Les wyvernes étaient exténuées, mais pas autant que leurs cavaliers, qui, dans la brume doivent relever leurs yeux plissés pour ne pas laisser la fatigue les emporter. Ces créatures étaient robustes et ne craignaient pas les longs trajets dans les airs, les maigres pauses imposées correspondaient davantage à leur nécessité que celles des montures.
Couverts de la tête aux pieds, le visage recouverts par des shemaghs bien attachés, la communication doit se faire par des signes brefs. Lorsque d’un geste de la main, l’un des cavaliers pointe vers la cité en vue, le soulagement vient. Un signe vers les deux autres cavaliers ; l'atterrissage va pouvoir se faire prochainement.
Il était temps.
Une fois le pied au sol, les deux des hommes en armures retirent le tissu de leur bouche en lâchant un long soupir. Le voyage avait été plus long que les fois précédentes, même pour eux. Les pensées tournées vers Djinn, ils adressent un regard vers le troisième individu qui ne prend pas encore la peine de libérer son visage de sa prison de coton.
En silence, le trio se sépare, les cavaliers-wyvernes emmènent les montures tandis que l’individu prend la route vers la maison excentrée du port.
Deux coups, puis un dernier séparé des deux autres. La porte s’ouvre, il n’a pas besoin de faire de manière, on le reconnaît.
Il entre dans la maison, jetant un coup d’oeil rapide dans la pièce principale, le service est déjà prêt, comme à chaque fois qu’il vient ici. Il fronce les sourcils, puis finalement il jette un regard vers la dame de maison.
“Vous êtes le dernier. Je peux leur signaler votre arrivée.”
“Faites donc cela.”
Voix grave. Ton monotone. Ses pas le guide finalement vers la cuisine, osant un regard en quête d’une autre âme en ces lieux.
Une voix interrompt le fil de sa pensée. Et il se retourne.
Derrière ce shemagh bien enroulé sur son visage, le regard noir, profond, perçant d’un Djinn sonde celui de Sasori. Il est légèrement plus grand que lui, comme beaucoup l’ont été dans sa famille. Il ne parle tout d’abord pas, observateur. Ses yeux se plissent, à la recherche d’un nom à mettre sur ce visage singulier. Et finalement, il vient prendre dans ses mains la sienne avec beaucoup de chaleur malgré ce regard sans expression.
“Magnus Jötunheim. Non. Son héritier, le nouveau Seigneur de Nordahl, si je ne m’abuse ?” Une voix un peu plus claire, cette fois. L’espace d’un instant, il aurait cru voir le père Jötunheim s’il ne s’était pas vaguement rappelé de ces marques au visage reconnaissable entre mille. Il avait suffisamment entendu parlé de lui entre les mers pour le reconnaître. Le noble d’Althéa ayant grimpé la Tour avec Kléomène.
Rien que ça.
Il lâche ses mains rapidement, retirant enfin son shemagh de son visage, puis de sa tête afin de laisser sa longue chevelure se libérer de la lourde emprise du tissu.
La peau est impeccable, malgré les quelques rides qui trahissent son âge avancé. Impérieux, Darius Ramses regarde le Jötunheim comme un père regarderait la jeunesse : la curiosité à la nouveauté, l’assurance d’un homme d’expérience.
“J’étais curieux de savoir si un de mes très chers alter egos de toujours se trouvaient en cuisine. Mais semble-t-il que ce soit sur vous que je tombe.” Il retire sa cape salie par les intempéries, montrant derrière elle la somptueuse redingote ornée de figures dorées et sombres et d’une tenue soigneusement choisie pour garder une certaine prestance malgré le voyage houleux qu’il a dû subir. Pas de bijoux, pas d'extra, la tenue et sa prestance suffisait à elle seule à montrer son pouvoir. Sur ses lèvres, un fin sourire semble se dessiner, mais son regard reste maître de lui-même. Un simple rictus de naissance, aucune réelle humeur surtout en ces temps graves.
“Peut-être pourriez-vous m’aider à comprendre les raisons de votre présence en ces lieux. Je n’en ai pas eu mention.” Voix calme, un sourcil qui se lève pour l’interroger, le sonder, mesurer le poids de ses mots, circonspect.
Le côté de son index caresse ses lèvres, pouce sous le menton pour réfléchir un instant, puis une hypothèse : le Roi Moore serait-il en incapacité de se présenter à cette réunion ? Pas qu'il s'en étonne au vu des nombreux événements dans lesquels il semblait faire preuve d'absentéisme, mais pourquoi se tournerait-il vers les Jötunheim pour le représenter alors qu'il semble les avoir en horreur depuis des années ? Qu’en est-il de la Reine ? Ou de son fils ?
Le temps a été suffisamment long et les événements difficiles jusqu’ici pour qu’il se laisse prendre au jeu des surprises.