Aussitôt que les dagues de la mercenaire se sont mises à luire d’une nouvelle luminosité magique, Ismène lève la voix pour balancer quelques aveux au visage du Prince.

Quelques secondes sont nécessaires pour enregistrer l’information, puis l’analyser. Venait-elle soudainement de lui faire une déclaration ? Bouche bée, Geb la suit du regard sans savoir la bonne façon de réagir. Le moment est malheureusement mal choisi pour engager cette conversation, car les guerriers foncent sur l’ennemi lupin pour le mettre hors d’état de nuire.

Heureusement, les assauts combinés de Kratos et Ismène portent assistance à Sasori qui s’était retrouvé entre les crocs du loup. Placé où il est, il se pousse à croire que le combat peut finalement trouver une alternative rapide et heureuse.

Parce qu’ils sont bien plus puissants qu’au début de cette tour, suffisamment pour surmonter cette épreuve ensemble.

Soudainement, du loup, qu’il pensait faiblir sous le coup puissant du chevalier, émane une étrange aura qui se développe comme une fumée de son pelage enflammé. Le Prince reconnaît sans l’ombre d’un doute : la puissance d’Azaïth coule dans les veines de la créature et il se prépare à quelque chose de monstrueux. Le hurlement du loup dans cette pièce pousse le prince à se couvrir les oreilles. Il remarque les murs trembler sans céder, puis une autre créature rejoint le combat.

Comment faire face à une deuxième créature de la sorte ? Les dangers transparaissent sous ses yeux comme des signaux alarmants, Geb s’empresse de descendre les escaliers pour les rejoindre.

En un éclair, alors que ses pas atteignent le sol, la nouvelle bête menaçant ses alliés disparaît aussitôt. Son regard descend suffisamment pour remarquer la présence du Nordahlois, les poings positionnés pour tenir sa garde, ses coups ont signé son funeste destin.

Les épaules du Prince se détendent un peu. La menace surprise est écartée, mais que dire de cette soudaine capacité ? Les mains serrées sur son bâton, il s’agirait de ne pas minimiser leurs chances d’en finir vite.

- “Il ne faut pas lui laisser l’occasion de recommencer !” Crie-t-il à ses camarades tandis que de son bâton brandit, il se place de sorte à compléter la muraille et profiter au mieux de ses capacités pour les soutenir.

Kratos ne semble pas mal en point, mais qui sait ce qui pourrait survenir ensuite ?

Avait-il prédit malgré lui ce qu’il risquait d’arriver ou est-ce simplement un coup du destin ?

Le Prince Geb Ramses ne s’est jamais cru apte à maîtriser les arcanes secrets et antiques de l’Astromancie, ses plans sont toujours calculés, sa réflexion envisage toutes les possibilités, même les pires.

Mais avait-il envisagé que la créature attaquerait Kratos ? Certainement.
S’était-il imaginé que la charge retenue pouvait le blesser ? Possible.
Avait-il envisagé que l’attaque serait aussi puissante ? Absolument pas.

Geb et le Loup Géant étaient si proches qu’il avait évalué le risque d’être pris pour cible ; son haleine, lâchée dans un souffle lourd, soulevait la poussière, le temps d’un instant, le Prince avait envisagé de subir un coup qui l’enverrait au loin.

Ses doigts se sont serrés sur son bâton de magie, inapte à lui apporter une quelconque aide en ces circonstances, il devenait une proie de choix.

Pourtant, sa charge a visé Kratos ; le Prince a eu le temps de simplement tourner la tête pour suivre le mouvement du canidé du regard.

La puissance était telle que tout son corps a frissonné.
Ni l’armure, ni le bouclier, ni la résistance naturelle du guerrier n’ont suffi à le protéger.

Et le rouge s’échappe, maquillant la gueule de la créature d’une couleur sanguine.
Les voix sont lointaines, étouffées par les soudaines œillères qui couvrent l’entièreté des sens du Prince.
Il n’est plus vraiment dans la tour. Les visions se confondent. Où est-il réellement ?

En Djinn ? En Akielos ?
Fébrile devant une pluie torrentielle rouge ? Fébrile devant ses camarades dans une tour que l’on sait dangereuse ?
Il confond les visages de détresse ; une vive douleur dévore son épaule et ses pensées le rendent fou.

