Uzuri. 03 janvier 1552.
Sa petite moue te fait sourire de nouveau sans que tu ne puisses le contrôler. Tu ne fais que doser l’agrandissement et le sentiment qui en ressort. Si l’on devait te comparer à une peinture, tu aurais probablement une sombre aura dans ton dos, avec le visage baissé, un immense sourire malsain sur le visage. Mais dosé, contrôlé, ce rictus ne ressemble qu’à celui d’un homme qui s’amuse à taquiner une femme trop fière. Alstroemeria est comme un poisson fonçant dans un filet en pensant passer au travers, alors que son corps est déjà enroulé par la corde.

Ses mots touchent ta fierté quelque part. Toi, le petit roturier au talent musical inné, n’est que plaisant ? Tu recules légèrement, comme vexé par ses mots, même si tu sais ce qu’elle veut dire. Même si tu vois à sa posture qu’elle pèse ses propos, car faire des compliments serait avouer qu’elle a apprécié n’est-ce pas ? Ce serait être sincère avec ce qu’elle apprécie, te donner de la valeur, de l’importance et perdre un tantinet le contrôle d’elle-même. Tu le sais, mais il y a un puissant égo derrière ce gentil Isaac, et il est piqué.

« Académiquement … Je suis désolé, j’ai pas été à l’école. Mais si ma performance était coupée, je pense que ... Je pourrai jouer un morceau complet. »

Tu te retiens de dire que tu as été privé de ta jeunesse par son foutu père et que ta vie n’a été qu’une suite d’évènements glauques, te mettant rapidement sur le fil de la chaîne alimentaire. Le plus fort gagne et survit, le plus faible meurt et se fait manger. Là … La noirceur de ton regard est visible, pendant deux ou trois secondes, car tu la hais du plus profond de ton âme. Tu exècres cette femme et ce qu’elle représente, son nom de famille et les conditions de sa naissance.

Jamais tu n’aurais posé les yeux sur elle si votre passé n’était pas commun. Jamais tu n’aurais osé la toucher, car votre situation aurait été bien trop différente. Mais … Les Dieux de Cheldis savent probablement, que tu ne t’amuserais pas autant si ta vie avait pris un autre tournant.

Dieu, oui, que tu t’amuses à la torturer sans qu’elle ne le sache.

Ses prochains propos assombrissent ton regard d’une tension de nouveau palpable. Tu t’approches d’elle, l’obligeant inconsciemment à reculer, encore et encore, jusqu’à ce que sa petite silhouette soit coincée contre la porte d’entrée fermée et ton immense corps de prédateur.

« Ce serait impoli de refuser cette fois, non ? »

Car tu meurs d’envie d’être invité à l’intérieur de sa maison, pour la corrompre un peu plus de ces sentiments illusoires, de ces fabuleuses émotions qui la retournent. Quand elle acceptera véritablement son affection pour toi, tu presseras tes doigts autour de son cœur jusqu’à le faire saigner. Tu serreras tellement fort qu’il n’en restera rien du tout.

Uzuri. 03 janvier 1552.
Si tu te laissais aller au flirt, comme tu l’as déjà souvent fait en sa présence, tu pourrais lever ta main et caresser sa joue du bout des doigts. Tu pourrais de nouveau descendre ton regard sur ses lèvres, insistant pour lui faire comprendre que tu veux lui voler un baiser encore une fois, profiter du fait qu’elle ne soit pas d’humeur à te repousser, pour prendre un peu plus de place dans sa vie, dans son coeur, dans son esprit.

Tu pourrais l’enlacer, la garder contre toi quelques instants, dans une douce étreinte, pour lui donner confiance, pour la rassurer. Tu pourrais la serrer de plus en plus, parce qu’il y a des manières de prouver, dans ce genre de gestes, qu’on tient à une personne, qu’on fait attention à elle, qu’on se préoccupe d’elle.

Mais en réalité, tu ne serais pas capable d’arrêter cette étreinte. Tu serrerais jusqu’à entendre tout son corps se briser contre toi, dans quelques râles macabres qui laisseront une immense satisfaction dans ton esprit. Comme une soudaine paix, une sérénité méritée après tant d’années dans l’obscurité. Cependant, tu ne feras rien.

Puisqu’elle s’échappe bien vite, ouvrant rapidement la porte de sa demeure pour retrouver son confort, la chaleur et la lumière. Cette dernière te fait plisser les yeux, habitués aux sombres couleurs de la nuit, qui t’ont tant de fois tenues compagnie. Tu esquisses cette fois un léger sourire, pour lui faire comprendre que tu as saisi son geste. L’embarras qui colore ses oreilles est aperçu mais tu retiens tout commentaire. Pour le moment.

Alors comme si tu visitais pour la première fois la demeure des Kyritsis, tu lèves les yeux sur l’immensité des plafonds, sur les couleurs chaudes et le luxe qui semble respirer en même temps que leur propriétaire. Tu sembles impressionné quelques instants, avant de redescendre tes yeux sur elle.

Tu hausses un sourcil.

« Je suis surpris, je te pensais pas aussi … Entreprenante. Je suis obligé de dire “oui”. Je dormirai auprès de toi pour chasser ces vilains cauchemars. »

Petite remise en situation. Parce que si elle était sortie au départ, c’était bien pour échapper à ce monstre qui la hante.

Et puis, dans un élan presque trop naturel et innocent, tu t’occupes de nouveau du décor, de la superbe des arches et du détail de chaque coin de mur. Tu as pour habitude de voir le manoir de nuit, lorsqu’aucune lumière ou bougie ne peut t’aider à dessiner les contours de la demeure, alors tu es soufflé par le luxe. Même si tu caches en réalité ton dégoût profond.

« Alstroemeria. »

Ta voix sonne presque comme une question, dos à elle, sans même la regarder alors que tu batifoles dans le hall principal, observant tout ce qui se trouve à ta portée.

« Tu as des choses à faire avant de dormir ou … On peut y aller maintenant ? »