Les annonces ont été prononcées quelques jours plus tôt : les familles peuvent dorénavant se loger dans les ports les plus proches de chez eux pour mieux diriger les diverses opérations organisées. Ainsi, le flux de passants et les bras supplémentaires envoyés au-delà de la mer de Cheldis pour aider les zones en danger, sont vérifiés et effectués avec plus d’efficacité. Rester les bras croisés ne fait pas partie de ta personnalité, et bien entendu que tu avais appuyé tes exigences par des arguments impulsifs mais réfléchis et cohérents.

Après avoir songé aux choses que tu allais pouvoir faire à Ellium, tu as également pensé à celles que tu laisserais derrière. Une d’entre elles te faisait légèrement tiquer. Il ne reste plus beaucoup de temps pour profiter d’Ios et il serait malvenu de ne pas entièrement apprécier chaque minute avant ton départ.

Tu aurais pu sortir dans une taverne, après tout, celles d’Ios sont raffinées, certaines connues pour avoir le meilleur vin de tout Cheldis. Tu aurais donc pu profiter d’un nectar bordeaux sur une terrasse, en regardant le coucher du soleil, à essayer d’oublier le poids du monde qui pèse sur les épaules des hautes têtes de l’archipel. Tu aurais donc pu boire toute une bouteille, voire deux, te prélasser, essayer de chasser ces énormes problèmes avec de la bonne compagnie. Un barde poussant la chansonnette de récents exploits, une danseuse venue pour divertir la foule de ses déhanchés à en faire rougir le plus pieux des Bhikkhu, ou bien encore, un instant de flirt avec un ou une parfaite inconnue afin de passer une nuit mouvementée.

Tu aurais pu faire tout ça.
Mais à la place, tu as envoyé une missive.

Tu as pris du temps pour écrire une lettre officielle brève à l’intention d’une personne qui exige ce genre d’attention. Tu as chargé un coursier officiel d’Althéa, de livrer en personne la lettre, scellée par la tête du Loup de Nordahl, au destinataire. Tu as précisé à ce charmant jeune homme aux nombreux tatouages, d’observer la réaction de la personne concernée, et immédiatement venir t’en faire part, avec le plus de détails possibles.

Tout ceci, dans la plus grave des mines.
Le garçon a suspecté un contenu de la plus haute importance, et ne s’est pas fait prier pour détaler comme un lapin remplir sa tâche. Probablement que les quelques écus s’entrechoquant dans une petite bourse l’a également motivé.

Ceci étant fait, tu t’es dirigé vers les bains publics pour te rendre propre. Tu as ensuite flâné jusqu’au début de soirée dans les rues d’Ios pour dépêcher quelques bouteilles d’alcool, espérant y trouver de l’Hydromel pure. Sur ton chemin, un marchand de Nordahl t’a alpagué pour te remercier d’avoir sauvé sa famille lors du banquet de Varenne. Sans toi, semble-t-il dire, qu’il aurait perdu toute raison de vivre, car sa femme, beaucoup plus jeune que lui, représente sa plus grande richesse.

Tu l’as longuement écouté raconter ses mésaventures familiales, avant l’apparition étrange de cette demoiselle qui lui a redonné un second souffle de vie. Profitant de cette nouvelle proximité, tu ne t’es pas gêné pour lui demander son plus précieux alcool, et aussi, le plus fort. Il a alors rougi de fierté de recevoir une réquisition du nouveau Régent d’Althéa, et pour s’attirer les bonnes grâces, il t’a offert non une bouteille d’Hydromel, mais trois. Si tu aurais pu en accepter une, tu lui as tout de même payé les deux autres, le remerciant pour sa bonne volonté.

Ainsi donc, le soleil se couche à peine lorsque tu regagnes la maison que l’on t’a prêté pour ton séjour à Ios. Une incroyable demeure faite de blanc, qui resplendit de toute part, de sa beauté exotique. Tu as eu du mal à te faire à son architecture, au placement des pièces, tout est dans l’extravagance, tout est placé de sorte à donner de grandes pièces spacieuses et lumineuses. Bien loin de ce que tu as à Nordahl en somme.

En pénétrant dans la maison, une domestique Akieloise t’annonce que Ryoji est sorti pour la soirée, et que ton père s’est improvisé un terrain d’entraînement derrière la maison. Le connaissant, il ne se reposera pas de si tôt. Tu as donc tout le loisir de profiter de la demeure ce soir, avec ton invité de marque.

Un léger sourire malicieux dresse tes lèvres.

« Lorsque mon invité arrivera, conduisez-le sur la terrasse. Je l’y attendrai. Pendant ce temps, préparez-nous un plat qui se mariera parfaitement avec de l’Hydromel. »

En passant à côté d’elle, tu lui adresses un demi-rictus qui la fait rougir comme une adolescente en effervescence.

« Je compte sur vous. »

Contenu de la missive:

La jeune femme rougit comme une pivoine avant de s’enfuir à toute jambe dans la cuisine de la spacieuse demeure. Tu n’as pas eu le temps d’apprécier la beauté du lieu. En réalité, tu n’y es quasiment pas, vadrouillant à droite et à gauche. En passant devant un immense miroir, tu soulèves ta chemise blanche ample pour regarder l'hématome dans ton dos. Une tâche brune qui prend principalement le bas de ta colonne, traversant ta peau comme une marque indélébile. Une sacrée chute, à n’en point douter, quand le sol avait cédé sous tes pieds dans ce maudit bateau hanté.

Tu laisses un soupir t’échapper. Si le Prince de Djinn se rend compte de tes escapades dangereuses alors que ta blessure se remet à peine, il va encore grincer des dents, voire te faire la morale. Tu préfères éviter. Ce n’est pas la soirée que tu as prévue. Même s’il est rare que tu prépares quelque chose, exceptionnellement, pour cette soirée, tu veux avoir un vrai temps avec Geb Ramses.

