“Sasori va devenir Roi d’Althéa.” Cette annonce avait manqué de tuer le Prince de Djinn par son propre thé. Kiseki n’est pas du genre à laisser ce genre d’information se perdre dans les oreilles de n’importe qui ; il avait besoin des lumières de Geb, de son opinion sur la royauté dans son pays afin d’apporter à son frère la vision la plus fine sur ses futures fonctions. Les premières questions de Kiseki ne parvinrent pas aux oreilles du Prince, sa main se porte à ses lèvres.
Sasori, Roi ?
Malgré tout ce qui avait pu se passer sous son nez, malgré tout le flair qu’il aurait pu avoir jusqu’ici, il n’aurait jamais imaginé que cela puisse être possible. Mais il n’aurait, après tout, pas pu prédire la descente radicale du Roi d’Althéa non plus. Sasori, “Régent du Royaume d’Althéa”, lui a-t-on précisé comme si cette fonction apportait moins de poids sur ses épaules. Cela pouvait très certainement expliquer beaucoup de choses et de non-dits entre eux. L’état de fatigue dans laquelle il s’était soudainement enfermé.
Mais qu’en était-il réellement ? Sasori était un homme d’action, un homme qui croit en son peuple et sa capacité à survivre durant son absence, mais lorsque le poids du monde les écrase, il se montre présent et serait capable de soulever des montagnes si cela suffisait à les aider. Cela fonctionnait pour une région comme Nordahl, mais qu’en était-il d’un pays entier aux fonctionnements aussi multiples qu’en Althéa ? Sa pensée s’envole au regard insistant et déterminé du jeune Jötunheim.
Un souffle s’échappe de ses lèvres, repousse la fumée de son thé. Qui sait ? S’il y avait bien une personne qui était encore capable de le surprendre en bien quelque soit la situation, c’était certainement ce petit Seigneur devenu Roi. Et quand bien même, comme à Nordahl, il ne portera pas ce fardeau seul.
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Après tant de mois à vivre isolé des autres pays (dont le sien) et après tous ces événements, le Prince était loin de s’imaginer retourner dans une soirée mondaine de sitôt. Contrairement aux Jötunheim, le Prince n’a pas été convié à aller en Varenne, quoi de plus normal après tout lorsque le Prince est encore un fantôme entre les quatre murs d’Okolnir ? La surprise a été d’autant plus grande lorsqu’une invitation lui a été apporté, le conviant à célébrer l’événement avec eux, avec lui ; à visage découvert, sous sa véritable identité. Geb Ramses était enfin autorisé à se présenter au monde après sa longue convalescence.
C’était là, certainement le meilleur cadeau qu’il puisse recevoir en cette lourde période.
La Seigneuresse de Callariate, d’une grande générosité s’était arrangée pour faire passer discrètement des vêtements à Nordahl comme présent pour Geb sous le nom d’emprunt des Jötunheim. Une façon de permettre au Prince de s’appréter de sorte à masquer son affiliation trop importante avec les Althéens, même si quelques distinctions pouvaient se noter dans sa tenue, dans le tissu utilisé pour qu’il n’attrape pas froid. Une main replace ses cheveux derrière son oreille droite, découvrant un peu son visage élégant et ses yeux onyx lorsqu’il découvre le domaine de Varenne.
Les lieux ont été disposés à la façon Nordahloise : les tables ont été rapprochées pour symboliser cette ambiance familiale et "sans-frontière" du peuple d'Orvar, pas un homme n'est au-dessus des autres et le Dirigeant lui-même, Sasori, se présente comme un "chef de famille" accessible et plus humain au yeux des autres. Et malgré le côté inédit de cette coutume que Geb avait surpris lors de la nouvelle année et dont il n'était pas coutumier, il constate que certains des nobles semblent s’y adapter malgré eux et se prêter au jeu avec quelques réserves pour les plus conservateurs d’entre eux. Il laissa son accompagnateur trouver sa route vers le buffet tandis que le Prince, bien plus discret en l’absence de la figure d’autorité de Djinn s’avance parmis les convives. Parfois on le reconnaît, mais c’est un sourire embarrassé, un “Je me dois de faire mes salutations” qui interrompt les premiers regards. Le Prince s’avance, progresse encore alors qu’il remarque le regard du Roi balayant par moment l’assemblée sans la voir.
