Le petit félin s’accroche à ton épaule lorsque tu le déposes dessus. Démuni du moindre tissu sur ta peau, la créature se maintient comme elle peut à l’aide de ses petites griffes aiguisées. On dit que l’équilibre d’un chat est excellent, tu en as la preuve maintenant. Tu retournes au lieu de rendez-vous du groupe. Premier sur place, tu attends patiemment que Ryoji, Kamélia et son garde reviennent pour faire part de leurs découvertes. Tu te demandes s’il y a, ne serait-ce qu’un seul survivant dans cette ville.

Tu penses à Sierra et sa fille.
Un pincement au cœur.
Et un coup de tête du chat contre ta joue.

Tu l’avais oublié l’espace d’une seconde celui-là. En relevant les yeux sur les rues dans lesquelles tes compagnons ont disparu, tu aperçois la silhouette de Kamélia qui transporte une étrange forme sur son épaule. Tu laisserais presque un sourire amusé s’étirer sur tes lèvres si la situation n’était pas aussi lugubre. Ainsi, seulement un sourcil est levé en guise d’interrogation pour ta jeune amie.

Avant qu’elle ne puisse parler, Akates apparaît dans l’obscurité, suivi d’un Ryoji dans tous ses états. Devant la panique de ton fils et la brusquerie de ses gestes, le chat s'agrippe encore plus et se faufile dans ton cou. Tu poses ta main sur la tête du garçon en essayant de le rassurer, écoutant les propos sur sa découverte.

Un symbole …
Tu réfléchis un instant.
Tu restes concentré sur ses propos.
Cette situation est trop familière à ton goût.
Et pourtant, tout est nouveau.
Tu n’as pas personnellement tout vécu de cette façon, ni même entendu des échos d’évènements similaires. Tu ne peux t’empêcher de cogiter aux détails. La violence dont a fait preuve l’agresseur ou tu ne sais quoi envers cette famille innocente. Tuée pour simplement dessiner un symbole sur un mur à l’aide de leur sang. Tu tiques. Ryoji te tend son carnet, et ton sang ne fait qu’un tour.

« C’est le symbole que le prêtre a dessiné dans sa cellule avec son sang, avant de perdre la vie. Je ne sais pas ce que ça signifie réellement, mais on ne peut nier que les événements présents sont liés à l’affaire du Roi d’Althéa. Tout ceci ne peut pas être une simple coïncidence. »

C’est Akates qui prend la parole ensuite, dévoilant ses découvertes. Toujours ces symboles dont la signification vous échappe, mais en plus de cela, une petite idole de verre qu’il a prise au passage. Tu la regardes fixement, sans reconnaître quoi que ce soit de familier en elle, tu ne sais pas non plus ce qu’elle représente exactement. Le mystère ne fait que s’épaissir à mesure que vous poursuivez votre enquête.

C’est frustrant.

« Gardez donc précieusement votre trouvaille. Nous mènerons des recherches dessus à notre retour. »

Si les Dieux vous permettent de regagner Akielos après ce périple plus que dangereux …

C’est au tour de Kamélia de présenter son invitée. Une jeune femme qui semble avoir perdu la raison d’après les propos de l’ancienne Princesse du pays. En effet, cette nouvelle venue marmonne de manière incessante des mots que tu ne comprends pas. Tu aides Kamélia à doucement la faire descendre de son épaule. C’est la première survivante que vous croisez sur votre chemin, tu ne voudrais pas l’abîmer plus qu’elle ne l’est déjà.

Tu l’observes longuement, écartes délicatement ses longs cheveux de son visage pour l’observer. Elle est peut-être plus jeune que Ryoji vu sa peau d’enfant, mais sa voix est rauque et épuisée. Comme si elle n’avait pas arrêté de parler pendant des jours sans pouvoir s’arrêter. Depuis que tu l’observes, elle ne fait que marmonner et tu es obligé de te pencher vers elle, de presque coller ton oreille contre sa bouche pour essayer de comprendre son charabia. Tu captes quelques syllabes, mais aucune qui ne fasse sens. Elle parle d'un dialecte nouveau. Ou alors, si ancien que tu n’en as pas connaissance.

Tu t’accroupis, le chat toujours accoché à ton épaule comme si sa vie en dépendait.

« Vous m’entendez ? »

Ses yeux se posent sur toi une seconde, avant de repartir observer une mouche volante invisible.

« Ne la brusquons pas. Nous la confierons à des professionnels à notre retour, peut-être sauront-ils la raisonner ou comprendre ce qu’elle raconte. »

Tu regardes Ryoji qui est aussi pâle qu’un nuage dans un ciel bleu d’été.