Avant que chacun ne parte pour ses obligations dans des villes opposées, sur les côtes d’Akielos, sans doute qu’une conversation sérieuse sur ce qui se passe entre vous, serait bénéfique.

Un petit sourire s’affiche dans le reflet du miroir que tu n’as pas quitté depuis plusieurs minutes. Tu te demandes comment il a réagi à la missive officielle. Sur tes pensées, le messager te revient pour t’expliquer la tête que le Prince a fait suite à la lecture. Tu ne peux t’empêcher de pouffer de rire, donnant quelques pièces supplémentaires au jeune homme tatoué pour les détails donnés.

Tu te languis de voir un Geb Ramses apprêté pour une entrevue officielle, quand toi, tu es paré d’atours simples. Un pantalon en lin noir, et une chemise légère blanche, à moitié ouverte sur ton torse dessiné et orné de marques sombres pour la vie.

Le silence revient bien vite, pendant que tu marches sur la terrasse, doucement agressé par le vent de fin de journée qui vient secouer les tissus que tu portes. Les mèches rosées de tes cheveux virevoltent au-dessus de ta tête, te perdant dans tes pensées quelques instants. Tu ne connais pas la finalité de cette soirée, et tu préfères ne pas l'imaginer. Chassant donc toutes les éventualités de ces quelques heures avec le prince héritier, tu poses ton noble fessier sur un des sièges en osier. Posé comme un Roi dans toute son excellence, tu observes le ciel qui change de couleurs. Le bruit de la mer te parvient comme une douce mélodie.

Prendre un navire et voguer sur l’océan de Cheldis te manque, mais tu ne peux pas te laisser à quelques fantaisies. Pas en ces temps troublés. Pas alors que de nouvelles responsabilités pèsent sur tes épaules.

Tu laisses un soupir franchir tes lèvres, apercevant quelques hors-d'œuvres être déposés sur la table extérieure en prévision à l’arrivée de ton invité spécial. Et en parlant du loup, tu peux déjà entendre sa voix dans le hall d’entrée. Un verre transparent dans une main, tu te lèves de ton siège pour vaguement observer l’eau de la piscine. La surface bougeant au rythme du vent, les rayons du soleil provoquent des flashs insupportables dans tes yeux, ce qui te fait te détourner. Au même moment, un raclement de gorge survient. Tu aperçois la peau dorée du Prince, et l’observes quelques instants tandis que la domestique s’éclipse.

Tu lèves un sourcil en t’avançant vers la table dressée suite à sa question. Tu poses ton verre, pour en remplir un deuxième d’un liquide aussi dorée que le sable de Djinn, que tu attrapes ensuite pour le tendre à ton invité.

« Est-ce que cela te déplaît ? »

Tu esquisses un vague sourire tout en le fixant d’un regard sombre et énigmatique.

« Bonsoir à toi aussi, cher Prince héritier de Djinn. »

Ta main l’invite à prendre place sur l’un des sièges au bord de la piscine. Tu te replaces sur celui que tu empruntais quelques instants auparavant, et regardes le Prince.

« As-tu encore quelque chose à me demander ? J’ai comme l’impression que tu as plus d’une question qui te trotte dans la tête. »

Finalement, tu ne lui laisses pas le temps de répondre que tu t’approches de lui, plongeant ton regard dans le sien. A seulement quelques centimètres de son nez, tu souffles quelques mots, descendant brièvement tes yeux sur ses lèvres.

« On devrait d’abord se détendre. Les sujets à venir seront plus simples ainsi … Tu ne crois pas ? »

Tu l’as habitué à autre chose, dit-il. Tu ne peux empêcher ton nez de souffler à la suite de cette remarque, un léger sourire dresse la commissure de tes lèvres pendant plusieurs secondes. Amusant de constater que, malgré les détails du messager sur sa réaction, Geb a beaucoup cogité sur la raison de votre entrevue ce soir. Tu t’amuses de ces réactions, et probablement qu’à un moment, il s’en rendra compte. Peut-être qu’un jour, il ne se fera plus avoir, mais en attendant … Tu vas en profiter au maximum.

En vous installant, tu te mets à l’aise, pliant l’une de tes jambes pour la faire passer sur l’autre de manière plus que détendue. Tu t’adosses paisiblement au dossier du siège, mais pas pour très longtemps, car déjà, tu commences un assaut émotionnel sur Geb. Comme attendu, ses barrières se détruisent instantanément pour laisser place à celui que tu connais bien. Celui qui occupe tes pensées depuis plusieurs mois maintenant.

Bien que ton regard descende deux ou trois secondes sur ses lèvres, tu relèves les yeux vers les siens, une lueur de malice dansant au fond de tes prunelles. Il pourrait être amusant de le faire languir, de lui faire attendre les choses jusqu’à ce qu’il vienne les chercher de lui-même.

Oh.
Un nouveau jeu se met doucement en place dans ta tête. Tu te replaces tranquillement dans ton siège lorsque le Prince désigne la nourriture exposée sur la table, laissant ton esprit s’en aller pour des petites subtilités à mettre en place. Tu ne peux détacher cet air espiègle de ton visage, et pourtant, tu fais de ton mieux pour paraître normal.

Tu te mets à observer l’horizon à nouveau, décidant de changer radicalement de sujet.

« Dans cette quiétude, j’ai l’impression que la guerre n’est qu’une farce. Comme si tout ce que nous avons récemment vécu n’était pas réel. »

Tu lèves les yeux sur le ciel, t’affalant sur ton siège en buvant ton verre.

