Depuis cette histoire au cratère et la réunion, la vie a repris son cours partout. L'archevêque demande régulièrement des rapports sur les autres pays, qui ont tous été secoués chacun à leur manière. Elle essaie également d'avoir des nouvelles de Galdred, de découvrir où il est allé. Certains affirment l'avoir vu, mais ses mouvements ne sont pas clairs. Qu'est-ce qu'elle donnerait pour avoir une autre occasion de lui parler... Peut-être que celle-ci viendra un jour. Pour l'instant elle ne peut que l'espérer, la rêver en secret, et continuer son travail sans en faire part à qui que ce soit.

Parfois il lui arrive cependant de prendre des pauses pour aller se promener dans les rues. Comme aujourd'hui. Kléomène aime être au contact de son peuple, il n'y a pas mieux pour veiller sur eux. Elle prend le temps de s'arrêter pour discuter avec du monde, pour écouter ce que chacun veut lui dire. Malheureusement elle n'a pas les réponses à toutes les questions, néanmoins elle fait de son mieux pour contenter les habitants. Si il y a bien une chose à laquelle l'archevêque tient, c'est la population de Cheldis.

Et elle tient à tous, même à ceux qui ont fauté. Ces derniers, si ils en font l'effort, méritent le pardon. De loin elle surveille Tarek et Kagiri, recevant des comptes rendus sur leurs activités. On dirait qu'ils font de leur mieux. Et, justement, c'est sur la jeune habitante de Kanagawa que ses yeux se posent, près d'un groupe de religieux venus offrir à manger.

-Bonjour Kagiri.

Avec un sourire cordial elle s'approche de la jeune femme. Celle-ci a l'air d'être en pause pour se restaurer, c'est l'occasion de discuter un peu avec elle.

-Comment te sens-tu ? As-tu bien récupéré ?

Sa blessure n'était pas trop grave, mais elle s'inquiète tout de même un peu.

Son inquiétude dirigée vers Kagiri est sincère, celle-ci a été blessée assez gravement durant la descente dans le cratère. Elle espère simplement qu'elle a bien récupéré depuis. Normalement oui, puisqu'elle a rapidement traité la blessure quelques minutes après que cette dernière ait été infligée. Soigner est une véritable vocation chez Kléomène, qui ne supporte pas de voir des gens souffrir. Si seulement sa magie pouvait également guérir les maladies... Mais ce n'est pas le moment de penser à ça. L'habitante de Kanagawa n'a pas l'air en souffrance, les rapports l'indiquent au contraire en pleine forme, quoiqu'elle semble un peu fatiguée actuellement. Sûrement la raison de sa pause pour manger.

Elle bouge son bras comme pour montrer que celui-ci fonctionne à merveille, essayant de glisser une plaisanterie dans sa réponse. Ce qui a le don de faire légèrement sourire l'archevêque, mais également froncer les sourcils. Le moment est un peu mal choisi, cependant elle ne relèvera pas. Au moins elle va bien, c'est le principal, ça la rassure.

-Bon, tant mieux.

Kagiri lui paraît sur la défensive, et ce n'est pas vraiment surprenant considérant les circonstances actuelles. La pauvre doit se voir comme une prisonnière en ce moment. Pourtant elle réalise des œuvres honorables, elle a de quoi être fière. Un léger soupir franchit ses lèvres, inaudible, juste pour elle-même. Ce n'est par plaisir que l'archevêque donne ce genre de punitions. Elles sont néanmoins essentielles pour rappeler l'importance de certaines choses.

-Je peux m'installer ?

Même si elle ne devrait pas avoir besoin de demander l'autorisation, Kléomène attend d'avoir une réponse positive avant de s'asseoir à côté de la jeune femme. Son regard se porte sur la population autour, à qui elle adresse des signes de salutations. Puis ses yeux reviennent sur Kagiri, avec toujours ce léger sourire.

-Comment te semble le peuple ? J'ai beau le voir de mes propres yeux, jamais je ne serais aussi proche d'eux que quelqu'un qui en fait parti.

Triste réalité de son statut qui l'éloigne plus qu'elle ne le voudrait du peuple.

La première réponse est loin de celle à laquelle Kléomène s'attendait. Kaigir ne se considèrerait-elle pas du peuple ? Pour quelle raison ? Celle-ci s'excuse rapidement et enchaîne pour s'expliquer. Étrangère ici, rejetée dans son propre pays, sûrement pour son teint mât, la pauvre ne trouve pas vraiment sa place on dirait. Voilà pourquoi elle a du mal à se sentir proche de ce que la religieuse appelle son peuple. A ses yeux pourtant, la kanagawaise en est une membre comme les autres. Néanmoins elle comprend mieux la réponse apportée - au moins ce n'est pas que Kagiri se croit au dessus du reste.

