Lorsque Sasori intervient, son regard se tourne vers lui avant de finalement se détourner lentement, la tête tournée vers la forêt, il ne parvient pas à ouvrir la bouche plus que cela.
La scène marquée au fer rouge, il lutte contre lui-même pour garder une posture fière et sereine en toute circonstance. Mais c’est une chose difficile pour lui en cet instant. Il écoute silencieusement Sasori prendre la parole, parler aux autorités et au peuple sans trembler, ni sourciller, avec assurance.
Tout ce dont il n’est pas capable. Le regard plissé, il sent sa gorge se nouer. La douleur entrave sa voix alors qu’il s’efforce à retrouver son calme.
Honte à lui de ne pas savoir gérer ce genre d’urgence.
Probablement que dans le fond les messes-basses n’ont pas tout à fait tort sur le Prince Héritier.
Les paupières cherchent le repos, son corps semble soudainement plus lourd tandis qu’il sent son coeur se serrer un peu plus dans sa poitrine.
Comment se prétendre Prince quand il est incapable de placer de côté sa propre personne ?
Ne plus ressentir, ne plus trembler.
Pour mieux règner.
Une main l’agrippe, un léger sursaut et une bouffée d’air discrète le ramène hors de ses pensées. Sasori l’embarque sans difficulté, le traîne jusqu’à l’intérieur de la maison où ils se sont quittés plus tôt en très mauvais terme.
La porte se ferme, la lune pour seule lumière pour éclairer les traits de Sasori à sa vue. Le silence s’installe alors qu’ils se retrouvent de nouveau seuls.
Sous les rayons lunaires, le regard de Sasori a perdu de sa férocité, ses traits sont plus doux. Il réalise qu’il n’a pas eu le temps comme lui de s’habiller convenablement, son torse à découvert, cette cicatrice traçant son torse s’éveille à sa vue, sa beauté se montre sous un autre jour dans l’obscurité. Le silence qui envahit l’endroit, le sentiment d’être isolé avec lui laisse échapper quelques effluves de ce cocon si souvent découvert entre eux cette nuit. Doux songes de leur proximité passé qui ne semble pas s’être totalement éteint, malgré tout ce qu’ils pourraient dire.
En cet instant, sa simple présence l'apaise, le détend. Il aurait pu se laisser misérablement tomber, là, à ses pieds à pleurer toutes les larmes de son corps à l’accumulation de ce trop-plein en lui. Se laisser à croire qu’il est toujours ce garçonnet à qui il écrivait si souvent et dont la simplicité et l’imprévisibilité lui faisait oublier ses tracas quotidiens.
Comme si au final Geb réalisait que ses pensées trop envahissantes n’avaient pas lieu d’être.
Qu’il était si simple de les voir disparaître dans un échange avec lui qui d’un coup balayait ses angoisses à sa simple demande, pour le ramener toujours à l’essentiel.
Il était ce vent qui envoyait promener les nuages couvrant le ciel étoilé.
A la lumière de la lune, le visage de Geb se détend, et laisse transparaître cette détresse dans son regard, la brillance de ses yeux sous le flots de larmes qui menace de s’écouler sur son visage.
Mais qui ne tombe pourtant pas.
Parce qu’il réalise soudainement que tout ce qu’il voit en cet instant n’est pas réel.
Parce qu’il n’est plus le Sasori qu’il a connu, qu’il est parti il y a des années auparavant pour ne laisser qu’un homme colérique, taquin, pervers, vantard.
Parce que la honte le bride soudainement.
Parce qu’il s’accroche à l’idée qu’il n’a le droit d’être humain et que Sasori attend certainement de le voir s’écrouler pour satisfaire le plaisir de voir la coquille abimée qui se cache derrière ce masque solide de Prince fier. Pour se moquer ouvertement de lui et de ses belles paroles, pour lui mettre devant les faits accomplis que ses piques étaient plus que fondées.
Qu'il s'est perdu lui-même.
Qu'un jour les Dieux se détourneront de lui.
Que plus rien ne saura sauver le petit Prince de Djinn de sa propre déchéance.
Il baisse les yeux, détourne le regard avant de quitter la lumière lunaire, s’enfonçant dans l’obscurité comme il laisse son propre coeur se refermer.
Qu’est-ce qu’une brique de plus sur la tour de la pression accumulée que traîne le Prince de Djinn partout où il va ?
Il n’a pas besoin de son aide pour se sentir mieux et faire passer la pression.
Il n’a jamais eu besoin de qui que ce soit, d’ailleurs.
Une grande inspiration, une main qui essuie la moindre trace humide sous les yeux. Et tout ira mieux dans le meilleur des Mondes.
“Vous… avez bien agi.” dit-il simplement, et qu’en est-il de lui ? Il est beau le Prince de Djinn, n’est-ce pas ?
“Je viens de réaliser que… L’endroit où la Tour a été…” le terme est comme tabou, il ne parvient pas à le dire. “Se trouve à Daishan.”
Le menton pincé entre ses doigts, il fait quelques pas dans la demeure isolée pour réfléchir, ignorer les pensées qui tapisse son esprit pour suivre le fil rouge.
L’essentiel, toujours l’essentiel.
“Au vu de notre position… De l’orientation… Oui, il ne fait aucun doute là-dessus.” marmone-t-il dans sa réflexion.
Et puis sa main quitte son menton, il redresse la tête.
Une image, une pensée s’impose à son esprit. Il hésite, les yeux plissés puis soudainement vidés de toute émotion.
“Mon jeune frère, Tarek Ramses est là-bas. Lorsque nous avons quittés la Tour il est allé prendre la première embarcation pour Daishan.”
Il aurait pu à nouveau plier sous le poids de l’inquiétude, mais sa voix est neutre, apathique. Il n’est pas en posture de se laisser abattre maintenant, il doit se ressaisir, Tarek ne peut pas disparaître. Ce n'est qu'une coincidence. Il se tourne vers Sasori.
“Avant de rejoindre Djinn, je dois d’abord m’assurer qu’il aille bien. Mais y aller serait suicidaire, nous n’avons encore aucune certitude de ce qu’il vient de se passer, ni de la manière dont les choses se passent là-bas. Sans doute que les frontières seront obstruées et les voyages impossibles. Il faudra certainement attendre les actions de L’Archevêque et de l’Impératrice de Kanagawa.”
Il prie silencieusement les Dieux de lui ramener son frère. Il a beau le détester de tout son être pour tout ce qu’il a pu lui faire subir pendant toutes ses années, il ne veut pas qu’on le lui arrache.
Pas encore.
Pas Tarek.
“... Que comptez-vous faire, Sasori ?”