Des cœurs perturbés, d’étranges pensées, il n’est pas difficile de savoir que vous êtes encore dans vos jeunes années. La situation vous dépassait. Vous étiez dans le déni sur bien des choses… Toi en particulier… Tu n’oserais jamais dire que tu veux te perdre. Que tu veux profiter. Que tu apprécies sa présence même si en même temps l’effet qu’il a sur toi te terrifie. Tu ne pourrais jamais avouer, que tu désires oublier le bon chemin. Oublier le temps qui passe. Oublier la solitude quelques instants de plus. Tu ne pourrais pas le dire…

Ni à lui.
Ni à toi.

Tu ne pouvais pas te montrer égoïste. Tu n’y arrivais pas de toute façon. Autant simplement profiter de ces quelques minutes. Non ? Et puis… Peut-être que lui commençait à se lasser… Peu importait son avis en réalité… Avec tes devoirs, ton caractère, ta façon de penser… Tu aurais forcément fini par t’éloigner. Tu allais forcément lui dire au revoir. Et lui aussi… Parce qu’il a quelqu’un à rejoindre. Parce qu’il a des choses à faire… Il a encore du chemin à parcourir.

« Ton cerveau est perturbé ? … Fais attention, le manque de sommeil peut avoir des effets particulièrement néfastes. »

Tu sais de quoi tu parles.

« Si besoin, fais une pause... »


Était-ce de l’inquiétude ? De la politesse ? Difficile de dire avec toi. Difficile de dire pourquoi il te conseillait d’aller consulter avant d’aller dans la Tour… Peut-être qu’il s’inquiétait réellement pour toi ? Pour votre promesse… Tu en avais un peu l’impression en l’écoutant parlé. Même si tu n’arrivais pas vraiment à en placer une. Il semblait se perdre un peu dans ses mots alors qu’à l’horizon, des bâtiments se faisaient voir. Que la civilisation n’était plus si loin.

« Ne… Ne t’excuse pas. Tu ne dis pas n’importe quoi… Hmm… Je vais consulter oui… Malade ou non, il est mieux de savoir mon état physique avant d’aller dans la Tour… Pour que je m’assure d’être dans de bonnes conditions… »

Il semblait accélérer le pas. Il s’éloignait alors que tu restais un peu en arrière. Peut-être qu’il était pressé ? Il ne faut pas oublier qu’il a un bateau à prendre… Peut-être qu’il commençait en avoir marre de toi après tout… Tu poses ton regard sur sa silhouette. Il y a des questions qui se bousculent. Qui te perturbent. Alors qu’il marche de plus en plus vite. Comme si quelque chose le gênait… Le stressait…

Ta main vint saisir la sienne.
Comme si tu lui demandais de ralentir.
De ne pas partir.

« Ryoji...»

Attends...
Ne marche pas trop vite.

« Euh... »

Même si je ne contrôle pas le temps…
N’accélère pas notre séparation…
Sauf si tu le désires réellement…

« Ah… Excuse-moi.. »

Tu le relâches.

« C’est juste que… T-Tu comptes m’accompagner jusqu’aux portes de la ville ?

C’est étrange…
En pensant au moment où je vais devoir te dire au revoir…
J’ai une drôle de sensation derrière la poitrine….

« E-Enfin… Je ne voudrais pas que tu fasses un aussi grand détour... »

Était-ce vraiment une quelconque maladie ? Pourtant, ton cœur ne se met pas à battre à mille à l’heure. Il n’y a pas cette douce chaleur. C’est presque amer. C’est une sensation qui ne t’est pourtant pas étrangère… Mais tu as du mal à savoir ce que c’est. À mettre des mots dessus. À te rappeler à quel moment, tu l’as déjà ressenti… Peut-être qu’en voyant Ryoji s’éloigner, tu revoyais cette silhouette qui t’abandonnait… Peut-être que c’est pour cela, qu’inconsciemment, tu as tenté de l’arrêter… Peut-être que tu ne voulais plus vivre ça… Du moins pas avec lui… Même si tu le connais à peine. Même s’il ne sait pas grand-chose de toi au final… Pourtant, pouvais-tu te permettre d’ainsi l’arrêter ? De saisir sa main de cette façon, avec tendresse. De dire son nom, avec timidité.

