Interloquée par le silence lourd et le désintérêt manifeste du captif à son égard, Galahad se redressa, rapatriant l’outre d’eau dans la doublure de sa veste. Si elle s’attendait à ce que sa récolte ne soit pas abondante, le fait de n’obtenir que du vent lui était pénible. Il semblait avoir fait preuve de curiosité à son égard, mais c’est sans indice ou théorie que la sorcière devait désormais composer.

Présumant qu’elle n’apporterait pas d’éléments intéressants en assommant le prêtre de questions, elle laissa l’interrogatoire à l’inconnu zélé, et chercha derechef à démêler le sac de nœuds ailleurs que sur le terrain de l’éloquence et de la stratégie.

— Je vous en prie, appelez-moi Galahad. Dit-elle l’air de rien, autant pour donner à ses camarades son identité – et ainsi confirmer qu’elle était de leur camp, que pour potentiellement faire réagir le prisonnier.

Elle accepta ensuite de prêter main forte et entreprit d’inspecter avec grande attention la cellule, attardant son regard sur le sang gluant qui suintait du mur inspecté par la rouquine. La lumière saisie pas son associée aidant à l’investigation, le Seigneur s’imprégna de l’ambiance et de l’air vicié qui dormait ici-bas. Elle traîna ensuite sa carcasse jusqu’au fond de la fameuse cellule, et affina son regard sur les gravures, essayant d’en démêler le sens premier dans l’espoir d’y voir une première brèche dans le jeu de l’adversaire.

Le sang lui parut également étrangement curieux, notamment ses propriétés. Il fallait un certain temps pour que le sang ne devienne poisseux, et sa présence rappelait à Galahad quelques scènes profanes qu’on lui reprochait d’ailleurs à tort de perpétrer. L’idée de trouver une corrélation entre les quelques regards ahuris du prêtre et la présence de ce sang énigmatique effleura son esprit, mais elle ne s’empressa pas d’en tirer des conclusions.

Peut-être avait-il simplement envie de partir ? Sinon pour sa propre survie, pour autre chose.

Le mystérieux voile se levait enfin, ce qui était d'une terrible ironie puisqu'il était également sur le point de s'entourer d'une cape opaque de folie et de perdition. Être si prés du but et à la fois contraint à l'abandon était particulièrement frustrant pour le Seigneur, qui d'ordinaire n'aurait pas rechigné à l'idée de passer toute la nuit dans cette maudite cellule, ne serait-ce que pour avoir une piste à explorer plus en avant. Au-delà de son devoir moral, c'était là une chose juste pour un représentant de Thuléa, que d'aider le reste de sa nation.

Et puis, il y avait autre chose. Une colère plus personnelle, peut-être celle d'une Galahad s'étant jusque là tenue loin des évènements mondiaux, et qui alors se demandait quel changement elle aurait pu amener. Est-ce que les choses auraient été différentes, en sa présence ? En aurait-elle une lecture distincte, si au lieu de les écouter, elle les avait vues ? Cédant un instant à l'appel de son égo, il fut plus confortable pour elle de penser que oui, sa présence aurait changé la donne, ce qui peut-être ouvrait une voie maintenant qu'elle était fin prête à s'y dévouer.

Du bout de l'index, elle dessina encore et encore le contour de la rune, parfois les yeux fermés. Elle se grava cette image jusqu'aux plus profonds reliefs de son esprit pour être certaine de ne jamais s'en séparer, que cette ombre familière demeure constamment à portée de main. L'inscription devait revêtir une importance capitale, pour que le prêtre se donne la peine de l'inscrire de manière si erratique et répétée sur les murs de sa cellule. Ses courbes et sa structure faisaient vaguement penser à un langage oublié, une réminiscence d'une culture qui n'était plus la sienne, sinon celle de personne.

— Cette inscription. Entama-t-elle, avant de compléter dans l'espoir d'avoir une approbation du coupable sur l'origine de l'écriture. Cette rune. D'où vient-elle, que veut-elle dire ? Le regard spectral figé dans les yeux fous, elle dévisagea le prêtre, alerte aux moindres détails, aux moindres haussements de sourcils.

Présumant que l'état de santé du criminel n'était plus au beau fixe, elle lui épargna les tournures alambiquées et les traits d'esprit. Une question simple et claire, suivie d'une réponse simple et claire, espérait-elle.

Elle se redressa, détaillant d’un œil neutre le cadavre encore chaud du prêtre. Éprise d’un sentiment de frustration, elle partagea un regard avec ses acolytes du jour pour s’enquérir de leur ressenti. Était-elle la seule à repartir avec plus de questions que de réponses ? La mort du mécréant ne lui invoqua aucune tristesse, bien qu’elle eût assez de respect pour lui fermer les yeux, des fois que ces derniers s’étaient écarquillés sous les derniers spasmes d’agonie.

— Bien sûr, ce sera fait. Dit-elle en réponse à la demande de l’étranger. Je solliciterai une audience et distribuerai des copies de la rune auprès des plus érudits. Telle serait sa nouvelle quête ; répandre cette information et en extraire jusqu’à ses moindres secrets. Pour l’heure, j’imagine qu’ils espèrent ramener à la vie une entité malfaisante, je n’ose toutefois supposer qu’ils espèrent faire de Sa Majesté le vaisseau de cette abomination.

Un frisson lui parcourut l’épaule. Elle qui n’était déjà que peu friande de la sorcellerie et autres déviances occultes, imaginer que l’on puisse profaner le sacré et impliquer un digne souverain dans la machinerie… était terrifiant.

Elle affutait ainsi déjà quelques-unes de ses plus plausibles théories, son imagination s’enroulant autour de la rumeur d’une résurrection, de sacrifices nécessaires… Possiblement une entité démiurge démoniaque ? Un élu d’un culte désuet ? Quoi qu’il en soit, il était question d’un savoir interdit, le genre qui ne devait pas quitter sa prison d’oubli et de tabou.

Une main plaça son chapeau de nouveau en équilibre sur sa caboche, le vêtement se courbant ensuite pour accompagner les salutations respectueuses. L’index toujours occupé à dessiner le contour de la sinistre rune, elle dût enfoncer sa main dans la doublure de son manteau pour l’empêcher de répéter à l’infini le croquis.

— Ce fut un plaisir d’apporter mon aide, et de faire votre connaissance. Sa voix se faisait plus clémente, sa piètre comédie étant de l’histoire ancienne. Si vous apprenez quoi que ce soit, vous trouverez à Thuléa la confiance et l'écoute d’un ami. Que les vents vous amènent à bon port.

Et ainsi, il était temps pour elle de débarrasser le plancher. Ce qu’elle fit en s’élançant à la suite des deux étrangers. Quelque pas plus tard, voilà que sa silhouette s’était volatilisée, en partance vers les quelques pistes éparses qu’il fallut arracher à l’esprit gangréné d’un prêtre déviant.