Le comte, arpentant la salle des yeux, fut frappé par le silence inattendu qui suivit la présentation du cadeau. Les lueurs de joie qui éclairaient précédemment les yeux de la baronne s'étaient évanouies, laissant place à une énigmatique réserve. La tension entre eux s'épaississait comme un brouillard dans la pièce, et le comte ne pouvait s'empêcher de ressentir une pointe d'appréhension. Il se mordilla légèrement la lèvre, scrutant le visage de Lycoris pour y déceler la moindre émotion. Les secondes paraissaient s'étirer, et Surya ne pouvait que se demander si son choix avait été à la hauteur des attentes de la baronne. Tout en dissimulant habilement son inquiétude, un frisson d'incertitude le parcourut alors qu'il anticipait sa réaction.

Pourtant, la belle n'émettait aucun son, n'exprimait aucune émotion visible. Les sourcils du comte se froncèrent légèrement, traduisant son inquiétude croissante. Il avait tant voulu que ce cadeau soit à la hauteur de la célébration et qu'il touche le cœur de la baronne. Les écrins renfermant les colliers et le recueil semblaient suspendus dans le temps, emprisonnant le mystère de l'instant. Dans l'attente de sa réaction, Surya ne pouvait s'empêcher de regretter d'avoir choisi un présent aussi singulier. Les pensées tumultueuses tourbillonnaient dans son esprit, évoquant des scénarios divers quant à la réception de son cadeau.

Sans se départir de son flegme, le lion choisit de relativiser cette situation qui aurait pu être interprétée comme un échec. Plutôt que de se torturer l'esprit à décrypter les moindres réactions de la baronne, il opta pour une sérénité apparente, camouflant ses doutes derrière un sourire poli. Un air de légèreté planait alors, effaçant les ombres qui menaçaient de s'installer. Car en maître du jeu, il savait que parfois le mystère et l'inattendu s'avéraient être les cartes les plus intrigantes dans l'art subtil des relations sociales.

Après que le silence fut rompu par sa question, la demoiselle tenta de défendre le prince tant bien que mal face à la critique de l’invité, mais sa voix trahissait malgré tout une légère déception. Après tout, les invitations avaient été nominatives et elle-même avait évoqué l’importance que revêtait l’héritier à ses yeux. La moindre des choses aurait été d’être présent une partie de la soirée auprès d’elle. À plus forte raison, quand ces supposés amants vivaient aussi loin l’un de l’autre, même si la baronne se baladait, disait-on, régulièrement dans les couloirs du palais des Ramses. Peut-être que son protégé était l’un des points faibles de la maîtresse de maison. En tout cas, son indulgence pour ce dernier contrastait avec sa personnalité forte et indépendante.

“Maintenant que la fête est terminée… Mhm, vous devriez avoir tout le loisir de vous l’accaparer après un peu de repos.”, déclara-t-il d’une voix un peu hésitante, mais chaude et apaisante, laissant transparaître une lueur de compréhension et sollicitude à son égard. Il espérait ainsi solacier la baronne.

Lorsque le comte prit conscience de son manque de discernement dans la critique du polisson, il comprit l'ampleur de son erreur, surtout compte tenu de la proximité notoire entre Lycoris et le prince héritier. Les rumeurs persistantes quant à une relation particulière entre ces deux-là accentuaient la délicatesse de la situation. La préservation de la réussite de la soirée devenait impérative à ses yeux. Il nourrissait l'espoir que, passé la liesse de l'anniversaire, le prince et la baronne trouveraient un moment de tranquillité pour discuter plus en profondeur de leurs ressentis à l'égard de la fête, ainsi que d'autres sujets, peut-être même des aspects plus personnels. Surya, dans sa réflexion, considérait la nécessité de la confidentialité, conscient que des oreilles indiscrètes auraient pu saisir leurs échanges et potentiellement mettre le prince et la baronne dans de beaux draps, draps qu’ils n’auraient manifestement pas l’occasion de froisser. Cette réalité suscitait chez le lion une joie subtile, une satisfaction personnelle face au possible échec d'une telle connexion.

