Bonne nuit…
Bonne nuit Ryoji…

Ta voix était trop tendre pour quelqu’un que tu connaissais depuis peu finalement. C’était étrange de lui dire de cette façon. Naturellement. C’était étrange de le souhaiter à une personne qui n’est pas un soldat. À peine une connaissance. Pourtant, c’était avec sincérité que tu lui avais souhaitée. Espérant qu’il saura se perdre dans les bras de Morphée. Qu’il pourra rêver. Que la nuit lui sera agréable. Tout comme lui, avait été tendre avec toi. Dans ses gestes. Ses mots. Pourquoi avais-tu apprécié qu’il te souhaite bonne nuit ? Qu’il dise ton nom ainsi ? Nul ne sait. Tu préférais éviter d’y penser. Tu préférais simplement aller dans la chambre. Souffler un bon coup. Tu t’étais assis. Regardant au travers de la fenêtre, toutes les étoiles dans le ciel. Cette sombre et pourtant, si chaleureuse soirée…

Ton cœur battait encore.
Il battait si fort.

Tu te laisses tomber lourdement sur le lit. La tête ailleurs. L’esprit perdu dans mille pensées. Tu posais ta main sur ta poitrine. Sentant ces vibrations. Tout résonnait dans ton corps. Tu n’entendais plus rien d’autre. Tu te demandais ce qui t’arrivait. Ce qui s’était se passer. Tu avais peur que le lendemain, tu ne te rendes compte que tout était un rêve. Et même si tout était vrai… Même si c’était la réalité… Alors elle n’en était que plus terrifiante. Car cette chaleur en toi, ne serait pas une illusion. Et tu ne pourrais pas faire comme si tu n’avais rien senti. Tu ne pourrais pas te réfugier dans un rêve… Tu ne pouvais que te poser des questions. Prétendre ne pas savoir les réponses. Ne pas les chercher.

Tout s’emballe.
Il y a trop d’informations.
Tu n’arrives pas à trouver le sommeil.
Tu regardes le ciel, comme si la lune pouvait t’aider.
Comme si les étoiles pouvaient te guider.
Pour aller où ?
Où veux-tu aller ?

Tu fermes les yeux. Tu cherches à te forcer. Tu veux t’abandonner à des songes. Mais tu n’en étais pas capable. Tu restais immobile. Perdu. Tu n’arrivais pas à rendre ton esprit clair. Tu essayais de respirer profondément. De complètement te détendre. D’oublier les sensations. Parfois, tu te maudirais de tant réfléchir. D’être incapable de mettre de côté toutes tes réflexions. Il te faudra attendre un bon moment avant que tu ne commences à partir. Avant que tu ne rejoignes un doux sommeil. Une nuit pleine de rêves. Des rêves dont tu ne te souviendras pas.

Dont tu ne te souviendras jamais.


Tu rouvres les yeux. Délicatement, tu te relèves. Les cheveux décoiffés. La tête encore dans les vapes. Tu te frottes les yeux, pour t’aider à mieux visualiser ce qui t’entoure. Tu essayes de reconnaître où tu es. Tu te souviens de tout ce qui s’est passé. Du son du violon qui t’avait mené jusqu’ici. De Ryoji… Tu poses ton regard, voyant que le soleil ne s'était pas encore levé. Tu n’avais pas perdu ton horloge interne. Toujours cette habitude à te lever bien trop tôt. Comme si tu étais au travail, alors que c’était un peu un jour de repos. Au moins, tu avais toute la journée devant toi… Tu te lèves difficilement, marchant tranquillement jusque dans le salon. Ryoji était là, sur le canapé, allongé. Il n’était pas retourné dans sa chambre ? Silencieusement, tu t’approches pour remettre correctement la couverture sur lui. Tu allais devoir éviter de faire trop de bruits.

Mais que pouvais-tu faire ?

Tu te diriges vers la cuisine, regardant les ingrédients disponibles. Heureusement pour toi, il y avait de quoi faire des baozis. Faire la pâte demande un certain temps, alors tu pouvais être content de t’être levé aussi tôt. Tu attaches tes mèches, faisant une queue-de-cheval. Tu retrousses tes manches, te laves les mains, empruntes un tablier et sans attendre, tu te mets au travail. Tu connaissais la recette par cœur. C’est la seule que tu arrives à faire. Sans qu’il n’y ait de catastrophes derrière. Oh, bien sûr, il y en a eu, lorsque tu apprenais. C’était un enfer. Pourtant, tu as persévéré. Tu t’es concentré dessus, sans abandonner. Aujourd’hui, c’était ta seule et unique spécialité. Ta seule réussite culinaire. Mais au moins, lorsque tu la faisais, pas de risque d’empoisonnement ou d’incendie. Non.

Tout était parfait.

Alors que la pâte était en train de reposer, tu préparais différentes garnitures. Des sucrés, pour le petit-déjeuner. D’autres aux légumes, si jamais Ryoji en voulait dans la journée, pour un repas ou pour sa route. Si lui t’avait offert un curry. Tu pouvais au moins lui offrir ça. C’était un moment calme. Les quelques rayons du soleil commençaient à caresser ta peau, alors qu’inconsciemment, tu chantonnais la musique que le violoniste t’avait jouée la veille. Tu mettais les petits pains farcis à cuire et en même temps que tu surveillais, tu nettoyais. Tu faisais la vaisselle. Tu rangeais. Finalement, tu entends une voix. Tu te retournes, posant ton regard sur le jeune homme qui venait de se réveiller. Cela se voyait au vu de son accoutrement. Lui aussi avait les cheveux en bataille, bien qu’avec ta couette, tu arrivais à mieux le cacher. Cependant, il n’avait plus le haut de son kimono. Il semblait à moitié endormi. C’était presque attendrissant.

« Oui, c’est moi. »

Ta voix était douce.
Un peu discrète.
Comme si tu ne voulais pas le brusquer dans son réveil.

« Bien le bonjour Ryoji… J’espère que tu as bien dormi. Et que je ne t’ai pas réveillé. »

Tu surveilles la cuisson des baozis.

« Je... »

Tu détournes le regard.

« Je t’ai préparé des baozis… J’ai vu qu’il y avait les ingrédients pour alors… Malheureusement, ce n’est pas encore prêt, alors, tu peux… Prendre le temps de te réveiller ne t’en fait pas. »

C’était un peu gênant comme situation. Tu n’avais pas l’habitude… Tu ne savais pas vraiment comment réagir… Est-ce que tu avais un peu trop fait comme chez toi ? Tu espérais que ton initiative ne l’avait pas dérangé.

Tu sentais les rayons de lumière caresser ton visage. Tu posais ton regard dehors, observant ces couleurs rosées, il était toujours agréable de voir le soleil se lever. D’observer les teintes de l’aube au travers des arbres et des feuillages. De voir le ciel avec ces petites notes chaleureuses. Tu avais pris l’habitude de voir un tel paysage chaque matin. Tu as ta petite routine. La routine d’un soldat. Il était toujours étrange de se lever alors qu’à l’extérieur, c’est comme s’il faisait encore nuit. Comme si le monde dormait encore. Mais pour avoir la chance d’assister à un tel spectacle, au final, ce n’était pas si mal. Et puis grâce à cela, tu avais pu préparer des baozis. Lorsqu’il avait souhaité goûter ta spécialité… Tu t’étais mis douter. Tu t’étais dit qu’il ne pourrait peut-être jamais les déguster si tu ne les faisais pas avant votre séparation.