« Tu ne trouves pas ? »

Il y a ce sentiment d’isolement aussi. Cette interdiction de rejoindre Althéa, Nordahl plus spécifiquement. Tu te demandes si les habitants restés sur place s’en sortent, et si les ressources sont suffisantes. Tu penses à Fenrir, résolue à rester protéger son île. Une soudaine nostalgie te tord les tripes. Tu te racles la gorge et te lèves pour t’approcher de la table. Tu attrapes un truc au hasard dans les plats et le manges rapidement, suivi d’une descente de ton hydromel. Tu viens remplir de nouveau ton verre de la même substance, et te tournes vers Geb.

« Avais-tu déjà goûté l’hydromel ? Certains diraient que c’est une bière, mais je ne suis pas d’accord … »

Tu te tais un instant, faisant tournoyer l’hydromel dans ton verre comme s’il s’agissait du vin.

« Finis ton verre et viens manger quelque chose Prince de Djinn. Je crains que tu ne tournes de l'œil avant que nous entamions les sujets pour lesquels tu es venu ici ce soir. »

Le sentiment de Geb est le même que le tien sur les évènements. Tout va trop vite. Tout est tombé d’un coup sans que personne ne puisse prévoir une telle invasion, une telle guerre. C’est comme si une organisation qui prend des mois avait été planifiée en quelques minutes, dans la plus grande efficacité et la grande discrétion.

« Je pense que tu as dormi suffisamment longtemps … »

Petit sous-entendu concernant l’empoisonnement de Djinn, duquel il s’en est sorti comme un chef. Il n’y a pas eu de complications et pas de séquelles graves. Il ne gardera qu’une cicatrice sur l’épaule de cette terrible expérience, et probablement une marque indélébile dans ses souvenirs. Il n’oubliera jamais, mais d’autres évènements viendront minimiser cette phase de sa vie.

L’ambiance s’est alourdie d’un coup à la mention des évènements récents, tu préfères alléger le ton de cette conversation en dirigeant les propos vers l’alcool qu’il a entre les doigts. Et quelques instants lui ont suffi pour vider le contenu de son verre. Tu n’es pas plus étonné que ça, puisque l’hydromel de par le miel qui couvre l’acidité de l’alcool, se boit très facilement. Peut-être trop pour ceux qui ne connaissent pas ses effets.

La confiance du Prince de Djinn concernant l’alcool te fait doucement sourire. Ainsi, il pense que l’alcool de Nordahl est pour les jeunes femmes fragiles et qu’il n’a rien à craindre ? Tu ne répliques pas, préférant le laisser découvrir lui-même les dangers de ce nectar qui prend à revers.

« Dans ce cas, tu ne verras pas d’inconvénients à en reprendre un verre, n’est-ce pas ? »

Tu remplis son verre en penchant le pichet Akielois afin que le liquide couleur sable s’y échoue, faisant de même avec le tien par la même occasion. Tu pioches dans quelques plats pour avaler des petits apéritifs préparés pour accompagner l’hydromel. La domestique a bien compris tes demandes, et s’est démenée sur ce coup-là. Tu penseras à lui donner quelques écus supplémentaires pour la remercier d’avoir aussi bien travaillé.

Tu jettes un regard amusé sur Geb lorsqu’il te demande la raison de sa venue, mentionnant l’autorité de son père avant lui.

« Tu es bien curieux. Mais cette conversation attendra la fin du repas. On dit que certains sujets s’abordent mieux le ventre plein. »

Les termes sont posés, tu pourras donc le faire mariner toute la soirée, avant de lui avouer qu’il n’y a rien à aborder, à part peut-être mettre un terme précis sur leur relation avant d’être séparés pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

« Je dois tout de même avouer que t’entendre m’appeler le Régent d’Althéa a quelque chose de très satisfaisant. Je me souviens d’un Prince capricieux qui avançait que j’étais coincé sous un plafond de verre, condamné à n’être qu’un petit Seigneur jusqu’à la fin de ma vie. »

Tu lui lances un sourire le défiant visiblement.

« Cela dit, être un petit Seigneur de province me convenait tout à fait. Je n’ai jamais cherché l’autorité politique ou monarchique. J’aime qu’on parle de moi, c’est une évidence mais … Je n’aurai jamais cru avoir les pouvoirs d’un Roi. Même si je ne suis qu’un substitut jusqu’au retour d’Alexander. »

Tu te poses sur le bord de la table, aux côtés de Geb.

« Seigneur, Régent, Roi, substitut, Nordahlois … Au final, je ne suis rien de plus que Sasori, n’est-ce pas ? »

Tes yeux caressent la silhouette de Geb, remarquant ses atours simples, dénués des bijoux d’or qui le caractérisent si bien. Djinn est bien loin dorénavant, et il est évident que son confort n’est pas ce qu’il est d’ordinaire. Cependant, il sait toujours se sublimer, quoi qu’il porte.

Mais peut-être que ton avis est biaisé par votre lien indéfini.

Si tu pensais le Prince de Djinn plus prudent au sujet de l’alcool, il n’en est rien. Tu laisses un petit sourire amusé planer sur tes lèvres lorsque tu le vois porter l’hydromel à ses lèvres dès que tu as terminé de le servir. Remplir son verre pourrait être vu comme une tâche ingrate, digne d’un serviteur, mais tu ne fais pas attention à ce genre de détails. Tu te fiches de ce que l’on pourrait penser.

Cela dit, la fierté de ce prince doré lui fera regretter de prendre l’hydromel pour un petit apéritif sans intérêt, car déjà, le sucre et l’alcool se mélangent dans ses yeux, faisant danser un confort certain. Comme un allègement des charges sur ses épaules, ce qui le conduit à des paroles plus sincères et plus ouvertes.

Le simple fait qu’il attende que tu termines de parler avant de réagir et te sauter dessus pour se défendre et/ou te rabaisser est la preuve que l’alcool fait son travail. Ou bien, est-ce le fait de te fréquenter depuis plusieurs mois qui laisse suggérer que tu aimes provoquer par habitude, et non par pure moquerie. A-t-il enfin compris comment tu fonctionnes ? Qui tu es, au fond ?