Il balaya cependant bien vite cette réflexion indigne lorsque la malheureuse déchaussée opina à sa proposition audacieuse. Face à cette dernière, l'expression confiante de la femme mature et pleine d'expériences galantes vacilla brièvement, laissant place à une teinte de surprise inattendue. Ses yeux, habitués à l'art du jeu de séduction, s'élargirent légèrement tandis qu'un léger rougissement teintait ses joues, trahissant une réaction inédite. On aurait pu croire qu'aucune proposition ne pouvait la déstabiliser, mais la subtilité fugace de sa réaction dévoila une fragilité inattendue. Une émotion éphémère, à la fois troublante et mignarde, perça la façade de confiance habituelle, offrant un aperçu rare et captivant de la femme derrière le masque de l'expérience.

Ramassant les instruments de torture, il les tendit à la demoiselle qui tenait fermement le coffret qu’il venait de lui offrir. Délicatement, à l’instar du prince charmant dans les contes de fées, le comte souleva la princesse de la soirée s’assurant qu’on ne puisse pas jeter un œil sous la robe chatoyante. Portée comme une mariée lors des noces, elle semblait étrangement légère entre ses bras, démentant sa grande taille pour une femme. Aucune gêne ne transparaissait sur le visage du comte, bien au contraire. Il était surpris de constater la facilité avec laquelle il pouvait la porter. Dans tous les cas, montrer des difficultés à supporter le poids de la dame aurait été inconvenant et irrespectueux.

“Pour vous éviter les déboires des indiscrétions de salon, tâchons d’être alertes et prestes.”

Sur ces paroles, il entreprit son ascension vers l'escalier principal, tandis que les derniers rayons de Zelun achevaient de dissoudre le clair-obscur qui imprégnait la grande salle de fête. Une quiétude souveraine s'installa dans la demeure, démontrant la rapidité avec laquelle l'effervescence cédait la place à la tranquillité nocturne. Suivant les indications de la maîtresse des lieux, il perçut finalement une question qui semblait depuis un certain temps lui brûler les lèvres. Sans ralentir son allure, un sourire délicat ourla ses lèvres, reflétant l'amusement qu'il retirait de la situation, tandis qu'une lueur espiègle animait son regard. Cependant, il choisit de rester silencieux un moment, savourant le plaisir de la faire languir, tout en se perdant dans la contemplation mentale du plan de la demeure.

“N’était-ce pas un anniversaire sous le signe d’un bal masqué ? Nommer une chose, c'est tuer la moitié de sa magie. Le mystère est l'essence de toute beauté véritable. Il donne à la vie sa saveur. Il donne du piquant à l'exploration.”

Surya, fin stratège, avait décidé de clore le jeu de l'attente au moment opportun, quand il sentit que le suspense avait atteint son apogée. Tout en maintenant une vigilance aiguisée quant à d'éventuelles intrusions, chaque pas dans les couloirs silencieux les rapprochait de la chambre. Les échos feutrés de leurs pas résonnaient dans le calme enveloppant de la demeure, tandis que les rayons du soleil caressaient doucement les fresques et les tableaux qui ornaient les murs. La promenade avait été écourtée par l'adresse du comte, qui guida avec prévenance la baronne jusqu'à la double porte, symbole d'une pièce où le repos attendait sa locataire. Il déposa Lycoris avec une délicatesse qui trahissait un souci sincère pour son bien-être.

“Votre sagacité n’a d’égal que votre beauté et votre élégance. De nombreux indices ont déjà émaillé la soirée, ils devraient vous mettre sur la voie. Si vous aimez les jeux d’esprit, cherchez alors par-delà les mers d'or le Lion niché au cœur des Roses. Pour les miens, j’en suis le Roi.”

Si elle espérait avoir une réponse de but en blanc, c’était de toute évidence raté. Au cours de la soirée, plusieurs convives avaient loué l’intelligence de la baronne, aussi voulait-il la mettre au défi de résoudre sa petite énigme. Cependant, il restait incertain quant à la propension de la dame à s'engager dans ce jeu. D'ailleurs, la simple perspective d'une énigme ne justifiait pas nécessairement une nouvelle rencontre, et les chances qu'elle s'aventure à en chercher la réponse semblaient minces. En outre, elle pouvait tout aussi bien recourir à la solution pragmatique de poser directement la question à son ami frivole. Avec une grâce insouciante, le comte s'empara de la main de la baronne, y déposant un baiser chaste. Haussant les épaules avant de les relâcher mollement, il poussa enfin un soupir languide.

“Bonne nuit, Lycoris.”

