Humain… Tu as beau ne pas le croire, voilà ce que tu es. Un simple humain. Quelqu’un qui a manqué d’affection. Un simple garçon. Quelqu’un de vulnérable. Quelqu’un qui aura beau avoir le mur le plus solide… Ne sera pas capable de se protéger de tout. Quelqu’un, qui ne pouvait pas refuser un geste d’affection. Quelqu’un qui a juste trop peur de ses émotions. Qui a trop peur de la douleur. De la souffrance de son cœur. Quelqu’un qui a peur du bonheur. Peur de sentir les larmes couler. Peur de se sentir aimé. Qui pourtant, en rêverait. Qui pourtant, l’avait tant espéré… Mais c’était peut-être, il y a trop d’années. Trop pour que tu t’en souviennes. Trop pour que désormais, tu l’avoues, tu l’acceptes.

Et pourtant, tu profitais de ce moment.
De cette présence.
Aussi éphémère soit-elle.

Tu n’arrivais pas à te penser comme quelqu’un de normal. Comme un humain. Tu n’avais probablement pas envie de penser autrement. Tu es effrayé par le changement. Tu t’entêtes beaucoup aussi. Tu es incapable de te persuader que ses paroles ne sont que vérité. Tu te dis encore que tu n’as pas besoin d’être guéris. Que tu n’as pas de blessures. Tu es difficile. Tu avais donc préféré rester silencieux. Au vu de sa gentillesse… Tu n’avais pas envie de le contredire. Pas envie de te prendre la tête aussi. Pas envie de dire des mots blessants sans faire exprès.

Ce n’était pas ce que tu désirais…
Mais tu ne peux que contredire.
Tu ne peux que t’enfermer dans ces mêmes pensées.
Celles qui te hantaient.

« Non… Mais une arme est faite pour tuer. Elle est faite pour servir, pour simplement obéir à celui qui l’a créé. Sans se demander si c’est bien ou mal. Justement, parce qu’elle ne peut pas penser… Je ne suis pas différent. »

Né pour tuer. Né pour servir. Né pour obéir. C’est ce que tu es. Voilà pourquoi tu es dans ce monde. Pourquoi tu respires. Pourquoi tu vis ce moment. Pourquoi tu es à ses côtés… Parce que tes parents t’ont forgé. Parce qu’ils t’ont éduqué de cette façon si morbide. Si malsaine. Parce qu’ils n’ont jamais remis en question leur éducation. Leur façon de vivre. Leurs idéaux. Ils ne sont pas demandés si cela plaisait à leur fils. Et tu n’as jamais osé, refuser, te rebeller. Tu n’y as même jamais songé. Tu t’étais simplement fermé. Pour mieux coller à leurs dictons. Pour ne pas être gêné par tes émotions.

Parce que c’était la seule façon que tu avais trouvée de te protéger.

Ryoji ne t’avait pas fait de mal. Il t’avait au contraire, apporté quelque chose dont tu avais cruellement besoin. Et pourtant, il voulait malgré tout te donner quelque chose ? Matériel ou non. Tu n’en avais pas besoin. Tu n’avais pas à recevoir plus. Tu ne le méritais pas. Pourtant, il en avait envie alors pouvais-tu refuser ? Répliquer ? Dire quoi que ce soit ? Ne serait-ce pas encore une preuve d’irrespect ? Ne serait-ce pas faire la même erreur qu’il y a quelques minutes ? Tu ne sais plus quoi faire. Quoi penser ? Tu ressens une dernière caresse dans tes cheveux avant que finalement, il se décale avec douceur.

Ah… Tu ne ressens plus sa chaleur.
Tu ne ressens plus la tendresse de cette étreinte.
Tu l’avais laissé s’échapper.
Tu n’avais pas osé faire de caprice.

Tes yeux sont vides. Perdus dans les siens. Acceptant la fin de cette éphémère douceur. Acceptant de nouveau cette amertume. Tu suivais simplement du regard ses gestes. Le regardant faire. L’écoutant attentivement… Ses coordonnées ? Tu saisissais le bout de papier. Le regardant muet, pendant quelques instants. Si tu en avais le désir… Tu pouvais lui envoyer une lettre ? Tu étais étonné de l’entendre dire qu’il te répondrait sans faute. Que tu pouvais aller le voir là-bas. Que si tu en ressentais le besoin, tu pouvais lui demander une nouvelle étreinte… En entendant ces mots, tu détournes le regard.

« C’est…. »

Tu ne savais plus quoi répondre.

« Merci… Je… »

Ton regard s'assombrit. La vérité frappe. La réalité te rattrape. Il t’avait suffi d’une seconde pour souffler un peu… Une seule seconde, pour que tu oublies ce qui t’attendait… Sur quel chemin dangereux tu te trouvais. Ta voix est plus timide… Tu ne veux pas faire de promesses. Tu ne veux pas lui mentir. Tu voudrais être sincère. Comme l’a été son geste. Comme l’ont été ses mots.

« Je t’enverrais une lettre… J’essayerais de rentrer vivant… Je ferais en sorte, que ce papier n’ait pas été utilisé inutilement. »

La Tour est là… Pouvais-tu t’en sortir ? Tu n’étais pas le plus grand des guerriers. Tu n’étais qu’un lieutenant… Tu n’avais que 20 ans… Et si tu te fichais d’y mourir ou non, une étrange pensée t’avait traversé. Celle de vouloir sortir vivant. Celle de pouvoir lui envoyer une lettre. Ne serait-ce pas un rêve ?

Étreinte. Caresse. Affection. Seras-tu un jour capable de demander ce genre de choses ? De tes propres mots… Seras-tu seulement capable d’accepter les vouloirs ? Accepter le fait que tu en as terriblement besoin. Que si tu en avais été capable, tu aurais répondu à son geste. Tu ne te serais pas contenté de poser ta tête. Tes bras l’auraient entouré. Tes mains se seraient accrochées au kimono qu’il était en train de porter. Avec douleur. Avec désespoir. Tu te serais blotti contre lui. Tu l’aurais empêché de partir. Tu aurais profité de cette chaleur un peu plus longtemps. Profiter de cette agréable douceur… Mais sur ce point, tu ne sais pas te montrer égoïste. Tu ne sais pas faire de caprice. Tu as déjà bien trop du mal à dire ce que tu désires. À même simplement y réfléchir. La façon dont tu avais demandé à boire du thé avait été preuve. Avec cette voix bien trop timide. Avec ces yeux fuyants. La façon dont tu le regardais alors qu’il te demandait de faire des choix… Comme si c’était un supplice. Une épreuve trop difficile. Tu t’effaces tellement facilement. Ce n’est qu’en combat que tu démarques sinon… Tu n’es qu’une âme errante que tout le monde pourrait oublier. Tu n’es qu’une pépite d’or qui a tellement perdu d’éclat qu’elle se confond parmi toutes les pierres du fond de la rivière. Une si petite pierre qui se laisse emporter. Qui ne résistes pas au courant…

Sois humain Oz.
Sois égoïste comme tous les autres.

