Airi était une belle femme. Elle n’avait pas été gâtée par la vie, mais se relevait et continuait d’avancer comme elle le pouvait. C’était une femme forte et admirable. Bien qu’étant devenue une prostituée, elle était grandement respectée par ses collègues et amies. Sa vie lui convenait ainsi, pourquoi rêver de quelque chose que l’on ne peut pas atteindre de toute façon.

Puis vînt le cauchemar. Airi tomba enceinte. Elle était pourtant bien certaine d’avoir pris ce qu’il fallait pour empêcher cela. Cela n’avait visiblement pas fonctionné. Elle ne pouvait plus faire marche arrière, et elle tenait bien trop à la vie pour devenir une criminelle en tuant cet enfant dans son ventre. Elle n’avait pas le choix, il devait vivre et elle subir son existence. Lorsqu’elle accoucha, elle refusa de prendre sa fille dans ses bras. C’est Anja, sa collègue venue d’Althéa, qui prit le bébé et lui donna un prénom : Lilian.

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Des bruits de pas se faisaient entendre dans le hall. Ils se rapprochaient à toute allure, accompagnés de bruits de bouche. La gérante du bordel entra dans le hall, tournant la tête vers ces babillements et se mit à sourire quand la jeune créature parti en direction des chambres des courtisanes. Une petite fille courait en zigzaguant dans le couloir. Son sourire s’élargit lorsqu’elle vu la femme qui se trouvait au bout du couloir et fonça vers elle pour sauter dans ses bras lorsqu’elle arriva à sa hauteur.
“Mère! Mère! Venez jouer avec moi.”
La femme posa ses yeux sur l’enfant avec dégoût et la poussa.
“Ne me touche pas! Quelle plaie, va donc voir Anja si tu veux tant jouer!”
Elle continua sa route sans un regard et en se plaignant de l’existence de la petite fille qui, de son côté, retenait ses larmes. Une autre femme avait observé la scène et courra vers la petite avant de la prendre dans ses bras. Elle lui demandait de ne pas pleurer, qu’il fallait être forte.
“Ne t’inquiète pas Lily, un jour tout s’arrangera.”
Lilian croyait en ces mots. Seulement, elle s’imaginait qu’un jour sa mère lui donnerait de l’affection et qu’elles vivraient une idylle familiale. Mais comment pouvait-elle considérer cette personne ignoble comme sa mère? Dans les histoires qu’on lui lisait pour dormir, Lily avait toujours entendu parler de parents aimants qui chouchoutent leurs enfants, alors pourquoi Airi n’est pas comme ça avec elle?

Ce n’était pas celle qui donna naissance qui éleva l’enfant. La petite avait toujours été entourée par les autres courtisanes qui prenaient soin d’elle. Et la gérante était aussi affectueuse tout en gardant un ton strict. Mais celle en qui la jeune Lily voyait le plus une mère était Anja. Cela n’avait pas échappé à Airi qui, pour se venger du bonheur que ressentait la créature qui l’avait fait tomber en disgrâce, la frappait lorsqu’elle avait accumulé trop de colère en elle. Personne ne cautionnait la violence dont elle faisait preuve, mais il n’y avait que la gérante qui l’arrêtait lorsqu’elle était présente. Et, un jour, alors qu’elle leva une nouvelle fois la main sur Lily, elle entendit la jeune fille hurler pour la supplier d’arrêter, tous les regards étaient rivés sur elle. Elle se sentait jugée, elle baissa la main et retourna sur ses pas. Depuis, elle ne lançait pas même un regard à son enfant.

Revenue d’Ios après six mois, rien n’avait vraiment changé. Airi l’évitait toujours, les autres prenaient soin d’elle. Petit à petit, elle se conforma à cette vie. C’était toujours mieux que lorsqu’elle se faisait frapper.
Pour cette raison, elle avait retardé son départ au service militaire, voulant profiter au maximum de leur présence et surtout d’Anja qu’elle considérait comme sa vraie mère.