Non.
Tu ne pensais pas en avoir le droit.
Alors tu t’es excusé.
Tu l’as relâché.

Tu n’osais pas lever les yeux vers lui, tu te contentais de parler. Bien que tu taisais tes véritables pensées. Que tu les avais détournées par une question. Simple et pourtant, cela t’aiderait à savoir s’il en avait marre de toi… Tu ne serais pas étonné après tout. Tu n’es pas la meilleure compagnie. Cependant, il te dit souhaiter t’accompagner jusqu’aux portes de la ville. Tu es… Surpris de l’entendre dire une telle chose. À la rigueur, jusqu’à la moitié du chemin, cela t’aurait moins étonné… Mais pour toi, il comptait faire un aussi grand détour ?

« Tu souhaites réellement faire tout ce chemin ? »

Étrange…
Très étrange…
Cette sensation.

« Ah… Euh… N-Non ce n’est pas ça… E-Enfin… Cela ne me dérange pas que tu m’accompagnes jusqu’à Argos… »

Bien au contraire.

« Mais… Tu comptes rentrer à Nordhal… Ton bateau est dans plus de 24 h certes cependant… Tu dois le prendre à Ellyum non ? À pied, tu risques de ne pas être dans les temps… Sauf si tu prends vraiment peu de pauses… Je ne sais guère si tu dois absolument prendre ce trajet, ou même quand sera le prochain bateau si tu venais à le manquer alors... Peut-être devrais-tu voir à Argos s’il n’y a pas des chevaux ou des marchands qui vont vers Ellyum et qui pourraient t’emmener dans les temps ? Enfin, en soit il y a des chances que tu en croises sur ton chemin, mais se fier uniquement au hasard ne te garantira pas d’arriver à bon port dans les temps… »

Ah te voilà complètement perdu dans tes réflexions. Tu imaginais bien des scénarios, différentes possibilités pour lui. Néanmoins, tu te rends bien vite compte que tu t’étais égaré loin dans tes pensées.

« Ah… Désolé… Tu as déjà dû réfléchir à une solution… »

Tu reprenais la marche tranquillement, pour ne pas perdre plus de minutes. Tu posais ton regard au loin, sur les bâtiments à l’horizon. Sur la Tour déjà visible de là où vous étiez. Tu la contemples quelques instants. Cette bâtisse si immense… Ta possible tombe.

« Il doit rester quelques heures avant notre arrivée… »

Combien exactement, tu ne sais pas. Tu n’as pas envie de savoir. Tu ne veux pas compter les heures qui passent. Les minutes. Les secondes… Ça ne t’enchante pas… Pourtant, en pensant à Ryoji qui faisait plus de marche pour combler ta solitude… Tu te disais que tu devais y faire attention. Que tu ne devais pas te perdre dans le temps. Chercher à oublier son existence. Tu n'en avais pas le droit.

Tu penses. Tu te perds en réflexion. Tu cherches des solutions. Pourquoi se prendre la tête ? Simple… Tu ne voulais pas être un poids. Tu ne voulais pas le déranger plus que ça. Tu es quelqu’un de particulièrement ponctuel. À qui on a appris à être toujours à l’heure. À ne pas avoir une seconde de retard. Tu as pris des habitudes. Tu as ta propre vision sur la chose. Pour toi, il est impensable d’être en retard. Tu dois être à l’heure, sinon il y aura des conséquences. Les répercussions pourraient être grandes… Tu es comme ça. Ce sont tes parents qui t’y ont initié. C’est être à l’armée qui t’a renforcé dans cette façon de penser. Ryoji est néanmoins différent … Il a des responsabilités, mais pas toutes correspondent aux tiennes. Il n’a pas ton éducation. Il n’a pas ta vie.

Il n’est pas toi.

En l’entendant… Tu sais qu’il n’a pas tort… Il est vrai que la vie est faite d’imprévues. Votre rencontre même était dû au hasard… Ou bien était-ce votre destin qui sait ? Ça ne changeait rien au fait que toi, tu n’avais jamais songé à le croiser. Tu n’avais jamais imaginé autant lui parler… Te faire voler ton premier baiser. Lui offrir un bracelet. Une promesse…. Oui… Il a raison… Tu en as conscience… Toi qui ne contrôles rien. Toi qui ne fait que suivre à la lettre ce qu’on t’impose. Mais c’est justement pour ça que tu ne peux t’empêcher de te perdre dans ce genre de réflexions. C’est parce que tu cherches trop à correspondre aux attentes.