Ah… Tu aurais tant voulu taire cette pensée. Oublier que tu étais sur un chemin épineux. Le destin trop flou… La Mort trop proche. La Vie trop loin. Ryoji, avait-il vraiment besoin que tu lui rappelles ça ? En avait-il vraiment besoin ? Non. Tu n’aurais pas dû ramener ce sujet sur la table. Tu aurais dû mentir comme tu l’as fait autrefois. Laisser un maigre espoir à l’autre alors que toi, tu affrontais seul la réalité. Tu ne serais pas étonné que quelqu’un ne veuille pas être proche d’un suicidaire comme toi. Quelqu’un qui semble n’en avoir rien à foutre de la Mort. Quelqu’un qui semblait si détaché… Et pourtant, le jeune homme en parle comme si ce n’était qu’un détail. Quelque chose de pas si grave. Tu l’entends longuement réfléchir. Tes yeux posés sur lui. Un peu perdu. Un peu surpris. À quoi pouvait-il bien penser ? Oui… Ce garçon était un vrai mystère à tes yeux. Plus le temps passait, moins tu arrivais à prédire ce qu’il allait faire. Ce qu’il allait dire. Était-il vraiment aussi apathique qu’il ne le pensait ? Ou alors il faisait semblant ? Si la question avait effleurée ton esprit… Tu te fichais bien de la réponse. Sincère ou non, ses paroles te sont agréables.

Son étreinte un souvenir gravé en toi.

Et voilà que Ryoji lève soudainement l’index, main sur la hanche comme s’il avait été illuminé. Comme si son idée pouvait rivaliser avec les génies de Djinn. Pourtant, sa réponse fut bien simple. Mais… N’était-elle pas charmante ? Tendre… T’accrocher à l’idée de lui envoyer une lettre ? Se battre pour ça… Rester en vie pour lui écrire. Survivre pour quelque chose de si stupide ? Si tu en avais été capable peut-être, aurais-tu décroché un sourire… Tu te contentes de le regarder silencieusement. Le regard… Plus doux. Comme si on y lisait une bienveillance humaine. Une âme gracieuse et pleine de tendresse. Lorsque tu l’entendais, tu ne savais pas si tu devais vraiment le croire. Tu avais du mal à te dire qu’il serait vraiment heureux de te lire. De voir ton écriture soigneuse. De voir des mots rien que pour lui. Mais tu t’en fichais pas vrai ? Tu te fichais bien d’être oublié. Tu te fichais qu’il ne dise pas la vérité. C’est un voyageur. Tu n’es qu’une rencontre éphémère parmi tant d’autres. Tu en as bien conscience. Mais même s’il trahissait sa propre promesse, tu ne lui en tiendras pas rigueur. Tu ne lui en voudras pas.

Il avait fait tellement pour toi.
Alors tu saisis timidement cette main tendue.

« Oui… Lorsque je serais rentré à Kanagawa après mon passage à la Tour… Je t’écrirais, je te le promets.»

Étais-tu encore une fois en train de mentir ? Comment promettre de ne pas mourir ? Comment promettre quelque chose de si imprévisible ? Ce n’était pas un mensonge… Ce n’était rien de tout ça au contraire… C’était si sincère. C’était toi qui y croyais vraiment. C’était toi qui voulais se raccrocher à cette idée. Toi qui voyais un peu d’espoir.

Une petite lueur.
Un petit éclat.

Tu rends compte alors de cette étrange pensée. Tu relâches finalement sa main délicatement. Détourne le regard. Plusieurs clients vous regardaient ce qui était plutôt compréhensible au vu de votre comportement… Tu espérais ne pas trop les avoir dérangés. Eux, les gérants du salon de thé et… Ryoji aussi… Tu toussotes un peu, posant tes yeux sur le thé… Tu espérais qu’il n’avait pas trop refroidi.

« Ne devrions-nous pas finir notre thé ?»

Tiens donc… Était-ce de l’embarras ? Invisible sur le visage. Trop présent dans les gestes, le regard.

Tu ne t’attaches pas aux gens. Tu ne comprends pas les gens. Tu ne cherches que peu à les comprendre. Tu ne penses pas à recevoir leur affection. Tu ne penses pas à les aimer. Tu ne cherches pas à les apprécier. Parce que tu ne connais pas l’amour, tu ne connais pas l’amitié. Parce que tu ne connais pas l’amitié, tu te contentes de cette solitude à laquelle tu es habitué. Mais peux-tu prétendre ne pas vouloir profiter de cette présence ? Peux-tu te mentir à toi-même, encore ? Ce n’est qu’un étranger. Tu le connais à peine. Tu sais trop peu de choses sur lui. Tout comme il ne sait que trop peu de choses sur toi. N’êtes-vous pas comme des inconnus ?Ah… Et pourtant.. Et pourtant, tu apprécies sa présence. Même si tu n’arrives pas à te l’avouer. Même si tu n’arrives pas à avoir les pensées claires. À le dire avec des mots.

C’était une rencontre que tu n’avais pas envie d’oublier.

« Il te faudra sans doute faire preuve de patience malgré tout… »

Si, de base, tu as bonne mémoire, que tu te souviens très souvent des visages… Là, n’était-ce pas un désir ? N’était-ce pas le désir de se rappeler de sa voix ? De sa musique. De son étreinte. De sa chaleur. De sa douceur… Tu réfléchissais déjà à ce que tu allais pouvoir lui écrire. Comment fait-on, pour faire ce genre de lettres ? Tu ne fais que des rapports. Des modalités. Tu n’as pas le souvenir avoir déjà écrit quelque chose de plus… Privé ? Ah… Tu sentais que tu allais devoir faire pas mal d’essais. Que ta poubelle allait se remplir de vieux brouillons. Avais-tu assez de papiers ? Peut-être allais-tu devoir en racheter… Un peu d’encre aussi… Tu n’es pas sûr d’en avoir encore dans ta chambre…

N’était-ce pas étrange ?
Ces petites questions.
Ces petites réflexions.

Soupir…. Ce n’était peut-être pas le moment d’y réfléchir. Tu avais encore tout un chemin à parcourir. Tu avais encore une mission à accomplir. Des étages à franchir. Et puis… N’était-il pas encore là, devant toi ? Oui… Oui, tu devais avant tout profiter de l’instant présent. Profiter de ces tasses de thé aussi, si cela n’avait pas trop refroidi. Alors que le jeune homme retourne à sa place, tu l’observes silencieusement. Un peu embarrassé par tout ce que tu venais de dire. Par tout ce qui venait de se passer. Peu importait si tu t’en rendais compte ou non. C’était la réalité. C’est que tu n’as pas l’habitude de ces petits moments. Pas l’habitude d’être sociable. Pas l’habitude de dire des idioties pareilles. De faire une promesse irréalisable à laquelle tu y crois.

Tu n’as pas l’habitude de ressentir de l’espoir.

Tu saisis ta tasse, bois quelques gorgées tout en observant le sourire qu’affichait Ryoji. Écoutant sa question. Hmm… Tu pris quelque temps de réflexion. La réalité, c’est que tu ne savais pas trop. Tu n’y avais pas vraiment réfléchi. Ton seul objectif était de te rendre à la tour jusqu’à ce que tu le croises. Que lui parles.

« Et bien… Ma seule mission est de me rendre à la Tour… Je n’ai pas grand-chose d’autres à faire… Donc, j’imagine que je vais chercher un endroit où dormir ? C'est... Ma priorité je dirais. »

N’oublie pas Oz. Tu n’es pas seul. C’est une conversation. Une discussion… Un moment que l’on partage. Un moment où l’on échange.

« Et… Et toi ? »

Tu reposes ta tasse. Les yeux ancrés sur le jeune homme. Ne le quittant pas une seule seconde. Attendant tranquillement sa réponse. Il ne te restait que quelques gorgées à peine. Tu étais le premier à avoir dit qu’il faudrait les finir et pourtant… Tu te dis qu’après, ce moment risque de se terminer. Tu savais bien qu’il fallait se séparer. Toute rencontre a une séparation. Tu en avais conscience et tu l’acceptais. Mais, autant faire tout pour que ça dure un peu plus longtemps… Ne serait-ce qu’une minute. Une seconde de plus.