Il a chaud, puis froid.
On se tournera vers lui et ses actions.
Il a droit de vie, droit de mort.
Son corps ne demande qu’à plier sous la pression, ça serait si simple.

Puis le regard de Sasori croise le sien.
Et lentement, progressivement, Geb retrouve la surface, le présent.

Ses pas se pressent pour se placer aux côtés du chevalier-chercheur. Sa main serre son bâton pour ne pas le lâcher, il dresse un rapide portrait de la blessure pour évaluer la meilleure façon de l’aider.

De le sauver.

Puis il cesse de réfléchir, sa magie englobe totalement Kratos afin de lui apporter des soins d’urgence. Il doit se concentrer, car il ne s’agit plus de refermer des plaies, mais de stabiliser un corps dont le sang s’écoule à foison.

Geb inspire profondément. Il n’est plus dans la tour, il n’y a plus de menace environnante, ni même personne d’autre que lui et son patient.

Et la magie opère pour reconstituer son corps, soulager son corps de la lourde tâche de régénération. Il ignore combien de temps cette opération dure, quelques secondes ? Une minute ? Il n'a même pas conscience que sa magie s'immisce entre les interstices des dalles et rejoignent Ismène et Sasori, leurs corps se réchauffent et insuffle une nouvelle vigueur. Ils se sentent plus rapide, mais à quoi bon à présent ? Lorsque la magie s’estompe et que Kratos n’a plus à craindre la mort, le loup géant n'est déjà plus qu’un autre corps perdant sa chaleur.

Le mouvement des poumons de Kratos suffit à permettre à Geb de souffler. Il lève les yeux vers Sasori puis vers Ismène, sans complètement jouir de la même satisfaction sur leur visage.

Sur l'arête de son nez, une goutte de sueur s’écoule et ses mains tremblent. Et même s’il est loin d’avoir couru et mis son corps à rude épreuve, il reconnaît les marques d’une fatigue au-delà de la compréhension mécanique du corps. Il se sent épuisé, mais le Prince ne peut se permettre de s’écrouler maintenant.

Il a donné tout ce qu’il a pu jusqu’ici pour leur venir en aide à sa façon. Et, même si Geb ne peut se vanter d’avoir vaincu ses ennemis, s’il ne peut mériter la gloire de l’effort et du risque dans lequel ils se sont souvent exposés depuis le début.

Geb se sent bien.

Son regard s’échoue sur le chevalier-chercheur d’un naturel si discret, il ne se souvient même pas de l’avoir entendu crier, ni se plaindre depuis le début de cette aventure. Un homme courageux et humble de par son mutisme.

- “Comment vous sentez-vous, Kratos ? Vous vous sentez capable de bouger ?” Demande-t-il alors que ses mains viennent tout naturellement se proposer pour l’aider à se lever.

Ce n’est pas la première fois qu’il voit l’impensable se produire grâce à la magie. A vrai dire, s’étonne encore de la capacité du corps à se régénérer aussi rapidement et à permettre à un homme aux portes de la Mort de se lever avec une facilité déconcertante.

Ce genre d’exploit n’est pas aussi extraordinaire en-dehors de la Tour : le repos est primordial pour que le corps comprenne qu’il est en un seul morceau, que ses tissus sont parfaitement élastiques et ses os sont solides.

Comme si quelques secondes plus tôt il ne s’était rien passé.

Bien sûr, aucun d’entre eux ne sera aussi fanfaron lorsqu’ils sortiront de la Tour. La magie ambiante semble leur apporter l’énergie nécessaire pour réaliser des miracles, mais le retour à la réalité sera difficile, sans doute trop pour ne serait-ce lever les jambes sans grogner d’inconfort.

La voix de Sasori et son contact pour l’aider à se lever le sortent de son état second, l’invitation à la fête qu’il présente avec un sourire triomphant le fait souffler du nez, amusé.

-“Vous êtes bien naïf si vous pensez que nous avons l’énergie pour lever nos verres en sortant d'ici.” car ils quittent cette Tour, c’est une certitude.

Et tous en vie.

Mais avant de quitter définitivement les lieux, il se dirige vers le second coffre laissé à l’abandon pour y récupérer le contenu. Qui sait ce qu’il pourrait bien obtenir ?