« Certes, mais... »

Mais il veut t’accompagner…

Tant pis s’il rate son bateau, il prendra le prochain. Tant pis, au pire, il tentera de s’arranger avec des connaissances. Il souhaite t’accompagner malgré tout… Il te sourit. Il te dit de ne pas trop y réfléchir. Et alors qu’il dit ton nom, tu maintiens ton regard sur lui, tu ne peux empêcher cette légère chaleur qui se glisse dans ta poitrine. Tu ne peux empêcher tes joues se teindre légèrement. Néanmoins, avec ton comportement, peut-être que Ryoji se demandait si tu n’en avais pas marre de sa présence. Lui, n’a pas hésité à te poser la question directement.

« N-Non ce n’est pas ça. »

Un soupir.

« Il est vrai que…. Je n’ai pas l’habitude d’être avec quelqu’un… Enfin… Je n’ai que peu voyagé, très peu. Or, à chaque fois, je l’ai fait seul… La solitude ne me dérange pas et en soit être simplement accompagné par le bruit de la nature, cela ne me pose pas problème. »

Mais…

« Mais cela ne veut pas dire que c’est ce que je préfère. Que je rejette ta présence... »

Tu détournes le regard, observant le chemin que tu marquais de tes pas.

« Je ne pourrais pas dire si tu es une bonne ou une mauvaise compagnie. La meilleure ou non. Je n’ai pas l’expérience sociale pour me le permettre. Néanmoins, si cela me convient, alors peu importe non ? »

Un petit battement de cœur.
Un peu plus fort que le précèdent.

« E-Et puis… Si c’est ce que tu désires… Je ne vais pas t’empêcher de faire ce que tu souhaites...»

Ça t’arrange d’une certaine manière.

« Alors… Allons donc jusqu’aux portes d’Argos… Ensemble... »

Au moins, vous alliez pouvoir profiter de quelques heures ensemble… Au moins deux ? Tu n’as pas conscience du temps qui passe… Et comme tu sais que tu n’as plus à te soucier du trajet de Ryoji, tu décides de ne plus y penser. Tu n’as plus à y réfléchir. Tu peux simplement te laisser porter par la vie. Ignorer les minutes. Au moins en cet instant.

Le plaisir d’avoir un compagnon… Le plaisir d’être accompagné… De ne pas être seul sur notre chemin incertain. Sur ce sentier malsain. Où la fin paraît trop loin. Où il est facile de s’égarer. Où rien n’est éclairer… Beaucoup de personnes, apprécient, avoir une présence à leurs côtés. C’est un trait caractériel chez l’humain… Du moins en général. Mais il existe des solitaires. Qui se contentent d’observer la foule. D’écouter les discussions. De regarder le monde. Tu fais partie de ces gens. Pourtant… Ce n’était pas déplaisant de réduire la distance. Même si, lorsque Ryoji essayait de complètement passer au-dessus… Tu étais perturbé. Tu n’arrivais pas à complètement le rejeter. Tu n’arrivais pas à te dire, que ta route serait plus appréciable sans lui.

Était-ce du plaisir ?
Malheureusement, tu es toujours incapable de le dire.

« Je vois… Tu sembles réellement apprécier la compagnie des autres… »

Toi, tu n’as jamais compris ce besoin de converser. Tu te complais bien trop dans la solitude, bien qu’elle te ronge sans que tu ne t’en rendes compte. Bien que c’est un poids… Que ses conséquences se font ressentir dans ta façon de te tenir. Ta façon de penser. Mais les blessures elles, sont peu visibles…

« Même si j’ai du mal à concevoir ce genre de choses, je peux comprendre que la présence d’autrui soit appréciable.»

Après tout… N’étais-tu pas en train d’apprécier la sienne ? N’étais-tu pas en train de profiter le plus possible de sa présence ? Peut-être qu’à ses yeux, il n’était pas la meilleure des compagnies. Peut-être qu’il n’était pas une si bonne personne après tout. Qui sait. Tu n’en savais rien. Tu ne pouvais que te fier aux souvenirs que vous étiez en train de forger. Tu ne pouvais que te laisser emporter. Par sa voix. Par son charme. Et puis… Il s’était montré particulièrement sympathique à ton égard. Étrange aussi, oui… Mais bienveillant… Et… Chaleureux. C’était suffisant.

