Les yeux clos, elle inspire profondément avant de regarder son reflet dans le miroir.
Depuis combien de temps n’a-t-elle pas eu une véritable nuit de sommeil ?

La monstrueuse tragédie qui vient de frapper tout Cheldis hante ses jours et ses nuits.
Comme tant d’autres, elle a naturellement peur. Mais ce n’est pas pour sa vie, bien au contraire. La Seigneuresse de Callariate s’inquiète pour ses propres terres, son peuple qu’elle a pourtant juré de protéger jusqu’à son dernier souffle.

Et aujourd’hui, elle est là.
Incapable de pouvoir rentrer chez elle pour s’acquitter de ses devoirs.

Pire encore, son fidèle second n’a toujours pas donné signe de vie.
Bien qu’ils n’aient jamais eu à subir un tel déferlement de monstres, Segreto sait parfaitement quelle attitude adopter en cas de danger. Elle a une confiance aveugle en lui.
Mais force est de constater que ce silence commence progressivement à la ronger.

Elle n’a jamais été confrontée à un tel silence de sa part. Non pas qu’il soit de nature très loquace, mais il a toujours été comme sa deuxième ombre. Toujours derrière elle tant par sécurité que par loyauté.
Elle aurait dû se joindre à lui, ce soir-là, pour regagner Callariate.

Y est-il seulement parvenu ?

Elle soupire et quitte sa chambre qu’elle espère provisoire.

De par ses fonctions, elle est rapidement mobilisée, comme beaucoup d’autres, à la bonne organisation des secours. Ou disons plutôt qu’elle s’est bien volontiers imposée en tant que volontaire pour s’occuper des différents convois à destination des zones les plus touchées.

Vittoria décide de rejoindre l’un des convois pour l’escorter à bon port.
C’est la moindre des choses, et c’est tout ce qu’elle peut faire pour le moment.

A proximité du convoi, il y a déjà quelques âmes dont une qui se détache un peu du lot. Un grand homme aux longs cheveux d’ébène qu’elle ne connaît aucunement mais qui prend la peine de venir se présenter à elle.
Elle le jauge un instant du regard, naturellement méfiante envers tout inconnu. Elle ne serait guère surprise que, en ces temps de peur et d’incertitudes, certains cherchent à profiter de ce genre de convoi.

Mais il lui apparaît plutôt calme pour le moment.

— Vittoria Di Teugghia. Elle reporte son attention sur les documents qu’elle tient à la main, n’éprouvant pas le besoin d’énoncer à son interlocuteur le titre qu’elle porte. Nous allons pouvoir nous mettre en route.

Elle signe et confie quelques documents avant de les abandonner aux mains d’une tierce personne puis se dirige vers les chariots bien remplis.

— Akates, c’est bien ça ? J’espère que vous avez le coeur bien accroché. Outre la probabilité de croiser des monstres en chemin, nous allons assurément tomber sur un spectacle des plus difficiles. Elle s’avance vers un cheval sur lequel elle grimpe, attrapant les brides avant de reporter son attention sur son vis à vis. Je ne peux que vous inviter à faire preuve d’un grand sang-froid face à ces habitants qui ont, comme nous, vu l’horreur de l’attaque de près.

Vittoria s’attend d’ores et déjà à la colère et la peur des gens, et elle ne peut que les comprendre. Le tout est de savoir s’ils réussiront à apaiser la foule qu’ils vont affronter.

— Quel est votre position par rapport au culte d'Akielos ?

Elle regarde devant elle, écoutant attentivement les réponses de son compagnon de route.
Le fait qu’il l’appelle par son prénom lui indique qu’il n’a probablement aucune idée de qui sont les Di Teugghia. Mais elle n’en fait pas grand cas.
La manière dont on s’adresse à elle est bien le cadet de ses soucis. D’autant qu’elle n’a jamais été de ceux qui punissent quiconque l’appelerait par son prénom au lieu de son titre.

Elle tourne la tête vers lui, un sourire étirant le coin de ses lèvres.
Vittoria a toujours excellé dans l’art de dissimuler ses réels sentiments, mais depuis les derniers événements, elle ne prend plus la peine de faire semblant. Elle a abandonné ses masques de faux semblants.

— Donnerais-je l’air d’une damoiselle en détresse ? Elle reporte son attention sur la route. Croyez-moi, j’en ai vu bien plus que vous puissiez le penser.

