Alors que notre navire fend les flots, je me dresse face à l’immensité des océans qui me troublent et me font me sentir petite… Et pourtant, une chose me fait me sentir encore plus fragile que l’écume qui frappe la coque de notre bateau, c’est le dos de cette femme face à moi.
Tel un roc, il semble inébranlable et me rappelle la différence qui est créée entre ma génitrice et moi-même. Elle est tout ce que je respecte et ce que j’admire, mais en restant ainsi dans son ombre, la fleur que je suis ne peut s’épanouir et fleurir à sa convenance… L’ombre éternelle n’est que le présage de la mort de la fleur.
Nous approchons de notre cible et il ne nous faudra pas plus de temps pour aborder ce vaisseau qui était voué à s’échouer et couler vu qu’il n’y a en son bord… Qu’un seul homme. Il n’aurait pu gérer la barre, les voiles, la navigation, la direction, les courants et les précipices sur pareil navire, tout seul.

Je me sens désolée pour toi, mais ce sentiment n’a pas lieu d’être sur un champ de bataille et ma maternelle me le rappelle à l’ordre.
« N’aie pas de pitié ou d’admiration pour tes ennemis, ou cela te mènera à ta perte. »

Il n’en faut pas plus pour me reprendre et me figer. Je hais ce cœur trop faible et je déglutis péniblement pour m’être laissée un temps soit peut aller. Tu es seul, certes, mais te sous-estimer serait nous mener à notre perte.
Peu importe l’individu qui se dresse face à nous, il faut toujours se répéter qu’il est dans la capacité de nous écraser. On ne connaît ni sa stratégie, ni s’il s’agit d’un piège. Et il ne m’en faut pas plus pour avancer et rejoindre l’équipage qui t’entoure désormais.
Je sors mon katana, arme de prédilection, alors que mon autre main se retrouve dans mon dos. Ma posture est droite et je commence à valser autour de toi. Mon but n’est pas encore de te toucher, mais de tester tes réflexes et tes ripostes. Nos hommes le comprennent et le mimétisme commence, il serait bien malheureux de se lancer tête baissée vers toi, alors que notre nombre permet de prendre le temps de jauger les compétences de ton être, tout en t’épuisant, si tu ne désires pas être effleuré par la pointe d’une arme plus longue que la tienne.

Mes prunelles ne cessent de t’observer et elles font des allers-retours entre le placement de tes pieds, le balancement de tes hanches, la position de tes bras et la détermination de ton visage… Rien n’est laissé au hasard, je l’ai fait une fois et je l’ai payé de la vie de mes hommes. Désormais, je suis la Princesse précautionneuse et je ne plierais pas car je pense ceci trop facile ou que je prends tout cela à la légère… D’ailleurs, ta confiance en toi me prouve que je fais bien de ne pas me précipiter… Bien que je sente la patience de ma mère atteindre ses limites, si je ne cesse ce jeu du chat et la souris, elle va simplement demander à nos hommes de te capturer tout en t’assénant le coup qui te ferait plier à ses pieds…

Prendre son temps a du mérite, mais provoquer trop d’attente peut aussi se retourner contre moi. Il me faut son assurance et c’est pour cela qu’après-avoir compris ton fonctionnement, je fais savoir à mes hommes que l’on peut lancer l’assaut sur ta personne…

Tu es fou et si tu ne l’es pas, tu es parfait pour imiter la folie. Tu ne sembles pas apeuré et même certain de nous défaire.
Ta confiance en toi m’interroge et me fascine à la fois. Tu es seul, sans personne pour t’aider, tu as apparemment été abandonné et pourtant tu sembles être persuadé pouvoir t’en sortir. Il serait intéressant de t’approcher, communiquer avec toi pour connaître le fond de ta pensée. Peut-on tirer quelque chose d’intéressant de toi ou es tu un simplet qui ne mesure pas le danger et qui est donc voué à mourir ?