Oui…
C’était peut-être la première…
Et dernière fois.

En le voyant arriver, tu avais rapidement pu voir différents détails. Ses cheveux en bataille. Ses yeux fatigués… Le haut de son corps qu’il te dévoilait. Les cicatrices qui étaient présentes. Qui le recouvraient. Tu avais décidé de faire comme si de rien n’était. Tu avais préféré reposer ton regard sur son sourire. Reposer ton attention sur ses mots. En le voyant légèrement rougir, tu ne pus t’empêcher de faire de même. Sans savoir pourquoi. Pourtant… Ce n’était pas désagréable de l’entendre te remercier. Même si au final ce n’était pas grand-chose… Enfin… Tu avais senti une certaine amertume… Il ne semblait pas avoir passé la meilleure des nuits.

« Cela devrait être prêt dans 10 minutes… Du coup... Hmm... Personnellement… J’ai eu du mal à m’endormir... »

Beaucoup.

« Mais j’ai fini par réussir… Je me suis réveillé avant le soleil.. Par habitude. Mon horloge interne, dirais-je. »

Timidement, tu poses tes yeux sur lui.

« J’espère que tu n’es pas trop fatigué malgré tout. »

Son visage te disait tout le contraire cependant. Et il semblait montrer une certaine gêne. Probablement parce qu’il s’était rendu compte de son torse-nu. De ses cicatrices mises à nu. Il semblait bien embarrassé allant même jusqu’à s’excuser. Avait-il honte de son corps ? Peut-être. Tu ne sais pas. Pourtant, tu pouvais comprendre d’une certaine façon. Le tien aussi, était une preuve de batailles, d’une éducation stricte. C’était le corps d’un guerrier dont certains s’en vanteraient. Tu préférais éviter de montrer, sachant que cela pouvait mettre mal à l’aise les autres… Mais Ryoji… Tu savais que son passé était différent du tien. Bien différent. Ce n’étaient pas les mêmes combats. Ce n’étaient pas les mêmes ennemis.

« Ne t’en fais pas. Tu n’as pas à t’excuser pour ça. C’est moi qui m’incruste, alors, tu es censé faire comme chez toi, te mettre à l’aise. Ne te sens pas gêné... »

Tes yeux montraient une bienveillance sincère.

« J’ai… Moi-même beaucoup de cicatrices… A-Alors... Et bien… »

Ne fais pas une telle expression...

Essayais-tu de le rassurer ?
En voyant son regard.
Son visage.
Avais-tu souhaité le consoler ?

« D-Dans tous les cas, tu devrais remettre ton haut avant d’attraper froid oui. »

Un soupir s’échappe de tes lèvres. Finalement, tu n’avais pas su finir ta phrase. Tu avais été profondément maladroit. Même si l’intention était là, tu te rendais bien compte que le résultat n’était pas convaincant. Tu ne savais pas trouver les mots. Tu n’avais pas su quoi lui dire exactement. Au moins, tu auras essayé… Tu espérais simplement ne pas l’avoir mis plus mal à l’aise qu’il ne l’était déjà. Peut-être, tu aurais dû retenir une telle remarque. Peut-être que tu aurais dû te taire. Tout simplement.

Tu toussotes un peu.

« E-Est-ce que tu voudras du thé avec les baozis ? J’en ai fait des sucrés… Pour le petit-déjeuner. S-Si tu as faim bien sûr. Les autres sont aux légumes, tu pourras les garder… En échange du curry d’hier... »

T’est-il difficile de trouver le sommeil en général ? Non. Au contraire. Tu as tant de pression, tant de poids sur tes épaules, de travail, qu’au moindre instant où tu te relâches… Tu pars. Tu pars si loin. Tu te laisses bercer par des songes. Par des rêves dont tu ne te souviens jamais. Alors pourquoi ? Pourquoi cela avait été si difficile cette fois ? Pourquoi tu étais resté, les yeux ouverts, à tourner sur toi-même ? Encore et encore. C’était un cœur trop vivant qui t’avait maintenu éveillé. Des sensations trop persistantes. Des questions que tu cherchais à oublier. Trop de petites choses pour toi, trop pour le fuyard. Trop pour que cela ne perturbe pas. Est-ce que cela avait été pareil pour Ryoji ? Est-ce que lui aussi, tous vos échanges lui avaient empêchés de fermer l’œil cette nuit ? Tu ne sais pas. Tu ne sauras probablement jamais.

Tu n’oserais jamais demander.

« Cela… Devrait aller. Je supporte plutôt bien la fatigue, j’imagine... »

Pourtant… Quelque chose n’allait pas. C’était une idée qui persistait. Qui te perturbait. Votre séparation. Tu pensais à cette longue journée qui vous attendez. À ce moment fatidique que vous ne pouviez pas esquiver. Pourquoi ? Pourquoi cette pensée t’envahissait ? Tu préférais te concentrer sur autre chose. Sur votre simple échange. Enfin… Simple n’est pas le mot. C’était maladroit. Tu étais maladroit. Alors que tu avais senti une honte chez lui, tu n’avais pas été capable de t’exprimer correctement. Tu n’avais pas été capable de le rassurer. Oui… Rassuré. C’est ce que tu avais cherché à faire, mais pourquoi ? N’es-tu pas un insensible ? Était-ce de l’empathie ? Pouvais-tu seulement le confirmer ? Tu ne savais pas. Ce fut si naturel pour toi. Si complexe… Tu avais préféré changer le sujet de discussion. Arrêter tout de suite de creuser ta tombe.

Mais tes mots avaient réussi à lui esquisser un sourire.
De l’honnêteté.
Une vérité.

« Je vois… »

Tu n’avais pas osé plus parler. Même si ses paroles te travaillaient encore. Il semblait vouloir passer à autre chose… Sur le thé par exemple. Tu allais commencer à le préparer, mais ses paroles te laissaient un peu perplexe.

« A-Adorable ? Ce n’est… Cela n’a rien d’adorable, c’est normal… Tu n’as pas à me remercier pour ça. »

Après tout, c’était lui qui avait fait tant pour toi. Tu ne faisais que le minimum…. Alors que Ryoji regardait les petits baozis, tu commençais à préparer le thé. Te rappelant exactement où il avait tout rangé la veille. Tu faisais tout avec soin. Concentration. Tout en l’écoutant.

« Je t’écrirais la recette détaillée. »

Et il n’avait fallu que d’un mot pour rappeler la réalité. Pour se souvenir où tu allais. Que tu n’avais peut-être pas d’avenir.

« Hmm… Oui… Mais, dirons-nous que je vais d’abord prendre le temps d’aller jusqu’à Argos et me poser un peu en ville. Je vais peut-être attendre avant d’entrer dans la tour. Le temps de me préparer. De savoir quand ce sera le bon moment…»

Un silence.