Elle n’a assurément jamais connu la faim, le froid, en un mot la misère.
Mais elle est passée par des épreuves qu’elle ne souhaite à personne de vivre.

Son regard s’attarde sur les environs à mesure que le convoi avance avant de finalement reporter son attention sur Akates qui reprend la parole.
Son discours a le don de lui arracher une mine surprise. Pourquoi évoquer la Latreia ? Elle réfléchit un instant avant de comprendre le léger quiproquo. La callariatesi le laisse terminer et penche la tête sur le côté quand elle apprend sa nationalité.

Un althéen qui ignore l’identité d’une Di Teugghia ? Prudence est mère de sûreté, elle préfère rester méfiante quant à l’identité du bougre.

— Il y a méprise, vous m’en voyez désolée. Je ne fais aucunement partie de la Latreia. Je suis la Seigneuresse de Callariate. Je voulais simplement savoir si vous étiez croyant. Elle marque une pause avant de reprendre. Callariate est une région relativement pieuse, mais ce n’est pas le cas de toutes les terres althéennes, alors je comprends votre position. Si cela peut vous rassurer, je n’ai aucune intention de conversion à votre égard. Son regard se perd à l’horizon. J’ignore sur quelle population nous tomberons, c’est pour cela que j’ai préféré vous interroger.

Le silence tombe provisoirement.
Vittoria est songeuse, ou plutôt soucieuse. La désillusion est une chose qui peut détruire, faire d’importants dégâts.

— En tant que milicien althéen, je ne doute pas de vos capacités à vous adapter à n’importe quelle situation. Mais gardez bien en tête que l’attaque que Cheldis vient de subir à ébranler les croyances de plus d’une personne. Le fait que les Dieux puissent fouler le même sol que nous est un fait déjà difficile à assimiler. Elle soupire. Il ne s’agit naturellement que de suppositions, mais je vous enjoins d’être particulièrement vigilant avec les propos que vous tiendrez à ces malheureux.

Peut-être qu’elle s’inquiète trop, ou inutilement.
Ou peut-être pas.

Vittoria a horreur de perdre le contrôle.
Et les derniers événements l’ont assez privé de ce contrôle qu’elle affectionne tant.

Son honnêteté aurait pu lui arracher un sourire amusé.
Ne pas connaître Callariate… elle aurait pu s’en offusquer. Vittoria a un tel amour pour ses terres, pour cette région qui est dirigée et protégée par sa famille depuis des générations…

Va-t-elle assister, impuissante, à l’anéantissement de Callariate, et la voir sombrer dans l’oubli ? Elle s’y refuse et se battrait à mort s’il le faut.

La Seigneuresse sort de ses songes pour mieux écouter son partenaire. Le changement d’intonation lui indique qu’il préfère manifestement faire bonne impression, ou, tout du moins, faire montre de respect à son égard. Dans un cas comme dans l’autre, elle préfère ne pas le souligner. Ce n’est guère important dans un contexte comme celui-ci.

Sot est celui qui pense que l’argent peut tout acheter.

La remarque d’Akates, bien que pertinente, provoque un soupir chez la noble.
Les hommes et leur manque de tact, qu’espérait-elle ? Pour autant, il ne semble pas avoir un si mauvais fond puisqu’il a adopté une façon de s’exprimer différente lorsqu’il a pris connaissance de son titre un peu plus tôt. C’est bien la preuve qu’il se soucie un tant soit peu des personnes qui l’entourent.

— Non, j’imagine qu’il n’est pas nécessaire que vous échangiez avec les pauvres âmes à qui vous allez porter assistance. Il serait en effet fort regrettable que votre… spontanéité vienne accentuer le malheur dans lequel ils sont. Elle glisse un regard vers lui. J’envie votre ignorance.

Elle, elle sait à quoi s’attendre.
L’illusion d’être une sauveuse, elle l’anticipe. Il n’en est rien. Car elle ne pourra apporter que peu de réconfort à ces nécessiteux. Elle ignore elle-même quand elle pourra regagner Callariate. Ils sont tous coincés à Akielos pour l’heure.
Et elle sait que les gens attendent des réponses à leurs questions.

Les paroles d’Akates la sortent une fois encore de ses réflexions, mais elles sont accueillies par un haussement de sourcil. Elle le toise un long moment avant de venir se pincer l'arête du nez tout en poussant un long soupir. Ses yeux sombres retournent à l’horizon alors qu’elle reprend la parole.

