Le regard perdu dans les étoiles, Asteria contemplait le ciel nocturne avec une certaine fascination. Sa conversation avec le comte d’Amristar avait été des plus passionnantes, et la demoiselle en sortait plus inspirée que jamais pour la suite de ses recherches. Il lui tardait de s’aventurer dans les contrées perdues de Cheldis sur les traces d’Akielos. Qui sait ? Sans doute son voyage la rapprocherait d’Ielle, bien qu’il serait prétentieux de prétendre à une telle rencontre.

Elle ne remarqua pas l’homme qui se tenait à ses côtés, bien trop concentrée à observer le voile céleste. Le son de sa voix manqua de la faire trébucher, si bien qu’elle dut s'agripper à la balustrade. Ses yeux émeraude finirent par croiser ceux de son interlocuteur. Il était d’une grande élégance, une carrure imposante qui semblait indiquer des aptitudes au combat et  une chevelure blanche qui encadrait un regard d’or dissimulé sous un masque d’argent.  Ce dernier la salua à la façon de Djinn, ce qui lui indiqua que lui aussi venait probablement de Cheldis. Asteria finit par se retourner afin de saluer le nouvel arrivant de face dans une révérence amicale.

Le temps d’une soirée, Xed Amxes lui avait offert l’opportunité de s’affranchir de son rang. La petite roturière n’était plus, ne restait alors qu’une mystérieuse inconnue parée d’un étonnant mais somptueux habit étoilé. Une situation amusante dont la demoiselle se délectait. Pour une fois, il lui semblait possible de devenir ce qu'elle voulait. Non pas que cela lui semblait inaccessible habituellement, mais en ces lieux, les difficultés étaient bien moindres, et Asteria comptait bien profiter de ce présent.

Si d'ordinaire la jeune femme aurait simplement rougit et chercher ses mots, l'anonymat conféré par son masque lui offrait une assurance dont elle ne tarderait pas à se servir. Elle prit un air faussement surpris, levant ses mains en l'air comme pour s'accorder aux paroles de l'inconnu, l’air amusé.

- Je serais bien incapable de toutes les dérober tant elles sont nombreuses. Quand bien même j’y arriverais, me voilà prise la main dans le sac.

L'écarlate avait toujours eu une imagination débordante. Esprit rêveur, il lui arrivait parfois de s'imaginer toutes sortes d'histoires, des aventures palpitantes ou des amourettes à l'eau de rose. Cette fois, elle endossait le costume de l’étrangère insaisissable, étonnant bout de femme pleine de mystères et de secrets.

- Mais qui vous dit que je ne suis pas l’hôte de la soirée ? Xed Amxes n’est peut-être qu’un messager chargé d’inviter les habitants de Cheldis à danser parmi les étoiles. Vous seriez alors bien impoli de me menacer. Vous souhaitez prévenir votre hôte ? Faites donc, je serais ravie de le rencontrer. Si vous êtes en mesure de me le présenter, je m'excuserai auprès de lui pour cette tentative de pillage  céleste. Dans le cas contraire, j'attendrais de votre part des excuses.

Asteria dissimulait mal son amusement face à la fausse menace de l'homme face à elle. Ce dernier semblait avoir une facilité à illuminer les visages de ses rencontres d'un sourire. Quand bien même il aurait été sérieux, c'était une occasion à ne pas manquer. L'historienne aurait sans doute de nombreuses questions pour leur hôte, elle doutait cependant de la probabilité de cette rencontre.

La jeune femme s'avança au plus proche de l'inconnu. Mains dans le dos et sourire espiègle, elle observait son interlocuteur d'un regard brillant de curiosité.

- Vous pourriez tout aussi bien vous racheter avec un secret. S’il s’avère que je suis en tort, j'accepterais de vous en partager un. À condition que vous prouviez que je ne suis pas votre hôte bien sûr. Qu'en dîtes-vous ?

Masque et robe.

