Cheldis ne traverse plus une période sombre, il s’agit manifestement des prémices d’un chaos plus inquiétant encore.

Si Vittoria a eu du mal à croire les rapports de sa milice au sujet des morts-vivants, elle ne peut désormais que constater la véracité de leurs propos lorsqu’elle arrive aux abords du Temple. Un soupir franchit ses lèvres alors que son regard balaie le champ de bataille.

L’horreur de la guerre sans en avoir le nom.

Elle aperçoit la silhouette d’un grand ténébreux à quelques pas : un frisson lui parcourt l’échine alors qu’elle semble lire de l’aversion dans son regard azur. A ses côtés, une pauvre jeune fille qu'elle plaint aussitôt... Elle secoue la tête pour mieux reporter son attention sur son partenaire d’infortune.

Vittoria ne peut qu’afficher une petite moue de surprise quand elle reconnaît l’épigone kanagawais. Étiquette oblige, elle se fend d’une salutation à la hauteur du rang de son jeune accompagnateur. La Seigneuresse aurait pu y mettre plus de formes mais la situation les presse bien assez. On les alpague d’ailleurs rapidement avant de les envoyer en première ligne.

— C’est un honneur que de fouler ce champ de désolation à vos côtés, Votre Altesse. Veuillez excuser mes manières si, d’aventure, je sois contrainte de vous malmener dans le but de vous protéger.

La mission devient plus ardue avec la présence du jeune prince impérial.
S’assurer de sa survie est tout aussi important que d’anéantir ces créatures sorties des entrailles de la terre.

— Avez-vous une idée d’où peuvent venir ces cadavres ? Et par quoi ils sont animés ?

De la magie ? Elle émet quelques doutes.
D’autant plus après le spectacle d’il y a quelques semaines où elle a vu le Roi se faire emporter par d’immenses mains sorties du néant. Y a-t-il un lien à tout cela ?
Elle prend son tome de magie bien fermement, les yeux rivés vers la vague qui approche.

— Soyons vigilants.

Le prince impérial semble enfin mettre un nom sur son visage, et elle ne peut réprimer un sourire avant de hocher la tête. Aurait-elle été vexée que le rejeton impérial ne la reconnaisse pas ? Dans d’autres circonstances, sans doute. Mais sur un champ de bataille, l’heure n’est guère aux mondanités.

Sa candeur encore juvénile pourrait presque attendrir la Seigneuresse, mais elle préfère se concentrer sur les horreurs en face d’eux.
Le discours d’Isamu intrigue la callariatesi ; s’il s’agit effectivement d’un réveil, cela veut dire qu’il y a certainement encore de nombreux secrets enfouis ici bas.

— Nous sommes en droit de nous interroger sur leur origine. Sont-ce les corps de nos ancêtres, ou de vulgaires créatures à l’apparence humaine ? L’arrivée de Galdred semble apporter son lot de mystères. Elle avance d’un pas déterminé. Mais je vous rejoins sur un point : les renvoyer d’où ils viennent me semble être le plus approprié. Nous mettrons la main sur le profanateur dans un second temps.

Elle prend son tome de magie, tendant le bras vers le cadavre le plus proche avant d’incanter un sort : l’atmosphère se charge d’électricité avant qu’un rayon électrique ne vienne frapper l’ennemi de plein fouet. Pas assez pour le réduire en cendres, mais bien suffisamment pour le ralentir et l’affaiblir.

— Je vous laisse l’honneur d’apaiser son âme, Votre Altesse.

Les remarques du prince impérial sont pour le moins pertinentes.
Elle ne peut que hocher la tête face à ses observations, sans lâcher des yeux ces ennemis sortis d’outre-tombe.

— Le Divin nous met à l’épreuve… Hm, admettons. Mais à l’épreuve de quoi, et pourquoi maintenant spécifiquement ? Quel a été l’élément déclencheur de tout ceci ? Trop de questions restent en suspens, je le crains.

Après son attaque, elle entend l’air siffler, traversé d’une flèche rapide venant abréger les souffrances -ressent-il seulement quelque chose ?- du cadavre. Le corps s’effondre, ne bougeant manifestement plus.
Ce qui est mort peut donc être de nouveau tué. Étrange et intéressant à la fois.

A la réplique d’Isamu, Vittoria lève la tête vers lui pour le sonder un instant.
Est-il si courageux qu’il veuille bien laisser l’entendre ? Difficile à dire. Pour autant, sa détermination semble bien réelle.
Elle esquisse un sourire, tendant la main vers l’ennemi suivant.