— Je concède que nous devrions être comblés de joie à l’idée de les savoir parmi nous. Mais la réalité est toute autre, je le crains. Elle marque une très brève pause. Les Dieux ont quitté Cheldis depuis plusieurs siècles suite à leur combat. Quelques conflits ont éclaté depuis, et jamais ils ne sont descendus de leur demeure céleste pour nous rejoindre.

Elle le regarde alors, sans vraiment le voir lui.
Vittoria aurait préféré rencontrer les pupilles glacées de Segreto plutôt que les rubis d’Akates. Mais elle poursuit malgré tout, parce que dire ce qu’elle pense lui permet de faire un peu de ménage dans son esprit.

— S’ils ont pris la peine de venir nous secourir, c’est que la situation en Cheldis est bien plus grave que nous aurions pu l’imaginer. Et comme vous l’avez si bien souligné, nombreux ont été témoins de leur force… mais aussi de leurs limites. Ses doigts se resserrent sur les brides de sa monture, car c’est difficile à admettre même pour elle. Malheureusement, les pertes étant plus que significatives, j’ai le pressentiment que c’est ce qui restera à l’esprit de ceux qui ont tout perdu, ou presque.

Et créer le désarroi dans le coeur des foules n’est qu’un moyen habile et sournois de les forcer à se tourner vers la mauvaise entité.

— C’est la raison pour laquelle je vous ai demandé d’être prudent avec vos propos. Nous ne pouvons nous permettre de créer plus de chaos qu’il n’y en a déjà.

Le monde était déjà cruel avant ce chaos.
Il a certainement raison. Cependant, ils n’ont pas la même vision des choses de par leur statut respectif. Mais Vittoria peut assurément dire que le chaos prend bien des formes, aussi ne trouve-t-elle rien à répliquer à cela.

Elle envie également, elle aussi, l’ignorante quiétude de certains.
Prendre la vie comme elle vient, profiter de l’instant présent. Vittoria ne pense même pas être capable de faire ça, toujours obnubilée par quelque chose, toujours à planifier trois coups d’avance. Rester prudente face aux changements, anticiper les besoins…
Ce contrôle qu’elle avait sur sa vie, sur ses affaires, ses plans, ses secrets, tout semble s’être envolé.

Akates décide finalement d’accéder à sa requête et elle hoche doucement la tête. Il prend une sage décision : il serait inopportun de provoquer la foule.

— Vous seriez surpris de savoir ce que l’on peut trouver dans des endroits qualifiés de banals. Il ne suffit pas forcément d’avoir un caractère fort pour guider un groupe. Un peu de bravoure suffit parfois à en motiver plus d’un.

Alors que leur avancée se poursuit, des bruits leur parviennent, suscitant la méfiance du petit groupe, Akates et Vittoria les premiers. Elle fixe les buissons, sourcils froncés.
La situation étant si chaotique, si incertaine, la Seigneuresse s’est déjà emparée de son tome de magie pour pallier toute éventuelle attaque.

A la question d’Akates, elle décide de descendre de cheval pour s'assurer qu’aucune menace ne plane sur le convoi. Particulièrement prudente, elle avance à pas de loup pour s’approcher. Elle ouvre son tome, prête à user de sa magie de foudre pour paralyser l’ennemi. Mais l’ouvrage se referme après un bref instant.

Un soupir franchit ses lèvres alors qu’elle retourne vers son cheval à reculons avant de grimper sur sa selle. Elle fait un signe au convoi qui redémarre avant de regarder Akates.

— Il s’agissait de marcassins. Leur mère ne doit pas être très loin, mieux vaut ne pas risquer des blessures inutiles et les laisser. Une mère peut s’avérer redoutable et emplie d’un courage inébranlable pour protéger sa progéniture.

Elle affiche un sourire avant de donner un petit à-coup avec ses brides pour inviter sa monture à reprendre la marche.

— Votre sens de l’observation est appréciable, je vous remercie pour cette vigi-

Elle s’interrompt alors que ses yeux fixent un point derrière lui. Elle tire sur ses brides pour se déporter légèrement, s’éloignant de quelques mètres du cortège. Vittoria n’avait pas vraiment prêté attention au paysage derrière Akates jusqu’à présent. Et, au-dessus d’une petite colline, un grand champ de fleurs -des perce-neige, comme les locaux aiment à les appeler- se trouve là, comme épargné par le chaos environnant.