Ta vie allait peut-être se finir. Cela ne t’aurait pas dérangé pourtant… Mais désormais, il y avait cette promesse… Désormais, il y avait Ryoji. Ses mots de la veille s’étaient ancrés… Tu repensais au fait qu’il serait triste si tu mourrais… Est-ce que ta mort lui laisserait une nouvelle cicatrice ? Ah… Ses mots de tout à l’heure ne te travaillaient encore pas vrai ? Pourquoi ? Est-ce que sa mentalité n’était pas bonne ? Est-ce que quelque chose te dérangeait ? Cela ne te regardait pas. Cela ne devrait pas te préoccuper.

Voudrais-tu essayer de l’aider ?
De l’empêcher d’avoir de si sombres pensées…
Non.
Tu n’en es pas capable pas vrai ?

Une période qu’il souhaitait oublier ? Pouvais-tu comprendre un tel sentiment ? Un tel désir ? Toi qui avais oublié comment sourire. Oublié, comment apprécier la vie. Ce que c’était vivre… La différence, c’est que tu ne l’as jamais souhaité. Tu n’as jamais eu envie de finir ainsi. Tel un monstre vide. Vide d’émotions. Vide d’empathie. Qui exécute simplement les ordres sans se poser de questions. Qui entassent les cadavres sans éprouver le moindre remord. Qui voit ses camarades tombés, sans éprouver la moindre tristesse, le moindre regret… Non… Tu ne pouvais tout simplement pas le comprendre. Peut-être, tu n’en seras jamais capable d’ailleurs… Tu le sais. Il a ses cicatrices. Il a eu sa vie… Pourtant….

« Je m'écarte un peu... Mais... Je… J’aimerais te dire quelque chose par rapport à… Ce que tu as dit plus tôt. Même si, c’est peut-être tardif de ma part. »

Est-ce que tu t’en voulais de ne pas avoir plus réagi avant ?

« Tu sais… Par rapport à tes cicatrices… Peut-être que tu ne veux ni les voir ni les montrer, mais… Si tu n’arrives pas à oublier cette période… C’est peut-être parce qu’elle reste importante pour toi… Parce qu’elle a forgé ton toi d’aujourd’hui… E-Enfin, je ne dis pas que ce soit une bonne chose que tu aies vécue des choses… Douloureuses. »

Même si pour toi la douleur, c’est une notion particulière….

« S-Simplement que… Tu n’as pas à avoir honte. Que c’est aussi grâce à cela que... »

Que nous nous sommes rencontrés.

« Que tu as pu rencontrer le seigneur de Nordhal. Ta nouvelle figure paternelle. Que tu as pu entamer un voyage et découvrir des pays, des cultures différentes. »

Tu détournes le regard.

« E-Enfin je ne cherchais pas à faire la morale ou quoi que ce soit… Et je n’aurais peut-être pas dû ramener la conversation dessus… C’est juste… Que ça m’ait subitement revenu en tête et… Et j’ai préféré dire mes pensées.»

Entre la tour et ça. Tu n’étais pas doué pour les conversations joyeuses et gaies.

« Désolé. Tu peux oublier... »

Soupir.

« Je vais mettre la table… Les baozis vont bientôt être prêts. »

Tu ne comprends plus rien. Ce que tu essayais de dire. De faire. Ce qui se passait dans ta tête.

Devais-tu vraiment aller dans cette Tour meurtrière ? Toi qui n’a aucun vœu. Toi qui n’a aucun désir… Oui… Il suffisait qu’on te le demande pour que tu t’exécutes. Sans douter sur si c’était une bonne idée ou non. Si ce n’était pas trop risqué. Si tu le voulais… Mais voilà, tu es comme ça. Petite poupée qui obéit. Qui se laisse manipuler. Petite poupée bien trop entêté, que personne ne pouvait arrêter… Ryoji avait probablement compris que rien ne te ferait faire marcher arrière. Que rien ne te ferait reculer. Il ne pouvait que te dire de profiter d’un bon thé… Peut-être le dernier. Tu ne savais pas vraiment quand serais-tu vraiment prêt pour entrer dans cette Tour. Tu ne savais pas combien de temps il te faudrait. Peut-être devrais-tu d’abord profiter d’Argos ? Visiter la ville. Ce serait la première fois, autant voir un peu. Avant d’en manquer l’occasion. Oui… N’avais-tu pas quelques trucs à faire ? Pour ne pas avoir de regrets ? Non… Rien ne te venait en tête. Ou du moins… Avant cette rencontre….

Tu voudrais faire durer ces instants plus longtemps.
Profiter un peu plus de sa présence.
Était-ce de l’attachement ?
Ou était-ce la solitude qui commençait à trop te ronger ?

Pourtant, tu avais l’impression d’avoir brisé ce doux instant. Tu t’étais peut-être mêlé de quelque chose qui ne te regardait pas. Tu avais peut-être dis des mots qu’il ne fallait pas. Tu ne le comprends pas. Tu es différent de lui. Pouvais-tu te permettre ce genre de remarques ? Devais-tu oser parler ? Tu l’avais fait, mais derrière tu n’avais pas assumé. Tu fuyais. Lâchement. Te disant que tu en avais trop dit. N’ayant pas confiance en tes paroles. Après tout, rien de tout cela n’avait de sens. Tu n’arrivais même pas à savoir pourquoi tu avais voulu lui dire ça. Pour quelle raison ? Tu aurais du te taire. C’est ce que tu te dis. Tu aurais du t’arrêter bien avant. Abandonner ces pensées. Passer à autre chose. Ne pas revenir sur le sujet. Et si tu ne faisais qu’agrandir ses blessures ? Et si tu ne faisais que le replonger dans ces souvenirs douloureux ? Et si tu le blessais encore plus ?

Pour qui te prenais-tu ?

Tu t’étais reconcentré sur tes baozis. Sur la table à installer. Tu voulais changer de sujet. Tu ne voulais pas assumer. Mais il y avait ce silence pesant. Qui semblait t’écraser. Tu n’osais plus le regarder. Tu ne voulais pas voir quelle expression il abordait. Pourquoi ? Aurais-tu peur de voir de la haine ? Du dégoût ? Ou rien justement… Avais-tu peur qu’il t’abandonne à son tour ? Peut-être. Qui sait quelle est la réalité au plus profond de ton coeur ? Là où sont cachés toutes tes blessures… Mais Ryoji ne te laissera pas fuir Oz. Tu aurais dû le comprendre depuis cet instant. Depuis ce moment…. Tu l’entends se rapprocher. Tu le sens saisir ton col. Te forcer à le regarder.

Tu as cette impression de déjà-vu.

Yuan qui saisit ton col.
Qui te crie dessus.
Puis ce jour fatidique.
Son regard plein de haine.
De tristesse.
Ses mots.
Sa silhouette qui disparaît.
Qui te laisse derrière.

