Ton départ de Nagano s’est fait rapidement. Accompagné d’un cheval à la robe alezan, tu quittes la capitale pour te rendre dans un petit village qui rencontre quelques difficultés. En effet, il semblerait qu’un oiseau démoniaque survole leur petit coin tranquille, annonçant probablement une attaque dans très peu de temps. En entendant l’un de tes contacts marchands mentionner cette créature, tu as sauté sur l’occasion. Après tout, ce n’est pas tous les jours que tu peux disséquer un monstre pareil.
Je me languis de plonger mes outils dans sa chair. Je pense que je pourrai remplir de nouveaux carnets de notes bientôt.

Sur place, tu trouveras bien un moyen de le faire descendre, le tuer et fouiller dans ses entrailles pour prendre des notes. Et remplir ta tête de toutes sortes de choses sordides qui t’amusent et te passionnent. Les yeux sur le ciel, tu te diriges donc, à l’aide d’une carte, dans ce village en détresse. Ton canasson suit le rythme de tes pas empressés. Pour un petit gabarit, tu marches plutôt vite.

Faut dire que tu es pressé d’atteindre ta destination maintenant.
Rien que l’idée de rencontrer un oiseau démoniaque …
Cela t’enthousiasme naturellement.

Situé dans le creux de quelques montagnes basses, le village se tient désormais devant toi après plusieurs heures de marche. Tu prends une grande inspiration et traverses le chemin de terre qui longe les quelques maisons. Tes vêtements d’un blanc propre constrastent avec la modestie des lieux, mais toi, tu sais comment ils vivent. Parce que malgré les apparences, tu es également un roturier.

De ton regard froid, avec ton visage donnant l’impression d’être doux, tu t’avances vers un vieil homme qui traîne dans la rue.

« Hey grand-père, je suis là parce que votre village est survolé par un oiseau démoniaque. Auprès de qui je dois m’adresser pour avoir des informations ? »

S’il te regardait avec un sourire, il déchante bien vite en t’écoutant parler. Tu n’as rien d’agréable, ni même d’aimable. Tu vas à l’essentiel disons. Il regarde un peu autour de lui, mais finit par te répondre.

« On l’a tous vu. Ces derniers jours, il passe plusieurs fois sans jamais attaquer. Nous avons peur. On craint le moment où il se posera pour nous attaquer et détruire ce que nous avons construit. Nous ne savons pas ce qu’il attend, mais … »

Le grand-père hésite un instant en te regardant de la tête aux pieds, hésitant.

« Je ne suis pas sûr que vous soyez taillé pour ça jeune homme. »
« Qu’est-ce que vous insinuez là ?! »

Le ton de ta voix monte à cette provocation verbale. Le vieux se raidit, gêné par ses propos, alors que tes sourcils se froncent, les bras croisés.

« Je suis venu vous aider, je vous signale. »
Qu'est-ce qu'il me raconte lui ? Il veut y passer plus tôt que prévu ?

Tu vois le grand-père qui se démonte finalement, et qui n’ose même plus parler. Tsk. Il provoque puis garde le silence ? Quelle poule mouillée ingrate. Toi qui viens justement aider leur pauvre village, voilà comment on t’accueille. Tes sourcils froncés, tu dévisages le vieil homme de l’air le plus sévère et dédaigneux qui soit, juste avant qu’une fille vienne se mettre entre vous. Tu recules d’un pas, comme dégoûté qu’elle se soit ainsi approchée. En réalité, tu es simplement surpris, même si le froncement de tes sourcils s’accentue et s’accompagne d’une laide déformation de ta bouche.

De toute façon, ce n’est pas comme si tu voulais te disputer avec ce vieux, ni avec qui que ce soit. Avec toute la prétendue confiance dont tu fais preuve, tu dévisages la fille, qui a l’air d’avoir quinze ans tout au plus. Elle semble déterminée à cesser ce conflit inutile et à engendrer de nouveau une aura de bonne humeur.
Tsk.

Tu détournes la tête sans rien ajouter de plus. Tu pourrais gueuler un bon coup ou sortir des insultes qui provoqueraient la dépigmentation de la peau d’un Djinn, mais puisque la nouvelle arrivante semble vouloir agir de manière pacifiste, tu la laisses faire. Peut-être aura-t-elle plus de chances que toi. Tu écoutes malgré tout d’une oreille attentive, même si elle ne récolte pas plus que toi au final.

Tu pousses un soupir et lèves les yeux au ciel, nonchalant.

La rousse revient vers toi une fois que le grand-père a pris la fuite et se présente, tout en balançant des phrases sans s’arrêter. Une pipelette donc. Ce n’est pas comme si ça te dérangeait, tu as l’air d’un vulgaire voyou avec tes sourcils froncés, mais tu n’es pas bien méchant. Loin de là.