Patience… La patience est une véritable vertu. Une vertu qui te va si bien. Que peut-être, tu portes un peu trop à merveille… Tu pourrais attendre des millénaires si tu en avais la capacité. Si l’on te dit d’attendre, tu patienteras. Autant de temps qu’il faut. Une minute. Une heure. Tu pourrais rester assis à ne rien faire. Mais en était-il de même pour le jeune homme ? Tu ne doutais pas sur sa patience… Tu n’avais pas envie de douter. Mais, beaucoup, n’ont pas la capacité d’attendre pour l’éternité. D’attendre sans savoir s’il allait vraiment se passer quelque chose… Bien des gens abandonneraient. Bien des gens…. Arrêteraient d’attendre une lettre qui peut-être ne viendra jamais. Bien des personnes, ne seraient pas capables de tenir une telle promesse. Mais tant pis. Le fait qu’il y pense. Qu’il te le dise.

Ça te suffit.

Une rencontre fortuite sur ton voyage. Qui t’avait permis de souffler un peu. De t’apaiser d’une certaine façon… Même si tu avais frôlé la crise d’angoisse à cause de sa fameuse question… Grâce à ça, tu avais pu re goûter à la chaleur humaine. À une étreinte que tu ne veux pas oublier. Une étreinte qui t’avait marqué. Au final, cet incident n’avait-il pas été pour le mieux ? N’était-ce pas quelque chose dont tu avais eu besoin pour avoir une autre raison de survivre à cette Tour ? Une raison plus personnelle. Plus humaine.

Stupide et pourtant…
Nécessaire.

L’arme, était-elle en train de se retrouver ? C’était peut-être un peu trop tôt pour dire de telles choses. Néanmoins, tu montrais bel et bien de la douceur. Tu montrais bel et bien que tu n’étais pas ce garçon sans cœur. Cette personne horrible que tu penses être. Après tout, n’étais-tu pas en train de faire des efforts ? Minimes oui. Mais des efforts quand même. Cette simple question pouvait signifier beaucoup. Ce n’était pas une question philosophie. C’était quelque chose de bien plus simple. Bien plus normal. Sans prises de tête. Sans que tu n’aies mille questions en tête. Et pourtant… Cela ne restait pas spécialement naturel chez toi.

Ce n’était que des mots timides.
Qui ont toujours du mal à sortir.

Le regard posé sur Ryoji, tu l’écoutais, attentivement. Ainsi, il allait prendre le bateau pour Nordhal. Il allait rentrer chez lui… Sa mission était finie ? Ou bien, allait-il simplement faire un compte-rendu ? Allait-il simplement profiter un peu de cette nouvelle famille ? Tu n’en savais rien et cela ne te regardait probablement pas. De toute façon, une chose avait bien plus retenue ton attention. De simples mots. Une simple proposition. Alors que tu finissais les dernières gorgé de ton thé, tu t’arrêtes en plein mouvement. Surpris parce qu’il venait de dire. Tu restes silencieux quelques instants. Tu le voyais qui détournais le regard. Tu ne pus t’empêcher de faire de même. Pour une raison que tu ignores. Tu finis ta boisson désormais un peu amer afin de reposer la tasse délicatement. Afin de lui répondre honnêtement.

« Et bien… C’est très aimable… Cela… M’arrangerait. »

Tu ne connaissais pas vraiment les environs et rien ne t’affirmait que tu trouverais une auberge sur la route. Dormir à la belle étoile ne te dérange pas, néanmoins, n’était-ce pas une occasion à saisir ? L’occasion de profiter toujours un peu plus de lui. De sa présence si apaisante.

« Mais… N’est-ce pas trop de ta part ? Je ne veux guère être une gêne. Bien sûr, j’imagine que si tu proposes, ce n’est pas pour rien... »

Tu ne pouvais simplement pas t’en empêcher. Tu ne pouvais pas arrêter de te dire qu’il t’offrait trop de choses. Bien plus que tu ne le mérites.

« Laisse-moi au moins payer le thé de ce soir… Et, si tu veux quelques écus en plus, cela ne me dérange point, bien au contraire. »

Tu n’avais rien fait pour lui. Tu aimerais, lui rendre la pareille. Faire quelque chose. Peu importe, une simple promesse, ne suffisait pas. De simples pièces, ne pourraient jamais le rembourser.

Noble… Tu es né noble. Tu en avais le comportement. Les mots. Les gestes. Le physique. En soit, tu ne manquais de rien. Tu ne manquais pas d’argent. Durant ton enfance, tu avais un lit douillet où dormir confortablement. Tu avais toujours de quoi te nourrir convenablement. Même si tu ne le fais que rarement… Te contentant du nécessaire. Si tu n’avais sculpté pas ton corps, tu serais bien trop maigre… Oui… Tu es né dans une famille qui ne manquait de rien. C’était l’éducation le problème. On a appris au jeune garçon à ne pas se nourrir pendant des jours. On a appris à un enfant à économiser ses mets, pour survivre plus longtemps. On lui a appris à résister au froid. À dormir à la belle étoile. À supporter les blessures. Les plaies. Pour se préparer à toutes les éventualités d’un champ de bataille. D’une mission. On t’a appris à tuer. Appris à survivre… Et étrangement, on t’a appris à mourir. À accepter la Mort. Accepter le sacrifice.

Accepter un tel destin.

C’est parce que tu as été éduqué ainsi, que la simple pensée de dormir dehors, sur le sol, accompagné d’insectes, ne te dérangeait point. Tu n’avais que faire du confort. Tu n’avais que faire de l’état de ton corps. Parce que tu as été dressé. Dressé pour ne pas te plaindre sur ce genre de choses. Dressé pour accepter les petites choses… Normalement, tu n’aurais pas accepté. Tu aurais dû simplement continuer ton voyage, ne pas t’arrêter. Gagner du temps sur ton voyage. C’est… Probablement ce que tes parents t’auraient dit… Pas besoin d’un lit. Ton but est d’aller à la Tour. Ta priorité est de t’y rendre. C’est ton devoir, ta responsabilité. Tu ne ferais pas perdre du temps inutilement. Mais… Tu t’étais un peu plus écouté pour cette fois… Tu pourrais te trouver bien des excuses. Tu pourrais t’en trouver mille, juste pour justifier, ton envie de rester un peu plus longtemps à tes côtés.

Ton envie de t’éloigner de cette solitude.
Une nuit de plus.

« Oui… Trop… Même si tu dis que c’est normal, je pense que tu en fais trop… Certaines personnes ne se proposeraient pas, même si elles pouvaient… Pourtant, tu le fais… Disant même que ce n’est rien.»

Ta pensée ne pourra pas changer.
Tu étais persuadé lui devoir plus.
Persuadé de ne pas en faire assez.

« Très bien… Je me contenterais de payer les thés… Mais…»

Le regard sincère.
Le visage doux.

« Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit… Que tu veux me demander quelque chose… Je te prierais de ne pas hésiter. Peu importe ce que c’est, si c’est dans mes cordes, je t’aiderais. »

Le temps à savourer cette délicieuse boisson était révolu. Il était dans de partir. De quitter ce petit nid douillet. Alors, tu te lèves, quittes ton siège. D’un pas lent et calme, tu vas voir la vieille dame, la saluant de façon un peu trop respectueuse. Mais surtout pour lui donner l’argent nécessaire, lui donnant même un petit plus. Ils le méritaient et avec la Tragédie d’Ios, peut-être que le vieux couple avait besoin d’un peu plus de monnaie. C’était surtout pour les remercier… Les remercier de t’avoir fait goûter un aussi bon thé. De t’avoir replongé dans cette nostalgie. Dans cette saveur exquise. C’était peut-être aussi une façon de les remercier pour t’avoir permis ce petit moment avec Ryoji…

Tu allais le rejoindre tranquillement, vérifiant bien que tu avais toutes tes affaires.