Pour ce qu'elle en sait, les perce-neige sont des fleurs annonçant les beaux jours. Est-ce là un signe envoyé par Akielos pour lui faire comprendre que de meilleurs jours arrivent ? Vittoria l'espère sincèrement.
Elle reste muette face à ce spectacle avant de finalement étirer un sourire nostalgique. Vittoria ne tarde pas à entendre un cheval s’approcher et tourne la tête pour découvrir le visage d’Akates.

— Navrée si je vous ai inquiété. Puisque vous n’êtes jamais venu à Callariate, laissez moi vous parler du fait que mes terres sont parsemées de champs de fleurs, principalement des coquelicots. C’est la raison pour laquelle l’emblème des Di Teugghia est composé de cette fleur. Elle soupire doucement avant de reporter son attention sur les fleurs. Je ne peux m’empêcher de penser à ma patrie lorsque je vois un tel spectacle…

Elle ferme brièvement les yeux, soupirant longuement, silencieusement.
Dans quel état retrouvera-t-elle ses terres ? Dévastées, annihilées ? Elle l’ignore et le temps qui passe ne l’aide pas à se rassurer.
La noble redresse la tête et cherche le convoi du regard puis regarde à l’horizon, apercevant à quelques lieues leur destination.

— Pardonnez cet écart, rejoignons le convoi. Le village n’est plus très loin désormais. Elle marque une pause. Êtes-vous déjà venu dans les alentours ? Vous disiez être rattaché à la milice de Varenne, alors j’imagine que non mais j’envoie parfois ma propre milice au-delà des terres callariatesi. Qu’en est-il de vous ?

Elle hausse un sourcil lorsqu’il déclare ne jamais avoir vu de champ de fleurs.
Vittoria a du mal à y croire. Même les marins en ont forcément déjà vu, que ce soit en étant sur la terre ferme ou aux larges des côtes. Ce n’est pas un spectacle rare.

L’espace d’un instant, la possibilité pour que cet individu ne soit pas ce qu’il prétend être lui effleure l’esprit. Elle regarde par-dessus son épaule avant de se rappeler que Segreto n’est pas là. Encore. Les habitudes ont la vie dure.
Toujours est-il qu’elle préfère rester prudente envers cet individu.

Les personnes armées de mauvaises intentions et à l’âme aussi pourrie qu’un cadavre en décomposition sont monnaie courante pendant les périodes de guerre.
Akates peut bien prétendre être qui il veut, elle n’a concrètement aucun moyen de le vérifier pour l’instant. Ce ne saurait tarder cependant.

Elle l’écoute donc, sans le lâcher des yeux. Elle note les petits détails, les éventuels tics. Vittoria ne peut manquer qu’il semble s’accrocher à quelque chose sous sa tenue. Probablement un bien de valeur pécuniaire ou sentimentale, ou les deux, pour être si soigneusement dissimulé tout en restant à portée de main.

Alors qu’il reprend la parole, il finit par dévoiler son petit secret. Un simple pendentif aux yeux de Vittoria, sûrement quelque chose de plus important pour lui. Elle préfère ne pas en parler pour l’instant, gardant cette information dans un coin de sa tête.

Elle émet un petit son pour donner l’ordre à sa monture de regagner le convoi, sans trop s’éloigner d’Akates pour pouvoir écouter son discours. Quand il évoque la princesse, elle s’arrête net et tourne la tête vers lui.

— La princesse Kamélia Moore ?

Elle laisse sa langue claquer contre son palais.
Vittoria sait parfaitement que la jeune Moore n’a plus que le titre de Seigneuresse de Varenne désormais. Mais Vittoria et sa famille ont été au service des Moore pendant de si nombreuses années qu’elle ne parvient pas à ne pas voir Kamélia autrement que comme sa princesse.

Elle sait aussi que l’appeler par ce titre est, quelque part, un manque de respect pour la décision de sa Reine Amirale et amie Iris, mais aussi envers son ami d’enfance, le nouveau Régent. Quelle époque riche en rebondissements…
Elle soupire et reporte son attention sur Akates.

— Vous n’êtes pas plus porteur de malheur qu’un autre, Akates. J’étais moi-même présente lors de l’accès de folie d’Alexander, et également à Varenne il y a quelques jours. Elle fixe l’horizon alors que le village se dessine à quelques centaines de mètres. Les forces à l’oeuvre dans ce chaos nous dépassent bien largement.