Asteria avait beau jouer la carte de l'assurance, voir le visage de l’homme si près du sien ne fut pas sans effet. Alors que ce dernier se penchait vers elle d’un air amusé, les joues de la jeune femme prirent rapidement une teinte rougeâtre. Fort heureusement pour elle, son masque était assez imposant pour couvrir sa réaction. Du moins elle l'espérait.

Le nouvel arrivant ne semblait pas prêt à divulguer quoi que ce soit. L’historienne avait toujours aimé les défis, et pour une raison qui lui échappait, en apprendre plus sur l’identité de cet étonnant personnage avait quelque chose d’excitant. Il avait un charme insoupçonné, une audace et un humour qui motivait la jeune femme à vouloir percer le mystère qui l’entourait.

Il se présenta, et à l’entente de son pseudonyme le coeur d’Asteria s’arrêta soudainement. Était-il seulement possible qu’il puisse s’agir de lui ? Il ne s’agissait que d’une lettre, pourtant à cet instant, l’écarlate semblait convaincue que les dieux lui jouaient un tour. Une fois l’effet de surprise dissipé, un sourire amusé orna ses lèvres. La situation prenait une tournure des plus plaisantes, et au fur et à mesure que leur échange avançait, la soif de curiosité de la demoiselle grandissait. Elle voulait en avoir le coeur net. En cet endroit où rien n’était impossible, les étoiles semblaient bénir cette soirée de bien des rencontres. Elle pouvait alors espérer y retrouver un ami de longue date.

La demoiselle n’eut pas le temps de répondre qu’elle se sentit entraînée jusqu’à l’entrée du balcon. Il lui fallut quelques secondes pour analyser la situation et comprendre ce que le jeune homme cherchait à lui montrer. Son regard observa dans un premier temps le visage de l’inconnu masqué, l’air interloqué, avant de finalement suivre la direction pointée par ce dernier jusqu’à un magnifique portrait trônant de l’autre côté de la grande salle.

À la vue de ce dernier, le sourire de la roturière s’effaça, remplacé par une mine enfantine et bougonne. Le tableau était effectivement une preuve accablante, l’écarlate n’avait pas été des plus malignes, elle était désormais bien embêtée. Malgré son air entêté, elle ne put dissimuler son amusement face à la réaction de son partenaire et manqua de rire aux éclats à ses propos.

- Trahie par les étoiles hein ? C’est assez ironique quand y pense.

Elle soupira avant de se retourner de nouveau face à son interlocuteur.

- Il semblerait que j’aie perdu ma crédibilité. Il y a longtemps que je ne me suis pas confiée à qui que ce soit, aussi laissez-moi vous partager un premier secret, je suis une bien piètre danseuse.

Les chances de retrouver ici son confident de toujours étaient infimes, pourtant la jeune femme espérait sincèrement que les astres lui accorderaient ce présent. Ce domaine était une invitation aux rêves, il n’y avait rien d’étonnant à espérer voir ce souhait exaucé. Elle fit un pas et saisit la main de son partenaire, un sourire aux lèvres.

- Croyez-vous au destin T. ?

Masque et robe.

Elle se laissa entraîner et son cœur battait plus vite à la seule vue de son sourire. La roturière n’avait jamais eu l'occasion de danser ainsi, encore moins en si bonne compagnie. Asteria avait l’impression de vivre un conte merveilleux, d’être l’une de ces héroïnes dont la vie se métamorphose au cours d’une soirée hors du temps.

Plus elle observait le jeune homme, plus elle lui trouvait des similitudes avec les princes de ses histoires. C’était donc ainsi que se déroulaient ces romances à l’eau de rose ? À cette idée, son visage se teinta d’une couleur similaire à celle de ses cheveux. Elle toussa légèrement afin de cacher sa gêne et porta son attention sur la réponse à sa question.

- Vous avez sans doute raison. Quand bien même la route est déjà tracée, nous sommes les seuls à décider de l’emprunter ou non.

L’écarlate marqua une pause afin de répondre aux interrogations du noble.

- Voyez-vous, il y a une personne que je souhaite rencontrer depuis longtemps. Fait assez drôle, nous nous connaissons sans rien savoir de l’identité de l’autre. Un peu comme avec vous ce soir, il est mon confident masqué, un ami secret venu de loin.