Tout t’était revenu en quelques secondes. Qu’exprimait donc ton regard à ce moment-là ? Qu’avait-il exprimé, durant ces quelques secondes où vos regards s’étaient croisés ? Tu n’avais pas osé dire un mot. Tu t’étais crispé. Prêt à voir un visage austère. Prêt à l’entendre rejeter ton être. Paralysé. Étrangement apeuré à cette pensée. À l’idée de revivre un tel souvenir. À l’idée d’entendre ces mots de la bouche de Ryoji. Pourtant, rien de tout cela n’est arrivé. À la place, ce sont ses lèvres qui se posent contre les tiennes. Encore une fois. Un peu plus longtemps. Bien assez, pour que ton cœur s’affole. Que ton visage se teinte. Que les questions se bousculent. Les sensations de la veille te revenaient. Tu les revivais. Pourtant, c’était différent. Tu le savais. Avait-il vraiment cherché à te faire taire ? Alors que le silence était déjà présent ? Tu le regardes un peu déboussolé. Complètement perdu.

« H-Hein ? Je.. Je ne parlais même pas ? Ou bien, c’est par rapport à ce que j’ai dit ? »

Qu’avait-il éveillé ?
Tu ne voulais pas savoir.
Qu’avais-tu dit ?
Ah, tu le savais, tu aurais dû te taire.
Enfin…
Tu pensais que c’était ce qu’il te reprochait.

En l’entendant parler, tu as du mal à comprendre… Ce que tu venais de dire était vrai… Alors pourquoi revenir sur tes paroles ? Pourquoi fuir ? Pourquoi lui dire d’oublier ? Pourquoi ne pas assumer ? Tu baisses les yeux. Trop de choses venaient de se passer en même temps. Entre un rappel de ton passé, un baiser, ses mots.

« C’est… Que...Je… »

Tu te perdais complètement. Tu ne savais plus où te donner la tête. Où regarder ? Quoi penser ? Pourtant, tu entendis une phrase. Une phrase qui te permit d’un peu t’éclairer. Tes paroles lui avaient fait du bien ? Tu devais être fier de toi. De tes conseils. Que c’est pour cela que tu étais un bon lieutenant. Que lui n’en doutait pas. Avais-tu vraiment réussi à le rassurer ? Avais-tu vraiment réussi à l’aider ? À dire des mots justes. Des mots dont il pourrait se souvenir pour ne plus avoir honte. Au moins un peu. Toi ?

« Mes conseils en tant que lieutenant et ceux-ci n’ont rien à voir… Je… C’est pour ça que je préfère retirer ce que j’ai dit… »

Soupir.

« Parce que… Parce que je ne sais rien de ta vie… Enfin… Pas grand chose. Et… Peut-être en ramenant le sujet, j’aurais simplement ravivé des blessures… Mais je n’y ai pensé qu’après avoir parlé donc… E-Enfin… Si tu ne l’as pas mal pris tant mieux.

Alors qu’il recule, toi, tu restes planté debout, quelques secondes. Quelques instants. Rougissant quelque peu à son clin d’œil. Hochant simplement la tête. Détournant les yeux pour finalement mettre les baozis et le thé sur la table et t’installer face à lui. Ton cœur avait énormément de mal à se calmer. Peut-être que te concentrer sur la nourriture t’aiderait ? Tu pris tes baguettes, posant quelques baozis dans vos assiettes. Lui servant une tasse de thé.

«B-Bon appétit. Ah… S’ils ne sont pas à ton goût, n’hésite pas à me le dire. Par contre, ils doivent être particulièrement chaud alors, fais attention à ne pas te brûler.»

Se brûler n’a rien de plaisant. C’est désagréable. Douloureux. Ça fait mal… Ah… Mais tu sens encore cette chaleur si persistante.
Une douce brûlure qu’il avait posée sur tes lèvres.
Pour la deuxième fois.
Une douce et légère brûlure.
Gravée en toi.

Les cicatrices restent. Elles sont gravées dans notre cœur, notre chair. Même lorsqu’on les croit inexistantes. Même lorsqu’on les ignore depuis bien longtemps… Tu avais beau faire semblant. Prétendre. Te protéger derrière un mur…. Au final, les souvenirs persistent. Ils t’affectent, d’une certaine manière. Tu auras beau fermer les yeux. Faire le sourd là-dessus. C’était la vérité. C’était ta réalité… Tu es et tu as été blessé. L’abandon de Yuan t’a fait changer. Sur certaines choses. Désormais, tu faisais un peu plus attention à ce que tu disais. Tu ne dévoilais pas tout. Tu taisais certaines pensées… Alors pourquoi là ne l’avais-tu pas fait ? Pourquoi tu n’avais pas pu t’en empêcher ? Tu avais tant regretté. Tes mots. Tu t’étais instinctivement préparé à ce qu’il te rejette. Lorsqu’il a saisi ton col. Tu t’es dit que tu l’avais énervé.

Mais non.

Ses gestes.
Ses paroles.
Il te surprenait encore.
Toujours plus.

Tu fus un perturbé par son baiser, pourtant, tu finis par réussir à t’exprimer. Exprimer le pourquoi, tu avais fui. Pourquoi tu n’avais pas assumé. Mais Ryoji te pose une question à la place. Pourquoi est-ce qu’il prendrait mal ce que tu as dit ? Il y aurait tant de raisons. Tant de raisons pour qu’il t’en veuille. Parce que tu te mêles de ce qui ne te regarde pas. Tu te permets des remarques, sans savoir réellement ce qu’il a vécu. Sans vraiment comprendre ce qu’est la douleur. Plein de personnes pourraient s’énerver pour ça. De se prendre des morales alors que l’autre ne sait rien. Tu aurais pu lui dire. Tu l’aurais fait. Tu avais même essayé. Si derrière un sourire mesquin, il te dit qu’il pouvait te faire taire à nouveau.

Tu avais tout de suite scellé tes lèvres.
Quelque peu embarrassé.
Tu détournes le regard.
Tu préfères éviter de lui répondre finalement.

« P-Pas besoin. »

N’était-ce pas étonnant ? Même s’il t’avait volé un second baiser, tu ne lui en voulais toujours pas. Tu ne t’énervais toujours pas. Ce n’était pas déplaisant. Simplement gênant. Simplement stressant. Juste, bien trop étrange. Trop nouveau pour toi. Pourquoi au final, acceptais-tu ce geste ? Pourquoi tu ne le rejetais pas ? Tu n’y arrivais pas. Tu n’en étais pas capable. Mais, tous deux, vous vous étiez reconcentrés sur votre petit-déjeuner. Cela t’arrangeait bien. Ça t’évitait des problèmes. Ça t’évitait de te plonger dans ces pensées. Pas sûr que ça t’aide réellement. Lorsque tu sentais la chaleur du thé et des baozis, tu repensais à celle sur tes lèvres. Tu soupires longuement. Tu essayes de balayer tout ça.

Tu pourrais presque envier Ryoji.
Lui semblait être apte à passer à autre chose.
Sans se prendre la tête comme toi.

