Un sourire qui s’étire jusqu’aux oreilles. Le regard perdu dans son courrier, le jeune prince ne fait même pas attention à la petite tape derrière le genou qu’il se prend. Geste taquin à son encontre, ses yeux d'onyx rencontre celui d’un officier de son rang.
“C’est la première fois que je vous vois aussi joyeux à la vue d’un bout de papier.” Lui lance-t-il. Les yeux plissés, sondant le jeune Prince, il reprend “une nouvelle conquête ?”
Mais sa plaisanterie reçoit tout le désintérêt de Geb, il n’est pas du genre à faire parler de lui, mais certains hommes peuvent parfois parler des amourettes sans valeurs du Prince comme d’une preuve de sa popularité et de sa virilité. Ces quelques rumeurs, parfois un peu trop embarrassantes pour le Prince, permettait au moins d’apporter du crédit après de longues années à se concentrer sur son apprentissage ; surtout en cette année trouble où le temps n'était pas au beau fixe pour Cheldis. Les monstres prennent tout le temps du monde à ses parents, les étrangers également. Et que dire de la Tour d'Argos ? Une énième troupe s'est dirigée vers celle-ci dans l'espoir d'y obtenir des résultats. Espérons que cette fois soit la bonne.
Mais ces derniers temps, malgré tout, Prince rattrape le temps perdu de sa jeunesse. Le Prince plaît. Le Prince s’intéresse aux filles.
Et sans doute aurait-il pu se vanter d’avoir eu l’occasion de partager la couche d’une aussi belle femme que Lycoris pour un soir et sans doute l’aurait-il fait s’il avait été un homme abject ou si Lycoris avait été une femme immonde et vénale.
Mais ce n’était pas le cas, ni pour l’un, ni pour l’autre.
S’il s’était imaginé que son père lui aurait apporté une énième désapprobation, c’est au contraire une tape amicale sur l’épaule qu’il reçut. Et quelques mots sur la nécessité de ne pas trop en faire, d’éviter au mieux que son sang ne tombe dans le ventre de n’importe quelle femme, mais de se laisser à quelques fantaisies tant que cela gonflait sa masculinité et que cela ne détruisait pas sa réputation.
Il devait être viril est non lubrique, c’était là tout ce qu’on lui demandait. Trouver une compagne, donc. Assurer implicitement être l’Homme qui dirige et ne pas laisser planer le doute sur ses relations d’un soir.
Mais Geb voulait tout autre chose. Et il sait que ce n’est pas en Djinn qu’il pourrait satisfaire cette profonde envie, car il ne serait pas digne de lui -bien qu’on ne lui en tiendrait pas rigueur- de se retrouver en compagnie d’un homme car cela sèmerait certainement le doute pour beaucoup.
Et il tenait, quelque part, à garder le secret cette préférence pendant encore longtemps.
Il ne restait plus qu’à savoir de quelle manière il pourrait profiter de la soirée sans devoir se montrer sage à siroter des boissons exotiques pour rester dans le champ de vision de ses gardes. Il lui fallait un plan, un moyen pour s’assurer la paix, l’espoir d’un divertissement en toute tranquillité, voilà tout ce qu’il espérait.
Et soudainement, au moment même où l’officier avait interrompu sa lecture, son regard croisa celui du Lion d’Albâtre qui, n’en déplaise à sa pauvre frimousse n’ayant d’yeux que pour quelques joutes, se retrouvait à présent dans la ligne de mire du Prince Héritier.
Oh, sans doute, avait-il trouvé là le moyen de s’éclipser discrètement lors de la soirée.
Un costume noir avec de beaux motifs dorés, il avait dû abandonner la beauté de ses vêtements blanc et bleu pour parfaire l’illusion. Il porte un masque doré recouvrant la moitié de son visage de quelques formes mécaniques, des écrous et de la feraille peine et vernis en l'honneur de son pays natal, un tissu sombre recouvre l'autre partie et il porte pour masquer sa peau sombre. Dans sa main, un cadeau qu’il n’a pas tenu à poser avec les autres sur la table prévue à cet effet. Geb se refusait de voir un cadeau d’une telle valeur décorer un espace isolé, se confondre avec les présents sans saveurs, car il se vantait intérieurement de mieux connaître Lycoris que quiconque ici (à l’exception de sa jumelle).
Son regard se tourne finalement vers Surya qu’il avait convaincu d’être le seul à l’accompagner pour cette soirée, un homme qui n’a plus rien à prouver dans l’armée en échange d’un voyage intéressant loin du désert de Djinn. Il ignore encore ce qui l’a motivé à accepter de l’accompagner, mais il n’irait certainement pas s’en plaindre.
“Les Kyristis ont su reconstruire une bonne partie de ce qui a été injustement consumée par la bêtise de leurs parents.” lui admit-il tout bas, “J’ai beaucoup d’admiration pour ces femmes, rares sont ceux qui savent remonter la pente et garder la tête haute lorsque les messes basses les accusent encore discrètement d’avoir dans leur sang celui d’un savant fou. Lycoris est une véritable experte de la littérature antique, vous savez ?”
Il n’en savait pas plus et il ne s’en était pas plus inquiété que cela, à vrai dire. Lycoris était une femme intéressante, pleine de vie qui méritait bien plus qu’une stupide assimilation à des faits dont elle n’a pas la responsabilité.
Geb ne peut que comprendre ce qu’elle pouvait ressentir, lorsque l’on vous regarde comme une version miniature de votre aîné sans vous demander votre avis.
“Allons la voir, je vais vous la présenter.” Mais plutôt que de tracer son chemin en ligne droite vers elle, il conduit Surya entre les gens, sondant du regard son amie qui semblait déjà perdre son attention dans la foule. Il s’était abstenu de lui décrire les vêtements qu’il porterait, par amusement. Et finalement, lorsqu’il se trouve non loin, il tourne le regard vers Surya.
“Passez devant, allez la saluer, je vous rejoins vite.”
Il fallait qu’elle arrête son regard quelque part afin de parfaire sa discrétion. Dans cette foule remplis de masque, Geb se sentait étonnamment plus libre. On ne le regardait pas plus qu’un autre, il était un inconnu parmi tant d’autres. Il pouvait même s’arrêter un instant pour croiser le regard de cet homme dont la carrure semblait à son goût. Un sourire qui s'étire derrière son tissu, il le lui rend, et finalement la promesse silencieuse de se revoir plus tard.
Voilà pourquoi il appréciait tant ce genre de festivités.
Il n’y avait plus de honte à s’assumer.