Le sourire qu’il arborait plus tôt s’était teinté d’une sombreur que ses yeux habiles tentaient à peine de dissimuler. Sur cette formule laconique, il entama une lente marche vers la chambre qui lui avait été assignée, dans l'hypothèse qu'il parvienne à la dénicher dans ce dédale qu'était le manoir.

Alors que le comte avait entamé sa lente marche vers la chambre qui lui avait été désignée, un soudain revirement de son corps détourna son attention vers la baronne. Les balbutiements timides qui s'échappaient de ses lèvres semblaient porter les minces espoirs de gratter encore un peu de temps à l'éternité. Dans ce moment figé, les regards se croisèrent, empreints de cette tension suspendue entre deux êtres qui se questionnaient, sans vraiment exprimer les vérités enfouies derrière les masques polis de la bienséance. Les secondes se diluèrent dans cette atmosphère où le silence éloquent parlait plus que les mots, laissant planer l'incertitude et la possibilité d'un autre dénouement à cette soirée déjà riche en rebondissements.

Surya percevait clairement l'angoisse qui se dessinait sur le visage de Lycoris, une ombre inattendue après la lueur des célébrations. Son visage, autrefois rayonnant, semblait à présent assombri par des pensées troubles, et la mélodie joyeuse de sa voix était maintenant teintée d'une anxiété perceptible. Sans hésiter, le comte entreprit une démarche lente à travers la pièce, se rapprochant silencieusement de la baronne. Chaque pas était mesuré, chaque mouvement calculé pour ne pas perturber davantage l'équilibre précaire de l'instant tandis qu’il se glissait dans la sphère intime de Lycoris. Il pouvait sentir le poids des préoccupations qui pesait sur elle, un fardeau qu'elle portait silencieusement.

Lorsqu'il fut suffisamment proche, il marqua une pause respectueuse, laissant un espace pour la parole ou le silence, selon le choix de la baronne. Son regard exprimait compréhension et soutien, prêt à accueillir les confidences qu'elle pourrait choisir de partager si tant est qu’elle fût disposée à faire part des détails de la peur qui la tourmentait. Respectueux de son secret, le comte choisit de ne pas creuser davantage, reconnaissant que certaines inquiétudes étaient mieux laissées dans l'ombre.

La proximité de leurs corps acculait la baronne contre la porte fermée de sa chambre. Dans l'étroit espace entre eux, l'atmosphère était électrique, chargée de cette tension palpable qui émane des émotions retenues. Le lion, d'un geste sûr et élégant, balaya la frange qui obscurcissait le regard de la demoiselle, incitant ses prunelles à rencontrer les siennes. Un silence tendu persistait, laissant place aux palpitations du cœur et à l'incertitude qui flottait dans l'air.

Il contempla l'appréhension qui habitait les iris de Lycoris. Puis, déviant son regard vers la lèvre qu'elle s'était mordue quelques instants plus tôt, il ne put s'empêcher de ressentir une tentation persistante. Ces lèvres, symboles de promesses et d'interdits, semblaient l'inviter à explorer l'inconnu. Pourtant, dans un élan de maîtrise de soi, il réprima ses envies primaires. Il devait bien admettre qu'exploiter un moment de faiblesse serait une intrusion indélicate dans la sphère d'intimité fragile qui s'érigeait entre eux.

Déposant délicatement la paume de sa main contre la joue de la baronne, le comte ressentit un étrange décalage. La chaleur de sa propre main semblait contraster avec la peau de porcelaine de Lycoris, comme si elle avait été subitement transpercée par le froid de la solitude à venir. En réponse à la vulnérabilité exprimée dans le regard de Lycoris, Surya esquissa instinctivement un sourire tendre, cherchant à lui offrir une lueur d'apaisement au milieu de la tempête qui l’animait à l’intérieur.

“Je doute que ce soit l’heure pour un thé chaud. Vous ne voudriez tout de même pas troubler le repos de vos domestiques déjà bien rompus par cette longue nuit de labeur.” Il remua l’index pour signifier son refus. Son regard restait fixé sur Lycoris alors que le mouvement du doigt, empreint de gaminerie, exprimait plus une réticence respectueuse qu'une opposition catégorique. “En revanche, je veux bien vous tenir compagnie jusqu’à ce que vous trouviez le sommeil. Je veillerai à chasser la mauvaise influence d’Hirshan.”