Vittoria n’a pas encore déterminé s’ils ne sont que des pions menés par le bout du nez par une entité inconnue, ou s’ils ne sont que des dommages collatéraux dans une histoire hors de portée. Elle reporte son attention sur Akates.

— Pour quelle raison la princesse vous a-t-elle gracié ? Elle esquisse un sourire mystérieux. Il faut avoir commis quelques larcins, ou pire, pour espérer passer sous le jugement d’un Moore. De quel crime vous étiez-vous rendu coupable ?

Qu-a-t-il pu faire pour risquer la potence ? Ou qu’a-t-il dit pour convaincre Kamélia ?

Un Corbeau des Moonlight Crows.
Elle hausse un sourcil et le regarde de la tête aux pieds. Vittoria aurait pu aisément parier sur le fait que c’était un brigand, mais pas au point d’appartenir à ce petit groupe. La Seigneuresse les connaît bien, mais pas personnellement.

Elle n’a d’ailleurs pas le souvenir d’avoir un jour eu à faire à eux directement.
Vittoria fait plus souvent face à la mafia callariatesi qu’à d’autres brigands. Les trois ou quatre familles restantes n’apprécient généralement pas qu’on viennent sur leur plate-bande. Raison pour laquelle Vittoria n’a pas eu à faire aux Moonlight Crows.

A moins que sa milice se soit occupée de ces importuns dans l’ombre.

La noble écoute attentivement les explications d’Akates, mémorisant soigneusement les informations qu’il veut bien lui apporter. Elle ne peut réprimer un sourire amusé lorsqu’il prétend vouloir purifier les Moonlight Crows. Il est bien difficile d’éradiquer la gangrène une fois qu’elle a gagné tout l’organisme.

Elle glisse un regard vers lui, se contentant d’un sourire énigmatique lorsqu’il s’excuse à demi-mot concernant l’impact de ses activités sur Callariate. Vittoria ne prendra pas la peine de lui expliquer sa façon de gérer les activités illicites au sein de son territoire. Ce serait gâter son amusement.
Enfin, à l’heure actuelle, ses préoccupations sont ailleurs que dans les larcins exercés par la mafia callariatesi ou des groupes comme les Moonlight Crows.

— En souffrez-vous ? Elle l’observe encore un moment avant de fixer les murs du village qui se dessinent à quelques mètres désormais. Je parle du comportement de vos camarades d’armes. Elle pourrait parier que non. Akates semble être le type d’homme à ne pas s’attarder sur ce que les gens pensent de lui. Nous sommes tous plus ou moins atypiques, c’est ce qui nous rend tous unique. Vous n’êtes pas le premier et ne serez assurément pas le dernier brigand à chercher la rédemption. La méfiance est forcément de mise, surtout de la part d’une milice qui a dû vous traquer, vous et vos amis, pendant longtemps. Mais vous pouvez toujours gagner leur confiance et leur pardon viendra ensuite. Votre bonne action d’aujourd’hui y contribuera sûrement.

En ce qui la concerne, elle n’accorderait pas sa confiance aussi aisément à un individu qu’elle aurait traqué. Mais Vittoria est naturellement méfiante et prudente avec le monde qui l’entoure. Sa confiance est difficile à gagner.
De toute évidence, ce n’est pas son approbation qu’il cherche à gagner, alors elle ne s’attarde pas plus longtemps sur le sujet.

Leurs chevaux finissent par pénétrer dans l’enceinte du village, et Vittoria observe les alentours, perplexe.
Elle ne s’attendait pas forcément à être accueillie par une foule en liesse, mais au moins à un accueil. Cependant, il n’y a pas âme qui vive. Les ruelles sont désertes, cruellement calmes. Dangereusement calmes.

— Qu’est-ce que ça signifie ? Elle tire sur la bride de son cheval pour qu’il fasse un tour sur lui-même afin de faire face au reste du convoi. Est-ce le bon village ?

L’un des soldats hoche la tête sans hésitation mais semble aussi perplexe qu’elle.

Vittoria fronce les sourcils et, de nouveau, regarde les alentours.
Elle doute que les habitants n’aient pas été prévenus de leur arrivée, alors où sont-ils ? Les habitations sont simples mais présentent quelques dégâts. Sans doute l’oeuvre des premiers monstres avant que la barrière d’Azaïth ne soit déployée.

Les monstres.
Vittoria redresse vivement la tête et s’empare de son tome de magie de foudre. Elle tourne la tête vers Akates.

