryoji se penche vers toi, un rapprochement qui ne te laisse pas tant indifférent… Peut-être que ta tête avait cogné un peu trop fort après tout ?

Est-ce que... Tu arrives à te lever ?

« A-Ah… Hum… Ça devrait aller oui... »

Tu tentes, mais c’est un peu difficile. Tu n’arrives pas à te remettre debout en réalité, tout juste capable de redresser ton buste. C’était une première étape….

« Désolé, j’ai besoin de quelques minutes encore avant de me relever... »

Ta tête te fait mal. Comme un petit marteau qui résonne et dont son écho est dissonant. Cependant, tu as appris à supporter ce genre de choses. La douleur… Tu t’en souci à peine en réalité. Tu aurais dû être capable de te relever, de faire comme si de rien été… Mais voilà, ton corps commence à te lâcher. Dans ta respiration encore un peu saccadée, tu sens l’air froid qui se loge dans tes poumons… Qui laisse un léger frisson parcourir ton échine. Ah… Ce n’est pas agréable… De se sentir comme ça… Aussi vulnérable. Aussi faible. Lorsque tu redresses ton torse, que tu restes là assis à tenter de retrouver un peu de force, tu constates que tes mains tremblent. Tu n’étais pas spécialement blessé pourtant. Tu n’avais pas fait de combat ou d’entraînement au point d’être complètement épuisé.

Non.
Mais tu connais la cause de ton état malgré tout.

Tu te contentes juste de la nier.

Prétendre… Tu ne fais que ça, prétendre. Ryoji n’apprécie pas et ça s’entend… Non pas qu’il monte le ton, bien au contraire. C’était juste ce petit claquement de langue, signe bien significatif d’un certain agacement. Et puis, ses mots dévoilaient ses doutes. Il ne te croyait pas. C’était normal… Tu n’étais pas vraiment convaincant pas vrai ? Qui crois-tu pouvoir convaincre ? Avec ce visage marqué par la fatigue ? Avec toute cette fragilité que tu lui révélais.

« O-Oui… Oui, j’ai juste encore besoin de souffler... »

Me prends-tu pour un idiot ?

Face à ces mots, ton regard se pose sur lui. Un peu perdu, ne comprenant pas pourquoi il disait cela.

« N-Non, bien sûr que non. »

Si, inconsciemment.

Tu te trompes toi-même. Tu t’es berné. Mais tu ne peux pas duper tout le monde. Soudainement, tu sens sa main se poser sur ton dos alors que son autre bras venait sous tes jambes. Oh… Tu avais vite compris ce qu’il voulait faire. Ne pas bouger. Le laisser faire… Tu ne souhaitais pas te faire porter… Tu ne voulais pas qu’il s’embête à faire ce genre de choses.

« A-Attends tu- »

Tu n’as pas ton mot à dire Oz.

C’est ce qu’il te fait comprendre. À ton oreille, un murmure chatouilleux, c’est pourtant plus ou moins une menace qu’il te disait.

« Es-tu en train de me menacer ? »

Tu ne sais pas si c’était juste une blague ou s’il était sérieux. Tu ne sais pas comment prendre ses paroles. Tu n’es pas doué pour déceler ce genre de choses. Cependant, tu as bien vite compris qu’il n’allait pas abandonner, que s’il disait cela, peu importe que ce soit une réelle menace ou non, le message était le même.

N’essaye pas de te débattre.
Ne tente pas de le dissuader.
Repose-toi un peu sur lui…

Tu te tais finalement… Tu le laisses faire. Tu t’accrochais à lui alors que ton corps se faisait soulever. Tu sentais que tes joues se réchauffaient un peu pourtant, ce n’était pas la première fois que tu étais porté cependant… On va dire que tu avais plus l’habitude de ta princesse qui te trimballait comme un sac à patates qu’autre chose… Là, cela semblait un peu différent. Son visage était plus proche… Peut-être un peu trop…

À quoi tu penses ?

Heureusement, on t’a très vite arraché de ces pensées.

« Vous êtes sûrs que vous allez bien ? »

Une voix enfantine qui montre son inquiétude.

« Héhé on dirait une scène dans un livre que me lit ma maman. »

Un petit rire innocent.