Avec prévenance et d’un geste mesuré, le gardien du sommeil l'incita, d'une pression légère sur ses épaules, à reculer doucement pour entrer dans la chambre. La démarche avait pour dessein d'éviter tout regard indiscret qui pourrait être posé sur leur conversation privée. Le comte veillait à préserver les apparences. Une fois à l’intérieur, il proposa naturellement à la baronne de se changer. Un paravent était discrètement placé à l’écart. Après cette longue célébration, il était normal qu’elle se libère de sa belle toilette et se mette à l’aise. Tandis qu’elle se retirait derrière le paravent, Surya préféra détourner le regard, étudiant plutôt les détails de la pièce pour éviter toute curiosité mal placée.

La chambre, vaste et somptueuse, dévoilait une atmosphère d'élégance et de raffinement. Les murs étaient parés de tapisseries aux motifs délicats, déployant des scènes dignes des contes de fées. Des moulures élégantes ornaient le périmètre, conférant à la pièce une touche de noblesse. Sur le sol, de riches tapis s'étalaient avec une opulence mesurée. Leurs motifs complexes et leurs couleurs chatoyantes apportaient une chaleur supplémentaire à l'espace. Chaque pas sur ces tapis était un pas dans le luxe et le confort. Au cœur de la chambre, trônait majestueusement un lit à baldaquin, immense et richement orné. Ses fins voilages retombaient en cascade, créant un abri cossu et intime. Le bois ouvragé du baldaquin était sculpté avec une minutie exquise, chaque détail témoignant de l'artisanat exceptionnel qui avait présidé à sa création. À proximité, une coiffeuse en bois précieux, assortie au mobilier, exhibait des lignes délicates et des finitions soignées. Sur sa surface lisse, se côtoyaient des brosses à cheveux en ivoire, des flacons de parfum finement ouvragés, et un miroir encadré de dorures. Cet espace dédié à la toilette invitait à une mise en beauté digne des grandes dames. Les fenêtres habillées de rideaux luxueux laissaient filtrer la douce lumière du jour, créant une ambiance chaleureuse et accueillante. Des fauteuils rembourrés, habilement disposés dans un coin de la pièce, invitaient à la détente, tandis que des tableaux encadrés décoraient subtilement les murs, ajoutant une touche artistique à l'ensemble.

La baronne, une fois changée, était apparue dans une nouvelle tenue plus décontractée et plus confortable pour dormir, pleine d'élégance et de grâce. Le comte, respectueux, la laissa naturellement prendre place dans le lit à baldaquin. L'invitation implicite à le rejoindre s'imposa dans l'air, mais le comte hésita légèrement, conscient des conventions sociales qui auraient pu dicter une autre conduite. Retirant son manteau, il le déposa sur l’un des fauteuils dans le coin de la pièce. Il prit place ensuite dans le lit, tout en évitant soigneusement de poser un regard sur la demoiselle. Pour s’assurer de ne commettre aucun impair, il prit la décision de fixer le plafond qui transparaissait derrière les draperies du lit. Il n’était pas étranger à l’intimité des alcôves et avait déjà partagé nombre de couches mais il devait bien admettre que la situation actuelle lui était inédite. Chassant ses pensées impures de son esprit, il dénoua le nœud de sa cravate et ouvrit le col de sa chemise pour son bien-être.

“Vous arrive-t-il souvent de convier de parfaits inconnus à partager l’intimité de votre chambre ? Loin de moi l'idée de remettre en question de votre vertu, n'y voyez que de la curiosité de ma part. Je me demande bien quelle serait la réaction de ma soeur si elle avait vent de la situation.”

Sans s’en rendre compte, la voix s’était chargée d’une tendresse et d’une chaleur inhabituelles. Pourtant il changeait systématiquement d’humeur quand il évoquait sa petite sœur. On ressentait immédiatement toute l’affection et l’amour inconditionnel qu’il lui portait.

“Cela me fait penser qu’il est curieux de ne pas avoir vu votre sœur.”

Il tourna involontairement sa tête vers Lycoris et regretta aussitôt son geste dès qu’il vit ses yeux attendris de cette dernière. À cet instant, il aurait voulu la prendre dans ses bras mais se ravisa tout aussi vite, reprenant le plafond en ligne de mire.