— Nous devons retrouver les habitants.

D’un commun accord, Akates et Vittoria partent à la recherche d’indices et, surtout, des habitants. Leur observation respective concorde et ils ne tardent pas à se mettre en quête de réponses.

Vittoria finit par descendre de son cheval, confiant les rênes à l’un des soldats les accompagnant. Sans se défaire de son tome de magie, elle inspecte de plus près les maisonnées. Sans trop de difficultés, la noble visualise l’horreur que ces gens ont dû vivre avant l’arrivée de leurs divins sauveurs.

— Votre argument se tient si l’on considère que les créatures qui ont pénétré ce village étaient dotées de capacités de réflexion. Ce qui n'est certainement pas le cas de toutes. Elle marque une pause en redressant la tête et scrutant d’autres maisons puis le sol. A l’heure de l’attaque, les habitants étaient certainement tous dehors. Donc le massacre aurait eu lieu à même les rues, et non dans les maisons.

Elle se déporte, avançant jusqu’à trouver une maison dont la porte est grande ouverte. Celle-ci ne présente aucun signe d’effraction, comme a pu le souligner Akates quelques minutes plus tôt. Mais il y a toutefois des meubles renversés, des tapis retournés… Comme si on était parti à la hâte.
Ce qui n’a rien d’étrange compte tenu de ce qu’ils ont tous vécu.

Elle ressort de l’habitation, songeuse.
Vittoria ne connaît pas suffisamment les lieux mais il y a une chose dont elle est certaine : il n’y a qu’un sentiment qui prime dans un événement comme celui-ci. La peur. Mué par la peur de mourir, par l’instinct de survie, l’Homme est capable de bien des prouesses. Mais aussi à bien des bassesses.

Elle tourne la tête vers Akates.

— Les habitants sont ici. J’en suis certaine. Auquel cas ils n’auraient pas fait appel à de l’aide et se seraient rapprochés de la capitale. Elle range son tome. Ils ont forcément été prévenus de notre arrivée.

Elle emprisonne son menton entre son pouce et son index, penchant légèrement la tête sur le côté alors qu’elle réfléchit, là, debout au milieu du chemin ou presque.
Le peuple de Castellammare a pour consigne de se diriger vers la demeure des Di Teugghia en cas d’invasion. Quant aux autres habitants callariatesi éloignés de la capitale, la procédure est de se réfugier dans les caves.
Mais Cheldis est en paix depuis tant d’années que personne n’a jugé bon d’étudier la question de nouveau. Elle serre le poing face à sa propre incompétence.

— Ils se sont probablement cachés pour être en sécurité, au cas où les monstres viendraient à rôder. Ou les pillards, tout simplement. Nouveau coup d’oeil à Akates. En tant que Corbeau, vous êtes certainement le plus à même de débusquer la meilleure des cachettes dans un environnement comme celui-ci. Avez-vous des idées ?

Elle se contente d’un sourire énigmatique à sa première réplique mais se retient de tout commentaire. La noble n’est pas là pour débattre du comportement des pirates ou de tout autre individu s’étant rendu coupable de quelques larcins.
Elle a déjà bien assez à faire avec la mafia callariatesi. Avait.

Akates reprend la parole, exposant les différentes possibilités des villageois.
La Seigneuresse hoche doucement la tête en scrutant les environs, croisant les bras alors qu’elle essaie de s’imaginer le comportement qu’ils auraient pu adopter. Il est évident pour tous les deux que les habitants ne se sont pas séparés.
Exceptés éventuellement ceux qui ont voulu regagner la capitale en quête de sécurité et de nourriture.

Akates finit par suivre son instinct et Vittoria le suit du regard avant de lui emboîter le pas, faisant signe aux autres de rester alerte.
La maison qu’ils visitent semble en mauvais état mais ce laisser-aller ne date pas d’hier compte tenu de l’odeur de bois rance. Akates dévoile une trappe en tirant un tapis et Vittoria hoche la tête : son hypothèse semble se confirmer.
Le milicien descend le premier pour inspecter les lieux pendant que la noble reste en haut. Il serait mal avisé de se retrouver tous les deux enfermés là-dedans sans issue de secours.

Le constat du ténébreux force Vittoria à froncer les sourcils.
Elle pose un genou à terre pour se baisser vers la trappe où son comparse se trouve.

— Du sang frais ?