« Vous avez assez de force pour le porter ? »

Un air moqueur et amusé.

Ah… Oui les enfants… Tu ne te montrais pas sous ton meilleur jour, même si tu ne t’en souciais pas vraiment en réalité…

« D-Désolé on ne va pas pouvoir continuer de jouer avec vous. »

Ils ont l’air déçu, mais ils ne le disent pas. Ils voulaient jouer un peu plus… Mais ils se taisent. Ils reprennent rapidement leur air joyeux, naïf, ils voient le positif.

« Revenez jouer avec nous quand vous voulez ! »

« La prochaine fois, je te battrai ! »

« Prenez soin de vous ! »

Ils rient et c'est avec de grands sourires qu’ils vous disent au revoir. Tu te contentes de silencieusement leur faire un signe de la main. En réalité… Tu n’es pas sûr d’avoir de nouveau l’occasion de les revoir. Après, tout, tu quittes rarement Kanagawa et tu ne te déplaces pas à Uzuri sans raisons. Mais c’est un secret…

Tu ne leur diras pas.

Et vous voilà de nouveau que tous les deux. Tout d'un coup cela semblait plus calme, même si on entendait encore la vie qui enivrait toute la ville. Devrais-tu dire quelque chose ? Tu n'oses pas vraiment... Tu ne sais pas quoi dire. C'était un peu embarrassant comme situation..

Un souvenir s’est créé, leurs sourires et leurs rires resteront ancrés en ta mémoire alors que la chance de les revoirs est bien trop infime. Et après quelques pas, un silence règne, tes lèvres se scellent. Tu n’as pas de mot à sortir, tu ne sais pas quoi dire, tu te contentais d’un simple soupir. Et si tes yeux se perdaient dans les ruelles, lorsque Ryoji s’est soudainement arrêté, naturellement, ils se sont posés sur lui. Sur son visage. Son regard… Il était plongé dans le tien, avec un étrange sérieux, sans honte, qui brillait d’honnêteté… Mais toi ? Que lisait-il ? Que voyait-il ?

Pouvait-il voir tous tes mensonges ?

« Je… Je ne suis pas gêné… Et ce n’est point inhabituel que je sois silencieux. »

Ah..
Tu détournes le regard.

Menteur.

« J’aurais pu me relever et marcher… »

Tu aurais pu… Tu en es persuadé, mais il t’aurait fallu un peu de repos, oui, ce que tu as tant de mal à t’accorder ces derniers temps. Parce que la situation ne le permet pas. Parce que tu n’arrives pas à balayer toutes ces pensées, ces questions. Tu n’arrives plus à souffler en ce moment… Parfois on point où tu as l’impression de ne plus pouvoir respirer. C’était comme si tu te noyais, que tu coulais toujours plus profondément dans une eau noire sans te débattre… Repose-toi… Il te le demande encore une fois… Repose-toi… Ne l’avais-tu pas fait avant ? Le laissant seul pour dormir un peu trop longtemps ? Tu étais désormais dans ses bras, à le laisser marcher pour toi… N’en faisais-tu pas trop ?

Les pensées s’arrêtent net.

Un sourire taquin dessine ses lèvres, et son visage se rapproche, encore et encore, jusqu’à être bien trop près du tien. Tes yeux retrouvent les siens alors que tes joues rougissent légèrement, que tu sens un petit battement de cœur plus fort.

… Est-ce notre proximité qui t’empêche de te reposer réellement ?

Votre proximité… Oui, vous étiez si proches… Tu n’es pas habitué à être porté comme ça, et si ça ne devrait pas te faire d’effet, quand il le dit comme ça, tu ne peux t’empêcher de rougir un peu plus. De sentir une chaleur se propager dans tout ton corps. Parce que tu te mets à faire attention au moindre détail. À ton corps contre le sien, ses bras et ses mains qui te tiennent, tes bras qui entourent son cou, son souffle qui murmure à tes oreilles, ses lèvres si proches des tiennes alors que le souvenir de ses baisers vient embraser ton cœur.

« N-Non… Ce n’est pas ça.»