Adolescente, elle se plaisait à se balader dans le grand bâtiment dans lequel elle vivait. Parfois, elle rencontrait de nouvelles personnes. Et tout le monde était si gentil avec elle. C’est alors qu’elle entendit une conversation entre quelques courtisanes.
“Lily a déjà quinze ans, qu’est-ce qu’elle grandit vite.”
Ne pensant pas que la discussion la concernerait, elle s’approcha un peu plus pour entendre mieux. Ainsi, elle reconnut la voix d’Anja.
“Et qu’est-ce qu’elle est adorable! Airi est folle de laisser sa fille tomber.”
Cela confirmait juste ce qu’elle savait déjà. Personne ne cautionnait le comportement de Airi envers Lily. Elles avaient même déjà essayé de raisonner la mère qui, têtue, se contentait de hurler qu’elle n’était pas la mère de ce monstre.
“Mais toi Anja, ça te va? La gamine est attachée à toi comme si tu étais sa mère, ça ne te dérange pas? Je trouverais ça épuisant.”
Et là, arrivait le point de non-retour. La réponse pouvait être blessante, tout comme elle pouvait être agréable.
“À vrai dire, je me pose beaucoup de questions. Je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire d’elle et ce qu’elle deviendra.”
Le cœur de Lily se faisait plus douloureux. Sans réfléchir, elle partit sans écouter plus, c’était déjà trop pour elle. Pourtant, elle aurait pu entendre ces paroles plus rassurantes.
“Mais ça ne me dérange aucunement. Je l’aime comme si c’était ma propre fille. Tout ce que je veux, c’est son bonheur.”
Ça y ait, les larmes coulaient. Le souvenir d’Anja qui lui disait ne pas pleurer la blessait encore plus. Elle comprit qu’elle n’était plus la bienvenue ici. Elle qui voulait tant retarder encore un peu son départ prit finalement la décision de faire son service militaire.

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Elle était là sa place. Dans un endroit qu’elle ne soupçonnerait pas : l’armée. Elle ne s’était jamais sentie aussi à l’aise et dans son élément. C’était comme si elle servait enfin à quelque chose. Le seul souci qu’elle avait, c’était qu’elle n’arrivait pas à tisser des liens. Après le choc qu’elle a subi lorsqu’elle a entendu la conversation entre Anja et les autres, elle avait peur de finir à nouveau blessée. Chaque personne qu’elle rencontrait rentrait dans la liste des potentielles personnes qui pouvaient lui faire du mal. Alors elle a arrêté de parler, partant du principe que discuter était la cause première de la création d’un quelconque lien. Elle ne parlait que quand cela était nécessaire et préférait se concentrer sur son devoir, ses entraînements, mais aussi à l’apprentissage de la magie de glace.
Trois ans plus tard, elle prit la décision de rester à l’armée et fut repérée l’année suivante par un supérieur qui la recommanda pour l’Académie des Arts Martiaux. Lily accepta, désireuse d’en apprendre plus sur les techniques de combat et surtout de devenir plus forte. Le début était difficile, le rythme était effréné et elle était épuisée à chaque fin de journée. Mais elle était heureuse. Et, au fil du temps, elle s’est habituée et tout ce qu’elle vivait devenait son quotidien.

Les années passèrent. Elle continuait de s’investir dans l’armée et a même été promue lieutenant puis capitaine. Et c’est en 1550 que la tour d’Argos s’ouvrit et que les problèmes ont commencé. Notamment au festival d’Ios dans lequel elle s’y trouvait. S’étant retrouvée à sauver les citoyens sous les décombres et à récupérer les corps de ceux qui n’ont pas survécu. Un épisode qui l’a marqué, mais qui à ses yeux n’était rien comparé à la chute de l’étoile sur Daishan.
Finalement, ce sont ses actes lors de ces événements qui l’ont promu au rang de colonel en janvier 1552. Un mois plus tard, elle fut choisie parmi les soldats chargés de la protection de la shogun Inari qui assistait à l’Assemblée des Seigneurs pour la légitimation du nouveau Régent d’Althéa.

Ce n’était que le début, Lily le savait. Mais elle se sentait prête à tout affronter pour protéger le continent et la paix entre les nations.