Son attention s’est distraite un instant sur les flocons devenus plus gros, plus imposants au point où en s’écrasant au sol, elles recouvrent progressivement le gravier. Il regarde cette fine pellicule se former sous ses yeux avec beaucoup d’admiration innocente. Il n’était pas complètement vierge de cette vision, évidemment, mais il y avait quelque chose d’inédit de se retrouver là, à subir sur sa tête et sa cape les assauts agréable de la chute de neige.
Mais le froid rappelle la pauvre condition du Prince de Djinn qui se recouvre à nouveau de sa cape pour ne pas trop souffrir de la température. Les derniers mots de Sasori restent gravés dans son esprit durant le trajet retour. Que voulait-il dire par là ?
Le hall d’entrée avait sa propre majesté dans ce domaine de glace et de roche. Loin de la beauté scintillante et riche de son pays, il y avait quelque chose de plus sauvage, mais de chaleureux dans sa sobriété. Bien que l’exposition de certaines fourrures ou les couleurs plus ternes que ce qu’il a l’habitude de voir seraient à revoir. Loin de vouloir se montrer incorrect ou exposer sa propre subjectivité, il se laisse bercé par le crépitement des flammes au loin, alors que leurs regards se croisent à nouveau.
En silence.
Les coeurs battants et les regards renfermant une douce passion parlent d’eux-mêmes.
Mais ils s’esquivent à nouveau pour rejoindre les sièges installés près d’un feu de cheminée après que le Prince ait abandonné la fourrure qui lui servait à supporter le froid du pays.
Au moment de s’asseoir, Sasori ouvre le bal des derniers événements où le Prince lui accorde une attention sans faille sur ce qu’il accepte de lui raconter. Il baisse les yeux, ce simple rappel le fait frissonner au point où il se penche un peu pour accueillir la chaleur des flammes.
“Je venais de rentrer… En voyant la foule en proie à la panique à cause des récents événements et notre absence, je me suis attardé sur la grande place d’Héliopolis.” Il parle lentement, comme pour faire travailler sa mémoire, comme pour retrouver le moindre indice sur ces événements. “Et puis…” Son genou s’agite, ses lèvres sont scéllées soudainement à la vue de ces vers, de ces innocents qu’il a vu mourir alors qu’il sombrait dans la folie. Incapable de mettre des mots sur ce qu’il voit cependant, il capte rapidement la gouvernante qui s’approche d’eux, comme d’une manière d’échapper à cette plaie encore béante dans son être.
Le “Merci” qu’il donne lorsqu’il reçoit la tasse sonne presque comme un “Désolé” enfantin qu’il ne parvient pas à contenir car son regard inquisiteur en sa direction rend coupable ce Prince trop capricieux d’avoir abandonné la jeune servante incrédule pour déranger le Seigneur épuisé.
Ses mains épousent la tasse sans la boire alors qu’il invite Sasori à poursuivre, il était encore trop tôt pour parler de ce qu’il a vu sans que les larmes ne remontent. Et pourtant, les nouvelles ne sont pas plus réjouissantes dans les autres régions, il observe Sasori, écoute sans l’interrompre à présent, ne comprenant pas les circonstances, mais la peine qu’il semble cerner derrière ses mots.
“... Si cela est encore lourd de sens pour vous, ne vous forcez pas à me les dire maintenant. Mais dites-moi seulement… Pourquoi… Pourquoi dites-vous que le Seigneur a perdu la raison ? Est-ce qu’il est arrivé quelque chose à la famille Royale ?” demande-t-il, inquiet.
Les Moore ont toujours été très proches des Ramses, la Reine Amirale, Iris Moore s’est souvent présentée à eux comme une “Tante” un peu trop tactile mais dont le rire était communicatif, dont la voix braillarde était une bouffée d’air frais dans les salles trop calmes du Palais. Incapable d’imaginer le Roi perdre littéralement la raison, il espère encore qu’il s’agit là d’une divergence d’opinion, même si la crainte d'un sort similaire au sien ne lui ronge les trippes.