Les choses s’accélèrent, tu arrives finalement à te défaire de l’un de mes hommes, le faisant tomber à terre, mais je note que tu ne l’achèves pas et ne t’acharne pas. Tu fais donc preuve d’une finesse tout à fait louable.
En pointant ton arme sur moi, tu déclenches la fureur de mes protecteurs qui sont prêts à te massacrer… Pour autant, ton cas m’intéresse, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de te ôter la vie et si tu désires te mesurer à moi, car je suis à tes yeux la plus faible, qu’il en soit ainsi. Je dois faire mes preuves et si j’échoue, c’est que je n’ai pas été assez douée pour affronter mon ennemi. Il me faudra encore m’entraîner si la vie est toujours en moi à la fin du combat. Je lève donc la main pour stopper leur course et me mets en garde face à toi. Je me tiens droite et je suis prête à riposter chacune de tes attaques.
Mon but sera donc de te déséquilibrer pour m’approcher de toi et t’interroger. Je veux comprendre ce que tu recherches et j’espère que tu auras l’amabilité de te confier à moi autour d’un duel… Et si ce n’est pas le cas, il me faudra t’y forcer par le biais d’un subterfuge.
Il serait regrettable de sacrifier un jeune homme aussi talentueux, mais si tu as l’intelligence d’un caillou, la seule chose qu’il restera à faire c’est t’abattre… On ne peut communiquer avec ces petites gens dépourvues de cerveau.

Je m’approche d’un pas lent, calme, régulier en ta direction et seul mon regard trahi mon sens de l’analyse poussé pour tenter de te parer au mieux. Alors que je suis maintenant à la presque portée de ton arme, j’entrouvre la bouche pour laisser apparaître le son de ma voix.

- Je suis Kamélia Moore, Princesse d’Althéa et quel est le nom de mon adversaire ?

Je ne sais si tu répondras, je ne sais si je parviendrais à m’approcher suffisamment de toi pendant le combat, mais je l’espère. J’ai envie d’un échange discret entre deux coups. Mère ne sera pas dupe et verra mon petit manège, mais les moins aguerris ne remarqueront même pas notre petit jeu pour échanger quelques mots…

Mais m’approcher de toi ne signifierait-il pas ma fin ? Ne serais-tu pas en capacité de me capturer et de me trancher la tête sans même que je puisse demander mon reste ?
À moins que devenir ton otage serait plus facile pour moi, pour échanger avec toi… Je pourrais me laisser faire et au moindre mouvement suspect, je pourrais sortir mes dagues et t’entailler ?

En-tout-cas, il me faut parler avec toi, le fou qui a pensé défier une armée entière, seul. Je me dis que tu n’es pas si inconscient et qu’écouter ton plan pourrait être fort intéressant.

Le temps s’écoule, s’égraine, mais la tension, elle, reste palpable. Nos corps et nos cœurs sont en émoi face à ce ballet de combat qui s’apprête à se dérouler. Je commence à m’exprimer et je te vois te détendre une fois que tu n’es plus ostracisé entre mes hommes et moi-même.
Je vois dans ton regard que tu me juges, me jauge et je vois en tes yeux, la même lueur que celles qui luisent dans les yeux de mon ennemi. La détente face à un adversaire que l’on jauge plus faible que soit.

Est-ce en ma qualité de femme ?
Est-ce dû à mon jeune âge ?
Ou est-ce encore mon rang de princesse qui donne l’impression que je ne suis qu’une poupée qui assiste aux cérémonies ?

Cela est rageant, mais bénéfique en mon sens. Moins on me prend au sérieux, moins on s’attend à mes offensives. J’ai en mon sein la rapidité et l’agilité. Certes il me manque encore un peu de force par moment, mais ce n’est en aucun cas un souci pour moi actuellement. Mon but n’est pas de pourfendre son être, le taillader tout au plus pour lui laisser l’occasion de s’exprimer et peut-être d’abandonner.
Abandonner cette rébellion qui n’a pour destiné que la mort, pure et simple.

Les présentations se font durant ce laps de temps et je mémorise ce nom et prénom qui m’est offert. Réel ou non, mensonge ou réalité… Je ne peux savoir, mais j’ai au moins une dénomination à offrir à celui que je vais combattre.