« Tu as… Probablement raison... »

Probablement.

« Néanmoins, le bon et le mauvais ne sont au final qu’une question de point de vue… »

Tu ne pourrais pas définir ces termes. Tu as bien du mal à donner ton propre avis après tout. Tu serais incapable de juger un voleur. Tu ne le considérerais pas comme mauvais ou bon, peu importe ses raisons… Tu te dirais simplement que ton devoir est de l’arrêter. Que ce sera à la cour de le juger.

« Pour certains, tuer est un acte de malveillance, pour d’autres un plaisir ou une nécessité. On peut être d’accord avec n’importe quel camp… Au final, tout est subjectif. Au final, il y aura toujours une partie qui pensera que c’est mal, une autre qui pensera tout le contraire… Une dernière qui restera neutre… J’imagine que c’est aussi la façon dont nous vivons et ressentons les choses qui construisent notre jugement. Personnellement… Ce n’est pas un point fort… »

Ton regard se perd à l’horizon.
Sur cette Tour immense.

« Je pense que je cautionne à peu près tout le monde… »

Ou plutôt… Tu restes à l’écart.

« Je pense que tu as bon fond parce que tu t’es montré bienveillant à mon égard… Mais peut-être que tu es bien cruel envers d’autres personnes… Je ne me fie à ce que je vois, ou bien aux ordres qu’on me donne… Et puis pour être honnête, que tu sois bon ou mauvais n’a pas d’importance pour moi… Tu es toi… Et ta présence ne me déplaît pas… Ma pensée ne va pas plus loin. »

Tu es complexe et parfois si simplet.

Le programme était ainsi fait. Plus besoin de se soucier de détails. Plus besoin de se poser des questions. Il fallait simplement profiter. Il fallait simplement avancer. Même si tu as cette étrange sensation à chaque pas fait. À chaque fois que la ville se rapprochait, ne serait-ce que d’un petit centimètre. Une sensation qui se renforce alors que Ryoji t’avoue ne pas vouloir cesser la conversation.

« J-Je vois… »

Moi non plus…
Je ne veux pas que ça cesse…
Je veux que le temps s'arrête.

« Si tu veux jouer un peu de violon… Je ne vois pas pourquoi je dirais non. »

Laisse-moi t’écouter.
Que ce soit ta musique ou ta voix.
Tout me va.

Alors que Ryoji ne semblait guère apprécier la solitude, il t’affirmait qu’en réalité, il n’y avait pas beaucoup de personnes dont il acceptait la présence. Dont il aimait la compagnie. Il te disait que toi, tu en faisais partie. Que tu étais chanceux. Chanceux qu’il t’apprécie autant. Parce que c’est rare. Parce que peu de personnes gagnent autant son intérêt. Tu n’avais pas su trop quoi dire. Quoi lui répondre. Il y avait cette étrange chaleur encore… Comme si ton cœur était un peu plus léger. Comme si une douce brise était venue te caresser. Peut-être que tu avais été touché par ses mots… Peut-être que tu étais flatté…

Qui sait.

Tu as une vision du monde tellement différente des autres… Tu as l’habitude qu’on ne te comprenne pas. Tu ne serais pas étonné que tes paroles lui paraissent étranges. Après tout, certaines personnes refusent d’entendre de telles choses. C’était comme si tu disais que les meurtriers ou les tortionnaires pouvaient être considérés comme bons. Et oui… C’est ce que tu affirmais. Tu étais persuadé que dans ce vaste univers, il y aurait au moins une personne pour ne pas les trouver mauvais. Pour considérer les pires malfrats comme des gens au cœur pur et honnête. Même si tu serais incapable de comprendre une telle pensée, tu savais qu’elle existait. Tu savais que ce serait simplement une différence de point de vue.

Après tout, certains te respectent.
Alors que tu as tué.
Tu as torturé.
Tu as blessé.