« Peut-être qu’il y a d’autres survivants, nous devrions faire encore un petit tour. Si nous pouvons sauver quelques âmes perdues en chemin … Accorder quelques minutes supplémentaires à ces gens est un devoir. »

Tu marques une pause.

« Quelqu’un a une corde ? »

Aussitôt demandée, aussitôt attrapée par l’un de tes camarades, tu t’excuses auprès de la jeune femme tout en attachant ses mains ensemble pour qu’elle ne cause aucun dommage. Il vaut mieux être prudent, même si elle ne réagit à aucun stimuli de votre part.

« Je m’inquiète fortement pour Ryoji. Son état se dégrade à vue d'œil … Nous trois allons faire le tour des habitations les plus proches pendant une vingtaine de minutes. Ryoji, tu vas nous attendre ici avec la survivante. S’il se passe quoi que ce soit, siffles comme nous le faisons à Nordahl. Je reviendrai tout de suite. »

Une main sur sa tête de nouveau, tu lui adresses un regard inquiet avant de faire un signe de tête aux autres et partir de ton côté. Vingt minutes pour chercher des survivants, ce n’est bien sûr pas assez, mais tu ne peux pas non plus te permettre de voir ton fils dans cet état. Tu es régent, mais tu ne veux pas perdre un membre de ta famille. Tu as eu suffisamment de frayeur comme ça à Varenne, lorsque ton père est entré sur le dos de Fenrir, plus blessé qu’il ne l’a jamais été.

Perdu dans tes pensées, tu fouilles distraitement quelques maisons, ouvrant portes et grandes armoires, prononçant quelques mots comme “il y a quelqu’un ?” ou “nous sommes venus vous sauver” pour dénicher le moindre survivant qui aurait pu se cacher. Rien. Aucun son. Aucun bruit. Le chat attentif regarde dans tous les sens, ses oreilles bougent d’un côté puis de l’autre. Mais rien qui ne lui fasse peur.

Alors que tu allais rejoindre tes camarades, tes yeux sont attirés par un petit scintillement à la lueur des torches qui vacillent sous ton passage. Tu t’arrêtes et te penches pour soulever quelques planches tombées. Sous elles, tu découvres, à ton plus grand étonnement, une idole similaire à celle qu’Akates avait trouvé plus tôt. Ni une ni deux, tu l’attrapes avec toi et retournes au lieu de rendez-vous.

Sur place, tu es le premier à revenir et à t’approcher de Ryoji. Tu jettes un oeil à la jeune femme, avant de reporter toute ton attention sur ton fils.

« Comment tu te sens ? Est-ce que tu te sens malade ? Tu as de la fièvre ? »

De nouveau, ta main se pose sur son front pour tâter sa température mais toujours rien, malgré la pâleur de sa peau. Tu laisses un petit soupir inquiet franchir tes lèvres. Il faut découvrir ce qui se passe sur cette île. Vous ne pouvez pas vous attarder trop longtemps, vu les évènements.

Lorsque tout le monde est revenu et que vos découvertes ont été partagées de nouveau, vous décidez de ne pas perdre plus de temps, et de rejoindre le château de Lewindor, espérant y trouver des réponses.

L’état de Ryoji est préoccupant, mais tu n’es malheureusement pas médecin. Tu ne peux donc rien faire de plus que finir cette aventure le plus vite possible pour qu’il se repose dans un endroit sûr. Le garde de Kamélia et elle-même reviennent tour à tour, exposant les découvertes faites dans les maisons apparemment vides de toute âme perdue. Aucun survivant de plus, ton regard se voile légèrement, attristé par le sort des Wanders. L’idée qu’il puisse rester un humain encore en vie sur cette île, à part cette jeune femme au langage inconnu, diminue de plus en plus.

Tu ne penses pas retrouver qui que ce soit avec un cœur pompant le sang.

« Nous avons trouvé la même chose on dirait … Tant qu’on ne sait pas ce que c’est, on les garde précieusement. »

Tu restes quelques minutes silencieux alors que c’est Kamélia qui récupère toutes les idoles pour les garder en sécurité. Tu es dans tes pensées, observant d’un œil distrait Ryoji qui marche. A mesure que vous vous approchez du château, le chat se raidit et se niche dans ton cou, avant de vouloir se cacher dans ton sac de voyage. Tu lui ouvres le passage machinalement, tandis qu’il ne se fait pas prier pour se recroqueviller dans un coin du bagage.

Vos pas vous conduisent dans le hall du château, aussi désert que les étendues dorées de Djinn. Cependant la chaleur du soleil manque cruellement, rendant l’endroit sinistre et froid, comme dans un tombeau. Tu observes les lieux que tu as connu jadis, d’un air pensif, presque détaché. Cela te fait beaucoup de peine d’entrer ici, alors que tu as connu les couleurs des armoiries des familles les plus importantes colorées comme lors d’un carnaval. Tu te souviens que lors de certaines fêtes, lorsque les artistes se retrouvaient dans un coin de la ville, une forte odeur d’encens floral remontait jusqu’au château.