« Tout est bon pour moi. Je n’ai besoin de rien. »

Lorsqu’il te dit qu’il pouvait jouer un peu de violon sur le chemin… Tu te disais que tu étais chanceux. Chanceux de pouvoir réécouter sa musique sans avoir à lui demander de toi-même.

« Une trentaine de minutes… Cela ne me dérange point… Et si c’est accompagné de musique… J’ai encore moins de raisons de me plaindre. »

Car tu l’aimes. Tu aimes ces notes de violon qui te bercent. Tu te sentais… Apaisé ? Tu l’écoutais, marchant calmement. Faisant le moins de bruit possible. Le suivant silencieusement. Tu ne pouvais que te laisser guider. Tu décidais de te laisser guider. Envoûter par cette musique si singulière.

Qu’avais-tu donc fait ? Cette question te hante depuis de longues minutes. Tu ne peux t’empêcher de le regarder. De te demander, pourquoi. Pourquoi agit-il ainsi avec toi ? Pourquoi t’avait-il offert cette boîte ? Pourquoi te propose-t-il un lieu où dormir ? Pourquoi cette étreinte. Pourquoi ces mots. Pourquoi cette gentillesse… Oui… Avais-tu fait quelque chose en particulier pour cela ? Avais-tu dit une chose qui lui avait donné envie de se montrer si sympathique ? Ou bien un geste ? Tu avais beau y réfléchir, tu ne trouvais aucune réponse. Tu te trouvais des excuses… Tu refusais ta bienveillance. Tu mets toujours tout sur le dos de tes responsabilités. Tu trouves toujours une façon détournée de dire les choses. Pour ne pas avouer qui tu es. Pour continuer de te cacher.

C’est plus simple de cette manière.

Ton pas est léger. Tes lèvres scellées. Tu profitais simplement de ce moment. Tu ne voulais ni parler, ni déranger. Tu désirais simplement écouter sa musique. C’était comme un autre cadeau. Certains diraient que ce n’est rien, mais pour quelqu’un comme toi qui n’as que rarement l’occasion d’écouter cet art… Pour quelqu’un comme toi qui aimes tant la musique même s’il reste dans le déni et le secret… C’était quelque chose à savourer. Autant que le thé. Autant que les paysages environnants. C’était comme si le temps n’existait plus. Tu te laissais emporter, sans voir les minutes. Te laissant guider par ce sourire apaisé qui étirait les traits du jeune musicien. Observant ce bonheur qui semblait l’entourait. Observant les gestes de sa main, de son poignet, les cordes qui vibraient….

À ce moment, Ryoji était le seul que tu regardais.
Le seul élément de ce beau décor.

En te laissant emporter par sa mélodie, tu n’avais guère vu le temps passé. C’était comme si vous étiez arrivé en un instant. Comme si vous aviez fait un bond dans le temps. Mais non. C’est juste normal lorsqu’on vit un moment agréable…. Tes yeux quittaient enfin Ryoji pour alors se poser sur la petite maisonnette. Un petit habitat modeste. Très modeste si on le comparait avec la demeure où tu avais grandi. Cela ne te déplaisait pas pour autant. Tu n’es pas vraiment pointilleux sur ce genre de choses. Tu n’aurais eu qu’un drap et un sol pour dormir, cela t’aurait suffit. C’était même un grand confort de pouvoir passer une nuit ici. Suivant alors le jeune homme, tu quittes tes chaussures pour entrer dedans, observant les murs, le plafond, les différentes salles, les petites décorations. Sentant les odeurs, devinant ce qui était en train de mijoter. Comme si tu analysais ce qui t’entourait.

Comme d’habitude finalement.

« Merci… Je vais… Me changer pour le moment… J’ai mes propres affaires, mais je te remercie encore une fois pour la proposition. »

Tu étais aussi persuadé que ce serait trop grand…

« Je pense que… Je prendrai un bain après le repas si cela te va. »

Tu avais totalement la possibilité d’aller te laver maintenant plutôt que de te changer, te laver, et ensuite te rechanger. Néanmoins, tu avais juste agi avec logique. Tu savais que tu pouvais prendre ton temps dans la salle de bain alors, tu aimerais en profiter. C’est un moment agréable et pourtant, tu n’as que peu l’occasion de profiter d’un bain ou d’une douche. Tu dois toujours te préparer un peu vite. Or, tu savais que Ryoji était en train de préparer du curry. Tu ne savais pas combien de temps cela prendrait, s’il allait vite finir ou non. Plutôt que de devoir te dépêcher en te lavant, autant simplement attendre après le repas. Mais alors pourquoi te changer ? Simplement pour être plus confortable. C’était ta tenue de combat. Ta tenue habituelle. Tu préférais t’habiller de façon plus… Convenable.

Un moyen de se dire que l’arme est en repos.
Qu’il n’y aura pas de bataille.
Simplement du calme.

Dans la chambre, tu poses tes affaires tranquillement, ta lance contre le mur et ton sac dans un petit coin de la pièce, tu fais attention à ne pas faire ça brusquement. Désormais, il y avait une boîte précieuse à l’intérieur. Un nouveau cadeau auquel tu voulais faire attention. Cela fait, il était temps pour toi de te mettre à l’aise. Retirant le masque, le posant sur le lit délicatement. Retirant les protections, les gantelets, les pagnes autour de ta taille et les accessoires. Tu n’avais pris que peu de vêtements alors le choix fut vite fait. Un beau kimono, noir avec un peu une partie blanche, le tout cousu avec quelques notes dorées. Un vêtement noble. Un vêtement élégant. Quelque chose qui te va bien finalement. (kimono)

Que pourtant tu portes assez rarement.
Une fois changé, tu te rediriges tranquillement vers la cuisine pour y retrouver Ryoji.

« J’ai fini... »

La douce odeur de nourriture était alléchante. Cela faisait bien longtemps que tu n’avais pas mangé de curry. Il faut dire, que ce plat typique de ton pays, n’est pas spécialement présent ici. Ou bien… C’est surtout que tu n’avais pas pris le temps de chercher vu tous les événements récents. Mais au moins, ce sera encore plus savoureux pour toi. C’était une aubaine n’est-ce pas ? Une chance pour lui aussi semblerait-il. Posant ton regard sur la préparation, tu te rendais bien compte qu’il en avait fait beaucoup. Tu ne savais pas si tu serais capable de l’aider à tout finir, faut dire que tu ne manges pas beaucoup… Peut-être pouvais-tu te permettre de te faire un peu plaisir ?

Allais-tu rester timide ?
Ou bien allais-tu te servir d’une nouvelle excuse ?

« Oui… Je ne suis pas difficile sur les plats ne t’en fais pas. »

Tu observes le regard de Ryoji. Son sourire, l’écoutant dire comme quoi il aimait ne pas avoir à manger seul ce soir. Pouvais-tu dire la même chose ? Tu avais un petit doute…

« Et bien… À Nagano, j’ai l’habitude de manger avec mes soldats... »

Même si tu gardais toujours un peu de distance sans le vouloir.