Une fois ceci fait, voilà qu’il se précipite sur moi. Rien de surprenant jusque-là, typique des barbares pensais-je. Les bandits, bien que par moments plus fourbes, agissaient aussi de cette manière. Je me mets en position et le bruit d’acier s’entrechoque. En effet, mon katana vient de caresser le fer de ta pertuisane et avec aisance, au vu de ton grand bras de levier, je viens dévier la pointe.

Je n’ai pas ta force et si mon corps venait heurter ton torse, cela serait fini de moi. Mais au moment du choc, j’en profite pour prononcer ces quelques mots.

- Pourquoi fais-tu tout ceci ? Rends-toi.

Mes yeux sont déterminés et une fois ma phrase prononcée, je fais un bond en arrière. Je sais que si tu décides de ne pas laisser ton arme glisser contre la mienne que je positionnerais en défense, il me sera difficile d’avoir un angle d’attaque. Mais cela semble donc compromis pour toi.

Je peux me rapprocher en courant contre ton arme, mais si tu la retires, tu es à la portée de la mienne… En revanche, tu pourrais me laisser croire que je peux prendre appui sur ta pertuisane et me la retirer en route, cela me déséquilibrerait et me soumettrait ainsi à un risque de chute, ou au moins d’un instant d’inattention pour recouvrir mon équilibre.

Je me fais songeuse, maintenant que j’ai calculé les plusieurs possibilités qui s’offrent à moi, il me faut avancer en ne les perdant pas de vue, mais rester attentive à ce que tu pourrais réaliser et que je n’ai pas anticipé.

Mes mots font le tour de ta petite tête, mais ne semblent pas t’atteindre pour autant. Tu sembles résolu au sacrifice et je te trouve bien sot. Que va-t-il sortir de bon de ta mort ? Tout simplement parce que tu refuses de te rendre sagement. J’ai envie de te convaincre, qu’il serait préférable pour toi de cesser toute cette machination, mais tu sembles robotique, dénué de toute émotion…
Et moi, dans tout cela, ça me blesse… Je sais bien qu’il s’agit là de la loi du plus fort… Mais j’ai l’impression que je laisse les gens de mon peuple se faire ostraciser.
Si j’étais une meilleure princesse, si j’avais plus de pouvoir en ce qui concerne le peuple, si je pensais moins à mes périples… Peut-être que tu n’aurais pas eu à finir ainsi, dans cet état. Je m’excuse silencieusement pour tout le tort que je cause de par mon incompétence.

Le combat continue, mais les choses changent, je sens que tu te prépares à quelque chose. Je reste parée, mon katana prêt à cueillir ton arme, mais ce n’est pas elle qui est problématique désormais… En effet, je vois ton corps à nu s’élancer droit sur moi et donc… Sur ma lame. Je la dévie rapidement pour ne pas te pourfendre de part et d’autre, mais il est déjà trop tard. Mon katana entaille tout de même ton flanc avant que ton poids ne me percute de plein fouet. Je perds l’équilibre et me sens défaillir avec toi. Je ferme fort les yeux, ayant peur de percuter le bois de plein fouet et surtout au niveau de la tête. Je ne peux me permettre de perdre conscience ici, pas dans les bras d’un ennemi, pas alors que ma mère nous observe.
Que va-t-on penser de moi ? J’ai voulu provoquer un combat équitable, mais voici que je me ridiculise et laisse un ennemi prendre le dessus. J’aurai pu ne pas abaisser ma lame et le tuer en un seul coup, mais je n’ai pas eu le cœur et la force de le faire… Tu t’es jeté sur moi sans arme, mon code d’honneur m’empêchait d’empaler un humain sans défense…
Car oui, ta pertuisane n’était pas dans ta main et tu n’as rien pointé d’offensif sur moi.
J’essaie de nous faire pivoter dans la chute, mais tu es trop lourd, je mords ma lèvre frustrée. Je me sens pathétique et choir est la plus grande honte qui soit.

