La tentative de Naoto pour tenter de déplacer le coffre se solda rapidement par un échec, laissant entendre à Saphyre qu’elle ne parviendrait pas à l’emmener avec elles. Mieux valait ne pas insister, et elle n’était de toute manière pas en assez bonne forme pour s’engager dans une lutte acharnée pour un simple coffre. S’il désirait conserver ses secrets, qu’il les garde, après tout. La lassitude et la fatigue commençaient à prendre le dessus, si bien qu’elle n’insista pas et suivie Naoto pour sortir de la forêt. Leurs investigations avaient pris fin, elles n’avaient plus de temps à perdre en ces lieux obscurcis par l’ombre de la mort.

Retrouvant l’air frais, la caresse du vent sur son visage chassa un peu de sa fatigue et éclaircit légèrement son humeur. Quoi qu’il se soit passé dans cette forêt, elles s’en étaient sorties. Pas indemnes, certes, mais il s’agissait malgré tout d’une victoire. Toutefois, elle ne pouvait ignorer le sentiment de contrariété et de frustration latent qu’elle ressentait. Il fallait qu’elle comprenne pourquoi la vieille dame les avaient envoyés dans un piège aussi perfide et surtout, à combien de reprise elle avait pu conduire de pauvres gens à la mort.

D’ailleurs, alors qu’elles venaient de quitter les hauts arbres et l’épaisseur sombre, la jeune femme remarqua la silhouette de la vieille femme, au même endroit où elles l’avaient rencontré plus tôt. A croire qu’elle ne s’attendait vraiment pas à ce qu’elles reviennent pour lui demander des comptes. Le regard rivé sur la vieille dame, la douleur lancinante de sa blessure lui revint sans qu’elle ne sourcille. Si son regard avait été capable de tuer, la dame aurait été criblée de balles.

Malheureusement, il aurait été délicat de l’attaquer à cette distance, même avec de la magie. Stratège et fine observatrice, la mercenaire voyait bien qu’elle risquait de blesser des passants si elle décidait d’utiliser la magie. De plus, encore instable à certains niveaux et fortement contrariée par les événements, elle risquait fort de manquer de contrôle en intensité ou en précision et d’entraîner des pertes de civils. Aussi, elle ne pouvait se permettre de prendre un tel risque.

Avec un léger soupir, la mercenaire continua à observer. Le comportement de cette inconnue ne laissait guère place au doute : elle semblait rongée par l’anxiété. Incapable de tenir en place, elle s’agitait de quelques pas à gauche, puis à droite, revenait à sa place, tordait ses doigts décharnés ; jusqu’à finalement les apercevoir. Une seconde suspendue où chacune se regarda. Stupeur mêlée à ce qu’elle pourrait considérer comme du soulagement, peut-être. Un léger soupir franchit ses lèvres. Sans doute se trompait-elle. Il aurait été étonnant que cette femme les ayant menés dans un piège mortel se sente soulagée de les voir revenir indemnes.

Il ne fallut que quelques secondes à la vieille femme pour réagir et commencer à partir en courant. Ravalant un claquement de langue agacé, la mercenaire tenta de courir mais sa blessure lui rappela rapidement qu’elle n’était guère en mesure d’efforts physiques pour le moment, aussi s’immobilisa-t-elle, contrariée. Si elle ne pouvait pas interroger la vieille femme et comprendre ce qui l’avait amené à un tel acte, alors elle ne saurait jamais le fin mot de cette histoire.

Tandis qu’elle essayait de trouver une solution à une situation inextricable, plus encore à cause du nombre de passants qui empruntaient la route ; Saphyre vit Naoto s’élancer en une fraction de seconde. La demoiselle, en bien meilleure forme qu’elle, courut sans difficulté à une vitesse affolante, si bien que, malgré la rapidité de la grand-mère, cette dernière se fit rapidement rattraper. Avançant vers les deux femmes pour assurer les arrières de Naoto, Saphyre ne pouvait que voir les airs surpris et anxieux des passants qui ne comprenaient pas ce qui se passait. Si quelqu’un tentait d’intervenir … sans doute essayerait-il de protéger la grand-mère sans défense, et la situation se compliquerait davantage. Mais elles ne pouvaient pas renoncer, pas maintenant.

