Sous le soleil de plomb de Djinn, le lion, arrivé aux portes du désert, scrutait les dunes altières au loin. Pour l'œil non averti d’un profane, peu familier des secrets du désert, tout cela aurait pu paraître banal. Il était naturel de voir figurer ces édifices sablonneux dans les ergs environnants. Cependant, ces sculptures éphémères, façonnées par les vents, naissaient au fil du temps et étaient surveillées attentivement par les gardes du désert afin d’informer et garantir l’orientation des voyageurs à travers ces vastes étendues de silice. Mais quelque chose d'anormal se tramait. Les dernières dunes semblaient se mouvoir et s'accumuler à une vitesse surprenante, loin du cycle normal de leur formation. Les contingents de sentinelles dépêchés en nombre depuis l’incident de la capitale avaient rapporté une activité anormale dans le désert depuis quelque temps. Selon les derniers rapports, des vrombissements sourds provenaient du sol au cours de la nuit. Depuis lors, le niveau d’alerte avait été rehaussé et il ne fallut que quelques jours supplémentaires pour commencer à apercevoir des silhouettes vermiformes.

Encore sous le choc de l’attaque perpétrée au cœur de la cité du soleil au mois d’octobre, il fut décidé de tirer l’alarme plutôt deux qu’une. Il fallait prévenir à tout prix que ne se reproduise une telle catastrophe. À ce stade, il n’était pas possible de déterminer si la proximité de ces monstres était imputable à l’homme responsable du massacre de la grand-place d’Héliopolis. À vrai dire, personne n’espérait trouver quoi que ce soit au cours de cette opération. Il était avant tout question d’assurer la tranquillité d’esprit et la sécurité des citoyens d’une métropole dont l’activité était encore grevée par la peur.

En sa qualité passée de sentinelle aguerrie, l’officier supérieur avait été logiquement mobilisé pour conduire le contingent de factionnaires chargés de défendre les remparts de la ville. Accablé par le travail, l’enquête sur le suspect séditieux, le complot dans sa région, il était également devenu les yeux et les oreilles du prince héritier en exil forcé pour sa propre sécurité. Depuis l’accident, le comte n’avait jamais pu trouver le repos, la fatigue était devenue une compagne fidèle à laquelle il s’était accoutumé. Aussi la mission du jour n’était-elle qu’une énième corvée dont il s’acquitterait avec application pour le bien de son peuple avant démultiplier encore fois les demandes d’audience avec le roi, en espérant que cette fois-ci elles seraient entendues. S’il devait trouver grâce en cette opération, ce serait pour la rare occasion qu’elle lui offrait d’évacuer toute la frustration qu’il avait accumulée ces deux derniers mois.

Ayant pris acte des dernières informations, le lion entreprit d’entrer sur le terrain de jeu des malheureuses créatures qui lui serviraient de défouloir. Alors qu’il s’avançait, une voix familière leur surprit. Alcyone, la déchue, faisait, semble-t-il, partie du contingent chargé de sécuriser la zone. Étonnant qu’une noble aussi distinguée fût envoyée sur le champ de bataille, sans Sohan, son preux chevalier servant, qui plus est. Il avait tout intérêt à ce qu’elle rentre en un seul morceau. Non pas qu’il craignait le baron d’Amasis mais plutôt qu’il craignait de perdre une alliée de taille.

“Bis repetita placent, ma chère Alcyone. Nous l’avons bien fait une fois en ville, nous pouvons bien le refaire dans le désert. Faisons en sorte qu’il ne vous arrive rien, je n’aimerais pas me mettre Sohan à dos.”

À peine lui avait-il répondu que la demoiselle s’élança vers la première menace qui affichait des velléités hostiles. Au cours de l’attaque au cœur d’Héliopolis, l’élégante demoiselle à la chevelure aile-de-corbeau avait montré une pugnacité surprenante aux antipodes de l’allure douce qu’elle arborait au quotidien. Invoquant l'esprit farouche du désert qui résidait en elle, elle se jeta dans l'ardeur du combat avec une grâce féline, un dévouement insoupçonné qui transcendait les apparences et dévoilait la puissance de son âme. Admiratif devant son ardeur, le lion demeurait toutefois prudent. Le combat du jour n’avait rien à voir avec celui de l’incident de la capitale. Le terrain, tout d’abord, était un adversaire à lui seul dont il fallait se méfier. Sous le lustre de cette mer d’or dormaient ces seigneurs redoutables, capables d’engloutir quiconque en quelques secondes à peine. Les vents sinueux, agents inconstants du désert, pouvaient se transformer en alliés ou en traîtres à tout moment. Leur rage impétueuse était capable d'aveugler les yeux les plus aguerris et de balayer les pas les mieux ajustés, plongeant l'âme téméraire dans une tempête de sable aussi mystérieuse qu'imprévisible. En marge des dunes majestueuses se cachait une faune discrète mais non moins dangereuse. Des serpents venimeux, adaptés à ce paysage aride, pouvaient surgir à l'improviste, prêts à injecter leur poison mortel. Le désert avait aussi ses créatures nocturnes, des prédateurs silencieux tels que les chacals et les scorpions, qui attendaient patiemment l'obscurité pour chasser. Mais le danger le plus insidieux résidait dans la soif. L'eau, précieuse et rare, était une ressource difficile à trouver dans cet environnement aride. Une gorgée insuffisante pouvait être fatale, tandis que la recherche d'une source pouvait entraîner un épuisement fatal.

Sur les talons la duchesse déchue, il n’eut pas le temps de se placer en bouclier que cette dernière avait déjà initié une attaque contre la créature aux dents acérées. Malheureusement pour elle, ces monstres n’étaient sans commune mesure avec ceux qu’ils avaient affrontés précédemment. Piqué à vif par la magie de la demoiselle, le ver répliqua grâce à la longueur de son corps. Rattrapant la donzelle au vol, il songea à la grimace que tirerait Sohan en voyant l’horion marqué sur la peau de sa dulcinée.