Tant qu'il n'est pas installé au trône on semble le laisser tranquille. Mais bientôt, au grand désarroi de Sasori : les présentations et les salutations parfois pompeuses en son honneur vont innonder sa soirée. Lui qui fuyait au plus vite ces événements après avoir salué les personnalités les plus importantes, se retrouvait à devoir feindre de ne pas bailler devant les nombreuses salutations au Roi et aux invitations à accaparer son attention.
Il prend son mal en patience pour le rejoindre, et quand les premiers grands noms tonnent au loin à l'entrée le mouvement de foule et des quelques invités lui permettent de progresser. Ils libèrent le passage et permet au Prince de trouver place face au Régent.
- “Sasori…” souffle-t-il à son encontre doucement.
Il ne dit pas un mot de plus, les oreilles attentives autour d’eux le pousse à garder son contrôle, il ressent cette pression imaginaire de faire bonne figure, d’être impeccable dans sa diction et son discours. D’être à l’image du Roi de Djinn que l’on aspire voir de lui.
Il s'incline.
- “Votre Majesté…”
Un discours pompeux, des paroles faciles, c’est ce qu’il aurait fait face à n’importe quel Roi.
Mais il n’est pas uniquement cela.
- “... Laissez-moi d'abord parler, j'ai des choses importantes à vous dire...” il a conscience qu'il ne peut pas s'imposer à lui là où beaucoup attendront leur tour après lui. Geb inspire profondément avant qu'il ne regrette, avant que sa fierté ne prenne le dessus ou que n'importe quel autre événement le pousse à se renfermer.
- “Je vous dois… Des excuses. Bien qu’il ne semble pas approprié de les prononcer ici, je pense que vous saurez très exactement de quoi je parle.” Lui qui avait tant de fois rabaissé le Seigneur à la hauteur d’un plafond de verre, se retrouve fort surpris de voir que, comme d’habitude, les limites pour ce Nordahlois se sont résolus d’un simple coup de poing. “Je me suis fourvoyé, mais il ne s’agit pas là d’une constatation nouvelle : votre dévotion et votre sens du devoir honorent votre nation. Vous m’en voyez admiratif.” Geb se redresse. Sasori semble confiné dans sa tenue élégante, son visage semblait dur et impénétrable vu d’ici. A l’image d’un Roi que l’on imagine, mais pas du Seigneur de Nordahl qu'il connaît.
- “A vous voir aujourd’hui, vous prenez certainement conscience de l’ampleur de la tâche qui vous incombe et que vous saurez faire honneur aux traditions Althéennes avec intelligence et discernement. Mais plus que cela, et j’en suis convaincu, votre fraîcheur saura se révéler intéressante pour l’avenir. Votre Majesté, si vous me permettez de vous donner un seul conseil, même bien modeste de la part d’un Prince d’une contrée lointaine…”
Son regard s’adoucit, Ce n’est pas le Roi qu’il veut voir sur ce trône, Mais Sasori.
- “N’oubliez pas qui vous êtes sur cette voie.” Il entend le son discret d'un raclement de gorge attendant sagement de pouvoir s'entretenir avec le Roi, Le Prince reprend. “En tout cas... profitez de la soirée, quelque chose me dit que vous serez beaucoup sollicité ce soir alors...” ils ne risquent sans doute pas de trouver le temps pour se croiser.
Il s’incline pour la seconde fois, l'invitant à profiter de la cérémonie tandis qu'il laisse la place à d’autres de s’introduire à lui. Et beaucoup d'entre eux semblent déjà se bousculer pour quémander son attention. Geb ne peut pas le retenir. Si auparavant le Prince était en quête d'attention quelque soit l'événement, aujourd’hui, son caractère extrapolé s’est évaporé. L’attention se tourne vers le Roi tandis qu’il s'éloigne sans faire de vague.
Ce n’est pas plus mal ainsi.
Geb se sent détendu de voir toute cette pression disparaître…
Mais une nouvelle annonce à l’entrée de la grande salle au loin fait soudainement remonter sa tension.
Le Roi de Djinn, ainsi que la famille Royale, est là.