Les poings un peu serrés, Saphyre continuait à avancer, jusqu’à voir Naoto plaquer la vielle dame sur le sol et qu’un fugace sourire n’ourle ses lèvres. Décidément, elle ne manquait jamais de la surprendre. Il fallait qu’elle les rattrape, mais son état ne lui permettait pas d’aller bien plus vite pour rejoindre le duo au sol. Néanmoins, elle pouvait aisément entendre les éructions de la grand-mère sur le sol. Elle pouvait voir la poussière qui se soulevait autour des deux belliqueuses, et la proie se débattre comme une véritable furie quitte à blesser la pauvre Naoto.

Presque à leur hauteur, la mercenaire vit un groupe d’hommes vaillants séparer les femmes au sol et immobiliser la grand-mère en plein épisode d’hystérie. Quant à Naoto, elle n’était guère sortie indemne de la bagarre, mais à première vue les blessures restaient superficielles. Peu agréables, mais superficielles. Elle restait surtout couverte de terre et de quelques contusions, aussi Saphyre ne manqua-t-elle pas de la remercier et de la féliciter d’avoir stopper la coureuse folle, avant que les passants ne commencent à s’interroger sur la situation.

Si leur curiosité était toute légitime, la mercenaire restait un peu embêtée de leur partager quoi que ce soit sur leurs péripéties. Néanmoins, puisqu’ils gardaient la grand-mère immobile et leur avait prêté main-forte, elle se sentait quelque peu obligée de leur fournir quelques explications. De plus, sans cela, elles risquaient d’avoir des ennuis ou de paraître suspectes.

Synthétisant les événements pour raconter l’essentiel, les réactions ne manquèrent pas de surprendre la mercenaire. Presque aussitôt le récit terminé, les passants firent montre de leur soutien, certains proposant de l’eau fraiche d’autres quelques bandages ou plantes médicinales, gardant bien immobile la vieille dame dont l’innocence avait comme complètement disparu. Deux hommes, jeunes et en pleine santé, étaient partis informer les autorités et ces dernières ne tarderaient plus à arriver. Malgré toutes les difficultés, la situation semblait enfin pencher en leur faveur.

Acceptant un peu d’eau et de quoi refaire un bandage propre sur sa blessure, la mercenaire remercia la générosité des individus présents avant de jeter un œil vers la grand-mère qui semblait enfin s’être calmée. Sans doute avait-elle compris qu’elle ne pourrait plus aller nulle part. Silencieuse, la jeune femme songea qu’il s’agissait là d’une bonne opportunité pour essayer d’en savoir plus à son sujet et au sujet de ses actions, des raisons de sa fuite. Aussi s’approcha-t-elle un peu, restant à bonne distance, prudente, pour essayer d’en apprendre plus. Naoto était en sûreté, aussi pouvait-elle se concentrer sur la grand-mère, mais elle prit tout de même le temps de s’assurer que la mage qui l’avait aidé allait bien, avant de poser ses premières questions à l’intention de l’inconnue. Et voir d’abord sa réaction en comprenant qu’elle était perdue, quoi qu’elle fasse.

Rassurée quant à l’état de Naoto qui s’en sortait finalement bonne pour quelques contusions et griffures bénignes, la mercenaire approcha prudemment de la vieille femme, demeurant cependant à une distance raisonnable. Dans son état, elle ne prendrait guère de risques inconsidérés et éprouvait autant de rancune que de méfiance envers celle qui avait occasionné ses blessures. Impassible, le regard aussi glacé que l’air de Nordhal en plein hiver, la jeune femme toisa l’ancienne qui ne manqua pas de tressaillir.

Alors, Saphyre posa une première question. Elle manquait de temps avant l’arrivée des gardes pour entreprendre un interrogatoire trop poussé, aussi orienta-t-elle son interrogation afin de récolter un maximum d’informations condensées et pouvoir entreprendre plus tard certaines investigations sur le sujet. Aussi commença-t-elle par demander à la vieille femme ce que devait lui apporter ses actes et ces meurtres abominables.