Tu prends une gorgée de ta boisson en laissant Geb te répondre. Il souffle par le nez, amusé, taquin. Dans son regard apaisé, tu remarques qu’il te cherche, autant que toi, un petit jeu s’installe. Tu te demandes qui aura le fin mot. Tu te demandes même si ce dernier existe vraiment entre vous. N’est-ce pas des rebondissements continus entre vous ? N’est-ce pas plus exaltant de cette manière ?

Il est certain que tu apprécies ces petits moments avec lui. Plus que lorsque tu crachais à ses pieds en l’insultant d’être indigne de son rôle, plus que lorsqu'il se plaisait à te rabaisser pour le plaisir d’être le plus grand et le plus riche. Les choses ont changé, et t’en rendre compte te fait sourire intérieurement.

Au terme d’ours, tu le regardes en levant un sourcil, sans comprendre de quoi il parle. Sa remarque semble sortie de nulle part, ce qui provoque ta confusion.

« Un ours ? »

Tu regardes son verre qui se vide à vive allure, surveillant sa consommation. Tu ne veux pas d’un Geb chancelant et incapable d’aligner quelques mots. Le laisser enjoué est largement suffisant, surtout après seulement deux verres. Toi, tu n’as aucun problème avec ça, puisque tu y es largement habitué.

Tu finis par légèrement sourire en l’écoutant tout en prenant de quoi grignoter en même temps.

« Je ne serai jamais personne d’autre que moi-même. Si Iris m’a placé sur ce podium, c’est qu’elle croyait en moi. Je veux garder mon identité pour connaître ma place et ma valeur. Jötunheim est une fierté, mais Sasori l’est encore plus. Une femme que j’aimais beaucoup m’a donné ce prénom et je veux qu’elle soit fière de ce que je deviens. »

Ces mots sont légers, il n’y a qu’une douce émotion positive dans ta voix alors que tu te redresses de la table. Tu fais quelques pas, et t’arrêtes finalement devant la piscine qui reflète le soleil dans tes yeux carmin.

« Un jour, tu sauras te démarquer de tes titres. Tu as déjà commencé à changer. Est-ce que tu te rends compte que tes anciens caprices ne m’auraient jamais permis de te parler familièrement ? Ô grand jamais le Prince héritier de Djinn, désigné par les Dieux eux-mêmes, n’aurait laissé qui que ce soit le considérer comme un homme comme les autres. »

Tu perds ton regard sur la surface de l’eau, le vent se glisse dans ta chemise ample et dans tes cheveux. Tu tournes ton regard vers lui, de biais, tout en laissant un petit sourire en coin étirer tes lèvres.

« Je pense que tu peux te permettre des caprices allant dans ton sens. Si tu veux être Geb, tu n’as qu’à l’exiger. Tu es Prince, qui oserait te contredire ? Jusque-là personne n’a eu cette audace à part moi. »

En écoutant les propos de Geb, tu es perplexe. Tu as l’impression que ses envies contredisent son éducation, car lorsqu’il souhaitait être appelé Geb plutôt que Prince, il se ravise finalement en disant que Djinn fonctionne ainsi et qu’il ne veut pas changer cela. Tu te contentes de froncer les sourcils et ne rien répondre. Tu restes cependant pensif sur cette conversation. Devrais-tu continuer sur cette lancée, au risque de partir sur des points de vue différents ?

Tu sais que tu peux être rude dans ce genre de situations, et que Geb est facilement susceptible. Est-ce qu’avec l’alcool, il réagirait pareil ? Ton regard ne lâche pas la surface de la piscine, jusqu’à ce que la domestique s’approche de toi. Elle prononce de basses paroles à ton oreille avant que tu ne te tournes vers Geb, t’apercevant que ses yeux sont posés sur toi.

« Est-ce que la vue te plaît ? »

Tu laisses un silence de quelques instants planer tout en t’approchant de la table. Tu t’arrêtes une fois que tu es si près de Geb que tu ne peux plus avancer sans le toucher. Ton regard plonge dans le sien, intensément. Ta main se pose sur le bord du meuble, réduisant un peu plus la distance entre vous, respirant malgré toi, son odeur.

« Le paysage est plaisant d’ici, n’est-ce pas ? »

Tu mets finalement un hors d’oeuvre dans ta bouche avant de te redresser convenablement, replaçant les pans de ta chemise convenablement autour de ton cou.

« Je t’invite à prendre place en bout de table, que l’on attaque le dîner. »

Sans plus d’attente, tu te déplaces toi-même en face de Geb, pour t’asseoir, tel un Roi, dans ton siège. La domestique retire la nourriture présente et en plusieurs allers-retours délicats et silencieux, elle transforme la tablée en un somptueux repas en tête-à-tête. Le vent se glisse dans tes vêtements, découvrant un bout de tissu qui laisse poindre les tatouages de tes pectoraux. Tu n’as pas lâché Geb tout du long, même maintenant que la chaleur de la nourriture provoque de la fumée sur la table.

« J’espère que la nourriture te plaira. »

Tu fais un petit signe à la domestique de remplir le verre de Geb pour qu’il puisse se rafraîchir avec le nectar doré. Malgré la brise présente, tu peux ressentir la chaleur du soleil du soir courir sur les tissus de tes vêtements. Si cela ne tenait qu’à toi, tu aurais déjà retiré ta chemise. Quand bien même, la matière est fluide, tes mouvements sont libres, tu as toujours une température corporelle plus élevée que la moyenne.

Être dehors, ainsi vêtu, malgré ton flegme habituel, est presque une torture pour toi. Tes doigts passent sur ta nuque, une fine pellicule de sueur a commencé à se poser sur ta peau au fil du temps. Tu essaies de ventiler ton torse par les pans à demi ouverts de ta chemise, et même si c’est temporaire, cela te fait du bien.