“Pas si terrible que cela ? Que dira-t-il en vous voyant abîmée ? Avouez que vous le faites exprès.”, déclara-t-il avec une pointe d’amusement même si la situation ne s’y prêtait guère. “Vous ferez mieux la prochaine fois, je n’en doute pas. En attendant, ce ver mérite une correction.”

Aussitôt dit, aussitôt fait, et l’instant d’après résonnait le bruit sourd d’un mastodonte envoyé ad patres.

Après avoir triomphé du premier ver, le retentissement de sa chute agit comme un sinistre appel à ses deux congénères. De leurs longs corps sinistres, ils s'abattirent à distance sur Surya et Alcyone, déchaînant une nouvelle vague d'assauts. La démarche insidieuse des créatures révéla leur férocité, et Alcyone en paya le prix. Les attaques la frappèrent de plein fouet, laissant des marques de souffrance sur sa silhouette jadis élégante. Son allure altérée laissait transparaître la lueur d'une résolution farouche, cependant, face à cette nouvelle adversité.

Surya, protecteur et stratège, reconnut la nécessité d'agir rapidement. La précarité de la situation était palpable, et il en était conscient. La voix de sa raison guidait son jugement tandis qu'il exhortait Alcyone à se retirer, à s'éclipser momentanément du front. L'agonie de sa compagne était une scène difficile à supporter, mais il savait qu'elle reviendrait, régénérée et prête à réengager la bataille.

Pendant ce temps, Surya adopta une position défensive optimale, sa lame prête à frapper avec la précision d'une étoile filante. Son épée lui conférait une agilité surprenante, lui permettant de danser avec grâce et adresse au cœur de la mêlée. Les attaques des vers étaient redoutables, mais il savait comment déjouer leurs intentions perfides, esquivant avec la fluidité d'une brise du désert. Chaque mouvement était calculé, chaque pas était un pas de danse sur le fil tendu entre la vie et la mort.

Les provisions qu'il avait emportées avec lui se révélèrent être un atout crucial. Chaque gorgée d'eau, chaque bouchée de nourriture, était un baume pour son endurance et sa détermination. Il puisait dans ces ressources pour maintenir son corps et son esprit à leur apogée, résolu à tenir le terrain jusqu'à ce que son alliée puisse revenir avec tout son éclat.

Surya avait foi en la résilience d'Alcyone, en la lumière ardente qui brûlait dans ses yeux. Il espérait que sa détermination renouvelée rappellerait le jour où elle s'était dressée fièrement pour défendre la capitale. Cette vision l'inspira, alimentant son propre combat. La chaleur du désert coulait dans ses veines, fusionnant avec la flamme ardente de sa détermination. Il était prêt à tenir, à repousser les attaques et à protéger ce qui était cher, jusqu'à ce que l'aube se lève sur une nouvelle victoire.

Campant sur ses positions, Surya se dressait comme un roc inébranlable face aux assauts incessants des vers des sables, tel un gardien inflexible en plein cœur de la tempête. L'expérience acquise en tant que sentinelle pendant plus de deux ans était son étoile du nord dans cette bataille, guidant ses mouvements et ses réactions. Sa détermination restait inébranlable, comme un phare solitaire au milieu des ténèbres, résolu à maintenir sa prise contre ces adversaires implacables. À chaque charge des monstres, il répondait avec la fluidité d'une danse complexe, esquivant et parant avec une précision millimétrée.

Pourtant, dans cet océan de violence, son regard se détournait par moments pour se poser sur Alcyone, cette alliée précieuse qui partageait son fardeau. Il scrutait chaque mouvement de sa compagne, cherchant dans ses actions le reflet de sa résilience face à l'adversité. Lorsque la silhouette d'Alcyone se dessina à nouveau dans la mêlée, un soupir de soulagement involontaire s'échappa des lèvres de Surya, telle une brise légère apaisant son cœur.

Avec une détermination farouche, Alcyone se jeta dans la mêlée, une énergie féroce embrasant chaque fibre de son être. Son courage était contagieux, et Surya ressentit son propre feu intérieur s'intensifier à mesure qu'il la contemplait se battre avec une férocité envoûtante. La lueur ardente dans les yeux d'Alcyone était un appel à l'action, une mélodie enflammée qui résonnait dans les profondeurs de son âme. Le dernier ver en pâtit, succombant sous la lame déterminée d'Alcyone, comme une offrande à leur alliance indomptable.

“Nous formons une équipe mais faites en sorte que le baron n’en sache rien.”, déclara-t-il avec un sourire entendu adressé à la jeune femme.

Dans cette danse meurtrière, Surya était de nouveau prêt à affronter l'ultime adversaire. Sa lance brillait comme une étoile filante dans l'obscurité du désert, prête à fendre l'air avec une précision mortelle. La lueur ardente dans les yeux d'Alcyone était une flamme qui ne faiblissait pas, illuminant leur chemin dans ce chaos implacable. Chaque coup porté, chaque esquive gracieuse, tissait un fil d'acier dans la trame de leur destinée, scellant leur lien au cœur de ce désert impitoyable.

Ensemble, ils formaient une alliance extraordinaire, une force née de la responsabilité et de la bravoure. Dans leur détermination commune, ils avaient réussi à transcender les difficultés et à se tenir debout, unis contre les tourments du désert et les menaces qui les entouraient. Leur union était un symbole de résistance et de camaraderie, une preuve vivante que l'esprit humain pouvait s'élever au-delà de l'adversité pour créer quelque chose de plus grand que soi.