Elle sourit tendrement à cette pensée.

- Vous lui ressemblez.

Asteria plongea son regard émeraude dans les yeux d’or de son cavalier. Perdue dans sa contemplation, elle en oublia presque leur danse. Lorsqu’il la fit tourner de nouveau, elle rougit légèrement, prise par surprise. La roturière était une bien mauvaise danseuse, mais bien accompagnée, il lui semblait que même elle, arrivait à offrir un spectacle agréable. Bercée par la musique et les pas de son partenaire, elle était la première surprise à se savoir capable d’une telle prouesse. Dissimulée sous son masque, Asteria se sentait pousser des ailes. Dans ce domaine caché parmi les étoiles, la jeune femme osait enfin dire les choses sans peur.

- Qu’importe la distance, qu’importe les événements, vous pourrez toujours compter sur une amie. Confiez-vous à moi comme à un journal et je vous promets que vos secrets et vos doutes seront précieusement gardés. N’ayez honte de rien, car loin de vous je serais bien incapable de vous juger.

Elle ignorait si c’était lui, ignorait si ses mots auraient l’effet désiré ou s’ils seraient responsables d’un terrible moment de honte. Mais en cet instant, Asteria avait la certitude que le destin avait exaucé souhait. Si les dieux avaient entendu sa demande en lui offrant une danse avec son unique confident, alors nul doute que ses paroles sauront confirmer ses dires.

Il y eut un silence quelque peu angoissant, de longues secondes durant lesquelles la jeune femme se demandait si elle avait bien fait d’espérer. Et si ce n’était pas lui ? Pire encore, et si c’était bien lui mais qu’il l’avait oublié ? À moins qu’il ne se souvienne pas des mots qu’elle avait eu à son égard. Elle s’emportait peut-être trop ? Est-ce qu’elle avait l’air bizarre ? Sans même s’en rendre compte, la demoiselle commença à paniquer à cette idée. Le rouge lui monta au visage et elle marcha sur sa robe, manquant de tomber en entraînant avec elle son partenaire de danse.

Masque et robe.

Quand bien même elle n’était sûre de rien, certains éléments ne trompaient pas. Asteria ne l’avait jamais rencontré, n’avait échangé avec lui qu’à travers des mots posés sur papier. Pourtant face à cet inconnu rencontré par hasard, elle se disait que le destin avait peut-être frappé. Était-il possible que Djinn cache d’autres T. ? Était-ce elle, qui, trop enjouée à l’idée de rencontrer cet homme à qui elle s’était confiée, s’emportait à la moindre coïncidence ?

Leurs yeux se croisèrent et durant un instant, il lui semblait qu’il n’y avait plus qu’eux sur ce balcon. Le temps était figé, leur danse avait cessé l’espace de quelques secondes terriblement longues et la musique, pourtant si proche, semblait s’être éloignée, masquée par la seule mélodie de son coeur qui battait à un rythme effréné.

La jeune femme entrouvrit la bouche, prête à s’excuser. Elle devait avoir l’air bien étrange à s’imaginer une histoire trop belle pour être vraie. Il devait la trouver bien bête. Les mots s’apprêtaient à quitter ses lèvres, mais elle se stoppa net dès l’instant où son nom fut prononcé.

Elle cligna des yeux à deux reprises, observait le noble avec insistance. Avait-elle seulement bien entendu ? Inconsciemment, elle serra la main de son cavalier plus fermement, de peur qu’il ne s’éloigne. Son regard trahissait ses mots “ Dis moi que je ne rêve pas.”

Il détourna les yeux, l’air hésitant. Asteria quant à elle, n’avait cessé de l’observer attentivement, à l’affût du moindre signe, du moindre mot. Le jeune homme finit par la regarder de nouveau, et cette fois-ci, l’historienne ne doutait plus.

C’était lui.

- C’est vraiment toi ?

Ses yeux brillaient à la seule pensée de le voir répondre d’une affirmation. Il n’y manqua pas, et d’une seule phrase Asteria comprit que son souhait avait été exaucé.