Tu te souviens d’une boutique de vêtements, tenue par une femme au bras mécanique. Une femme réparée au mieux par Djinn pour continuer d’assurer ses fonctions, pour continuer de vivre surtout. Tu te souviens des pans colorés étalés sur des tables, le parfum du tissu neuf emplissant la petite boutique du coin de rue.

Cette femme, tu ne l’avais pas rencontrée en personne, mais si Varenne avait su garder la face après les évènements tragiques de la folie d’Alexander, c’était grâce à ses compétences et ses services loyaux envers la couronne.

Tu t’arrêtes un instant, laissant tes camarades passer devant, levant les yeux sur le plafond de cet endroit autrefois magnifique et vivant. Il n’y a plus rien à présent. Lewindor n’est que l’ombre d’elle-même en ce moment, et il n’y a rien que tu puisses faire pour inverser le cours du temps. Il n’y a rien que tu puisses faire, de tes petites mains humaines, pour les sauver.

Tu n’aurais rien pu faire, mais cela n’empêche pas la culpabilité de s’installer sur tes épaules.

En arrivant dans la salle de réception, celle où de grandes soirées étaient organisée d’ordinaire, tu rejoins tes compagnons qui se sont également arrêtés. Sur leur visage, de l’effroi, du dégoût, devant la montagnes de cadavres qui vous fait face. Tu serres les poings en apercevant la tristesse, le désespoir et la souffrance sur les traits de certains morts. Tu détournes les yeux un instant, pour ne pas partir en vrille. Pour ne pas succomber à l’appel de la colère.

Qu’est-ce que cela changerait après tout ?

Malgré cette pensée, malgré ton sang-froid depuis le début de cette mission, une vague de fureur ne cesse de grandir en ton for intérieur. Il devient difficile de ne pas plonger dedans. Alors, tu fais marche arrière. Tu as besoin de t’isoler quelques minutes. Tu passes une main sur ton visage puis finalement tournes les talons pour rejoindre une pièce adjacente.

Dans les cuisines, aucun corps, l’odeur particulière de la saleté d’une vaisselle oubliée depuis des jours. Tu t’asseois sur un banc bordant une table remplie de vivres dépassés par le temps. Tu observes la pièce, vaguement, résistant de toute tes forces à ta brutalité habituelle. Mais la frustration est forte, Sasori. Et tu n’es qu’un petit homme après tout. Tu ne peux pas te contrôler.

D’un puissant geste de la main, tu envoies valser le contenu de la table sur le sol. Ton poing rencontre la surface de la table, qui cède sous le poids de la violence du choc. Elle se brise en deux dans un raffût qui attirerait les morts-vivants les mieux enterrés. Et tu ne t’arrêtes pas là. Parce que tu as de longues heures dans les pattes et que tu ne peux plus retenir ce que tu ressens.

Tu n’as jamais été doué pour t’exprimer, pour montrer ce qui se cache sous le masque détaché de Sasori Jötunheim. Parler à coeur ouvert oui, mais pas sur tes sentiments, pas sur les profondes cicatrices qui couvrent ton âme et ton corps. Tu as des secrets bien gardés, que tu n’aimerais pas dévoiler.

Lorsque tu reprends tes esprits, lorsque la colère s’est un peu estompée, la cuisine est sans dessus-dessous. Seul le banc précédemment utilisé a été poussé par un excès de rage, mais pas brisé. Tu te poses dessus, lourdement, et plonges ton visage entre tes mains.

Des petits pas dans la pièce, une présence à tes côtés, tu sens une main sur ton épaule. Tu relèves les yeux sur Kamélia et Ryoji, visiblement alertés par le bruit et la violence. Aucun combat dans la cuisine. Aucun contre des monstres en tout cas. Seulement avec toi-même. Les doigts de Kamélia se pressent sur ton épaule, en guise de réconfort, en guise de soutien, tandis que ses yeux expriment un trouble qui ne peut plus être dissimulé. Pas à toi en tout cas.

Ryoji s’avance vers toi, ses petits bras entourent ton cou pour un câlin qu’un enfant donnerait à son père pour le calmer, pour le remettre doucement sur pied. Si l’un de tes bras répond à l’étreinte de ton fils, ta main libre se pose sur celle de Kamélia. Égoïstement, tu es content d’avoir ta famille auprès de toi aujourd’hui, car ce sont des piliers de ta vie. Ils le montrent, une fois de plus, pendant cette épreuve difficile.

Après quelques instants de silence, tu inspires un grand coup et écartes doucement Ryoji de toi pour lui adresser un petit sourire fatigué.