Mais son comportement était ce qui te maintenait ancré dans la réalité. Surtout ses mots. Son avis. Tu l’avais regardé attentivement mangé un de tes mets. Tu attendais sa réaction. Tu avais finement observé son sourire. Son compliment t’était venu avec sincérité. Savoir que cela lui plaisait… Est-ce que cela te rendait heureux ? N’éprouvais-tu pas un peu de joie ? Dur de savoir… Cependant, tu avais senti tes épaules se détendre un peu. Tu avais senti une petite douceur derrière ta poitrine. Une douceur qui se reflétait dans tes yeux.

« Tant mieux… Prends-en autant que tu veux. »

C’étaient les premiers baozis qu’il savourait. Les tiens… Tu savais qu’ils étaient bons. C’était ta spécialité et, nombreux sont ceux qui t’ont complimentés. Parfois jusqu’à te demander à ce que tu ne cuisines rien d’autre. Si Ryoji n’avait rien pour comparer, tu devrais malgré tout te sentir satisfait. Te dire qu’à sa première bouchée, il en avait goûté des bien faits. Mais alors que tu commençais toi-même à déguster, les paroles du jeune homme prennent toute ton attention. Il disait qu’il avait vraiment apprécié ta compagnie. Que ce soit la veille, ou ce matin, au réveil. Il te disait qu’il aimerait bien refaire ça. Dans un futur… Un futur que tu n’auras peut-être jamais. Sa façon de le dire était bien tendre.

Tu détournes le regard.

« Je… Je ne sais pas ce que j’ai fait pour que tu m'apprécies, mais… Et bien... »

Pense au positif.
Essaye d’imaginer un doux avenir.

« Q-Quand tu veux... »

Tu ne pouvais pas dire « je veux. »

« Ta compagnie est... »

Agréable ? Appréciable ? Serais-tu capable de dire cela ?
Non.
C’était trop tôt.

« Ta compagnie ne m’est pas désagréable. »

Tu oses finalement poser tes yeux dans les siens.

« À l’avenir… Nous pourrons, repasser un moment ensemble… Je pourrais t'aider à te loger si jamais... E-Enfin, si c'est à Hefei, mes parents me l'autoriseront. A Nagano ce serait un peu complexe.»

Si je sors vivant.
Si tu te souviens encore de moi.
Si tu ne m’oublies pas avant.
Si… Si tu veux réellement recroiser mon chemin.

Tu ne peux pas t’attacher. Pas aussi facilement. Pas aussi rapidement. Parce que tu ne l’avais jamais fait auparavant. Parce que tu n’as jamais avoué qu’une personne est importante pour toi. Parce que tu n’as jamais avoué aimer quelqu’un. L’apprécier. Tu gardes bien des secrets. Des secrets pour les autres. Pour toi-même. Et tu es persuadé n’avoir aucune empathie pour qui que ce soit. Tu es persuadé être incapable de t’attacher. Pourtant, tu savais que ce serait mentir de dire, que sa compagnie ne t’est pas agréable. Ce serait mentir de dire, que son sourire n’est pas appréciable. Que ces moments passés avec lui… N’apportent pas une quelconque chaleur en toi.

Et tu voudrais que cet instant ne s’arrête jamais.
Tu voudrais que ça dure une éternité.
…
Quelle étrange pensée.

Ryoji avait peut-être raison après tout… Il y a des choses qui ne s'expliquent pas. Comme le pourquoi tu aimes sa musique. Pourquoi il t’apprécie… Pourquoi se prendre la tête là-dessus ? Pourquoi cherchais-tu des réponses ? Pourquoi tu te posais toutes ces questions ? N’es-tu pas ce garçon qui se laisse porter par le courant ? Ce jeune homme qui se laisse guider par les autres, par la vie ? Oui. Il est vrai. Mais, lorsque cela concerne de près ou de loin les sentiments… Tout semble te perturber. Tout semble sur le point de s’écrouler. Dans toute cette peur, n’avais-tu pas un peu de curiosité ? N’avais-tu pas envie de découvrir ce que cela faisait ?

Dire, je t’aime.
Dire, je t’apprécie.
Dire que, ta compagnie m’est agréable…

« Tu as sans doute raison… Peut-être qu’ici… Ce n’est pas nécessaire. »

Le plus important, n’était-ce pas de profiter après tout ? Profiter de l’instant. Le savourer. Comme vous étiez en train de déguster les baozis que tu avais préparé. Comme le meilleur des thés. En pensant à un avenir meilleur. Un avenir où tu survivrais. Où vous pourriez vous retrouver. En pensant à du positif. En mettant de côté ces pensées trop fatalistes… Elles te rongent pourtant. Mais tu veux les ignorer. Tu fais tout pour les ignorer. Tu ne veux pas rendre ce moment morose. Tu ne veux pas tout gâcher. Tu ne l’as que trop fait auparavant… Tu en as trop subi les conséquences…

« Oui… À Nagano, ce n’est pas trop compliqué de trouver un lieu où loger. »

Tu poses timidement tes yeux sur lui.

« Mais… Si tu veux qu’on refasse quelque chose comme… Hier soir et ce matin… J’aurais tendance à dire que dormir au même endroit est préférable… E-Enfin… J’imagine... »

Prendre un bain au son du violon. Te faire coiffer devant le feu. Te faire voler ton premier baiser… Lui remettre la couverture durant son sommeil. Lui préparer le petit-déjeuner. Le saluer alors qu’il est encore à moitié endormi…

Un soupir s’échappe de tes lèvres alors ton regard se pose sur le jeune homme. Tu l’observes se lever après avoir fini son assiette. Tu l’écoutes te remercier. Te complimenter.

« De rien. Ceux aux légumes sont pour toi. Tu les mangeras quand l’envie te prendra. »

Tu restes assis, immobile, te demandant ce qu’il était en train de faire. Qu’est-ce qu’il cherchait. À quoi pensait-il ? Tu ne sauras jamais. Jusqu’ici, il t’avait toujours surpris. Plus que de mesure. Et alors qu’il s’approche de toi, il quitte bien vite ton champ de vision. Tu sens sa présence derrière toi. Tu le sens poser quelque chose autour de cou. Un pendentif… Une petite ficelle où était accrochée une pierre sombre. Une pierre qui avait un petit signe gravé sur elle. Une petite touche dorée, dont la signification t’échappait. Mais, Ryoji ne dit pas attendre plus longtemps tes questions. Tu n’eus même pas le temps de les poser.

Il avait pris les devants.
Comme bien souvent.

Quelque chose de typique à Nordhal. Une rune. Une Algiz. Un objet protecteur. Un nouveau cadeau qu’il t’offre.

« Mais- »

Tu le sens être en train de nouer le pendentif. Comme s’il te disait de te taire. Que tu devais l’accepter. Au final, tu étais resté silencieux. Le laissant faire. Sentant ses doigts au niveau de ta nuque, sentent le fil se lier. Tu saisis la pierre, délicatement. Tu observes le symbole. Avec une attention toute particulière. Comme si c’était un objet particulièrement précieux. Comme si derrière il y avait un diamant. Peut-être que ce n’était que du folklore. Peut-être que celle-ci n’aurait aucun effet. Pourtant, tu persistais à croire qu’elle te donnerait un peu de force pour survivre. Un peu plus de force pour protéger ta propre vie… Pour que tu puisses tenir ta promesse.