Alors que ses paupières succombaient lentement à la douce emprise du sommeil, le comte, soutenu par un oreiller en plumes d’oie blanche d’Helsinki et plongé dans la douceur de la literie luxueuse, s'immergeait dans les explications de la baronne. Malgré la surprise initiale face à sa réponse singulière, il se laissa bercer par la mélodie apaisante de sa voix, absorbant chaque nuance de son récit. Au fil de la soirée, au milieu des éloges répandus à l'égard de l'aristocrate, Surya avait également capté les murmures de rumeurs qui tournaient autour d'elle.

On lui prêtait des mœurs dissolues, mais curieusement, aucun jugement négatif ne semblait lui être destiné. Loin s’en faut, les convives bienveillants semblaient excuser et même défendre son comportement. Ils considéraient qu'elle avait le droit de profiter de ses charmes, qu'elle semait le bonheur parmi ses nombreux partenaires, et que cela témoignait d'une générosité et d'une bonté innées. Aux yeux de ces observateurs bienveillants, Lycoris était la récipiendaire évidente de la bénédiction de la déesse Azaïth, distribuant naturellement l'Amour dans toutes ses nuances et brillant, entre autres, par sa Beauté. Surya était prêt à admettre la validité de cette hypothèse, conscient que la réalité de la baronne dépassait de loin les murmures de la foule.

Fort de ces informations, le comte en déduisit naturellement que la baronne devait rarement goûter à la solitude nocturne. En définitive, il lui semblait qu'un simple claquement de doigts de sa part suffisait à faire apparaître une cohorte de prétendants, prêts à conjurer l'influence néfaste d'Hirshan. Il ne représentait qu'une pièce dans cet échiquier complexe, un parmi tant d'autres. Peut-être n'existait-il rien de plus entre l'héritier de Djinn et cette dame d'Uzuri. À cette réflexion, le lion ressentit une légère quiétude, mais par précaution, il s'abstint toujours de poser à la demoiselle la question délicate qui tourbillonnait dans son esprit.

“Vous ne craignez pas d’avoir une réputation sulfureuse en tout cas. Quoi qu’il en soit, nul besoin de vous justifier auprès de moi. Mais dois-je en déduire que vous ne dormez jamais seule ? Y a-t-il jamais seulement un jour où personne ne désire partager une nuit en votre compagnie ?”

Le comte avait délibérément choisi de faire l'impasse sur l’interrogation épineuse concernant l'origine des tourments nocturnes de son interlocutrice. L'effleurement même de ce thème sensible suscitait en lui une crainte latente, celle de déclencher involontairement la résurgence de cauchemars assaillants. Un rire fugace, aussitôt refoulé, dansait néanmoins sur les lèvres de Surya, témoignant de sa réaction amusée face à la pudeur manifestée par la baronne.

Lycoris avait, au fil du temps, laissé derrière elle l'innocence de la jeunesse, plongeant résolument dans les arcanes des relations charnelles. Face aux circonstances, sa réaction dénotait une maturité teintée d'amusement. Elle n’avait pas à justifier ses actes, qu'ils fussent perçus comme immoraux ou indécents par les conventions sociales. Le comte observait la suspension de jugement sur autrui. Aussi pouvait-elle naviguer à travers les méandres de ses choix sans craindre de voir ternir son image. Dans ce microcosme de conventions et de préjugés, il se distinguait par son absence de moralisme hâtif. Ainsi, la réputation de Lycoris se trouvait protégée des regards curieux et des murmures malveillants qui parfois émaillaient les cercles sociaux plus conservateurs.

Le comte pivota légèrement sur lui-même et croisa une nouvelle fois le regard de la baronne. Il se plongea dans la contemplation de ses traits dépourvus du voile du maquillage. Là, au naturel, sa beauté éclatait avec une intensité surprenante, surpassant même la magie subtile des cosmétiques. Son teint impeccable, la douce courbe de ses lèvres, et l'éclat profond de ses yeux révélaient une grâce authentique, une beauté qui transcendait l'artifice.

Alors qu’il étudiait le visage de son hôte, il pondéra un petit instant sa question épineuse. Il pouvait parfaitement lui mentir, lui brosser le portrait d’un gentilhomme propre sous tous rapports, mais il n’y voyait que peu d’intérêt. Après tout, elle l’avait invité dans son intimité, il pouvait bien faire preuve d’un peu d’honnêteté. Et, de la même manière qu’il avait appris les racontars qui entouraient la demoiselle, elle pouvait tout aussi bien entendre quelques échos le concernant par le même truchement, à plus forte raison si la baronne passait souvent à Djinn.