Elle hausse un sourcil perplexe quand la réponse d’Akates lui parvient.
La noble redresse la tête pour regarder autour d’elle, se concentrant notamment sur le sol, à la recherche de traces de sang.

— Est-ce que vous avez l’impression que tout a été abandonné de manière précipitée ?

Peut-être qu’une âme était venue s’approvisionner mais leur arrivée aurait effrayé la personne qui, en voulant se cacher, s’est blessée.
Vittoria se lève et fait quelques pas, sortant de la maison pour chercher quelques traces à l’extérieur. Mais rien sur plusieurs mètres. Elle rebrousse finalement chemin pour concentrer ses recherches à l’intérieur de la bicoque.

Son regard sombre s’arrête sur de nouvelles traces se dirigeant vers un meuble probablement destiné à ranger la vaisselle. Mais rien de plus.
Nouveau haussement de sourcil perplexe mais elle remarque finalement un détail non négligeable. Le meuble a manifestement été déplacé, à en juger par la différence de couleur du sol et du mur.

— Akates, remontez, j’ai trouvé quelque chose.

La noble se place sur le côté du meuble, le poussant avec détermination pour dévoiler un passage descendant sous les habitations. Les traces de sang semblent emprunter ce chemin. Elle soupire et redresse la tête vers son comparse.

— Probablement un couloir conduisant à une poche souterraine où les habitants se sont tous rassemblés. Dans tous les cas, les traces de sang devraient nous mener au moins au blessé. Nous ferons sans doute d’une pierre deux coups.

Elle s’éloigne, scrutant la pièce à la recherche de quoi s’éclairer. Vittoria met finalement la main sur une bougie un peu entamée qu’elle allume avec les moyens du bord.

— Je dois avouer être assez surprise par cette attitude. Elle soupire doucement. Enfin, je conçois parfaitement la peur qui doit les étreindre après les horreurs que nous avons tous vu. Mais nous sommes en sécurité, ici, à Akielos grâce à la barrière de la déesse Azaïth. Pourquoi continuer à se terrer ? Elle tourne la tête vers Akates. M’accompagnez-vous ?

Akates la devance, et elle ne saurait dire si c’est la curiosité du mercenaire qui est à l’origine de cette décision. Il ne s’agit assurément pas de galanterie pour la préserver du danger : auquel cas elle n’aurait pas manqué un coup de coude dans les côtes.
Ne jamais sous-estimer les femmes d’Althéa.

Le corbeau s’enfonce dans le passage sans s’éclairer. Vittoria, elle, préfère tout de même conserver sa bougie même si elle ne durera pas éternellement. Ce n’est pas qu’elle craint l’obscurité, mais ils pourraient passer à côté de potentiels indices s’ils se fient uniquement à leur instinct.

Après quelques pas, Akates s’arrête, aussitôt imité par la noble qui le scrute, sourcils froncés. Il semble tendre l’oreille et Vittoria regarde devant eux, essayant de percevoir un quelconque son. Elle ferme les yeux pour se concentrer ; ses pupilles s’ouvrent quand elle entend, à son tour, les voix manifestement proches d’eux.

L’hypothèse de la présence de brigands n’est pas à éloigner. Mais je ne comprends pas l’intérêt de séquestrer les villageois. Ils ont été dans le même bateau, pourquoi les retenir alors que ces pauvres habitants ont manifestement tout perdu ou presque. Quels avantages peuvent-ils en retirer ? La nourriture et les soins viennent à manquer, c’est la raison de notre présence ici, initialement. Elle soupire. Il n’y a qu’une façon de le savoir, de toute évidence.

Elle contourne Akates et reprend sa marche jusqu’à tomber sur une pièce circulaire composée de trois portes. Elle laisse sa langue claquer contre son palais. Laquelle prendre sans risquer de perdre davantage de temps ? De nouveau, elle tend l’oreille, s’approchant de chacune des portes. Lorsque les voix lui semblent plus audibles derrière l’une d’entre elles, Vittoria s’écarte pour chercher le regard d’Akates et lui désigner la porte.

— Cessons de jouer aux enquêteurs et entrons. Il y a peut-être des enfants affamés dans le groupe.

Elle a beau retourner le problème dans tous les sens, elle ne voit pas pourquoi les brigands s’en prendraient à un village démuni comme celui-ci. Auquel cas, ils se seraient directement présentés à eux en se faisant passer pour les villageois. Ou les auraient tout bonnement tués.