Ryoji, néanmoins, ne semblait pas te contredire. Au contraire, il trouvait que tu avais raison. Il ne trouvait aucun point sur lequel contester. Il disait même apprécier ton point de vue. Tu ne savais pas si tu devrais t’en étonné. Depuis votre rencontre, il n’avait pas cessé un instant de te surprendre.

« Tant mieux si cela peut te rendre heureux alors... »

Parce que tu n’es pas doué pour ça. Parce qu’il est rare que tes mots, ta présence, apporte un quelconque bonheur à quelqu’un. Du moins, tu en es persuadé… Et, si tu étais honnête avec toi-même, tu avouerais que ce n’est pas déplaisant. Mais peut-être pas aussi agréable que sa musique. Tu te demandes bien pourquoi tu as cette drôle de sensation dès que tu aperçois son violon. Bien que tu n’arrives pas à éprouver une réelle joie. Malgré sa mélodie joyeuse. Malgré ses notes si vivantes. Tu restais incapable d’esquisser un petit sourire. Incapable de te sentir vraiment heureux.

Tu te contentais d’écouter silencieusement.
Bien que le visage attendri.
Le regard plus doux.

Tu l’observes quelques instants alors qu’il reprenait son souffle. Tu ne savais pas que c’était si fatigant de jouer du violon en marchant. Enfin, tu ne comprends pas grand-chose à l’art en général après tout… Mais sans doute méritait-il une petite récompense ? Tout en l’écoutant parlé, sans arrêter d'avancer, tu sors de ton sac un des mochis qu’il t’avait donné la veille pour le lui offrir. Une façon de lui dire que tu avais apprécié.

« Oui. »

Tu te permets aussi de prendre une petite pâtisserie avant de refermer ton sac.

« Hmm… Ce serait pratique en effet… Peut-être que cela permettrait à certains musiciens de se faire connaître plus facilement… Après…. Je préfère l’authentique… Cependant, j’imagine que lorsqu’il n’y a pas de musiciens à côté et qu’on a une envie d’écouter de la musique… Ce serait avantageux d’avoir un tel objet… »

Tu finis ta petite sucrerie avant de reprendre.

« Que je trouve que c’est une bonne idée ou non importe peu… Si toi, tu apprécies l’idée… Rien ne t’empêche de le faire… »

Toi, tu serais incapable de penser à de telles choses. D’avoir le courage de proposer ce genre d’inventions, de t’imposer. Tu n’arrives pas à libérer ton esprit alors autant soutenir sa liberté à lui.

De la musique que l’on pourrait transporter partout pas vrai ? L’idée te semble inconcevable. Impossible même. Par quelle science cela pourrait arriver ? Enfin... Tu le sais… Tu n’y connais rien à la technologie. Au final, tu ne pouvais pas vraiment dire, c’est possible ou non, parce que tu as une vision trop restreinte de celle-ci. Alors autant te taire. Ce que tu penses, n’a pas d’importance. De toute façon, tu avais plus d’intérêt aux paroles de Ryoji qu’à cette réflexion. Parce qu’en cet instant, il semblait te confier quelque chose. Quelque chose qui lui tient à cœur. Et c’est tout naturellement, que tes lèvres se sont fermées. Tu les as scellés, pour ne laisser aucun son s’échapper. Tu portais toute ton attention sur ses mots. Sur ce qu’il te disait.

Silencieusement, tu lui prêtais une oreille attentive.

Ryoji semblait réellement aimer la musique. Lui aussi la préférait authentique, lui aussi, préférait entendre les sons sortir d’un vrai instrument, pourtant, il pensait aux autres. Il pensait aux personnes, aux enfants, qui ne pouvaient pas entendre toutes ces mélodies. À ces pauvres âmes, qui ne pouvaient pas voir de spectacles, assister à des soirées animées. Il pensait à eux… Parce qu’il repensait à lui. À son passé. À ses douloureux souvenirs.

Il voudrait les aider.
Ces orphelins.
Ces enfants abandonnés.

Tu ne connais pas la pauvreté. Pourtant, tu connais la douleur, mais ta vision de cette dernière est bien étrange… Tu n’es pas capable de le comprendre. Ni lui, ni tous ces gamins qui souffrent tous les jours. Qui meurent à petit feu. Tu ne peux pas le comprendre, lui, qui parle de la beauté de ce monde. De la beauté de la vie. Pour toi, ça te paraît si inaccessible. Peut-être parce qu’on ne t’a jamais tendu la main ? Ou bien n’est-ce pas simplement parce que tu les as toutes ignorées ? Parce que tu te persuades que tu ne dois pas les saisir…

Parce que Vivre te terrifie.