« Mais, lorsque je suis en déplacement, je me contente de cette solitude… Je… Je ne sais pas ce que je préfère néanmoins, nombreuses sont les personnes qui affirment qu’un repas est meilleur partagé. »

C’était une façon détournée de dire que tu appréciais. Sans pour autant te l’avouer. Sans pour autant le dire avec des mots. Même une citation, pouvait t’aider à te cacher...

Était-ce le destin ? Étaient-ce les Dieux qui t’avaient guidé jusqu’à lui ? Qui avaient envoûté sa musique pour que tu la suives ? Comme s’ils savaient où tu allais. Comme si, avant que tu n'ailles dans cette Tour, tu avais besoin de cette rencontre. Comme s’ils voulaient, te donner quelque chose avant de partir vers la Mort. Un moment de douceur. Un objectif plus personnel… Une petite lueur dans ton cœur… Et bien, même si tu croyais aux Dieux, que tu croyais en la fatalité de l’Homme, tu ne savais pas quoi penser du destin. De ces rencontres que le hasard t’offrent. Tu étais plutôt terre-à-terre sur cette idée et pourtant… Est-ce que la chance ne serait pas trop de ton côté ?

Ou bien ce n’est que pour prévenir du mal que tu allais subir ?

Tu observais un peu la chambre. Simple mais confortable… C’était pourtant un lieu étranger pour toi… Lorsqu’on te dit de faire comme chez toi, tu ne sais pas vraiment ce qu’on essaye de te dire. Lorsque tu te trouves dans la demeure de tes parents, il y a un silence. Une ambiance bien trop pesante. Ce sont des rapports. Des questions. C’est un échange sans affection. Où les regards se croisent sans qu’aucune chaleur ne s’en dégage. Surtout de ta part. Tout ce que tu fais, c’est ton devoir. Et tout ce qu’ils font, c’est savoir si tu es un modèle ou pas. C’est te dire ce qui ne va pas. C’est te répéter les mêmes choses. Encore et encore… Les repas se font sans joie. Comme si vous n’étiez que des étrangers. Des étrangers qui partagent le même sang. Et à Nagano ? Peut-on dire que c’est chez toi ? Tu ne vis que dans une chambre, comme de nombreux soldats. Pour toi, ce n’est qu’un lieu où dormir. Ce n’est qu’un lieu pratique. Un lieu de travail… Ah…

Tu n’as pas de chez-toi, pas vrai ?

Ces pensées balayées, tu te contentais d’aller retrouver le jeune homme. Tu préférais ne pas t’attarder sur ce genre de questions. Tu te fichais de tout cela. Oui… Tu t’en fiches… N’est-ce pas ?

Rentrant de nouveau dans la cuisine, tu te fais accueillir par un compliment. Enfin… C’était destiné à ton vêtement non ? En entendant les paroles de Ryoji, tu observes un peu ton habit. Ce n’était pas vraiment toi qui l’avais choisi. Tu n’es pas très doué pour ce genre de choses, et c’était pire avant. Tu avais l’habitude de simplement porter les vêtements qu’on te donnait. Sans te poser de questions. C’est Jinee qui t’aura appris à un peu plus réfléchir là-dessus, même si… Au final, tu te contentes de prendre les assortiments qu’elle t’avait déjà montrés auparavant… C’était d’ailleurs elle qui t’avait choisi ce kimono. Si cela fait plusieurs années que tu le possèdes… Il est toujours à ta taille… Preuve que tu avais arrêté de grandir bien tôt…

« Tu trouves ? C’est… Une connaissance qui me l’a choisi. Je ne suis pas très doué avec… La mode… Je ne l’aurais sans doute pas acheté si elle ne me l’avait pas conseillé… La boutique est plutôt connue, les prix plutôt élevés, mais… Et bien, si tu apprécies le style et que cela t’intéresse, je pourrais te donner l’adresse. »

Tu pourrais même lui payer un vêtement. Tu ne savais pas trop si cela lui plairait ou non, tu préférais attendre de voir un signe. Quelque chose. Néanmoins, comme il t’avait offert quelque chose… Peut-être devrais-tu faire de même ? Tu allais garder cette idée dans un coin de ta tête...

« Je vois… C’est une bonne chose que je sois là pour le dîner alors… Au moins… Ce soir, tu ne seras pas seul. »

Tu ne savais pas ce qu’il avait vécu. Tu ne savais pas à quel point il s’était senti seul. Toi, tu ne connaissais que trop la solitude. Elle était une présence dont tu avais l’habitude. Une présence qui ne te dérangeait pas. Pourtant, lorsqu’elle te quitte, tu essayes toujours de profiter de ce moment. Étrange non ? À ce moment-là, tu essayais de passer le plus de minutes possibles avec lui. Peut-être avais-tu parfois besoin d’un peu de compagnie… Tout comme lui. Si cette maison n’était pas à lui, qu’il ne faisait que l’emprunter, peut-être était trop grand pour un seul homme. Et cette marmite, n’était-elle pas trop grande pour manger alors qu’il n’y a personne ? Si tu pouvais combler, un peu le vide de cette demeure, ce serait une bonne chose.

Suite à l’invitation du jeune homme, tu t’installes tranquillement. Le regard posé sur Ryoji, tu humes l’odeur qui sort de la marmite. Elle était plus forte qu’avant. Aurait-il rajouté quelques épices ? Quelques ingrédients ? Tu n’allais pas tarder à avoir la réponse. Le repas était prêt. Prêt à être dévoré.

« Je ne sais cuisiner qu’un seul plat, je ne suis donc personne pour juger. Et comme dit plus tôt, je ne suis pas difficile alors tu n’as point à t’en faire. Veux-tu que je te serve ? »

Délicatement, tu remplis la cuillère pour déposer la nourriture dans son assiette et finir avec la tienne. Tu ne t’étais que peu servi. Par habitude. Le strict nécessaire… Ne devrais-tu pas apprendre à te faire plaisir ? Ou bien avais-tu fait trop d’efforts pour la journée ? Peu importe… Si l’envie te prenait, peut-être oserais-tu te resservir… Tes yeux se posent sur les couverts que tu mets sur le côté. Tu étais venu préparer. Sortant de ta manche deux baguettes, tu comptais bien manger avec tes petites habitudes. Pour toi, c’était plus agréable ainsi. Joignant tes mains dans un geste de prière, tu offres quelques mots aux Dieux.

Merci pour le repas. »

La première bouchée était importante… C’était la découverte des saveurs. C’était le moment où tu te rappelais de ce goût si unique. Tu prends le temps de mâcher. Le temps de savourer avant de lui donner ton avis sur son plat.

« Et bien… C’est… Un curry très bien préparé. »

Tu as du mal à le dire. J’aime. C’est bon. C’est délicieux. Tu ne pouvais que le complimenter de façon détournée. Presque fourbe… Ou ne serait-ce pas plutôt lâche ?

« On reconnaît bien le goût, les épices sont bien dosées, le riz cuit de façon juste, pour qu’il soit un peu plus collant, comme à Kanagawa… La sauce n’est pas trop liquide et cela semble avoir été mijoté bien longtemps. Il y a un bon relevé de saveurs. »

Encore un rapport. Mais, au moins, cela lui donnait une idée de ce que tu pensais, pas vrai ?