— Si tel est votre désir, il en sera fait ainsi, mon cher Prince.

De nouveau, l’air crépite au bout de ses doigts.
La magie de foudre la fait frissonner d’une sorte d’excitation face à la puissance générée. Elle ne peut qu’être ravie de pouvoir anéantir le Mal avec le don du Dragon Divin qu’elle vénère le plus. Kiurdre l’a forcément prise sous son aile, pas vrai ?

Et un rayon électrique vient percuter, comme un peu plus tôt, le cadavre à la gauche d'Isamu.

La piété du prince impérial surprend quelque peu la Seigneuresse qui pose sur lui un regard songeur. Elle n’aurait jamais parier sur sa ferveur, mais force est de constater que le jeune homme a un esprit des plus intéressants.
Qu’il s’agisse de religion ou de comportement.

Si elle a pu le sentir nerveux au début de cette escarmouche, il semblerait qu’il prenne l’assurance digne d’un soldat. Ou plutôt d’un prince.
Vittoria ne peut lui en vouloir pour cette faiblesse passagère. Qui n’aurait pas eu un haut-le -coeur ou les jambes flageolantes devant de pareilles créatures ? A vrai dire, elle ignore encore comment elle peut être capable d’un tel sang-froid en cet instant.

Non.
Vittoria est en colère.

Savoir que de pauvres âmes sont ainsi souillées par on ne sait quelle force, ça la révolte.
Elle pourrait elle-même se confesser d’avoir envoyé au trépas plus d’une personne, de sa propre main ou par un simple commandement.
Mais les morts méritent le respect. Et Vittoria ne peut tolérer un tel blasphème.

Les mots d’Isamu parviennent pourtant à lui arracher un léger sourire.

— Est-ce une invitation officielle ? J’en serais honorée, Votre Altesse.

Cette brève distraction suffit pourtant à l’ennemi pour la rejoindre et lui porter un coup.
Elle a un léger mouvement de recul, toussant sous le coup de la surprise. Mais elle a connu bien pire. Son regard se relève et sa main se tend entre eux.

— Retourne donc au néant.

Un nouvel éclair jaillit de sa main, foudroyant la créature devant elle. Il n’en reste qu’une loque qui tient à peine sur ses pieds. S’il ne succombe pas à ses blessures, une simple pichenette suffira certainement à le faire tomber.
Tournant la tête vers Isamu, elle laisse de nouveau crépiter la foudre au bout de ses doigts avant de projeter un nouveau rayon électrique sur l’ennemi à la gauche du prince.

— Tâchons de terminer notre mission à bien, et nous pourrons reparler de ce dîner à tête reposée.

Il y a un certain laps de temps avant que le prince réponde.
Vittoria met cela sur le compte du combat durant lequel il est primordial de rester concentré. Auquel cas les coups portés ne pourront être évités. Ce qui a été son cas quelques secondes plus tôt.

Le zombie visé par la flèche impériale s’écroule au sol comme ses camarades avant lui.
Elle affaiblit, il achève. C’est une assez bonne synergie.

La voix du prince s’élève, confirmant avec un aplomb assez bancal que son invitation est tout ce qu’il y a de plus officiel. Et elle ne peut s’empêcher de laisser un petit rire s’échapper de ses lippes. Cette timidité apparente est presque attendrissante pour la sorcière.

Bien que l’autre ennemi soit défait par Isamu, celui qu’elle avait en face d’elle réitère son attaque, la blessant de nouveau. Rien de très grave, mais cumulé au coup précédent et à la fatigue liée à l’utilisation de la magie, Vittoria ne peut que porter la main à son abdomen.

La Seigneuresse refuse de rester plus longtemps l’échine courbée par cette douleur temporaire. Encore moins en présence du jumeau impérial de Kanagawa. Elle regarde avec dédain le revenant, claquant des doigts pour que la pauvre âme soit enfin libérée par un sort de foudre.

Et tout se termine.
Le calme revient, et la multitude de questions qui vont avec.
Vittoria adresse un sourire au prince pour le rassurer.

— Votre sollicitude m’honore une fois encore, Votre Altesse. Elle couvre soigneusement ses blessures à l’aide de sa main et de son avant-bras. Ne vous inquiétez pas pour cela. La magie pourra me libérer de cette douleur plus que supportable. Elle balaye la salle du regard. Nous en avons terminé ici, semblerait-il. Nous ferions mieux de rejoindre l’extérieur pour nous assurer que tout est sous contrôle. Elle esquisse un sourire. J’attends notre petit dîner en tête à tête avec beaucoup d’impatience.