« Si on s’y met à deux, ça ira plus vite pour récupérer ce pour quoi je suis là. »

Un très bref sourire se loge sur ta bouche avant de disparaître aussitôt.

« Il nous faut un moyen de l’attirer hors du village et de le faire descendre. »

Tu jettes un œil aux alentours du village, mais c’est comme si vous aviez fait fuir le moindre chat des rues. Tu hausses un sourcil, puis diriges ton regard vers le ciel. D’immenses ailes apparaissent sur le haut d’une montagne. Tu blêmis à vue d'œil malgré ta peau déjà blanche. Tu détestes l’imprévu, tu ne sais pas quoi faire. Tu réfléchis, tu essaies, mais il survole déjà le village en quelques cercles.
Putain, je fais quoi maintenant ?

Tu aurais pu te préparer à cette éventualité, bien sûr. Que ton arrivée soit bénie par l’arrivée de cet oiseau de malheur n’est que le fruit de ta malchance, le résultat de tes incessantes manies d’attirer les ennuis. Ton cerveau est en fusion, tu réfléchis à tout et rien en même temps, si bien qu’il est difficile de faire le tri et savoir quoi faire.

« On ne peut pas l’attaquer ici, ce serait trop dangereux pour les villageois, mais je ne sais pas s’il est possible de l’attirer ailleurs maintenant qu’il survole. Il effectue des cercles, je pense qu’il se prépare à plonger pour trouver une victime, il faudrait alors s’assurer que tous les gens soient rentrés chez eux … »

Tes nombreuses réflexions ont débité à une vitesse ahurissante, tout en gardant les yeux levés sur la créature. Tu dois réfléchir, trouver une solution et vite.

S’adapter à une situation trop imprévue, non calculée, détruisant alors ta préparation minutieuse, te chamboule. Tu es comme paralysé, contraint de réfléchir à toute vitesse pour essayer de trouver une solution. Tu en oublies la présence de la rousse, qui s’indigne devant ton égoïsme, devant ton impolitesse, devant ton silence et tes mimiques. Tu ne vois pas son visage alors que tes yeux suivent les cercles tracés par l’oiseau dans le ciel.

Plus les secondes défilent, plus le risque qu’il s’écrase au sol pour prendre un habitant passant par là est grand. Tu regardes autour de toi, les villageois ne l’ont pas encore vu, il faut les avertir. Qui devrait le faire ? Toi ? Ou cette jeune femme venue aider ? Tu ne sais pas.
Que faire bordel ?

La rouquine interrompt tes réflexions d’un ton ferme. Tu jurerais retourner à ton adolescence où la prêtresse te remontait les bretelles pour laisser tes pensées divaguer sur des détails alors qu’il s’agissait d’une urgence. Tu es capable d’être rapide, tu l’es en réalité plus que la plupart des humains déjà croisés sur ta route mais lorsqu’il s’agit d’improviser … C’est une autre histoire. Réfléchir avant d’agir, c’est tout toi.

Tu sursautes presque lorsqu’elle te sermonne.
Tu fronces les sourcils en la regardant partir.
Tu suis sa silhouette des yeux alors qu’elle hurle aux gens de s’abriter.

Et toi, Izanagi ?
Que fais-tu maintenant ?

Faire tomber l’oiseau.
L’appâter.
L’affaiblir.
Le tuer.
Le disséquer.

Ta passion revient au galop, alors que tu vois le battement d’ailes d’un pégase, et une chevelure orangée sur une selle. L’inconsciente essaie de jouer l’appât, et d’attirer le monstre, mais visiblement, elle n’a pas penser aux conséquences. Tu te pinces les lèvres, et te mets à courir vers l’extérieur du village. Tant pis pour la préparation, tu n’as pas le temps.

Si elle devait être blessée …
Si un villageois devait perdre la vie …
Tu ne pourrais pas te le pardonner.

Alors tu cours aussi vite que tu peux. Il n’est pas dans tes habitudes de collaborer, tu préfères être en solo d’habitude, mais la rousse ne t’a pas laissé le choix. Autant essayer de lui sauver les fesses. Surtout si cela peut éviter de peser sur ta conscience. Armé de ton tome de magie de Foi dans une main, tu prononces quelques mots en maugréant dans ta barbe inexistante.

Puis, tu prends une inspiration, et diriges ta voix vers elle, qui survole le village.

« Dirigez le entre les montagnes ! Le pégase passera aisément, mais pas lui ! »

Le faire descendre de quelques étages serait mieux pour toi, pour défendre la jeune femme, pour sauver sa vie. Tu as malgré tout trouvé un appât suffisamment appétissant pour l’attirer où tu le veux, il ne te reste qu’à l’affaiblir pour mieux le vaincre. Tu reprends ta route, suivant parfois des yeux le chemin du pégase dans le ciel.