« Ne t’en fais pas, ce n’est pas grave.»

Il est vrai que la conversation avait complètement dévié, mais cela ne te dérangeait pas. Il s’exprimait librement, comment lui reprocher ça ? Pourtant, il semblait en être surpris. Il semblait seulement se rendre compte que ce souhait, ce rêve lui tenait réellement à cœur… Il t’avouait que s’il s’était naturellement confié, c’était sans doute parce que tu es à l’écoute. Et bien, c’est une de tes qualités. L’une des rares que tu peux énoncer.

« Je ne sais guère si ma présence donne envie de se confier, mais… Si le fait que je sois à l’écoute te rend assez à l’aise pour ça, ce n’est sans doute pas une mauvaise chose. »

Tu as toujours préféré laisser parler les autres. Pour toi, il est important de se taire lorsqu’un autre s’exprime. Tu n’oserais jamais couper quelqu’un dans sa phrase. Tu attends souvent le bon moment avant de répondre quoi que ce soit. Un peu comme si tu attendais à ce qu’on t’accorde la parole.

« Au moins, désormais, tu sais qu’il y a un désir qui te tient réellement à cœur. »

Un regard vers la Tour.

« Si c’est de cette façon que tu veux marquer ce monde… Alors… Je pense que tu devrais pouvoir y arriver. Même si cela prend beaucoup de temps. Même si ce ne sont que quelques orphelins parmi des centaines… Tu connais leur douleur donc tu peux les atteindre. »

Tes yeux se posent sur lui.

« Tu as de l’empathie. »

Les portes de la ville d’Argos se dessinent de plus en plus. Elles se rapprochent… Comme votre séparation…

Vision silencieuse. Ton visage pourrait parfois être comparé à une pierre tombale. Parce que ta voix, parfois, s’enterre complètement. Comme si tu effaçais complètement ton existence. Comme si tu décidais de disparaître pour faire rayonner l’autre. Pour que ses mots soient entendus. On pourrait presque que croire que tu allèges chacun de tes pas. Que tu retiens ta respiration. Aucun soupir. Rien. Tu laisses place aux confessions, Ryoji l’avait bien compris. Certains pourraient s’ennuyer à ainsi écouter les autres parler et s’exprimer. Il est vrai… Mais tu es une âme qui observe, qui contemple. Tu n’es pas le genre de personne à être passionné, à ressentir l’ennui… Tu pourrais te contenter de simplement respirer, regarder les paysages tandis que les heures passent.

« Cela me paraît… Normal… Et puis… Comme je te l’ai déjà dit, je pourrais passer des heures à simplement regarder un plafond… Alors, écouter quelqu’un… T’écouter toi… Même si c’est une histoire banale ou autre, cela ne m’ennuie pas.»

Ce sont des informations que tu allais garder en tête. Que tu ne comptais pas oublier. Même si ton regard ne semblait pas montrer d’intérêt à ses mots, tu cachais beaucoup de réflexions. Tu te disais que tu en avais appris un peu plus sur lui. Tu te disais qu’il était empathique… Tu as laissé la parole à tes pensées, cependant, peut-être que tu n’aurais pas dû… Soudainement, il s’était arrêté. Soudainement, il soupire. Et même s’il reprend sa marche lentement, il y a sur son visage, une expression bien sombre.

Ah… Tu aurais dû te taire.
Tu n’es vraiment pas une bonne compagnie…

Tu ne dis pas un mot de plus alors que tu le laisses parler. Il t’explique qu’il ne veut pas ressentir de l’empathie. Il t’explique que c’est trop douloureux. Il a besoin d’être apathique parfois, en tant que vassal. Il ne peut pas se permettre la compassion. Il le refuse. Mais voilà… Un regard envers ces enfants et il a ce pincement au cœur. Parce qu’il se voit. Parce qu’il s’identifie à eux.