Ce sont des souvenirs qui reviennent. Une douce demoiselle qui t’emmène faire les boutiques, qui te montre différents tissus aux différents motifs. Qui te dit quelle coupe te va bien, quelles couleurs te mettent en valeur. Tu ne faisais pas vraiment attention à ton apparence. Pourtant, tu as appris à te coiffer, à t’habiller, à te maquiller. Même si tu ne faisais qu’imiter, que tu te contentes de prendre des tenues que l’on t’a déjà montré. C’est devenu une habitude. Poser du rouge sur tes yeux. Porter des accessoires religieux. Avoir une tenue de combat, pratique, mais qui montre une certaine élégance avec de petits ornements. Mais cela ne restait qu’un réflexe pas vrai ? Ryoji lui, semblait réellement apprécier les beaux vêtements.

« Je lui dirais alors… Recevoir un compliment là-dessus devrait… Lui faire plaisir, j’imagine. »

Même si tu ne comprends pas vraiment la notion de compliment… Tu n’en reçois que peu après tout. Souvent, c’est par rapport à tes capacités de combattant… Mais à tes yeux, tu as encore tant à apprendre. Tu as, bien dû mal à les accepter. Et pour ce qui est du reste… Tu ne parles pas souvent aux gens… Ou bien, ce sont eux qui n’osent pas vraiment te parler. Ils ressentent ta distance. Ils voient ton fossé. Certaines personnes t’ont dit que tu faisais plus jeune. Devais-tu bien le prendre ? Peut-être que si tes parents t’avaient plus félicités, tu comprendrais mieux ce que certains essayent de te dire. Peut-être accepterais-tu les compliments, sans remettre en question la personne. Sans te dire qu’ils ont tort. Qu’ils se font des illusions.

Peut-être…

Ryoji te dit qu’il aimerait bien la voir cette boutique… Tu voudrais dire avec certitude que tu l’y emmènerais. Tu voudrais tant en avoir cette possibilité… Ce serait mentir cependant. Tu le sais. Ce n’est point quelque chose qui te dérange. Tu le fais si nécessaire. Était-ce le cas ? Tu n’avais pas envie de plomber l’ambiance encore une fois. Tu n’avais pas envie de lui rappeler que votre promesse ne se réalisera peut-être jamais… Tu réfléchissais à quoi dire. Quoi faire ?

« Et bien… Je te noterais l’adresse sur un papier… Ah… Et… Est-ce que tu pourrais me donner ta taille ? Pour te remercier du thé et de m’offrir un toit pour cette nuit je... »

Tu aimerais.

« Je compte t’offrir un vêtement. Tu as l’air d’aimer ça alors… Il faudra simplement me décrire quel genre de tenue tu voudrais, et je passerais commande. Lorsque tu retourneras à Kanagawa, tu auras juste à tout récupérer. »

Comme ça, tant qu’il a l’adresse, il pourra l’avoir. Comme ça… Même si tu n’es plus là, tu auras trouvé quelque chose à lui offrir. Tu auras remboursé un tant soit peu ta dette. Si tu meurs dans cette tour, au moins, tu seras un peu plus serein. Qu’importe s’il t’oublie au final. Au moins, tu seras sûr qu’il y aura accès. Tu connaissais la gérante de la boutique, tu étais persuadée qu’elle saurait gérer. Et s’il ne vient jamais. Cela restera un souvenir. Un souvenir d’un cadeau sincère que tu as souhaité offrir. Un souvenir de cette rencontre. Un souvenir de ce moment.

C’était suffisant.

Désormais à table, les deux assiettes servies, après une petite prière, vous pouviez tous les deux déguster. Tu appréciais la saveur du curry. Toi qui vis dans un monde si morne, un peu d’épices ne faisait pas de mal. Bien au contraire. Pourtant, tu décrivais le tout comme quelque chose de trop… Officiel. Tu n’étais pas en train de travailler. Tu étais au contraire, en train de profiter d’un moment rien qu’à vous. Un soir de détente où on laisse un peu plus loin nos responsabilités. Tu n’avais pas pu t’empêcher hein ? Au moins, cela put décrocher un petit rire au jeune homme. Au moins, il semblait avoir compris que tu le complimentais. Pourtant, à la fin de sa phrase, c’est comme s’il avait un retour à la réalité. Tu l’avais bien senti. Tu l’avais compris avec ses mots. Ce n’était qu’un moment éphémère et peut-être qu’après cela, vous ne vous reverrez plus jamais.

« J’ai probablement trop l’habitude de faire des rapports… »

Sans tenir une promesse.

« Je... Je veux bien en prendre pour demain alors. Cela me fera un bon repas pour la route. »

Une nouvelle bouchée, tu savoures alors que Ryoji continue d’entretenir la conversation. Il te demandait quel était cet unique plat que tu savais cuisiner. Tu avais même eu le droit à des petites informations sur lui. Comme quoi lui, il s’essayait à beaucoup de choses. Qu’il avait cuisiné de nombreux plats de Kanagawa pour les faire goûter à son seigneur. Tu comprenais mieux pourquoi c’était bon. Il s’était entraîné lui aussi. Néanmoins, il semblait bien mieux s’en sortir que toi. Lorsque tu prends le temps d’essayer quelque chose de nouveau, cela finit toujours en catastrophe. Tu ne comprends jamais pourquoi d’ailleurs… C’est surtout que tu n’es pas doué dans une cuisine et que tu as besoin de beaucoup de temps pour apprendre. Pour savoir t’y prendre. C’est aussi probablement parce que tu le fais trop souvent seul.

« On sent ton expérience… Moi… Je sais uniquement cuisiner des baozi. Cela m’a pris beaucoup de temps pour savoir les faire parfaitement et connaître la recette par cœur… À l’époque, j’ai décidé de me concentrer sur un seul plat, pour que ce soit plus simple à apprendre, et pour ne pas diverger. Désormais, je n’ai plus vraiment le temps pour essayer autre chose, surtout que mes soldats me demandent toujours de faire mes baozi. Ils refusent que je change de recettes… Je me demande bien pourquoi... »

Pour ne pas que tu les tues ou que tu brûles tout….

« Enfin… Je dois avouer que lorsque je m’essaye à la nouveauté, le résultat est mauvais.»

Tu te dis qu’en essayant une seule fois, c’est normal… Tu ne te rends pas compte qu’il te faut vraiment beaucoup temps. Que ce n’est pas que la première fois qui est catastrophique… Et encore… Tu te souviens de cette fois avec les disciples de Chang’e…

Oui… Tu devrais peut-être te remettre en question sur certaines choses…

Finissant ton assiette, ton regard se pose sur celui de Ryoji. Il avait le sourire. Une expression qui… Qui n’était pas désagréable à regarder. Même si tu ne pouvais pas esquisser de rictus en retour, en le voyant ainsi, ton regard s’était adouci. Un petit éclat. Tu l’écoutais… Au final, il n’avait pas oublié d’où il vient. C’était comme si, les étoiles s’étaient alignées pour qu’il t’offre un repas digne de ton pays natal. Thé blanc. Curry. Mochis. Tu étais gâté. Un repas peut-être trop parfait… Était-ce un signe pour dire que c’était ton dernier ? Ou bien, au contraire, c’était pour te dire que tu avais encore bien des choses à vivre. À découvrir. À apprécier…

« J’en prendrais bien oui... »

Quant à sa dernière réflexion… Tu te montres un peu hésitant.

« Ce n’est pas que je me prive… J’ai simplement pris l’habitude de ne prendre que le nécessaire. Pour économiser la nourriture. »

C’est ce qu’on appelle se priver.

« Je n’ai donc pas un grand estomac. Mais… Et bien, je risque de ne plus pouvoir en manger pendant longtemps, et même si demain, j’en aurais sur la route, ce ne sera pas aussi meilleur… Donc… Et bien… En plus, comme il y en a beaucoup, je vais peut-être prendre un peu plus que d’habitude. Ce serait dommage de gaspiller… »

Des excuses.