Je te regarde droit dans les yeux et tout mon désarroi, ma colère et ma frustration se lisent sur mon visage. Je sais que je serai vengée, mais c’est si rageant, je me sens faible et ridicule face à toi. Je ne peux pas même sortir mes lames, car mal dirigées, elles pourraient te tuer sur le coup. Mon cœur est faible, mais ce n’est pas mon but. Je veux ta survie, te parler, nous expliquer… Mais n’est-ce pas trop tard désormais ? Après tout, tu viens de commettre le plus grand affront.
Ils ne vont pas rester sans rien faire et j’aurai été d’une inutilité la plus totale…
On ose dire que je suis forte et vaillante, mais je ne perçois dans le reflet de tes yeux que ma faiblesse et le dégoût que j’éprouve pour moi-même.

Finalement… Je mérite peut-être la mort.
Que les anges viennent me chercher, je ne mérite pas d’être glorifiée dans cette vie et l’on peut donc me sacrifier dès à présent.

Je percute le sol de plein fouet, alors que j’ai le loisir de t’observer à ma convenance. Tu grimaces de douleur due à mon entaille sur ton corps, mais je ne m’en formalise pas, du moins je ne m’en formalise plus.
Tu es celui qui a cherché la petite bête à me bondir dessus. J’aimerais communiquer, mais je vois que tu es résolu. Je ne peux plus rien pour toi et pour ta carcasse. La clémence que j’éprouvais n'est plus.
Tu n’étais qu’un homme suicidaire et je me suis amèrement trompée sur ton compte. Tu n’es rien et ne vaux rien. Je t’ai pensé vaillant et intelligent, mais tu n’es qu’un sot qui ne sait faire de bons choix.

Je suis déçue, déçue de ce combat qui n’en était pas un. Déçue d’avoir baissé ma garde pour… Ça.
Tu nous redresses et nous emmènes sur le côté. Ton caractère t’a perdu et je trouve cela bien dommage. Je constate ton plein potentiel une fois contre toi, ton corps est formé et entraîné. Tu ne l’utilises simplement pas à bon escient. Je regarde mon katana au sol et soupire. Tu n’as même pas vu que j’étais encore armée et à nous faire aller de droite à gauche, simplement pour récupérer ton arme, tu perds de ton emprise sur les mouvements de mes bras. Tu recules en direction de l’eau, mes hommes me voient agir et savent qu’ils sont désormais libres. Alors que l’on recule, mes deux dagues plongent dans la partie distale de tes cuisses avant de remonter en proximale.

D’autres armes s’abattent sur toi et l’on te remet au centre de cette exécution. Je décide alors de partir de ton emprise et me retourne. Dans mon regard ne se trouve plus qu’amertume et un certain dégoût.
J’achève donc ce que j’aurai dû faire bien avant, mais que j’ai retardé dans l’espoir de pouvoir te convaincre de changer. L’une de mes lames se plante dans le creux de ton aine avant de remonter en diagonale jusqu’à ton torse.
L’entaille est assez profonde pour te laisser te vider de ton sang gentiment, mais j’ai eu la clémence de ne pas toucher aux organes vitaux.

Je te laisse t’écraser au sol et lorsque l’un amorce le mouvement de séparer ton corps de ta tête, je lève la main pour le stopper.

J’observe le tas de chair sanguinolent, le rôti que l’on a cuisiné mes hommes et moi et un soupir m’échappe.

- Maintenez-le en vie et interrogeons-le une fois à peu près remis sur pied, si Dame Iris me le permet ? Je pense que l’on n’a pu constater son potentiel et il n’a plus rien à protéger, maintenant que nous sommes certains qu’il a simplement été envoyé à l’abattoir.

J’observe l’homme avant de me détourner sans plus de considération pour toi. Avant de partir, je me permets tout de même un mot qui sera entendu ou non par toi.

- Souviens-toi de ma clémence et rappelle toi que dans ce monde, chacun a une place… À toi de voir si tu préfères rester un être oublié ou si tu veux devenir quelqu’un en changeant ton destin et en coopérant… Corbeau.