- Le destin rassemble parfois les gens d’une façon étrange. Notre rencontre l’a été après tout. Pourquoi pas nos retrouvailles ?

Elle sourit sincèrement avant de plonger de nouveau son regard dans le sien.

- Je suis heureuse de te rencontrer également.

La roturière ne mentait pas, et si par malheur, il pouvait douter de ses paroles, son expression, elle, ne trompait pas. À l’inverse, les paroles de son ami laissaient penser qu’il était heureux de la retrouver, pourtant, quand elle observait ses yeux couleur or, Asteria ne pouvait s’empêcher d’y voir une certaine tristesse. Elle approcha son visage du sien, penchant légèrement sa tête sur le côté.

- Quelque chose ne va pas ?

Asteria ignorait ce qui le poussait à aborder une telle expression, mais à la vue de son air sérieux, elle opta pour une nouvelle approche.

- Je sais ! Tu es sûrement impressionné. Je comprends, tu aurais sans doute voulu conserver cette aura mystérieuse. "Quel secret espérez-vous me faire avouer ?"

La jeune femme imita le noble en jouant avec sa voix, l'air amusé.

- Dommage pour toi mais tes secrets sont déjà en ma possession. Je suis une voleuse hors pair aurais-tu oublié ?

Elle s’était exprimée avec une mine faussement fière dans le but de détendre l’atmosphère. Dans l’espoir, peut-être, de rendre à son ami ce rire et ce sourire qui lui allait si bien.

Masque et robe.

Il secouait la tête dans ce qui semblait être une tentative peu réussie de rassurer son amie. Asteria, attristée par la mine inquiète de son partenaire, avait fini par faire ce qu’elle savait faire le mieux auprès de ce dernier : l’apaiser lorsqu’il en ressentait le besoin.

A l’entente de son rire la jeune femme ne pu dissimuler sa joie. Heureuse de constater que ses tentatives d’amusement fonctionnaient encore, elle observa le noble le sourire aux lèvres. Le doute qui l’entourait avait visiblement disparu aussi vite qu’il n’était apparu, pour le plus grand bonheur de la roturière.

Lorsqu’il prononça le nom de Liotenix, Asteria eut un léger rictus. L’écarlate avait connaissance de l'intérêt que portait son ami pour le dieu du feu et il était amusant de voir que, même face à elle, celui-ci avait toujours conservé cette habitude de le citer dans ses discussions. C’était une expression récurrente, une phrase emblématique que la demoiselle retrouvait parfois dans ses lettres. Maintenant qu’elle le voyait, Asteria ne pouvait s’empêcher de faire le rapprochement entre lui et le grand Liotenix, deux êtres chaleureux dont la seule présence suffisait à réchauffer les cœurs et le ciel.

Alors qu’elle riait encore, le jeune homme reprit sa danse, ce qui ne manqua pas de faire sursauter l’astromancienne. Elle leva les yeux vers lui et la seule vue de son sourire suffit à la faire rougir. Si même à l’époque l’historienne s’amusait à s’imaginer l’apparence de son étrange confident, elle n’aurait jamais cru que ce dernier puisse être aussi séduisant. L’écarlate essaya de masquer sa gêne en tournant légèrement la tête et se laissa de nouveau entraîner au rythme des pas de son cavalier, essayant de suivre la cadence sans tomber, les joues quelque peu colorées.

- J’imagine que nos routes se seraient un jour croisées, mais je ne m’attendais pas à une telle rencontre. Retrouver mon ami secret lors d’un bal où les identités sont dissimulées, c’est assez improbable.

Elle lui sourit, amusée par la situation et ses paroles.

- Il semblerait que toi aussi, tu aies connaissance de mes plus terribles secrets. Les voleuses d’étoiles se font rares ces derniers temps et il est difficile de les attraper. Mais j’ose espérer que si le destin t’a placé sur ma route, c’est que tu seras peut-être suffisamment courageux pour me ramener sur le droit chemin. Que Liotenix te vienne en aide, tu en auras bien besoin.


Masque et robe.