« Enfin, si toi aussi, tu as faim, sers-toi d’abord. »

Des mots timides.

Un cadeau… C’est bien souvent quelque chose que l’on offre avec des sentiments. Quelque chose qui a une motivation derrière. On peut simplement vouloir rendre heureuse la personne. Tout comme on peut le faire pour les bonnes manières. Pour suivre des règles. Tu avais… Bien trop souvent l’habitude de ce dernier point. Qu’est-ce qui se passait dans ta tête, lorsque tu offrais un présent ? L’avais-tu même déjà fait auparavant ? À part pour les anniversaires, les modalités… Avais-tu déjà pris le temps de donner ? Tu doutais… Tu n’arrivais pas à te souvenir d’un tel moment… Tu n’avais remercié Orion qu’avec des mots, persuadé qu’il t’oublierait. Tu donnais des beaux vêtements à Jinee uniquement lorsque c’était sa fête… Était-ce de l’égoïsme ? Non… C’est simplement que tu ne sais jamais quoi offrir. C’est simplement parce que tu n’avais pas de quelconque motivation pour.

Peut-être était-ce la première fois que tu faisais un cadeau sincère.
Peut-être était-ce la première fois que tu désirais offrir de toi-même.
Sans qu’on ne te le demande, sans que ce soit une obligation.
Tu te trompais en te disant que c’était uniquement pour une dette.

« C’est normal… Je te dois bien ça... »

Un petit rire. Tu l’écoutes avec attention, comme si ce petit son éphémère méritait ton regard. Qu’il méritait d’être retenu. Tu ne comprenais pas vraiment pourquoi il riait néanmoins, tu savais que Ryoji ne s’était pas montré moqueur. Tu ne savais pas ce qui se cachait derrière. Ni pourquoi tes paroles avaient créer cette petite réaction. Mais tant pis. Si tu pouvais le faire sourire, n’était-ce pas pour le mieux ? Toi qui es bien trop responsable de peur, de pleurs, de haine et de rejet. Tu ne savais pas pourquoi il était aussi gentil avec toi. Pourquoi il était aussi doux. Pourquoi il ne te rejetait pas. Il y a certaines personnes comme ça… Qui t’acceptent. Mais n’était-ce pas parce qu’ils ne savaient pas tout ? Parce qu’ils sont ignorants. Parce qu’ils ne connaissent pas ton visage de démon.

« Merci… Pour les baozi… Je ne sais pas si tu as les ingrédients ici, sinon je t’en aurai préparé demain matin… Si ce n’est pas le cas… Tant pis… Je t’en préparerai si l’occasion se présente à nouveau. Si... »

Si tu ressors vivant.

« Si nous nous recroisons tous deux à Kanagawa un jour. »

Tu toussotes, pour éviter les mauvaises pensées. Le retour de la réalité.

« Je… Je prendrais bien quelques petits conseils. Je suis toujours des recettes, mais j’imagine que c’est plus éducatif lorsque c’est de vive voix. »

Ton assiette terminée, tu te demandais si tu pouvais te resservir. Si tu pouvais te le permettre comme il te l’avait dit. Tu te prives beaucoup. Aussi bien pour toi que pour les autres. Si tu avais de la nourriture sur toi et que tu croisais une personne affamée, tu lui donnerais. Peu importe si après tu te retrouves sans rien. Peu importe si après, c’est toi qui vivras avec la faim. Tu te dis que c’est ton devoir. Que c’est normal. On t’a malgré tout appris à prendre soin des habitants de ton pays. Mais ne serait-ce pas aussi une bienveillance naturelle chez toi ? Tu affirmeras toujours le contraire. Tu es comme ça. Têtu. Complexe.

Et surtout têtu.

Lorsque ton assiette se remplit de nouveau, tu regardes Ryoji un peu surpris. Tu n’as pas eu le temps de dire quoi que ce soit. Et c’était probablement pour le mieux.

« Tu... »

Soupir. Tu ne savais pas quoi dire, surtout en l’écoutant parler. Quelques petits détails qui forcent tes yeux à se poser dans les siens. Ainsi… Il avait perdu ses parents. Il avait vécu dans la pauvreté. Il avait vécu des choses difficiles. Un passé différent du tien. Tu te demandais comment il avait fait pour finir « adopter » par un seigneur, mais c’était plutôt une bonne chose. Il avait été sauvé. Il pouvait désormais vivre sans se soucier de s’il allait pouvoir se nourrir ce soir. Cela te rappelait une dure réalité dans ton pays. Qu’en tant que soldat. En tant que lieutenant, tu ne pouvais pas réparer. La pauvreté… Tu es un noble. Tu as vécu dans un luxe… Particulier certes, mais tu n’as jamais manqué d’argent. On t’a appris à prendre le nécessaire, mais si tu le désirais, tu pouvais te plaisir. Acheter bien des choses pour ton propre profit…

« Je vois... »

Tu écoutais ses paroles. Le fait qu’il appréciait ce repas à deux. Le fait qu’il te trouve être de bonne compagnie.

« Et bien… C’est différent. Moins bruyant. Plus… Plus… »

Agréable ?

« Je n’ai pas vraiment les mots pour décrire… Mais… Si cela arrivait une nouvelle fois… Je ne serais pas contre. »

C’était ta façon de dire que tu appréciais. Que tu aimais ce petit moment. Mais quelque chose te dérangeait. Les mots sur son passé restaient gravés dans ta mémoire. Tu n’arrivais pas à les oublier. Ne devrais-tu pas dire quelque chose là-dessus ? Voulais-tu t’exprimer ? Lui dire un truc ?

« Je… Désolé… »

Pourquoi ?

« Notre devoir est de protéger les habitants de notre pays. De faire en sorte qu’ils vivent dans le confort. Et pourtant… Nous ne sommes pas capables d’empêcher ce genre de choses… Enfin, je n’étais qu’un enfant lorsque cela t’est arrivé, mais… N’en tiens-tu pas rigueur aux soldats et aux gens qui t’ont abandonné à ton sort ? »

Tu détournes le regard.

« Enfin, tu as le droit de ne pas désirer en parler. Je me suis peut-être montré trop irrespectueux. »

Peut-être que tu en demandes trop. Peut-être que tu devrais te taire.

Affection. Attachement. Ce sont des mots que tu lis. Des mots que tu entends. Pourtant, d’un simple battement de cils, tu les rejettes. Tu les oublies. Tu ignores leur existence. C’est ainsi que tu vis. C’est ainsi que tu as toujours vécu. Tu n’avais jamais été capable de comprendre le mot ami. Tu n’avais jamais pu désigner quelqu’un ainsi… Donner un tel titre. Yuan. Li Qinq. Jinee. Orion. Geon… Qui sont-ils pour toi ? Restent-ils vraiment de simples personnes dans ta vie ? Ne t’ont-ils pas marqué d’une certaine façon ? Parfois en mal. Parfois en bien… Mais s’ils ont eu un effet sur toi, c’est bien que tu n’étais pas indifférent. Pas vrai ? Ce ne sont pas que des passants. Ce ne sont pas des âmes envers lesquelles tu n’as absolument pas d’intérêt. Sinon… Pourquoi chercher à taire ta nature de démon ? N’était-ce pas pour éviter l’abandon ? Comme l’avait fait Yuan. N’était-ce pas pour éviter le jugement, la peur ? Comme te l’avait dit Li Qinq ? Pourquoi porter toujours ce masque ? Pourquoi le penser si précieux ? N’était-ce pas parce qu’Orion t’avait offert un peu de soleil ? N’était-ce pas lui, ton plus grand souvenir de ton séjour à Ios ? Il y a tant de questions. Il y a des réponses… Pourtant, tu fais le sourd.