Puis soudainement, sur ta joue vient se poser ses lèvres. Tu n’as pas compris pourquoi, tu es resté béa avec toujours plus d’interrogations dans la tête. Son comportement n’a vraiment pas de sens… À quoi est-ce qu’il pense ? Et dire qu’il faisait comme si rien ne s’était passé… Il était complètement passé à autre chose, mais au final, peut-être que ça t’arrangeait… Oui, après tout, il fallait mieux passer à autre chose. Oublier.

« Je vois… C’était.. Du second degré, j’imagine... »

Et dire que tu avais eu le doute…

« Enfin, dans tous les cas, ce n’est pas parce que tu me menaces que je te tuerais… »

Tes yeux ne quittent pas son visage, comme hypnotisé. Une question reste ancrée… Elle veut sortir, mais tu ne sais pas si c’est le bon moment…

« Ryoji... »

Est-ce approprié ?

« Je.. »

Et si la réponse était celle que tu redoutais tant ?

….

« Non… rien... »

Écouter son corps…

Tu ne sais pas trop ce que cela voudrait dire. Après tout, tu t’es maintes fois entraîné pour qu’il supporte le poids de la douleur, pour qu’il soit plus endurant, qu’il ait plus de force, pour atteindre les attentes de tes parents. Et même si ton corps te criait d’arrêter, tu as continué, encore et encore, tu ne l’as pas écouté. Maintenant, c’est une habitude, elle s’est ancrée en toi et il est bien difficile d’en sortir. Te reposer… Ah, tu sais le faire pourtant, quand tu passes des journées de congés à rien faire, à juste flâner, à faire des siestes en sentant la brise effleurer ta peau, en sentant le soleil te caresser alors que doucement, tu entends la vie autour de toi. Oui, tu devais faire des choses similaires… Tu devrais en être capable, si tu parvenais à mettre de côté tous tes problèmes… Et si être à Uzuri te rendait impuissant, incapable d’agir et de travailler, cela n pouvait pas t’empêcher de penser. Penser, encore et encore. Être submergé, étouffer…

« J’essaye. »

Oui, Ozora, pense à ces petites siestes agréables. Pense à ce moment de détente lors de votre première rencontre, lorsque tu bois du thé blanc silencieusement en observant la nature…

Ne pense plus à ces souvenirs qui fanent en même temps que la verdure de Kanagawa, à ces sourires disparus, à ces questions sans réponses, à cet avenir incertain où tu ne sais pas ce que deviendra la région qui t’a vu grandir, le peuple que tu as juré de protéger… Ah, quelle drôle d’expression tu avais là. Une expression qu’on ne penserait pas que tu pouvais avoir. Une certaine tristesse, une peine qui se transmet dans le timbre de ta voix alors que dans ton regard, on lisait ce combat interminable dans ta tête.

« … J’essaye... »

Il ne fallait plus songer au travail, mais seulement de l’instant présent pas vrai ? L’instant présent oui… Le fait que tu étais avec lui, dans ses bras en train d’avoir une… Simple discussion. Tu devais seulement te concentrer là-dessus.

« La menace facile ? Me préparer ? J’ai bien du mal à comprendre... »

Ton expression redevient habituelle, calme, pâle… Avec moins de vie dessus, même son petit clin d’œil avait réussi à t’arracher un bref rougissement sur les joues. C’était parti aussi vite que tu avais eu cette question en tête. Une question que tu avais depuis l’instant où tu t’étais réveillé de ta sieste. Tu n’as pas osé lui demander, mais Ryoji ne veut pas que tu fuies, il est têtu lui aussi. Tu devrais le savoir… Il s’est arrêté, il ne bougera pas tant que tu n’auras pas avoué.

« Et bien... »

Tu baisses les yeux, tu hésites, tu as du mal à le dire… Pour quelle raison ? Parce que tu as peur de sa réponse ?
…

«…. Suis-je un poids ? »

Un soupir.

« Enfin… Pas au niveau de mon poids parce que tu me portes bien sûr… Je veux dire… Quoi que si, cela joue aussi, j’imagine… Bref… Ce que je voulais dire, c’est que tu t’es déplacé jusqu’ici pour moi, mais je suis dans un état assez… »

Tu devais le dire.
L’avouer.