« Merci... »

Un mot si sincère.
Sorti comme un murmure.
Un secret.

Tu te retournes pour poser ton regard sur lui. Pour plonger tes yeux dans les siens. Avec cette douceur. Cette profonde gratitude.

« J’en prendrais soin. »

Tu ne pus maintenir le contact visuel que quelques secondes.

« Q-Quand dois-tu partir ? Personnellement… J’ai tout mon temps alors… »

Essayais-tu de lui dire que tu voulais rester avec lui le plus longtemps possible ? Que tu voulais profiter de cet instant qui n’appartenais qu’à vous ? Voulais-tu, repousser votre séparation ? Repousser les au revoir. Éviter les adieux.

Tu n’offrais que peu dans la vie. Tu recevais trop peu depuis que tu étais petit… Mais certaines personnes t’offrent des objets sincères. Certaines personnes, t’offrent un peu d’affection, quelque chose qui te manque terrible, dont tu as besoin inconsciemment. Tandis que d’autres, veulent te protéger. De quoi exactement ? De durs combats que tu devras mener. De démons qui pourront te dévorer. Tu as tant d’ennemis. Il y a tant de monstres qui pourraient te dévorer. Que ce soient ceux dans la nature, ou ceux que tes parents ont crées. Tu as d’abord eu un masque. Maintenant te voilà avec un pendentif. Du noir et du doré, encore une fois. Ce sont des couleurs qui te vont bien, il est vrai. Si pour le présent d’Orion, tu savais que c’était fait exprès… Cette petite pierre, ne t’allait bien que par pur hasard. N’était-ce pas amusant ? Comme si elle t’était destinée. Comme si cela avait été écrit.

Comme votre rencontre.

Peut-être que ce n’était qu’une pierre. Mais tu avais réellement l’envie d’en prendre soin. Oui. Envie… Tu avais bien compris avec ton masque, que les objets pouvaient avoir une valeur particulière. Surtout lorsqu’ils ont une signification derrière. Qu’ils sont porteurs d’un message, du souhait de ta survie. Tu ne contrôles pas tout. Surtout en combat. Mais tu feras attention. Tu devais faire attention. Ne serait-ce que par respect envers Ryoji et son acte généreux. Donner n’est pas aisé, tu le sais. Et il t’avait tant donné….

« Je suis calme de nature, mais… Qui sait, peut-être qu’elle me protégera… Je.. Je préfère y croire... »

Tu voulais croire en ses mots.
Croire en son geste.
Croire en son désir de vous revoir.
Croire en cette promesse.

Mais pour réaliser cette promesse. Il fallait par la séparation. Moment que tous deux, souhaitiez repousser. Ta question t’avait trahi là-dessus. Une confession timide. Et alors qu’il te dit que son bateau était le lendemain vers 17h30… Tu te disais être chanceux. Que cela te permettrait d’un peu plus profiter. Ryoji finit par te demander la même chose. Par te dire que tu devrais éviter de prendre la route trop tard. La nuit, tout est plus dangereux après tout… Et, voilà que le jeune homme fait une proposition particulière… Surprenante. T’accompagner ? N’avait-il pas peur de faire un trop grand détour ? Était-ce sur son chemin ? Tu ne savais pas. Mais s’il te proposait, c’est qu’il pouvait…

Le voulais-tu ?
Être accompagné ?

« Je... »

Ton cœur bat d’une façon étrange.
Comme s’il accélérait.
Pour une raison que tu ignorais complètement.

« Si cela te va… »

Tu ne pouvais pas dire que tu voulais quelque chose. Tu ne pouvais pas dire, j’aimerais que tu m’accompagnes. Mais ta façon de le dire. Le timbre de ta voix. Tout était un message.

« Personnellement, je n’ai pas de limites de temps alors… Voyager de nuit ne me dérange pas non plus. En fait, je n’avais pas vraiment pensé à l’heure où je devais partir donc… Je m’adapterais à toi… Si tu prends du retard parce que tu m’as accompagné sur un bout du chemin… Je me sentirais responsable. »

Soupir.

« Enfin… Je te laisse décider quand nous partirons du coup... »

Après tout, tu n’aimes pas faire des choix de base.

Croire. Pouvais-tu croire ? Croire en des choses si étranges. Si folkloriques. Comme tu crois aux Dieux… N’était-ce pas finalement de l’espoir ? N’était-ce pas cette notion si particulière, que tu connais à peine ? N’étais-tu pas en train de chercher un peu de lumière ? Une petite lueur qui te guiderait. Oui… Tu espères… Tu espères que cette pierre saura té protéger. Tu espère qu’il ne t’oublieras pas. Que tu pourras un jour le retrouver. Lui donner cette lettre. Tenir ta promesse. C’était une pensée stupide… A tes yeux cela l’était. Mais tu ne pouvais pas contrôler cela. Tu ne pouvais que te demander pourquoi. Pourquoi tu avais ces idées. Pourquoi, tu n’affrontais pas simplement la réalité. Comme tu en as l’habitude. Comme tu l’as toujours fait.

Oui.
Pourquoi ?

Savoir qu’il allait t’accompagner un peu… Te faisait un drôle d’effet. Cela faisait un moment que tu n’avais pas été en compagnie de quelqu’un aussi longtemps. Que tu n’avais pas avancé sur la route, tout en ayant une présence à tes côtés… Il faut dire, en dehors de tes missions, ou des moments que tu passes avec tes soldats… Cela arrive bien rarement. Tu es seul. Bien trop souvent. Sur le chemin que tu empruntes, il n’y a personne. Aucun murmure. Aucun son… Seule la solitude t’embrasse. T’enlace. Une grande compagne qui, en ce jour, semblait bien loin. Devrais-tu en être heureux ? Devrais-tu t’en réjouir ? Ah… Tu ne sais pas ce que veulent dire ces choses. Tu savais simplement que, ce n’était pas désagréable… Que l’idée n’était pas déplaisante.

« Je ne sais guère s’il est préférable de voyager seul ou non. J’ai l’habitude d’être seul après tout… Mais… Cela reste plus pratique c’est un fait. Et puis, les gens ont tendance à dire qu’avoir quelqu’un à ses côtés, rend le chemin plus appréciable… Donc… J’imagine que c’est le mieux pour nous deux. »

Ton regard se posait sur lui. Alors qu’il prenait les assiettes et allaient les nettoyer. Tu restais assis, ne sachant pas quoi faire. Écoutant simplement ses paroles. Deux heures… Cela semblait correct en effet. Tu aurais le temps de tout ranger. Le temps de te préparer. Lui aussi avait bien des choses à faire, et il était compréhensible qu’il veuille rendre la maison propre. Ce n’était pas le bazar, mais autant faire les choses bien. Tu as parfois ce côté perfectionniste, ce qui te permettait de comprendre ce qu’il voulait dire. Pour une fois.

« Pas de soucis. Mais… Si tu as besoin d’aide pour ranger, demande-moi. »

Puis une petite remarque.
Un petit rire.
Sur ton visage, une gêne particulièrement visible.