« Allez aussi vite que vous pouvez ! »

Plus l’oiseau sera rapide, plus il se blessera entre les parois rocheuses de la montagne. Le but restant de protéger le village. Si la montagne est éborgnée, les Dieux te pardonneront sans doute.

La fille sur son pégase semble entendre ce que tu dis. Tout du moins, elle le comprend puisqu’elle fait immédiatement demi-tour avec son canasson volant et se dirige à l’endroit vers lequel tu la guides tant bien que mal. Tu ne peux pas faire grand chose pour le moment. Le problème, c’est qu’il vole trop haut, et que tu n’es pas de taille face à lui dans cette situation.

Tu fronces les sourcils tout du long, courant le plus vite possible dans l’étroit passage des montagnes, priant les Dieux pour que ton plan se déroule sans plus de blessures que nécessaire. Tes yeux suivent les silhouettes volantes quelques secondes avant de chercher un renfoncement pour te protéger des débris. Tu es certain que ce foutu oiseau va s’écraser contre les parois, et que des morceaux vont voler.

Ce serait con que tu sois blessé de cette façon.

Ta course s’arrête précipitamment lorsqu’un bord de la montagne est suffisamment détaché pour que tu puisses te cacher derrière. Tu effectues un virage, non sans déraper et presque tomber sur le sol de cailloux dans la précipitation.
Mission effectuée.

Tu n’attends pas plus de quelques secondes avant que la roche ne tremble sous l’effet du choc. Ou peut-être est-ce toi qui frémis d’excitation alors que ton plan a fonctionné d’une manière ou d’une autre. Si par malheur, l’oiseau s’était détourné sur un habitant encore dehors … Tout aurait été complètement foutu.

Tu sors ta tête du renfoncement, n’attendant pas plus longtemps pour rejoindre la rousse qui est descendue de son pégase. Des débris sont éparpillés, et l’oiseau, comme attendu, a foncé à une allure folle pour essayer de choper sa proie. Dommage pour lui, il est trop gros pour passer, et se retrouve coincé, écrasant ses ailes en se débattant.

« Il ne peut plus voler, mais il ne faut pas se reposer sur nos lauriers. »

Ta main fouille dans ton sac de voyage et en sort une corde.

« Vous allez devoir faire tout le travail, je le crains. Cependant, avant qu’il ne reprenne suffisamment de conscience pour agir, il va falloir remonter sur votre canasson et lui clouer le bec avec cette corde. »

Tu regardes la créature sonnée.

« Si vous voulez la tuer dans la foulée, n’hésitez pas. Les créatures sont les plus dangereuses face à la mort. »

Puisqu’elles sont désespérées et effrayées, la plupart réagit de manière exagérée et excessive, s’attaquant à n’importe qui. Parfois même, leur propre congénère.

La rouquine ne bronche pas un seul instant alors que tu donnes des instructions. Elle aurait tout bonnement pu refuser, ne pas mettre sa vie en danger, ou bien celle de son canasson volant. Parce que, tu aurais hésité à sa place. Rien ne t’importe plus que ta survie, même si c’est un demi mensonge en réalité. Tu ne peux laisser les villageois en proie à cette vile créature. Il faut également que tu mènes ta mission à bien, et que tu puisses disséquer cette chose le plus vite possible pour en ramener des pièces, pour en comprendre le macabre fonctionnement. Pour la science. Pour la médecine.

Tu te réjouis d’avance.

La jeune femme sourit, et cela te décontenance quelques instants. Pourquoi est-elle si solaire ? Tu ne comprendras jamais ces gens-là, comme si la misère n’était jamais tombée sur leur tête et que la vie était parfaitement colorée. Ou comme si cet oiseau n’était qu’une peluche géante qu’il ne sera pas difficile à défaire. Tu es perplexe, mais gardes tes remarques arcerbes pour toi. Puisqu’elle est déjà repartie sur son pégase, mettant à exécution tes instructions, à la lettre.

Tu es surpris que ton plan ait fonctionné. Car tu es rarement capable de dire des choses censées avec la panique et sans préparation. Tu avais prévu d’observer l’oiseau, puis de mettre en place des techniques pour l’appâter. Tout était tombé à l’eau. Tu aurais eu bien du mal à tuer ce gros pigeon tout seul, sans devoir mettre ta vie en jeu, ou te retrouver blessé.

