Le spectacle enneigé lui procure un immense sentiment de plénitude, de liberté. Et ne parlons pas de la température qui mord sa peau avec vivacité. Tant de petits détails qui la font se sentir vivante, tout simplement.
Sa parenthèse à elle dans une période chaotique, troublée.
La Seigneuresse balaie les alentours du regard, quelque peu surprise de n’avoir aucun comité d’accueil. Surprise mais nullement offensée, cela lui permettra de se balader un peu avant de rejoindre le domaine de sa consoeur.
Ce n’est pas inhabituel que la maîtresse de Callariate foule les terres réputées maudites de Thuléa dans le but de s’entretenir avec la tête pensante de cette région ; Galahad. Il est admis que les deux Seigneuresses entretiennent de bonnes relations.
C’est tout du moins ainsi que les choses sont présentées.
Vittoria finit par tourner la tête en entendant son garde du corps du jour.
Compte-tenu des récents évènements, elle a préféré laisser le soin à son éternel et fidèle vassal la gestion de quelques affaires dans l’ombre. Raison pour laquelle elle a préféré porter le choix de sa compagnie sur une jeune femme des plus intéressantes.
— J’espère que vous êtes bien couverte, Ceylan.
Elle se met en route sans attendre la réponse de son interlocutrice.
Vittoria est de nature méfiante malgré les sourires apparents. Ceylan est venue la trouver quelques années plus tôt pour lui demander de l’aide, et il va de soit que la Seigneuresse de Callariate ne répond jamais positivement sans s’assurer d’avoir une garantie. C’est ainsi que la jeune mafieuse -car telle est sa véritable identité- s’est retrouvée à sa solde.
Il faut parfois être capable de se souiller pour obtenir ce que l’on souhaite.
Et cela va sans dire que l’adage s’accorde parfaitement à chacune d’entre elles.
Après quelques minutes de marche, elles arrivent toutes les deux à un village.
Si le calme régnant n’est en rien surprenant, il est néanmoins troublé par quelques éclats de voix, un peu plus loin.
Et Vittoria est bien trop curieuse pour ne pas s’approcher. Les informations proviennent parfois de là où on s’y attend le moins. Elles viennent des rumeurs, des échanges et des badinages. Il n’y a jamais de fumée sans feu.
La Seigneuresse assiste donc à une scène des plus surprenantes : un jeune enfant qui implore les adultes, et ces derniers qui restent parfaitement hermétiques aux suppliques du petit. Vittoria pose une main sur sa hanche, la tête légèrement inclinée sur le côté. Pourquoi cette réaction ?
Elle fait signe à l’un des passants qui s’arrête à sa hauteur.
— Que se passe-t-il avec cet enfant ?
— Oh, lui ? C’est un sale garnement qui ne raconte que des mensonges !
— Vraiment ?
— Oui. Au début, il nous mettait en garde contre diverses menaces et nous prenions nos précautions. Mais il s’agissait systématiquement de mensonges pour se jouer de nous !
— Donc vous ne le croyez plus ?
— C’est bien cela. Et vous feriez mieux d’en faire de même, mes bonnes dames !
Le villageois reprend sa route et Vittoria croise les bras sous sa poitrine, observant brièvement la scène avant de porter son attention sur Ceylan.
— Connais-tu cette vieille légende d’Althéa ? Celle de cet enfant qui criait au loup et qui s’est fait dévorer entier ? Elle laisse son index tracer la ligne de sa propre mâchoire avant de laisser un étrange sourire habiller ses lèvres. Ma chère Ceylan, voici l’occasion rêvée pour moi de te voir à l’œuvre.
Cela fait quelques années désormais que la jeune femme est à son service, mais elle n’a jamais vraiment eu l’occasion de la voir à l’œuvre, de voir sa technique.
Pour Vittoria, il n’y a toujours eu que le résultat qui compte. Car toutes les méthodes sont bonnes pour obtenir ce qu’elle désire.
La Seigneuresse attend donc patiemment que Ceylan lui montre l’étendue de ses compétences.
***
Les informations recueillies les conduisent donc finalement dans la forêt où règne une atmosphère particulière.
Vittoria n’est pas une femme craintive, mais elle doit bien reconnaître que la présence de Ceylan la rassure. Attentive à son environnement, elle bifurque sur la gauche sans réaliser que Ceylan emprunte le sentier de droite.
C’est quand elle entend de l’agitation plus loin que Vittoria réalise que Ceylan n’est plus avec elle. Elle peste et plisse les yeux, apercevant vaguement quelques formes devant elle à travers les branches et les feuillages.
Serait-ce ce fameux grand-père ? Sans doute.
Elle avance donc pour contourner les arbres et aperçoit alors un reflet bien distinct. Celui du soleil sur la lame d’une épée.
La Seigneuresse s’empare de son tome et presse le pas, retrouvant, sans trop de surprise, Ceylan à quelques pas d’elle.
— J’ai cru apercevoir des personnes armées de l’autre côté des arbres. Nous ferions mieux de rester prudentes et de s’assurer que tout va bien.
Vittoria n’est naturellement pas chez elle, mais son statut de Seigneuresse lui dicte d’intervenir.