Tu laisses un soupir chaud s’échapper de tes lèvres.
Ton regard se pose sur Geb.

« Mangeons, veux-tu. »

En vous plaçant de cette manière, chacun au bout de la table, l’autorité est équilibrée. Tu n’agis pas de manière dominante, ni égocentrique, tu t’assois simplement comme tu le fais d’habitude. Comme un Roi nonchalant qui n’aurait aucune considération pour la vie, pour son vis-à-vis, et pour aller plus loin, pour ses sujets, son peuple, son royaume. Mais on te connaît suffisamment pour savoir que tu n’es pas ce genre d’homme.

A la mention de viande d’ours, tu souffles par le nez. Il n’est pas si courant que l’on mange cet animal en réalité. En de grandes occasions, lorsqu’il faut nourrir beaucoup de monde, il est plus coutume de chasser l’ours, en raison de la quantité de viande qu’il peut fournir. Il peut nourrir aisément tout un petit village si l’on s’occupe bien de sa carcasse.

Toi, tu n’en manges pas beaucoup. Pour la simple et bonne raison que tu es de signe astrologique de l’Ours et que tu as l’impression de commettre quelque chose d’impardonnable à chaque fois. C’est psychologique, tu ne l’expliques pas.

Lorsque la jeune femme vient servir, et les plats, et vos verres, Geb l’arrête dans un geste avant que le récipient ne soit rempli jusqu’en haut. Tu laisses un petit sourire discret derrière ton propre verre, que tu portes à tes lèvres de manière naturelle. Ressentirait-il déjà les effets de l’hydromel ? Il est amusant de voir le Prince de Djinn hors de son confort, trop confiant, qui se fait prendre à revers par l’univers lorsqu’il se pense au-dessus de tout.

Il avait été prévenu à Nordahl.
Il subira les conséquences de son orgueil.

De ton côté, tu y es habitué, ce nectar aussi doré que le soleil qui coule dans ta gorge alors que ton regard se perd dans le paysage. Ta main glisse sur ta nuque, comme pour chasser la chaleur qui s’accumule, mais ce geste est vain. Tu n’as pas un corps résistant à la chaleur, dès que le soleil pointe le bout de son nez, tu sais que tu vas avoir du mal.

C’est pour cette raison que tu fuis Djinn. Tu ne pourrais certainement pas vivre dans ce pays, tu préfères le froid et les paysages forestiers. Sans même t’en rendre compte, tu as commencé à secouer les pans de ta chemise pour ventiler au mieux ton torse tatoué de traces noires. Perdu un instant dans tes pensées, tu reviens doucement sur l’instant présent lorsque ton regard croise celui de Geb, qui t’observe avec une attention toute particulière.

Tu plisses les yeux, avec un léger sourire en coin, satisfait de ses yeux posés sur toi, à te dévorer en laissant son imagination travailler. Tu ne fais aucune remarque, tu lui offres le loisir de te déshabiller de ses prunelles aussi noires que les abysses, mais tu le fixes avec insistance.

Cet échange est temporaire, mais délicieux. Tu ne sais pas si tu as déjà ressenti ton ventre se tordre en regardant quelqu’un, et en étant regardé de cette manière. Tu avais prévu une petite soirée tranquille, mais tu ne sais pas si tu pourras contenir plus longtemps les envies qui trottent dans ta tête depuis quelques secondes. Dire que tu n’as jamais pensé à t’emparer de Geb de toutes les façons qui existent serait un mensonge, mais tu n’y avais pas songé là, pour cette soirée.

Finalement, le repas se passe tranquillement. Entre échanges verbaux sans grande importance et regards entendus, entre les essais de Geb pour connaître la véritable raison de sa venue et la tension étrangement lourde qui s’est installée …

Une fois la table débarrassée, le soleil tombé derrière la ligne de l’horizon, le ciel s’est teint de couleurs orange et rose. L’hydromel a été stoppé par ta main lorsque la demoiselle ramenait un nouveau pichet. C’est suffisant, Geb est assez libéré de ses chaînes, tu ne voudrais pas que la suite de la soirée soit oubliée à cause de l’alcool.

Surtout pas.

Tu invites Geb à profiter de l’extérieur encore un peu. Tu te places face à la piscine, comme lorsque le Prince est arrivé, et observes l’eau qui bouge doucement. Tu jettes un coup d’oeil vers lui, vers cette peau aux couleurs du chocolat, vers cette chevelure couleur de jais. Tu as toujours trouvé Geb élégant, comme une statue travaillée par le meilleur artiste qui existe. Tout respire la grâce et la finesse, tout respire la noblesse de son éducation, mais aujourd’hui, il y a un Geb plus naturel qui fait surface. Un Prince que tu apprécies avoir à tes côtés.

« Tout a changé. »

Une pensée qui t’échappe soudainement.
Tu as d’abord perdu ton regard sur l’eau, une nouvelle fois.

« Je vais te raconter une histoire. »

Tu as inspiré, fortement, et expiré comme pour te donner du courage.

« Il y avait un jeune homme aussi imprévisible que la mer. Libéré de la punition de son père pour avoir commis un acte discutable, il a vogué sur les océans de Cheldis, travaillé d’arrache-pied pour se démarquer, pour être le meilleur, parce que, et bien, il était ainsi. Mais, il voulait surtout profiter de sa liberté, ce sentiment qu’il appréciait tant, et qu’il n’aurait échangé pour rien au monde. Il a rencontré tout un tas de gens lors de ses voyages, mais il y avait un artiste en particulier qui éveillait sa curiosité. Il n’était pas particulièrement remarquable, du genre discret et calme, préférant dessiner sur du papier blanc que se mêler aux autres. »

Ensuite, tu as commencé à marcher doucement, faire les cents pas près de la piscine, perdu dans ton récit.