« Nous devrions retourner là-bas … »

Mais avant même de te lever, Ryoji te tend un médaillon que tu reconnais parfaitement. Il s’agit d’un lourd collier que portait Sierra en permanence, celui que sa fille s’amusait à lui voler, avec espoir qu’un jour il le lui soit légué. Le médaillon des Lynford. Un pincement au cœur et tes yeux s’assombrissent de nouveau. Ryoji partage les détails de sa découverte, avant que ce ne soit au tour de Kamélia de prendre la parole.

Elle expose sous tes yeux, une boîte fermée, sans aucune serrure visible.

« C’est étrange … Pourquoi y a-t-il des trous sur le dessus, mais pas de serrure pour y insérer une clé ? Est-ce que ce serait une des inventions de Djinn ? »

Vous partagez vos réflexions avant de retourner, malgré votre réticence, dans la salle précédente. Kamélia, toujours intriguée par la boîte, continue de l’inspecter avec attention. Et finalement, une idée lui vient : insérer les idoles de verre trouvées dans les maisons. Après tout, si ces choses existaient, ce n’était pas anodin … Et voilà que sa réflexion s’est avérée juste.

Le cliquetis d’ouverture de la boîte se fait entendre. A peine le dessus s’est-il ouvert que la jeune femme folle, corde au sol, essaie de t’attaquer. Elle fonce sur toi, mains en avant comme équipée de griffes, et si tu n’avais pas réagi assez vite, sans doute t’aurait-elle arraché le visage. Elle fait demi-tour, les yeux écarquillés, comme dans un état de choc terrible, et court de nouveau dans ta direction. Cette fois, plus de surprise, tu la laisses s’approcher avant de la coincer contre toi, bras contre son buste. Elle se débat mais se fatigue très vite. Tu n’es pas connu pour avoir la force d’une mouche, elle ne peut pas lutter bien longtemps.

« Qu’est-ce qu’il lui prend ? Dès que la boîte s’est ouverte, elle a réagi … Il y a quoi dedans ? »

Avec l’assurance qu’elle s’est calmée, tu relâches progressivement ta prise sur elle, tandis que sa respiration se fait paisible. Tu as presque l’impression qu’elle s’est endormie. Cependant, aussitôt distrait par les propos de Kamélia sur l’intérieur de la boîte, aussitôt elle se débat et s’échappe de ton corps. Elle fonce sur un mur de la pièce et s’écrase violemment la tête contre la paroi. Tu restes interdit une seconde, alors qu’elle recommence.

Ni une ni deux, tu t’élances vers elle. Le sang gicle sur l’endroit de la collision avant que tu ne poses une main sur son front pour la tirer en arrière. Pleurant à chaudes larmes, comme troublée par ce qui lui arrive, la femme te regardes fixement. Tu l’observes à ton tour, quelques instants en remarquant que son nez est cassé à cause des chocs.

« Je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée … »

Sa voix brisée prononce quelques mots que tu peux aisément comprendre cette fois-ci. Tu jettes un coup d'œil à tes compagnons, interloqué par la situation. Tu commences à avoir mal à la tête de tous ces mystères. Il est temps de retourner au bateau pour demander des informations à Akielos sur toutes vos découvertes. Peut-être que la femme parviendra à retrouver ses esprits et enfin, expliquer, ce qui est arrivé à Wandering.

La demoiselle semble avoir retrouvé un semblant de sérénité, tu la confies vaguement à Kamélia qui veille sur elle. Le cœur endeuillé, devant cette montagne de corps empilés, tu aperçois le regard vide de Sierra parmi eux. Tu serres les poings, tes dents grincent avant que tu ne mettes le feu à ces enveloppes corporelles détruites, dans l’espoir que leurs âmes trouvent la paix pour se réincarner.

Une prière silencieuse pour eux, tu finis par détourner ton attention.

« Nous ne trouverons rien de plus ici … Nous avons fait ce que nous avons pu et sauver cette jeune femme. Elle est actuellement le meilleur moyen pour nous de savoir ce qui s’est passé. Ne perdons pas de temps et laissons Wandering pleurer ses morts. »

A peine as-tu poser un pied en dehors du château que tu peux apercevoir le ciel de nouveau. Tu n’avais pas remarqué que les torches ne servaient plus à rien, tu n’avais pas non plus remarqué que les sons étaient revenus. Pas un seul oiseau dans le ciel, pas un chat-

Tu baisses tes yeux sur la boule de poils qui se faufile dans tes jambes pour te câliner à outrance. Il semble être amoureux de toi celui-ci … Tu pousses un soupir et l’attrapes dans tes mains, pour la deuxième fois.

« Je corrige, nous avons deux survivants. »