Tu te protèges à ta façon.
Mais était-ce de même avec ce garçon ?

Tu le connais à peine. Depuis quelques heures déjà. Il reste un inconnu et tu préfères maintenir encore un peu de la distance. Cependant, la discussion se faisait plutôt naturellement. Tu ne savais pas pourquoi exactement. Peut-être parce qu’il avait trop lu en toi ? Peut-être parce qu’il te comprenait un peu sur certaines choses… Tu ne savais pas. Tu n’avais pas l’habitude de ce genre de situations. Te dire qu’elle n’était pas déplaisante te terrifiait presque. C’était une nouveauté. Était-ce là un sentiment ? Une bribe d’émotion ? Tu n’avais pas envie de savoir. Tu n’avais pas envie de te poser cette question. Tu avais peur de trouver une réponse. De sentir ton cœur battre. De sentir de la chaleur en toi.

« Je regarderais cela alors... »

Mais n’avais-tu pas peur de plonger dans un sujet aussi sensible ? Lorsque tu t’étais rendu compte de tes paroles, tu t’es dit que tu aurais dû te taire. Tu aurais dû coudre tes lèvres. Son passé ne te regardait pas. Ses douleurs non plus. Sa peine. Sa haine. Rien de tout cela ne devrait atteindre tes oreilles. Ce sont ses histoires. Pas les tiennes. Même s’il est à l’origine un habitant de ton pays… Ce n’est pas ton rôle d’agir ainsi. Tu ne pouvais rien faire pour lui. Tu n’aurais jamais pu… Alors pourquoi cette curiosité ? Pourquoi ces mots ?

Pourquoi ce regard si sombre ?

Tu l’observais. Comprenant que ce corps devenu si lourd, était de ta faute. Que ce soupir était dû à tes paroles. À ta question idiote. Tu te disais qu’il n’allait pas t’en parler. Il n’avait pas à le faire. Et pourtant, tu l’entends… Son triste passé. Petit garçon abandonné. Petit garçon affamé. Petit garçon qui allait mourir, qui allait cesser de vivre parce que personne ne l’avait aidé… Voilà son histoire. Celle d’un gamin qui a dû apprendre la dure réalité de force. Celle d’un gosse qui a dû voler pour survivre. Qui n’a pas eu le temps de pleurer correctement la mort de ses parents. De faire un deuil proprement. Même si aujourd’hui, il avait trouvé quelqu’un pour lui offrir l’affection dont il avait tant besoin… Même s’il avait trouvé un nouveau père. Les souvenirs restent.

Ancrés dans sa tête.
Ancrés dans sa chair.

Ryoji te disait que ta vie ne devait pas être simple. Parce que tu veux protéger tout le monde. Parce que tu ne peux pas sauver toutes les personnes que tu désirais. Tu ne savais pas… Tu faisais ça simplement parce qu’on te l’avait appris. Tu n’avais même pas décidé d’un tel chemin. On t’a forcé à l’emprunter. Pourtant, tu sais que d’une certaine façon, protéger le peuple est un devoir, un honneur dont tu pouvais être fier. Mais le vide est bel et bien présent. Les sentiments bien trop absents. Et pourtant… Que s’est-il passé dans ta tête, lorsque tu as vu ce regard attristé.

Des larmes.
Était-ce des larmes dans son regard ?

Il tentait de cacher son visage. Il te montrait un instant de faiblesse. Comme si c’était désormais son tour. Comme si les Dieux souhaitaient que vous vous montriez l’un à l’autre. Que vous dévoiliez que derrière une arme, derrière un sourire, se cache une douleur qui n’arrive pas à partir.

Tu te détestes.

Tu te détestes, car que tu ne sais pas quoi faire. Tu ne sais pas comment agir dans ce genre de situations. Tu as toujours été stoïque face à la mort des autres. Face à leur haine, à leurs larmes. Face à ta propre peine. Tu ne sais pas consoler quelqu’un. Tu ne sais même pas sourire. Tu ne sais même pas rire. Alors que pouvais-tu faire ? En avais-tu seulement le désir ? Avais-tu envie, d’empêcher cette eau de couler ? Avais-tu envie de l’empêcher de pleurer ? Tu ne comprenais pas. Tu ne savais pas. Il y avait comme quelque chose au niveau de ton cœur. Il y avait une sensation étrange au niveau de ta poitrine. Tu n’avais pas envie de la décrire. Pas envie de la découvrir. Tu ne veux pas l’aider, c’est ce que tu dis. Tu ne ressens rien envers lui… Tu n’as aucune raison de ressentir quoi que ce soit.

Tu te souviens de son sourire.
De son rire.
De son présent.
De son étreinte.

Ah… Il ne méritait pas d’être traité comme ça.

Tu te lèves de ta chaise. Délicatement. Comme si malgré tout, tu restais calme dans la situation. Comme si tu restais encore imperturbable. Tu te mets face à lui. Un peu hésitant.

« Je… J’ai eu la vie plutôt facile. »

Faux.

« Je n’ai jamais eu besoin de choisir mon chemin. Je n’ai fait que prendre celui qu’on m’a donné. Si je protège les gens… C’est parce qu’on me l’a appris. Parce que ça fait partie de la doctrine de ma famille. Même si, je pense en tirer une certaine fierté, si j’ai commencé, c’est parce que je me suis contenté d’obéir. Je suis comme ça… Sur bien trop de sujets.»

Allait-il te détester ?

« Je ne suis qu’un lieutenant. Je ne suis qu’une arme… Tu m’estimes bien trop pour ça… Je ne sais pas du tout si je serais capable de sauver des orphelins. Je sais néanmoins que si j’en croise sur mon chemin… Je les aiderais parce que… C’est mon devoir. Parce que c’est normal pour moi… Même si… Même si je n’éprouve rien derrière… »

Ne devrais-tu pas te taire ?

« Je ne suis pas quelqu’un de bien. Les émotions me restent… Étrangères. Parce que je n’en ai pas besoin… Je n’ai pas eu ta vie. Je ne peux pas te comprendre. Je ne serais pas capable de comprendre un tiers de ce que tu ressens. Mais… Mais… Mais je vois bien que, tu es en peine… Et je ne suis pas doué pour ce genre de situations. Je ne sais pas consoler quelqu’un… Je ne sais pas aidé les autres… Néanmoins… »

Tu repenses à cette étreinte. Tu la ressens de nouveau. Comme si ce souvenir était gravé en toi. C’est hésitant que tes bras l’entourent. Tu es tremblant. C’est un geste que tu n’as jamais offert. C’est un geste qui t’est inconnu.

« Néanmoins, je me souviens de ce que tu as dit par rapport à ce geste… Que c’était quelque chose qui te faisait du bien. Je ne suis pas ton père adoptif. Et… Et je ne peux que t’imiter. J’espère simplement… Pouvoir t’aider un minimum. Parce que tu le mérites amplement. »

Et pas simplement parce qu’il est un de ces habitants que tu dois protéger… Non, c’était plus que cela.

« Pardon… »

Pardon de ne pas avoir été là. Pardon, parce que l’armée n’a rien fait. Pardon, parce qu’il a été abandonné… Pardon de ne pas savoir quoi faire de plus. Pardon de ne pouvoir qu’imiter. Pardon d'avoir le coeur si fermé... Pardon… Tu ne pouvais que dire pardon…