“Ma chère soeur, dans sa grande sagacité, s’est persuadée que je suis gay. Pour sa défense, il est vrai qu’aucune femme n’a partagé ma vie. Pour être tout à fait honnête, je ne suis étranger ni à l’intimité féminine ni aux secrets d’alcôve. Mais jamais pour veiller sur le sommeil d’une demoiselle. Bien évidemment tout ceci reste entre nous.”

Avec une voix suave, il susurra doucement si près des lèvres de la baronne qu’elle pouvait sentir son souffle se mêler au sien. Son index, comme une plume légère, se posa sur les lèvres de cette dernière tandis qu’il lui adressait un sourire entendu. Ce doigt était le dernier rempart qui lui interdisait de cueillir sa bouche voluptueuse à la douceur de pétales de rose. Il appréciait particulièrement la tension silencieuse qui régnait à cet instant. Mais il préféra se retourner sur le dos, rompant le contact visuel, afin d’éloigner au mieux cette tentation persistante.

Soudainement Surya sentit la douce pression de la tête de Lycoris contre son épaule. Un geste qui, bien que discret, déployait une intimité davantage feutrée entre eux. Comme s'il avait anticipé ce rapprochement, le comte écarta doucement le bras, créant un espace accueillant pour la baronne pour se blottir contre son torse, en une harmonie discrète, murmurée contre les replis des draps. Respirant profondément, Surya se plongea dans une méditation intérieure, tentant de se centrer sur les paroles de son hôte concernant sa sœur. Dans cet état de recueillement, il cherchait à éloigner toute perturbation suscitée par la sensation du corps de Lycoris contre le sien. Chaque inspiration devenait une ancre, l'aidant à se connecter à une quiétude intérieure.

Que Lotienix me donne la force de calmer mon feu intérieur.

“Une chose est sûre, l’amour et l’admiration pour votre soeur sont sincères. Est-elle aussi charmante que vous ? Et aime-t-elle autant la danse ? Auquel cas, peut-être devrais-je l’y inviter à votre place la prochaine fois. J’ose espérer que cela ne vous dérangera pas.”, demanda-t-il avec une provocation joueuse. “Quant à mon retour à Djinn, tout dépend de votre ami coquin. En fonction du temps qu’il sera prêt à vous accorder, notre départ se décidera tout aussi bien aujourd’hui que demain. Mais je ne doute pas que vous trouverez les mots ou les moyens de le faire rester pour vous. En attendant, que diriez-vous de vous reposer ? Il faudrait préserver vos yeux si précieux.”

Dans la lueur naissante du jour, Surya écoutait attentivement les mots de Lycoris qui semblaient démystifier l'image qu'il s'était forgée d'elle. Avec une étonnante assurance, la baronne contredisait l'idée préconçue selon laquelle elle ne passait jamais ses nuits seule. Cette révélation prenait le lion au dépourvu, tant elle semblait en contradiction avec les rumeurs et les cancans qui enluminaient le portrait de la baronne.

Au sein de la haute société, les murmures et les ragots étaient monnaie courante, participant à l'étoffement de la renommée sulfureuse de Lycoris. Malgré la bienveillance affichée par la majorité des convives à son égard, les commérages contribuaient à lui donner l’image d’une femme insatiable. La réponse de Lycoris ébranlait les certitudes de Surya, lui laissant entrevoir une facette de la baronne qu'il n'avait pas soupçonnée. Les rumeurs, aussi insidieuses soient-elles, ne pouvaient masquer la vérité qui se dégageait des paroles de la demoiselle.

Le comte se laissait envelopper par les paroles de Lycoris. Ses mots, aussi doux que  possiblement trompeurs, résonnaient dans l'espace, emplissant le silence de leurs échos ambivalents. Couché en face d'elle, il la scrutait attentivement, cherchant dans les méandres de son regard la vérité que les mots pouvaient parfois dissimuler. Sa respiration, naguère rythmée par le tumulte de leur attouchement, se faisait désormais lente et profonde, signe qu’il avait réussi à apprivoiser le feu qui menaçait de le consumer. Les rumeurs, ces murmures envenimés par le venin de la médisance, semblaient danser autour d'elle, projetant des ombres sur les vérités fragiles qui se dévoilaient.