Va-t-il écouter jusqu’au bout ?

« L’homme réussit à s’approcher de l’artiste. Ils ont passé beaucoup de temps ensemble, jusqu’à complètement abandonner sa patrie et disparaître dans une autre. Il voulait vivre sa vie, goûter à ses sentiments au maximum, voir où ça le mènerait. Il y menait une vie simple, mais sincère et dénuée d’artifices. Il a connu le bonheur à l’état pur, la simplicité. Il avait une maison, un homme qui partageait sa vie, ils ont fini par adopter un petit garçon sans famille. Il n’y avait rien qui pouvait entraver sa nouvelle vie. Rien. Car il ne l’aurait pas permis. »

Tu t’arrêtes.
Ton regard se pose sur Geb.

« Tout a volé en éclat lorsque l’artiste a perdu la vie. Le guerrier n’avait plus de raison de se battre. Son monde s’est écroulé, c’est comme si plus rien n’avait d’importance. Son frère l’a retrouvé, grâce à son enfant, et il est rentré chez lui. Mais comment retrouver son ancienne vie alors que la raison qui le faisait avancer a disparu ? C’était difficile, et égoïstement, il a cherché un moyen d’en finir. Enchaînant les combats, il a récolté de nombreuses blessures, dont une, qui a presque coûté sa vie. »

Inconsciemment, ta main a touché cet endroit, aujourd’hui balafré d’une nouvelle cicatrice. Celle de la guerre.

« Il a failli mourir. Il s’est rendu compte de ses erreurs mais il ne voyait qu’une façon d’avancer. »

Tu lèves les yeux vers le ciel, pensif.

« Oublier. »

Tu redescends doucement tes yeux pour les poser dans ceux de Geb.

« J’ai décidé de mentir à tout le monde et de simuler une perte de mémoire de six ans. »

Cette histoire racontée alors que ton corps bouge sans même t’en rendre compte, alors que tes yeux ne parviennent pas à se fixer sur quelque chose, sans cesse à chercher une ancre pour s’arrêter, pour ralentir le rythme de tes pensées. Sans y parvenir. Tu as du mal à tout raconter, il est plus simple d’avoir l’air de conter une histoire sans importance, un récit qui n’est pas le tien, mais celui d’un jeune homme qui n’a pas su gérer sa peine, sa tristesse, son deuil. Un homme qui s’est montré faible, au point de vouloir mourir et ne plus profiter de cette vie qu’il a tant aimé un jour. De cette vie que tu aimes tant parcourir librement, au gré de tes envies.

Voir la mort de près change la donne. Cela change la perception de tout. De son environnement, car la moindre brise de vent devient agréable, devient importante, a une signification. De son entourage, car la moindre petite blessure peut guérir mais qu’un rien peut mal tourner. De ses relations, car tu as mis une distance considérable avec tout le monde. Le monde entier est à ta portée, mais toi, Sasori, l’es-tu ? Est-ce que n’importe qui peut se pencher pour t’écouter et te comprendre ?

Y a-t-il une personne que tu laisserais te caresser n’importe quand ?
Oui, aujourd’hui, il y en a une. Cette personne existe, et subtilement, doucement, naturellement, elle est revenue se prendre les pieds dans les nœuds de ta vie, avançant dans le chaos de ton cœur pour finalement voir une lumière. Un organe qui bat encore derrière ce tas de muscles qui compose ton corps, derrière ces cicatrices qui laissent supposer les durs combats que tu as menés.

Mais le combat le plus difficile est ton mensonge.
Car tu évites tout depuis le début.
Tu as effacé pour mieux avancer.

Tu ne regrettes rien, mais tu es aujourd’hui prêt à accepter certaines choses. Peut-être que tu te rends compte que la mort est encore à ta porte et qu’elle pourrait t’emmener n’importe quand. A n’importe quel moment, une erreur peut te coûter très cher. Il est temps, Sasori, de profiter de ce qui est sous ton nez. Kléomène t’a dit de ne pas laisser le passé alourdir tes choix.

A cet instant, tu as la sensation d’avoir fait un pas.

La question de Geb te ramène sur l’instant où tu as fini ton récit, à l’instant où tu viens de lui annoncer que tu as menti à énormément de personnes, égoïstement, pour te protéger, pour aller mieux, pour éviter les questions.

« Les choses ont évolué d’une autre façon entre toi et moi. La guerre est à nos portes et je ne veux pas partir avec des regrets. Je ne veux pas de ta compassion, ni de ta pitié. Cette histoire ne concerne que Ryoji et moi. Mais … »

Tu marques une pause.
Tu t’approches de la table et te serre un verre d’eau.

« Tu as quelque chose qui m’appartient. C’est la clé qui me permettra de clôturer cette histoire. »

Tu te tournes vers lui et le regardes sincèrement, dans le blanc des yeux.

« Rends-moi le tableau acheté à Makrinitsa, c’est le dernier qu’il reste à Cheldis. »

Le dernier d’une immense collection. Des petits tableaux vendus pour trois fois rien à l’époque, vous permettant de vivre confortablement mais sans grand luxe. Des peintures qui se vendent aujourd’hui plus que de son vivant. Un artiste qui connaît un franc succès sans même pouvoir en profiter. Tu te fiches bien du montant que tu dois mettre pour tous les avoir, mais c’est important pour toi.

« Je te donnerai ce que tu veux en échange, ton prix est le mien. »

Tu t’approches de lui, si près, si près, que tu peux sentir son parfum naturel dans tes narines. Tu plonges tes yeux carmin dans les siens, remarquant l’émotion contenue au fin fond de sa fierté, de son égo, de sa tenue. Ton doigt se glisse sous son menton, relevant légèrement son visage vers le ciel encore lumineux d’un soleil caché.