« Si je parvenais à vous conduire là-bas ... Si vous n'étiez pas revenues ... Mon petit-fils serait à mes côtés. »

Seul un battement de cil répondit à cette première information. Sans doute que certains auraient été émus par la volonté de cette femme à retrouver son petit-fils indemne ; mais la mercenaire possédait une expérience suffisante pour savoir qu’une vie était bien loin d’en valoir d’autres, peu importait la valeur de la vie en question ou ce qu’elle représentait pour quelqu’un. Envoyer à la mort deux femmes -quoi qu’elle restât persuadée au vu de ce qu’elle avait vu dans la clairière qu’il y avait plus de victimes- rien que pour sauver un être cher n’était rien d’autre qu’un pur acte d’égoïsme et de cruauté.

Alors qu’elle gardât ses pensées pour elle, la mercenaire enchaîna sur une autre question qui eut tôt fait de pétrifier la vieille femme. L’interrogation la mettait visiblement en très mauvaise posture, et elle refusa tout net de répondre. Si Saphyre l’avait questionné sur la possibilité qu’une autre personne soit impliquée, elle comprit rapidement que cela signifiait que quelqu’un d’autre avait un lien avec cette affaire et que, quelque soit celui-ci, la vieille dame le craignait assez pour taire toute information à son sujet.

Toutefois, lorsque la mercenaire demanda de quelle manière quelqu’un d’autre pourrait être impliqué, elle reçut une réponse sans équivoque.

« On m'a montré un pouvoir, des monstres sont apparus ... J'avais des tâches précises à faire, j'aurai pu récupérer mon petit-fils. On me l'a promis ... Vous étiez des appâts ... Je suis désolée de vous avoir conduit sur cette voie, je ... J'accepterai n'importe quelle sentence. Je me suis écartée du culte d'Akielos et je ne mérite pas la rédemption. »

Un pouvoir … Des appâts … Voilà qui sonnait bien mystérieux, et elle manquait d’éléments pour pouvoir les associer et comprendre de quoi il retournait. Et même si elle souhaitait poursuivre son interrogatoire, les autorités compétentes se firent entendre et elle fut préféra retrouver le silence. Après tout, ils n’avaient pas nécessité à connaître la nature de ses questionnements.

Une clé fut remise aux autorités, que la demoiselle pensa être celle qui devait ouvrir le coffre découvert dans la clairière par Naoto. Cependant, elle se contenta de regarder l’échange. Finalement, on lui fit savoir que cette affaire serait rapidement élucidée par les autorités akiéloises, l’écartant ainsi savamment de toute tentative de s’immiscer dans l’enquête. De bon gré, la jeune femme accepta cette indication subtile et les remerciements versés à son égard.

Saluant Naoto tout en la remerciant de son aide lors de cette journée bien particulière, la mercenaire finit par prendre congé et s’en retourner là où l’attendait ses compagnons. Une nuit de repos et des soins de mages compétents lui firent le plus grand bien, si bien qu’elle alla porter son témoignage dès le lendemain aux autorités, sans poser la moindre question au sujet de l’affaire ou de l’enquête, omettant seulement son propre interrogatoire de la grand-mère, peu pertinent pour les autorités qui, sans doute, possédaient déjà de la coupable les informations qu’elle avait bien voulu donner.

Alors qu’elle était repartie sur son navire depuis quelques jours afin d’y trouver un meilleur repos, la jeune femme reçut des nouvelles de l’un de ses hommes, laissé à Akielos pour essayer d’en apprendre plus sur cette histoire et continuer à mener quelques recherches de son côté. Après tout, les gens parlaient entre eux de bien des choses et les murmures les plus utiles me manquaient pas si l’on savait les écouter. Elle apprit ainsi la découverte d’un coffre dans la clairière théâtre de l’affrontement contre les Tengus, et surtout l’horreur en découlant. Les autorités avaient trouvé dans le coffre de nombreux cadavres, immondes, dont l’un appartiendrait à un enfant.

Avec un léger soupir, la demoiselle se sentit quelque peu soulagée de ne finalement pas avoir emmené le coffre. Si on l’avait trouvé avec une malle renfermant un tel contenu, les choses auraient très mal tourné pour elle. Cependant, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver une réelle curiosité : pourquoi la vielle dame avait-elle parlé d’appâts ? Des appâts pour quoi ?
Beaucoup de questions demeuraient sans réponses et elle espérait pouvoir en obtenir davantage à l’avenir. Ou, à défaut, se montrerait-elle encore plus prudente…