« Je ne sais pas ce qu’est l’empathie… Je me fie simplement à ce que les autres disent. À ce qu'y est écrit dans les livres… De ce que tu me dis, tes pensées correspondent à ce terme, à sa définition… Cependant, si cela est douloureux pour toi alors je m’excuse.»

Un soupir.

« Mes mots ont été maladroits... Je ne connais pas la douleur dont tu parles alors je n’ai pas été capable de mesurer mes paroles. »

Tu poses tes yeux sur la Tour.

« Pardonne-moi... »

Te sentais-tu coupable cependant ? Tu n’en es pas sûr… Peut-être était-ce ce qui te poussait réellement à t’excuser…

« Ah….»

Les portes d’Argos sont à quelques mètres seulement. La ville est là, alors que règne derrière elle, cette Tour meurtrière. Tes pas ralentissent naturellement. Tu veux retarder ce moment. Même si ce ne sera que quelques minutes.

« On y est bientôt… Peut-être dans une quinzaine de minutes… »

Tu n’as pas envie de te soucier du temps. Tu n’as pas envie de te remémorer son existence.

T’excuser. Tu n’as pas pu t’en empêcher. Lorsque tu t’es rendu compte que tes mots l’avaient blessé. Que par ta faute, de sombres pensées l’envahissaient.

Étais-tu affecté par la culpabilité ?

Ah… T’excuser…. Encore… C’est tout ce que tu pouvais faire. Lorsque dans ta tête, il y avait ce flou, ce terrible doute.

Tes démons sont là. Ils te guettent, comme une ombre immense qui te poursuit. Qui ne te quitte jamais. Toujours derrière toi. Toujours là. Attachés à ton être. Et ils imposent leur poids. Et ils te font baisser la tête. Continuant à te pourrir intérieurement. Mais Ryoji te dit que tu n’avais pas à demander pardon. Que c’était juste toujours douloureux de se rendre compte qu’il est comme ceux qui l’ont maudit.

Qu’on est humain aussi.

Lorsque tu entends ces mots, il y a comme un sifflement perturbant dans ta tête. Un bruit désagréable auquel tu ne veux pas faire face. Tu voudrais boucher tes oreilles. Ne pas entendre cette conclusion. Faire le sourd, comme toujours… Qu’est-ce qui te dérangeait tant ? Le fait qu’il dise « on » ? Le fait qu’indirectement, il te disait que toi aussi, tu es humain.

Tu rejettes cette idée.
Tu ne veux pas l’accepter.

Alors presque d’un simple soupir, tu balayes ses paroles. Tu décides de les ignorer du mieux que tu pouvais. Tu tentes de penser à autre chose. De te concentrer sur autre chose. Sur d’autres de ses mots. Des mots auxquels tu ne pouvais pas t’associer. Qui te feraient fuir qui tu es. Et comme si les Dieux voulaient te rappeler la réalité, ton regard se posait sur la Tour, sur Argos. Et tu as beau avancer plus lentement, le temps te rattrape bien vite. Dans un silence presque pesant. Parce que tu n’as plus osé dire quoi que ce soit. Tu as préféré te taire, plutôt que de dire encore des choses qui pourraient lui faire du mal.

Nous y sommes.

En entendant la voix de Ryoji, tu relèves quelque peu la tête. Tu t’arrêtes et observes. Pourquoi cette étrange sensation…

« Oui... »

Ah… Tu ne devrais pas te poser plus de questions.

« C’est… Ici que nos chemins se séparent alors. »

Pourquoi tu as l’impression de devoir t’arracher ces mots de ta gorge ?

« Je suis dé- »

Ah… Il t’avait dit de t’arrêter de t’excuser…

« Je ne suis pas sûr d’avoir été la meilleure compagnie... »

Surtout pour la trentaine de minutes qui venait de passer.

« Mais… Merci d’être venu jusqu’ici à mes côtés. Et… Pour tout le reste d’ailleurs. Que ce soit le thé, le logement ou... »

Ta main se pose sur le collier.

« Ou pour ce pendentif. »

Merci pour tout.

« Hmm… Ça ira pour ton bateau du coup ? On a un peu traîné. Enfin… Tu avais dit que ce n’était pas grave si tu le ratais, mais bon... »

Tu ne sais pas comment dire au revoir.
Tu ne sais pas comment le quitter correctement.

« Ryoji… »

Tu poses tes yeux sur lui.