« J-Je ne vais pas m’endormir cette fois-ci. »

Si possible, tu préférais qu’il oublie que tu aies fait une telle chose. Etait-ce un souvenir embarrassant ? Et bien… Te dire que tu t’étais endormi dans le bain, chez quelqu’un… Ce n’était pas quelque chose dont tu pouvais être fier ou parler comme si de rien était. Pourtant cela restait un doux souvenir. Ce fut un moment reposant pour toi. Te laisser porter par sa musique. Arrêter de penser quelques minutes. Quelques secondes… Ah… Le son du violon… Tu espérais avoir l’occasion de l’entendre de nouveau. Peut-être à votre prochaine rencontre. Après tout, n’était-ce pas son morceau qui t’avait guidé jusqu’à lui ?

N’était-pas ses notes qui t’avaient envoûtés ?

«  Je vais juste me laver rapidement. »

Tu te diriges vers ta chambre. Tu prends ce qu’il faut. Tu te diriges finalement dans la salle de bain. Tu retires ton kimono. Défais ta queue-de-cheval. Néanmoins, tu gardes ton nouveau pendentif autour du cou. Tu n’osais pas vraiment le retirer.

Peut-être n’en avais-tu tout simplement pas l’envie…

Cette fois-ci, tu fus bien plus rapide. Tu t’étais tenu à ce que tu avais dit. Un simple petit lavage. Tu avais profité un peu du bain. Peut-être 10 minutes. Pas plus. Peut-être avais-tu eu peur de t’endormir si jamais tu décidais de rester plus longtemps… Après tout, la fatigue était toujours présente. Ces semblants d’émotions aussi. Un soupir traverse tes lèvres, tandis que tu remets ta tenue habituelle. Tu accroches ton masque à ta ceinture. Tu poses tes bijoux autour de ton cou. Désormais, tu avais une petite touche de Nordhal sur toi. Un nouvel accessoire dont tu comptais en prendre soin. Tu ranges tes quelques affaires, tu prends le temps de sortir un papier et de l’encre pour noter différents trucs. Puis tes yeux se posent sur un petit quelque chose…

Une idée te vient en tête.

La chambre désormais rangée, c’était comme si tu n’y étais jamais passé. Comme s’il n’y avait aucune trace de ton passage ici… Tu t’en vas retrouver Ryoji, sereinement.

« Me revoilà. Je pose mes affaires là en attendant. Je vais me maquiller ici, pour que tu puisses prendre la salle de bain… Mais avant...»

Tu t’approches de lui, lui tendant deux papiers.

« Tiens… Voilà la recette détaillée des baozis. Et l’adresse de la boutique dont je t’avais parlé hier. Il me faudra tes mesures, si tu n’as pas oublié... »

Puis finalement, tu lui poses dans sa main un petit bracelet. Un fil rouge avec une pierre de Jade accrochée dessus. Une pierre qui te représente finalement.

« J’avais ça dans mes affaires… Le jade a une place particulière dans ma famille. »

Rien que dans ton nom, cette pierre avait sa place.

« Ce n’est pas grand-chose… Et pour être honnête, si je ne l’avais pas trouvé par hasard… Je n’y aurais pas pensé… Mais… Prends ça en guise de remerciement. Pour ton accueil et ton pendentif… E-Enfin, si tu ne le veux pas, il n’y a pas de soucis. Je ne te forcerais pas. »

Peut-être qu’il le prenait… Il pourra garder un souvenir de toi. Peut-être qu’ainsi, il ne t’oubliera pas… Peut-être était-ce que tu espérais au fond de toi.

Jade… Le Jade est une pierre somptueuse. Sa douce couleur fait penser au tatouage sur ton bras… Et ce n’est pas un hasard. Elle a une signification particulière. Une pierre que tu as tant vue dans ton domaine. En petits objets. Ou bien sur ce blason, partout afficher… Emblème de perfection. Emblème de vertus. Immuabilité. Bienveillance… Pureté… Honnêteté… Ce sont des vertus qu’on t’a répété encore et encore. Qu’on t’a demandé d’avoir… N’était-ce pas à cause de cela que tu avais peur de changer ? Que tu avais peur de te découvrir. Pouvais-tu réellement être pur, lorsqu’on t’apprend à tuer, encore et encore ? Lorsque tes mains se couvrent toujours plus de sang. Honnête… C’est quelque chose que tu as bien du mal à faire. Tu as appris à mentir. Pour préserver les autres de toi… Pour ne pas être rejeté une nouvelle fois. Et après, tu prétends ne pas être bienveillant… Tu prétends ne pas être une bonne personne… Oui… C’est à toi que tu mens le plus. C’est envers toi-même que tu es le moins honnête.

Le Jade est symbolique dans ta famille.
Il est dans ton nom.
Gravé dans ta tête.
Sur ton corps.
Mais de quelle façon le vois-tu ?

Pour toi, cette pierre s’inscrit dans ta doctrine. Ce qu’elle signifie… Tout cela, on ne te l’a que trop appris… Au final, tout ne reste que des mots. Ce ne sont que des informations que tu as enregistrées, telle une machine. Sans y porter un réel intérêt. Peut-être qu’à tes yeux, cet emblème n’était rien d’autre qu’un poids, plus lourd encore, à chaque jour qui passe. Peut-être que cette pierre ne faisait que te rappeler ce qu’on veut de toi. Ce qu’on t’a pris. Tout ce qu’on t’a dérobé, pour que tu puisses te rapprocher de cette perfection. Peut-être… Tu ne saurais pas le dire toi-même. Mais parce que tu connais tant le Jade, tu sais aussi, que sa signification ne se limite pas qu’à cela. Qu’elle a une idée plus douce. Qui mérite d’être entendue. Qui mérite d’être donnée. Si pour toi cette pierre te rappelle ce que tes parents attendent de toi… Tu sais parfaitement, qu’elle a des bienfaits sur autrui… Et si ce n’est pas toi qu’elle peut guérir, peut-être pourra-t-elle aider Ryoji…

Le Jade apporte de l’équilibre.
Il aide à affronter les difficultés de la vie.
Il porte chance.
Lui permettra peut-être de connaître le bonheur.

« Je ne vais pas te dire tout ce que ça représente, je ne suis pas sûr que cela t’intéresse… Mais c’est une pierre qui a beaucoup de significations, comme l’Onyx…»

Cela lui pansera peut-être ses blessures.
Les anciennes.
Les prochaines.
Que tu survives ou non.

Tu le vois rougir. Te remercier presque timidement. Un peu en bégayant. Ça te gênait un peu, mais cela rendait ton regard plus tendre.

« Ce n’est pas grand-chose… C’est une pierre très présente dans la doctrine de mon clan, c’est d’ailleurs la couleur qu’arbore l’emblème des Yùzhū. J’ai donc beaucoup de bijoux avec du Jade… Je n’en manque clairement pas du coup, je me suis dit que je pouvais au moins te donner ce bracelet… »

Pour ne pas que tu m’oublies.
Pour que tu te souviennes de ce jour.
De ce que j’ai promis.