« Que veux-tu ? »

Tes propos sont clairs. Tu veux mettre un terme à toute la souffrance sous jacente présente depuis trop longtemps. Il te faudra une discussion avec Ryoji à ce sujet, et probablement ta famille également. Kiseki, et ton père. Tu redoutes la réaction de ton frère, peut-être t’en voudra-t-il, peut-être comprendra-t-il. Après tout, si lui, n’est pas capable de comprendre la raison de ton choix, qui le pourrait …

Tu demandes à Geb de te rendre le tableau, afin de pouvoir le dissimuler de Cheldis, le cacher avec tous les autres, dans cette pièce où nul autre que toi a le droit de pénétrer. Des oeuvres magnifiques qui mourront dans le noir, jamais exposées, jamais dévoilées parce que tu es un homme possessif. Ces tableaux t’appartiennent, tout comme sa vie t’appartenait.

Alors que tu t’approches de Geb pour créer une intimité, une bulle confortable, pour presque lui susurrer quelques mots suggérant des propos salaces, comme tu aimes le faire, tu ne quittes pas son regard une seule seconde. C’est presque comme si tu venais de te perdre dans le néant de ses yeux, dans toutes les émotions indéchiffrables qui dansent au fond de ses prunelles aussi noires que la nuit.

Toi, dit-il sans détour.

Sa réponse provoque une vague à l’intérieur de toi. Ton cœur est bousculé un instant, ratant un battement comme un coureur tomberait lors de sa course. Comme un obstacle difficile enfin franchi après tant d’années d’essai. Tu laisses un petit sourire étirer tes lèvres, comme l’ultime réponse à sa demande.

Ne se rend-il pas compte de votre proximité ? Depuis des mois, vous vous cherchez, mais c’est lorsque tu as frôlé la mort que tu as enfin décidé de ne plus te préoccuper de quoi que ce soit. Tu avais envie de l’embrasser. Parfois, tu ressentais un certain manque, un besoin de l’avoir à tes côtés pour simplement profiter de son odeur et de sa présence. Tu te revois dans le bateau, à devoir te reposer, lorsque, les yeux fermés, tu pouvais profiter d’une conversation chuchotée avec lui. Lorsque sa pomme d’Adam bougeait et vibrait au rythme de ses propos dits tout bas, comme le plus intime des secrets.

La réponse est là, sous tes yeux.
Geb te veut, toi.
Et il est d’une évidence sans nom que tu souhaites la même chose.

Alors qu’une nouvelle ère se profile entre vous, tu cueilles les lèvres qu’il t’offre dans un baiser intense et émotif. Même s’il ne prononce aucun mot suite à tes propos et ta demande, tu espères que l’échange scelle quelque chose de nouveau entre vous. Mais bien vite, c’est le goût salé des larmes qui se confond avec votre salive. Tes yeux s’ouvrent sur le visage de Geb, ravagé par une émotion que tu ne saurais décrire.

Que lui arrive-t-il ?

Il se recule.
Il parle.
Il pleure.

Tu fronces les sourcils, sans comprendre ce qui se passe. Les propos qui sortent de sa bouche ne font aucun sens à tes yeux. Plus les secondes passent, plus tu sais qu’il n’a pas compris ce que tu voulais dire. Tu gardes ton regard rivé sur lui, mais tes pensées sont ailleurs. Tu essaies de savoir où tu n’as pas bien exprimé le fait de vouloir passer à autre chose, de vouloir clôturer une vieille histoire pour avancer avec cet idiot de Prince à tes côtés.

Tu ne comprends pas.

Perdu dans le flot de ses mots et dans les vagues de tes songes, tu clignes des yeux lorsque le son d’un plongeon se fait entendre. Tu regardes autour de toi, comme si tu venais d’être déconnecté pendant des heures. La chute de la conversation vient de te donner le tournis, comme si le soleil avait tapé trop fort sur ta tête. Tu as un début de migraine.

Tu baisses les yeux sur la piscine, dont la surface vacille violemment. Une masse colorée se débat dans l’eau claire, jusqu’à ce que tu percutes qu’un Geb alcoolisé, tombé dans une piscine, pourrait bien se noyer. Après tout, il vient de te sortir des tas de conneries en bloc, donc tu devrais te préparer à tout.

Tu retires rapidement ta chemise par le haut, et descends dans la piscine d’un petit bond. Tu plonges ta tête dans l’eau pour aller récupérer le Prince par les épaules et le remonter rapidement. Tu lui laisses le temps de récupérer de sa chute, du choc émotionnel qu’il vient de subir, entre la peur et la tonne de sentiments. Tu le regardes simplement, sans savoir par où commencer.

Lorsqu’il a retrouvé sa conscience, lorsqu’il a arrêté de tousser, lorsqu’il a enfin les yeux posés sur toi, tu ouvres la bouche.

« Je ne sais pas comment tu parviens à comprendre de travers lorsque je suis le plus clair et honnête possible. Je ne sais pas comment tu es arrivé à cette conclusion, mais laisses moi éclaircir ta petite cervelle de Djinn. »

Tu prends une inspiration, passant ta main sur ton visage pour chasser les gouttes qui tombent de tes cheveux rosés.

« Je veux récupérer le tableau pour avancer, passer à autre chose. Clôturer cette histoire, c’est ce que j’ai dit, non ? Penses-tu que je sois fourbe au point de jouer avec toi ? Comme tu l’as dit, si j’avais voulu, j’aurai accepté ta proposition la dernière fois, et je n’aurai pas perdu mon temps. Il me semble que je sois un homme franc, quitte à blesser les autres. Je peux obtenir ce que je veux, quand je veux, parce que je me bats pour, parce que je me démène pour obtenir ce que je souhaite. Mais Prince de Djinn, me penses-tu réellement comme un homme qui se joue d’un autre ? »

Tu inspires grandement pour reprendre ta respiration.