« Pitoyable… Tu es obligé de faire bien des choses pour moi, alors que ma compagnie de base n’est sans doute pas de tout repos alors… Alors je voulais juste savoir si cela restait toujours supportable pour toi... »

Voilà, tu avais parlé.
Tu avais avoué.

Cette question, qui te hantait, était enfin sortie de tes lèvres, et pour autant, tu ne te sentais pas libéré. Non il y aura toujours ce poids tant que tu ne connaîtras pas la réponse. Tant que tu ne sauras pas, si  oui ou non, ta présence restait supportable, si oui ou non, tu lui causais des soucis… Tu as conscience que naturellement, être en ta compagnie n’est pas facile. Tu le sais, tu as pu l’observer. Il doit faire la conversation, prendre les devants, il doit faire face à ton apathie, à ta glace, il doit supporter tes mots parfois les plus lourds et les plus tristes… Tandis que toi, tu essayes toujours de maintenir la distance entre vous… Du mieux que tu pouvais, pour mieux te sentir protégé, même si tu sens qu’il s’est rapproché… Peut-être un peu trop. Parce que lorsque tu n’entends qu’un soupir, tu te mets tout de suite à douter. Tu es effrayé à l’idée de ce qu’il pourrait dire.

As-tu peur de ma réponse ?

Peur…

Oui, tu as peur, tu n’en as juste pas conscience. Si tu le savais, si tu l’avouais, ce serait le début de l’effondrement.

« Je n’ai pas peur… Tu m’as simplement beaucoup offert alors, naturellement, je ne souhaite pas à ce que ma présence soit désagréable ou un poids pour toi. Ce ne serait pas correct... »

Finalement, il se baisse te permettant de reposer tes deux pieds sur le sol. Et l’angoisse n’en devient que plus forte, elle ne cesse de t’envahir à chaque seconde de son silence. Face à ce regard tranchant… Un regard qui te rappelle bien trop quelqu’un, même si tu n’y lisais pas la colère cette fois-ci… Cela réveillait quelques souvenirs désagréables. Ce sentiment que tu allais être rejeté, encore une fois. Parce qu’endurer ta présence est trop dure, parce que ton caractère rend parfois le monde irrespirable.

Ah, pourquoi ton cœur se serre ? Pourquoi est-ce que tu as l’envie de reculer lorsqu’il s’approche de toi ? Pourquoi ce soulagement lorsque ses mains se sont posées sur tes joues ? Il y a des petites notes d’émotions qui, derrière ce mur de glace, jouent au rythme d’un violon. Et l’une de ses notes devint un peu plus rouge, en harmonie avec ton visage, lorsque sur tes lèvres, il a déposé de nouveau, un baiser que tu ne pourras pas oublier. Un geste que tu n’arrivais pas à comprendre, qui te rendait toujours plus perplexe… Mais sans doute un geste pour te donner une réponse. Pour te dire que…

Non, tu n’es pas un poids.

Tu auras pu lui dire qu’il ne devait pas faire ça. Tu aurais pu le rejeter, lui rappeler que vous étiez en public. Tu pourrais lui demander… Qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi faire ça ? Quel sens a cette relation ? Néanmoins, tu n’avais pas eu le temps de le faire, pas eu le temps d’y penser. Parce qu’il s’était mis à parler. Parce qu’il t’avait donné, avec des mots cette fois-ci, une preuve que tu étais toujours supportable à ses yeux.

Et enfin, tu te sentais un peu plus léger.
Ton regard s'était légèrement éclaircit.

« J-Je vois... »

Un soupir s’échappe.

« Tant mieux... »

Tu avais un peu du mal à dire quelque chose de plus. En fait, tu avais du mal à réorganiser tes pensées.

« Je me demande pourquoi ce jour-là, tu n’as pas continué ton chemin... »

Qu’importe, ce n'était peut-être pas très important en cet instant.

« N-Non pas besoin de me porter encore… Je me sens mieux alors… R-Reprenons simplement la route. »

Ah, finalement, tu as oublié de lui dire qu’il n’était pas décent qu’il t’embrasse comme ça en pleine rue… Qu'en fait il ne devrait pas t'embrasser tout court non ?