Tu pousses un soupir lorsque la créature perd la vie, le sang coulant de son bec entrouvert. Son corps inerte glisse doucement contre les parois de la montagne, jusqu’à toucher le sol. Au moins, tu n’auras pas à trouver un moyen de le faire descendre de là, reste encore à le transporter jusqu’au village pour que tu l’examines. Pour cela, il te faudra plusieurs chevaux …

Bien que ces nouvelles ne soient guère enchantées, un petit sourire se dessine sur tes lèvres. Non pas parce que tout s’est bien passé, mais parce que tu vas pouvoir ouvrir la poitrine de ce poulet pour regarder à l’intérieur.

« Vous savez vous débrouiller avec un pégase et une lance, de toute évidence. Anko, c’est votre prénom il me semble ? Je m’appelle Izanagi. »

Tu t’inclines poliment.

« Si cela ne vous dérange pas, pouvez-vous me conduire au village ? J’ai peur de ne pouvoir enjamber cette monstruosité. »

De nouveau, son sourire te rend perplexe. Tu ne sais pas comment y réagir, ni même si tu devrais t’essayer à répondre à cette chaleureuse attention à ton égard. Ce qui est certain, c’est que cela te pousse malgré toi, à te détendre. En plus de t’impatienter sur le fait de disséquer la créature, et d’en comprendre la forme extérieure, comme intérieure. Tu ne peux que remercier l’efficacité et la rapidité de la jeune femme à exécuter tes instructions bancales. Sans elle, rien n’aurait été possible.

Elle semble véritablement enchantée de faire ta connaissance. Ou au moins de connaître ton prénom pour pouvoir s’adresser à toi correctement. Tu ne pensais pas avoir une telle réaction, un tel accueil de la part d’une parfaite inconnue, mais plus les secondes passent, plus tu sens sa chaleur te gagner, et ton humeur s’arranger.

Après tout, tu n’es pas un mauvais garçon dans le fond.
Juste un étrange personnage difficile à comprendre.

Tu ne relèves pas sa remarque sur le fait de ne pas utiliser aussi souvent la lance que son canasson. Tu ne peux pas en vouloir à ces braves gens de rester chez eux, à l’abri des catastrophes qui s’abattent sur Cheldis. Parfois, faire l’autruche à quelque chose de rassurant. Ne rien savoir aide à garder le moral, maintenir l’espoir que si l’on n’y fait pas attention, la situation s’arrangera d’elle-même.

Malheureusement, tu n’es pas de ce genre-là.
L’insouciance t’a quitté depuis bien longtemps maintenant.

Tu lui adresses un mince sourire reconnaissant lorsqu’elle t’aide à grimper sur le dos de son pégase. Tu es loin d’être à l’aise, mais c’est moins pire que ce que tu imaginais. Tu évites de regarder vers le bas. Au lieu de ça, ton nez se lève vers les nuages.
Ils sont si proches. Fascinant.

Le trajet ne se fait pas en silence, puisque Anko semble être le genre de personne à aimer parler et échanger avec les gens. Solaire comme elle est, elle doit s’intégrer partout où elle va, et ses camarades doivent l’adorer, peu importe qu’ils soient éphémères ou permanents. De nouveau, une légère esquisse relève le coin de tes lèvres, pendant que tu observes ses bouclettes se soulever au gré du vent, au bon vouloir de la vitesse du pégase dans les airs.

Lorsque ses compliments fusent comme les feux d’artifice de Djinn, tes joues prennent une couleur rosée que tu ne peux pas cacher. Ta main se pose sur tes pommettes pour essayer de dissimuler ta gêne apparente. Fort heureusement, elle est tournée vers l’avant et non vers toi.
Quelle audace !

Tu ne réponds rien, toujours embarrassé, et lorsque le pégase se pose au sol, tu restes dans ton coin. Tu sais d’avance que les villageois ne voudront pas se confronter à ton sale caractère de nouveau, il vaut donc mieux laisser agir et parler la donzelle. Tu peux reprendre tes esprits pendant ce laps de temps, et faire disparaître les rougeurs de cette maladie nommée embarras.

Tu te racles la gorge, avec espoir d’éclaircir ta voix pour parler à la jeune femme.
Pourvu que je parle normalement ...

« Je vous laisserai volontiers la récompense de cette mission. Ce qui m’intéresse finalement le plus, est la carcasse de cette créature. »
Bah ... C'était pas si mal.

Tu jettes un œil aux gens qui sont encore attroupés autour de vous, se réjouissant comme si vous étiez les héros tant attendus depuis des générations. Toute cette attention te met mal à l’aise. Plus vite tu te mettras à travailler, plus vite tu pourras t’enfuir.

« Votre aide a été … précieuse, merci encore. »

Ce petit sourire est destiné à Anko. Léger mais doux. Révélant une lueur sur ton visage que l’on ne voit que très rarement. Celui d’un garçon lumineux et émerveillé par la nature.