Un soupir franchit ses lèvres ; elle est presque agacée par sa propre impatience.
Plus le temps passe, et plus elle a la sensation de perdre prise. De voir tout lui échapper, elle qui avait le contrôle sur toute sa vie, ou presque. Cette sensation désagréable la pousse dans un vice qu’elle avait, depuis longtemps, balayé de sa vie : la précipitation.

La main sur son tome de foudre, elle ouvre la porte, prête à riposter si besoin.
Mais en face d’elle, un groupe de personnes manifestement surprises de les voir : dans leurs regard, un sentiment d’incompréhension et de crainte, mais aussi une sorte de lueur d’espoir. Son regard sombre parcourt rapidement la pièce avant de laisser ses muscles se détendre.

— N’ayez crainte, nous ne sommes pas ici pour vous faire du mal. Au contraire. Elle avance un peu de sorte à laisser Akates entrer. Je suis Vittoria Di Teugghia, Seigneuresse de Callariate, de la Thalassocratie d’Althéa. J’escorte le convoi d’aujourd’hui.

Elle affiche un sourire se voulant rassurant, espérant que les villageois ne soient pas trop craintifs.

Sans réelle surprise, l’accueil qu’on leur offre est assez mitigé, voire plutôt froid.

L’homme d’âge mûr qui semble à la tête du groupe apparaît particulièrement méfiant, ce que Vittoria peut concevoir. Ils ont vu beaucoup d’horreurs, et probablement ont-ils eu la mauvaise surprise d’avoir été pris pour cible par des bandits sans vergogne.
La Seigneuresse adopte une posture qui se veut non hostile.

Ils ont peur, quoi de plus naturel dans un contexte comme celui que Cheldis traverse ?
Il ne s’agit pas de son peuple, mais Vittoria ne peut s’empêcher d’agir comme si c’était le cas. Car c’est ainsi qu’elle a toujours agi avec le peuple qu’elle a juré de protéger en prenant la tête de Callariate.

Elle s’apprête à répondre quand une jeune femme s’exprime dans le groupe.
Rapidement stoppée par son père, elle reprend la parole malgré la volonté de son géniteur à l’empêcher d’approcher davantage.
Vittoria préfère rester à distance afin de ne pas envenimer une situation déjà délicate. Elle ne prendrait pas non plus le risque d’adresser un coup d’oeil à Akates, de peur de faire passer le mauvais message.

Le discours de la jeune femme fait froncer un peu les sourcils de la noble. La condition des habitants l’inquiète forcément, notamment en ce qui concerne les enfants.

— Rassurez-vous, le convoi est composé de t-

Interrompue par un jeune homme, Vittoria sent la tension grimper d’un cran.
La situation devient fatalement plus épineuse. Les propos du garçon ont entraîné la suspicion des autres, à juste titre après de telles paroles.
Vittoria réfléchit un moment, regardant cette fois Akates. Son attention se reporte sur le chef du groupe.

— Monsieur Vasilios, c’est bien cela ? Nous avons été missionnés par la Latreia pour faire parvenir soins et vivres. Le convoi attend dans la rue principale de votre village, entouré par des soldats d’Akielos afin d’en assurer la sécurité et la bonne livraison. Elle marque une brève pause. Nous n’avons rien à cacher, et je donne volontiers raison au jeune homme qui vient de prendre la parole. N’ayant trouvé personne à la surface pour nous accueillir, nous craignions que votre village ait fait l’objet d’une attaque de bandits. Nous cherchions simplement quelques traces de vie.

Le convoi ne pourra pas être transporté jusqu’ici. Il faut absolument que ces gens sortent. Elle ne peut pas les rassurer quant au fait qu’ils ne risquent plus rien. Et pourtant…
Vittoria ôte son manteau qu’elle laisse tomber au sol avant de détacher la chaîne retenant son tome de magie, le laissant également choir au sol. Son but est de montrer qu’elle n’est pas armée, et donc non hostile.

— Je ne peux vous demander de nous faire pleinement confiance, car je conçois parfaitement que ce n’est pas chose aisée avec de parfaits inconnus. Toutefois, je ne peux que vous inviter à vérifier mes propos en allant regarder dehors. Aucun soldat ne nous a vu pénétrer dans ce passage, la maison vous offrira de quoi vous cacher le temps d’inspecter la rue. Elle tend la main vers Vasilios sans pour autant réduire la distance qui les sépare. Je suis prête à rester ici si cela peut vous rassurer.