« On me considère comme un homme à femmes, mais je n’ai été sérieux qu’avec deux hommes dans ma vie. Toi, en premier. Si ton statut ne t’avait pas changé, qui sait ce qu’il serait advenu de nous … Ce n’est pas un reproche Geb, mais une simple pensée. »

Peut-être que votre histoire aurait traversé la mer de Cheldis, peut-être que vous auriez connu une idylle heureuse, ou peut-être que vous auriez fini par vous déchirer. Tu n’en sais rien, et tu ne sauras jamais.

« Si tu me veux, moi, Sasori Soren Jötunheim, présent Régent d’Althéa, ancien petit Seigneur de Nordahl … Regardes-moi. Ce que tu désires est en face de toi. »

Il y a comme un instant de flottement entre la fin de tes mots et la réaction de Geb. Tu as cette petite appréhension quelque part au fond de toi, qui essaie de se cacher encore plus profondément dans ton esprit. Parce que si Geb ne parvient pas à comprendre tes propos, alors tu vas finir agacé. Tu risques de le prendre mal, et cela pourrait conduire à une dispute parce que ta patience aura disparu aussi vite qu’un courant d’air en pleine canicule.

Mais, son visage s’adoucit. Geb semble plus lucide, son cerveau semble reprendre son travail habituel. Tu ne sais pas si sa chute et sa presque noyade lui ont permis de réinitialiser ses pensées, mais son visage est plus doux, plus apaisé.

Parce qu’il a compris.

Pas de malentendu cette fois-ci, lorsque tu lui offres la possibilité de t’accueillir dans sa vie, une bonne fois pour toutes. Lorsque tu étais plus jeune, tu avais imaginé un tas de fois prononcer une déclaration maladroite et pompeuse à Geb, sans jamais être satisfait du résultat et des mots sur le papier, sans jamais oser lui dire clairement tes intentions à son égard. Mais aujourd’hui, la maturité, le statut que tu as, tes expériences, et ton audace te permettent de dire ce que tu penses sans détour. Après tout, s’il y a bien un être humain qui s’en donne le droit, c’est bien toi.

N’est-ce pas quelques préceptes de la Latreia ?
La moralité prône l’absence de mensonges.
L’intégrité pousse à la sincérité en balayant ses peurs d’agir.

C’est l’homme que tu es.
C’est celui que tu es devenu.

« Je te regarde. » te dit-il simplement.

Ton cœur s’allège instantanément, tes pensées s’arrêtent de fuser, et tu retrouves le calme intérieurement. Plus de stress qu’il ne comprenne pas, plus d’inquiétudes face à l’alcool qu’il a ingéré et qui pourrait le faire dérailler. Il est redevenu Geb, cet homme entre l’adolescent et l’adulte que tu aimes taquiner, et dont tu apprécies la présence à tes côtés. Tu sais que le temps vous est compté, car, bientôt, vous devrez vous séparer pour vous occuper de vos pays respectifs. Tu le sais, et c’est pour cette raison que tu veux profiter de chaque instant avec lui, de chaque seconde passée à vous regarder ou vous frôler.

Ses lèvres rencontrent les tiennes de nouveau, comme pour sceller officiellement ses mots. Comme pour faire taire toutes les résistances futiles qui pouvaient encore vous empêcher d’être vous-mêmes. Cette soirée, bien que mouvementée, commence à ressembler à ce que tu avais imaginé. Un baiser dans la piscine, une proximité délicieuse, l’alcool qui aromatise vos langues qui dansent ensemble.

S’il fallait remettre en situation, le tout n’est pas forcément agréable. Vos vêtements collent à votre peau pour presque en créer une deuxième, les gouttes d’eau de vos cheveux se frayent un passage sur vos visages, ou tombent presque sur vos yeux à demi clos, ou totalement fermés. Et pourtant … Tu n’arrêteras ce moment pour rien au monde.

Parce que tu l’as attendu.
Il faut bien te l’avouer.

Tes bras serrent son corps contre le tien, possessif comme toujours, créant une proximité plus intense entre vous. L’une de tes mains remonte dans sa chevelure mouillée pour tirer quelques mèches en arrière, t’offrant alors un accès plus exquis à sa bouche, à ses lèvres, à l’expression sensuelle qui marque ses traits. Tu te sépares de ses lèvres, à seulement quelques millimètres d’écart, juste pour profiter de cette vision unique. La beauté de Geb n’est que plus étourdissante avec sa peau mouillée, avec l’envie au bord des lèvres, sa peau dorée sous le coucher du soleil renvoie à la perfection physique de cet être fait de chair et d’os.

Tu te perds dans la contemplation plusieurs secondes. Une fraction de secondes, ton cœur s’est accéléré avant que tu ne reviennes prendre d’assaut ses lèvres pour un baiser impatient. Tu prends les devants en glissant tes doigts sous le haut qu’il porte, le décollant doucement mais sûrement de sa peau à ton passage. Ta paume caresse son dos, suivant les ondulations de sa colonne vertébrale, avant que tu ne deviennes encore plus pressant.

D’un geste soudain, tu te recules pour retirer le tissu qui recouvre son torse, dans un bruit de craquement qui laisse suggérer que, dans la précipitation, quelques coutures ont cédé. Tu n’y prêtes pas attention, tu reviens coller le Prince contre toi, vos bustes humides l’un contre l’autre. Ta bouche descend explorer son cou, que tu embrasses et mords par intermittence.

Tout va vite.
Dans ta tête.
Dans ton esprit.
Dans ton corps.
Dans tes gestes.

Tu saisis ses cuisses pour que, dans un geste presque trop naturel, il les enroule autour de toi. Une main à plat dans son dos, l’autre sur le côté de son cou, tu explores la peau bronzée de Geb avec tes lèvres sans te lasser, enivré par son odeur et l’ambiance de cette demeure.

Tu ne te poses plus de questions.
Elles n’ont plus leur place dorénavant.