Un petit murmure. De nouveau un merci. De nouveau un petit battement derrière ta poitrine. Une étrange chaleur qui s’y logeait. Qui te rendait perplexe. Mais qui semblait si douce. Peut-être, si tu en avais été capable… Si on te l’avait appris… Tu aurais esquissé un sourire. Mais non. Tu t’es donc contenté de le laisser aller dans la salle de bain. Tu t’es reconcentré sur ce que tu avais à faire. Tu as pris un miroir, tu as peint tes yeux de rouge. Tu t’es coiffé. Puis tu as tranquillement patienté. Tu es resté assis, à penser à tout et rien. À regarder ton pendentif. Jusqu’à ce que des pas attirent ton regard. Jusqu’à ce que tes yeux se reposent sur son visage. Sur ce sourire que le jeune homme semblait incapable de retirer. Il portait une veste qui semblait bien typique de Nordhal… Qui… Lui allait particulièrement bien d’ailleurs…

Tu secoues la tête.
À quoi étais-tu en train de penser ?

Enfin, heureusement, Ryoji te tend un papier, ce qui te permet de mettre de côté cette étrange réflexion. Non, à la place, tu pouvais désormais réfléchir à quel type de tenue, tu allais demander. Quelles couleurs pourraient bien lui aller ? Quels motifs lui ferait le plus plaisir… Peut-être devrais-tu essayer d’avoir des indices sur le chemin. Oui… Vous deviez partir… Était-ce pour cette raison qu’il abordait cet air si sombre ?

« Je… »

Je veux rester.
Un peu plus longtemps.
Un peu plus…

« Je n’ai besoin de rien… Toutes mes affaires sont prêtes alors... »

Une inspiration.
Un soupir.

« Partons... »

Tu te lèves et après quelques secondes, tu décides d’enfiler toi aussi ta veste la plus chaude avant de sortir, prenant exemple sur le voyageur. Il faut dire, tu portes des vêtements particulièrement légers, si quelqu’un de Nordhal mettait une veste…. Cela devait dire que tu devais bien mieux te couvrir. Ainsi, tu étais enfin prêt à quitter cette petite maisonnette. Le sac sur le dos, la lance à la main. En posant un pied dehors, tu ne peux t’empêcher de la regarder quelques instants… Comme si tu observais déjà le passé…

Un souvenir éphémère qui pourtant, sera à jamais gravé en toi.

Il y a peu de choses auxquelles tu accordes une importance dans ce monde. Tu es bien souvent indifférent à ce qui t’entoure. Qu’est-ce qui a de la valeur à tes yeux ? Un vase de Jade, posé dans ta chambre ? Non… Un masque qu’on t’a offert ? Un pendentif avec une simple pierre d’onyx dessus ? Oui… Même si tu as du mal à le dire. Même si, tu as mis beaucoup de temps avant de te rendre compte, que certains objets, ont une place dans ton cœur. Que tu ne veux pas perdre ces présents. Parce que tu y tiens. Tu tiens aux souvenirs qui y sont liés. À la signification qui se trouve derrière. Tu n’avais aucun réel intérêt envers ce bracelet, mais soudainement, en te décidant à l’offrir, il prend une autre valeur. Une autre forme. C’est désormais un cadeau. Un porte-bonheur pour une rencontre que tu sais, éphémère.

Éphémère.
Comme le temps passé ensemble.
Comme ta vie finalement.

En posant ton regard sur la maisonnette, que se passait-il dans ta tête ? À quoi pensais-tu exactement ? Avais-tu envie d’arrêter le temps ? De fuir la réalité ? De fuir un peu tes responsabilités. Tes devoirs. Qui sait… Tes pensées sont particulièrement complexes. Pourtant, une main sur ton épaule permet de t’en tirer. Un regard envers ce jeune homme qui semblait vouloir te rassurer. Tu n’avais pas compris son geste, tu n’avais pas déprécié pour autant. Tu observais son sourire, alors qu’il te pose une question en rapport avec le Jade. Une question en rapport avec ta famille. Ton clan. Tu n’eus pas le temps de répondre qu’il semblait un peu bégayer, te disant que sa famille biologique n’avait rien qui la représentait. Qu’il était intrigué à cette idée. S’intéressait-il à ton sujet ? Était-il curieux d’en savoir plus sur ton lien avec cette pierre précieuse ? Sur votre doctrine.

Ne te montre pas trop curieux Ryoji.
Il y a bien des choses que tu ne veux pas savoir.
Ni voir.

« Ne t’en fais pas… Cela ne me dérange pas… Je ne sais guère si cela est commun à beaucoup de familles ou de clans… Mais, en général, l’emblème qu’on arbore a une signification, parfois, c’est lié à des mythes, des objets. Comme le blason d’un pays… »

Que pourrais-tu lui dire ? Ne devrais-tu pas lui en parler avec fierté ? Comme on t’a appris à le dire… Comme cette chanson dont tu connais les paroles par cœur.

« Les Yùzhū… Hmm… Le Jade a une symbolique particulière. C’est une pierre qui représente beaucoup, et mon clan y voit un reflet de notre doctrine. De la voie que nous devons suivre. C’est une pierre qui sert nos valeurs. Je ne sais pas depuis combien de temps, le Jade a-t-il sa place, mais je viens d’un vieux clan de guerriers, et cela fait depuis bien des générations que cette couleur peint notre emblème. »

Alors que tu te mettais en marche, ton regard se perdait dans le paysage.

« Le Jade est un emblème de perfection. Une perfection que nous, guerriers, nous nous devons d’atteindre. Il représente des vertus, que nous devons d’avoir. Il incarne la sagesse, la justice, le courage, la modestie et la charité. Les Yùzhū ont juré fidélité à l’Impératrice. C’est à elle que doit notre loyauté. C’est au peuple que notre force doit servir. C’est à Kanagawa que nous dédions notre vie… C’est une pierre qui représente aussi la puissance et la noblesse… Ce sont des points importants dans ma famille... »

Mais pour toi ? Il était difficile de savoir ton propre avis. Ton regard ne disait rien. Tu semblais un peu indifférent et pourtant… En le disant de cette façon, tout paraissait bien beau…

« Peut-être que mes ancêtres ont trouvé dans cette pierre, un reflet d’eux-mêmes… Qui sait… Et jusqu’à aujourd’hui, elle a toujours soutenu l’oiseau qui sert d’emblème à mon clan. »

C’est une doctrine respectable… Qui pourtant t’a pris bien des choses. Dans tous cette morale, dans tous ces mots, n’y avait-il aucune place pour l’affection ? L’affection de soi... Peut-être parce qu’on ne t’a pas appris de la bonne façon. Peut-être parce qu’on a trop mis en avant ces dictons, et non ta propre personne.

« E-Enfin, je m’égare un peu… J’espère que cela satisfait ta curiosité. Le Jade a de multiples significations, mais chez moi, c’est surtout celles-là que j’ai entendues et apprises.»

Tu espérais ne pas l’avoir ennuyé avec tout cela. Ne pas être allé trop loin. Tu n’avais fait que répondre à sa question, mais… Le doute persistait.