« Tu sais… Je voulais te dire… »

Une inspiration.

« Tu as le droit de m’oublier. »

Oublie-moi.
Pour ne pas souffrir plus encore.
Je ne t’en voudrais jamais pour cela.
Tu n’as pas à porter ce poids.
Ni celui de ma mort.
Ni celui de ta promesse.

Est-il normal d’offrir toutes ces choses à quelqu’un qu’on connaît si peu ? Sans attendre des remerciements en retour. Est-il normal de s’attacher à une personne en quelques heures seulement ? En une journée à peine… Est-il normal de faire une promesse alors qu’on sait parfaitement qu’elle ne pourra probablement pas se réaliser ? Alors qu’on sait qu’on se ment à soi-même… Ryoji est étrange. Il n’attend rien de toi. Il apprécie ta compagnie malgré les mots que tu lui avais dit. Malgré les blessures que tu lui avais rouvertes. Pourtant ta présence est sans doute d’un ennui… Mais au moins, tu étais un peu rassuré de l’entendre. Même s’il semblait te dire indirectement que c’était une évidence.

Toi, tu avais besoin de l’entendre.

« Je vois… Tant mieux alors. »

Tu ne lui a que peu offert. Même si tu avais en tête, l’envie de lui procurer un beau vêtement, jusque-là, tu lui as seulement donné un bracelet. Et pourquoi ? Pour payer une dette ? Au final… Peut-être était-ce parce qu’inconsciemment, tu ne voulais pas qu’il t’oublie. Tu voulais qu’il se rappelle de votre rencontre. De ce petit moment passé ensemble… Peut-être avais-tu eu une pensée égoïste… Pourtant, en y repensant, à toutes ses paroles, à tout ce qu’il t’avait montré, dévoiler… Tu t’étais dit qu’il ne méritait pas ça.

Il pouvait t’oublier.
Et s’il souhaitait se préserver…
Il le devait.

Tu parviens à l’exprimer. Tu arrives à lui dire et qu’est-ce qu’il te répond ? Pendant quelques secondes, rien… Un silence. Comme s’il s’était perdu dans ses pensées. Il s’approchait de toi. Ancrait son regard dans le tien. Tu ne savais pas pourquoi, mais tu sentais une certaine tension. La peur de la réponse ? Ou bien parce que dans ses yeux purs, il y avait quelque chose de presque effrayant ?

Ses lèvres se posent contre les tiennes.
Pour la énième fois.

Tu restes planté là. Surpris par son geste. Tu deviens une statue, le temps de quelques secondes, le temps que les informations se trient. Tu saches comment réagir.

Comment oublier hein ?
Impossible, n’est-ce pas…

Tes joues se teintent légèrement.

« J-Je… Je ne sais pas… Les gens peuvent avoir une mémoire particulièrement sélective...»

Il était étrange de voir cet air innocent sur ton visage. Alors que tu te prépares à jeter dans la gueule de la Mort. Mais cette lueur de pureté s’efface à ses dernières paroles.

Sors de cette tour en vie.

« Oui... »

Mensonge. Tu mens. Encore. Avec presque trop d’aisance. Tu lui dis seulement ce qu’il veut entendre. Tu t’adaptes tout simplement… N’est-ce pas cruel de ta part ? De lui parler d’espoir ? Il te tourne le dos. Il s’éloigne et cette sensation persiste dans ta poitrine. Ah… Tu ne veux pas savoir ce que c’est. Tu ne veux pas connaître la douleur. Tu ne veux pas te soucier des autres. Tu ne veux pas avoir de l’empathie. T’attacher. Ressentir.

Tu te devais de tout balayer.
Parce qu’en réalité, tu n’as juste pas la force de supporter la douleur.
Pas celle du cœur.

« Ryoji. »

Tu n’arrives pas à élever la voix.
C’est comme si chacun de tes mots était un murmure.
Un secret.

« Fais… Fais attention toi aussi… À la prochaine fois...»

Tu t’inclines respectueusement.

Il était étrange de se quitter soudainement. Il était étrange, que cette rencontre t’ait tant marquer en si peu de temps… Mais maintenant il te fallait te préparer pour la Tour. Il fallait que tu te donnes les meilleures chances de survie.

Pour honorer ta promesse envers lui.