La situation était étrange, pourtant l’atmosphère semblait moins pesante. Si son geste avait été particulièrement perturbant, ses mots avaient su retiré un poids qui t’accablait. Il avait réussi à te rassurer, même si sa façon de faire n’était sans doute pas la meilleure. Cela risquait de créer entre vous des malentendus, cela rendait toujours plus floue votre relation. Mais, sur l’instant, tu ne t’en étais pas soucié… Pour une fois… Tu ne t’étais pas perdu dans mille songes, tu te contentais de discuter de l’instant avec lui. Enfin, combien de temps tu parviendras à garder les pieds sur terre ? À ne pas te perdre dans tes sombres pensées, tes multiples questions. Qui sait… Cela arrivera sans doute plus vite que prévu.

« Je ne dirais pas que je veux vraiment savoir… Cela me rend juste un peu curieux. »

Il était libre de te l’avouer ou non. Tu ne le forçais à rien, cependant, alors que vous repreniez votre marche, ses mots se sont naturellement confiés à toi. Il te disait comme quoi, certaines choses ne s’expliquaient pas. Il n’avait pas tort, c’est vrai. Pourquoi tu aimes la musique par exemple, pourquoi sa présence te met à l’aise… Ce sont des petites interrogations qui ne trouveront peut-être jamais de réponses. Malgré tout, parfois, on perçoit des indices, des petites idées, il suffisait d’un peu plus se pencher, d’y réfléchir. Et donc quelle était sa théorie ? A cet homme qui n’avait aucun intérêt pour les autres ? Qu’est-ce qui avait fait, qu’en croisant ton chemin, il avait décidé d’y rester.

Tu l’écoutais silencieusement, comme ce jour où tu l’avais écouté jouer du violon.
Ce jour où tu t’étais arrêté, où tu l’avais fait naturellement sortir de son ombre.

Ses mots te surprennent, tellement que tu n’as pas su garder tes lèvres fermées.

« Mon regard ? »

Ainsi, tes yeux lui avaient rappelé quelque chose ? Ils lui avaient rappelé Sasori, cet homme qu’il estime tant ?

« Je… Je ne suis pas sûr de comprendre. »

Un soupir traverse tes lèvres.

« Je ne sais pas de quel regard tu parles… Je ne suis pas très expressif après tout alors… C’est assez étrange d’être comparé à ton père adoptif… »

Le regard d’un père oui… Qu’est-ce que c’était… Tu te le demandes.

« Enfin, j’imagine que ce que tu veux dire, c’est que je t’ai mis… À l’aise, parce que je t’ai rappelé un proche ? Hmmm… Oui… J’ai déjà dû faire une expérience plus ou moins similaire… Même si je ne peux pas parler d’un proche, plus d’une simple connaissance. »

Tu regardais alors ton masque. Tu pensais à Orion, à ce garçon trop expressif, trop souriant, qui t’emmenait là où il voulait sans que tu ne daignes broncher… Tu te rappelais de cette sensation de déjà-vu avec Asteria justement, parce qu’elle avait rayonné comme lui, et ainsi, tu t’étais senti un peu plus à l’aise acceptant alors de la suivre.

« Peut-être que je comprends un peu après tout... »

Finalement, vous êtes de retour à l’auberge, de nouveau au chaud dans ta chambre louée où tu retirais ton manteau pour mieux t’installer après. Alors qu’on sentait la fin d’après-midi arrivée, avec les couleurs du crépuscule dans le ciel qui s’harmonisaient dans la chambre, les bruits extérieurs, eux s’étaient particulièrement atténués. Ce n’était qu’une simple résonance derrière les fenêtres. C’était si calme soudainement, changeant complètement du restaurant, des ruelles où vous êtes passés ou bien juste de ce moment à jouer avec les enfants. C’était presque étrange, mais pas spécialement dérangeant, ni même déplaisant. Vous retrouviez que tous les deux d’une certaine manière, mais… C’est aussi dans ce genre de moments que tu ne sais plus trop quoi dire, quoi faire.

« Si tu veux du thé n’hésite pas… »

C’est dans ce genre de moment, que tu sors la phrase parfois la plus simple et la plus stupide, dévoilant à quel point tu n’es pas à l’aise socialement.