Dans l'esprit du lion, les questionnements se bousculaient, telles des vagues tumultueuses cherchant refuge sur les rives de la certitude. Les paroles de Lycoris, aussi séduisantes que troublantes, éveillaient en lui le doute, cette lueur vacillante dans l'obscurité des mensonges.

Et si derrière le masque de l'innocence se cachait la perfidie des faux-semblants ? Le lion, au regard clairvoyant, se perdait dans les méandres de ses propres pensées, tiraillé entre la nécessité de croire en la pureté des mots et la tentation de percer le voile des apparences. Après tout, Lycoris, en sa qualité d'incarnation parfaite de la femme fatale, se devait de manier avec une habileté déconcertante l'art du mensonge et de la séduction. Son aura envoûtante semblait brouiller les frontières entre vérité et illusion, laissant le comte se noyer dans les eaux troubles de l'incertitude.

Cependant, une question persistait dans son esprit. Qu'avait-elle à gagner en choisissant le boniment plutôt que la vérité ? Cette interrogation résonnait dans sa conscience, cherchant en vain une réponse à même de le satisfaire. Pourtant, à mesure que les mots de la baronne caressaient ses oreilles, une évidence s'imposait à lui. Dans chaque intonation, dans chaque geste, il percevait la sincérité, cette lumière vacillante au cœur des ténèbres.

La lueur espiègle qui dansait dans son regard, semblable aux étoiles filantes qui avaient embrasé la toile de la nuit, trahissait le plaisir qu'elle prenait à défier les légendes et les calomnies qu’on s’escrimait à inventer à son sujet et qui avaient enserré son nom. Malgré les doutes qui l'assaillaient, Surya sentait son cœur se laisser séduire par cette vision, cette image angélique de la baronne. À moins que ce soit lui qui se complaise à se bercer d’illusions. En tout cas, le sourire taquin qui habillait sa bouche alliciante avait finalement eu raison de ses dernières réticences.

“J’ai cru comprendre que vous étiez effectivement une grande voyageuse. L’on raconte que vous auriez une chambre attitrée au palais des Ramses tant vous êtes habituée à arpenter le royaume. Regrettez-vous votre solitude ?”

Le comte ne put s'empêcher de laisser vagabonder son esprit vers les méandres de la vie nocturne de Lycoris. Elle suscitait en lui une sollicitude mêlée de curiosité. Les récits du prince et des convives peignaient le tableau d'une existence nomade, parsemée d'escapades éclatantes et d'histoires éphémères. Mais derrière le masque de la gaieté et de la festivité, résidait peut-être une ombre de solitude, une mélancolie tissée dans les replis de la nuit.

Si les rumeurs et les contes narraient une existence rythmée par les rencontres fugaces et les escapades, Surya se demandait si, au creux de cette vie tourbillonnante, ne se cachait pas un désir secret, une envie d'ancrage dans un monde en perpétuelle mutation. Quoiqu'au vu de sa nature festive, elle devait rarement rester enfermée là où elle avait déposé ses bagages. Et à la croire, elle finissait souvent accompagnée si elle sortait faire la fête. Cependant, Lycoris demeurait une figure éclatante de vie, une flamme vacillante malgré les fantômes du passé qui semblaient hanter ses pas.

Lorsqu'elle exprima son étonnement quant à sa situation matrimoniale, Surya laissa échapper un rire bref, empreint d'une pointe de nostalgie. Les souvenirs affluèrent, comme les reflets d'un passé lointain dans les eaux calmes de la mémoire. Il se remémora alors les fastes et les festins, les banquets somptueux orchestrés par sa mère avec l'espoir fervent de voir naître une étincelle, un intérêt naissant pour l'une des jeunes demoiselles présentes. Les réceptions ressemblaient à des tableaux vivants, où les regards se croisaient, où les conversations légères se mêlaient aux rires étouffés dans l'air parfumé des jardins en fleurs.

Pourtant, malgré les sourires forcés et les politesses de circonstance, le cœur du comte demeurait insensible aux artifices du monde, préférant écouter la musique des étoiles dans le silence de la nuit. Et maintenant, alors que les étoiles avaient brillé au-dessus d'eux, il se trouvait face à une autre forme d'éclat, une lumière différente dans les yeux doux de Lycoris. Une énigme à part entière, une invitation à découvrir les mystères cachés derrière le voile des apparences.

“Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. En dépit de tous les efforts de ma chère mère, aucunes fiançailles à l’horizon, ce malgré toutes les propositions. Vous devez connaître aussi bien que moi, si ce n’est plus, ce jeu des unions. Mais je refuse de céder aux injonctions d’un mariage de raison si je peux connaître un mariage d’inclination. Et vous, madame la baronne ? N’êtes-vous pas déjà promise ? Comme à ce comte venu mettre un terme à notre entrevue ? À en croire le monde, vous seriez la fiancée, l’épouse et la mère de tous les grands hommes et femmes.”

Lorsque Lycoris évoqua à nouveau le sujet de sa sœur, Surya ressentit une vague d'admiration et d'amour palpable dans les paroles de la baronne. À travers ses dires, il percevait une mise en exergue de sa sœur sur un piédestal, tandis que Lycoris semblait se reléguer à l'arrière-plan, presque en retrait, comme si elle s'accordait une position subalterne. Le comte, touché par cette attitude empreinte d'une générosité singulière, éprouva une profonde sympathie envers la condition de la sœur de la baronne.

Une fois de plus, Lycoris se montrait imperturbable face à la jalousie ou à l'envie, prête à céder sans réserve sa place à sa sœur. Surya, qui espérait peut-être susciter un sursaut de fierté chez elle, constata que ses espoirs étaient vains. Le mystère entourant la sœur de la baronne l'intriguait davantage à chaque allusion. Il se questionnait sur son apparence, sur la nature de sa personnalité. Possédait-elle la même aura avenante que la baronne et était-elle aussi nimbée d’autant de mystères, il n’aurait su le dire.

“Qui sait, peut-être aurais-je un jour l’occasion de la rencontrer si, d’aventure, elle s’accorde du temps. J’aurai ainsi le privilège de vous faire valser toutes les deux.”

Le comte avait repris la parole doucement, sa voix résonnant à peine dans la quiétude de la chambre. Il remarqua rapidement que la baronne, épuisée par la fête, avait finalement cédé au sommeil. Une tendre affection l'envahit à la vue de cette image apaisante. Avant de plonger lui-même dans les méandres du sommeil, il adressa une dernière pensée empreinte de tendresse à sa petite sœur, évoquant silencieusement son nom dans les replis de son esprit.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, le temps semblait s'être dilué dans l'obscurité du sommeil. Le soleil, désormais haut dans le ciel, laissait entendre que la moitié du jour s'était déjà écoulée. À ses côtés, la belle dormait toujours paisiblement. Surya se frotta les yeux, s'éveillant doucement à la réalité du jour qui s'annonçait.

Avec précaution, comme pour ne pas troubler le silence serein qui régnait, le comte entreprit de retrouver son manteau. Toujours fidèle compagnon, il abritait en ses plis une lecture propice aux moments de quiétude. Se glissant hors du lit, il s'étira légèrement avant de se diriger en silence vers le coin de la pièce où reposait son habit.

Cependant, son entreprise fut interrompue par un léger coup frappé à la porte. Sans hésitation, Surya se dirigea vers l'entrée et l'ouvrit avec une promptitude ouatée, malgré la situation quelque peu délicate. De l'autre côté du seuil se tenait la personne qui avait orchestré sa présence en ces lieux.

“Avant que vous ne vous mépreniez, sachez que je n’ai fait que veiller sur le sommeil de dame Kyritsis. Je ne m’aviserais pas de toucher à celle que l’on pressent comme votre promise potentielle.”, déclara-t-il avec un flegme aux antipodes de la situation épineuse dans laquelle il se trouvait actuellement.

D'un geste empreint de courtoisie, il invita le prince d'un bras tendu à franchir le seuil de la chambre. Son attitude était empreinte d'une élégance tranquille, comme pour dissiper toute incommodité dans l'atmosphère. “Elle ne devrait plus tarder à se réveiller. Pourquoi ne pas lui faire la surprise de votre présence ? Elle souhaite passer du temps avec vous.”

Sur ces mots, Surya s'inclina légèrement, laissant au prince le champ libre pour rejoindre la chambre. Puis, avec une dernière courbette empreinte de politesse, il prit congé de son suzerain, laissant planer une aura de mystère et de délicatesse dans l'air feutré de la pièce.