Son sourire s'étire un peu plus, bienveillant, tendre, en entendant la description que la guerrière fait des habitants. Courageux, oh ça oui ils le sont. Ils reprennent leurs vies comme avant la catastrophe en gardant espoir, obstinés à l'idée de laisser un bel héritage aux générations futures. L'Archevêque ne s'attendait pas non plus à ce que Kagiri évoque la confiance, tant elle doute toujours d'être un bon modèle pour son peuple. Alors ça ne peut faire que bien d'entendre qu'ils ont foi en elle, c'est une preuve qu'elle est une bonne dirigeante. Du moins elle l'espère. Que le peuple soit contenté est ce qui lui importe le plus.

-Je te remercie pour ta vision des choses.

Puis, Kagiri s'autorise à lui donner un conseil que bien peu oseraient. D'aller à la rencontre des habitants, de leur montrer qui elle est vraiment. Cette perspective l'effraie, il faut l'avouer. Que penseraient-ils de la vraie Kléomène ? Non, elle doute que ce soit une bonne idée, même si ça la rapprocherait d'eux.

-Crois-tu vraiment que je puisse faire ça ?

Cette discussion prend une tournure inattendue qui cependant l'intéresse. C'est la première fois qu'on lui propose une telle chose, et venant de la part d'une fille du peuple, forcément ça l'interpelle. Mais elle hésite à suivre ce conseil, et devise tranquillement avec la kanagawaise pour lui faire comprendre pourquoi.

-Je ne suis qu'humaine, tu as raison. Comme tout le monde j'ai des faiblesses, mais penses-tu que je puisse les montrer ? Je crains que le peuple ne soit effrayé si la figure qu'il tient en si haute estime comment à flancher. Ils ont besoin de moi forte.

Et pourtant, que ne donnerait-elle pas pour être plus proche d'eux, pour être simplement Kléomène au moins une fois. Le poids du devoir d'Archevêque est bien lourd à porter parfois, elle se sent plus isolée qu'autre chose.

Une petite voix lui rappelle soudainement les paroles de Sasori, de ne pas chercher à être une autre personne.

Un fardeau... A-t-elle déjà pensé à son peuple de cette façon ? Ils sont une lourde responsabilité à porter, elle ne peut pas prononcer ses paroles à la légère. Car certains les suivront, sans aucun doute. Alors oui, malheureusement, il lui est arrivé de penser à eux ainsi. Bien qu'elle ait honte de se l'admettre. Tout comme elle a honte d'autant mesurer ses mots face à la population. C'est vrai, elle a la seule à s'empêcher de parler franchement. Par crainte qu'on ne l'apprécie plus, par crainte des conséquences derrières. Mais lesquelles ?

C'est là qu'elle voit que Kagiri a raison. Que peut-être son peuple serait ravi de voir un peu plus d'honnêteté de sa part. Peut-être que finalement l'archevêque a le droit de montrer ses faiblesses... Et de se montrer les surpassant. Voilà qui serait un bel exemple. Non, pour l'instant, le véritable exemple, ce n'est pas elle. Ce sont tous ces gens qui avancent malgré les épreuves. Eux méritent d'être honorés pour leur courage. Elle mérite d'être huée pour sa couardise.

-Tes mots me donnent à réfléchir...

Choisit sa propre route. Oser un peu d'égoïsme pour choisir comment elle veut vivre en étant au service du peuple. Oui, vivre pour eux, mais ne pas se sacrifier. Décidément, les mots de Kagiri lui rappellent ceux de Sasori. Être elle-même, ne pas chercher à devenir une autre. C'est ce qu'il lui avait dit. Leurs discours concordent alors peut-être... Peut-être qu'ils ont raison. Il est encore temps de changer, de devenir qui elle veut être. Le peuple ne pourra que saluer les efforts de son archevêque, du moins elle l'espère.

Kléomène est encore perdue sur le chemin qu'elle désire réellement emprunter.

-J'essaie peut-être trop de ressembler à l'ancienne archevêque. C'était une incroyable personne, je veux à tout prix être à sa hauteur, mais parfois j'en oublie d'être... Moi.

Premier aveu que jusque là seul son ami avait pu entendre.

-Que mon peuple devienne un fardeau est bien la dernière chose que je souhaite. Je crois que je vais... Essayer de suivre tes conseils. Sans parler d'égoïsme juste suivre ma voie, quelle qu'elle soit. Merci pour tes précieuses paroles, Kagiri.

Les mots ne sont que ça en effet : des mots. Ce sont les actions qui leur donnent du sens et du poids. Quand on est à sa place, on se rend vite compte de leur force cependant. Les siens peuvent faire bouger des foules entières. Si elle ne faisait pas attention à ses paroles ça pourrait avoir des conséquences désastreuses. En tout cas elle ne changera pas avec de simples mots. Il faut maintenant qu'elle agisse pour prouver qu'elle en a réellement la volonté. Aller à la rencontre du peuple, de tout son peuple, leur montrer un peu plus qui elle est réellement. Un véritable défi pour l'archevêque.

-Par pitié ne parle pas de tuer à la légère, même pour un exemple. Mais ce que tu dis est très juste, il n'y que les actions qui donnent du véritable poids aux mots.

Est-ce une mauvaise chose que de vouloir ressembler à sa prédécesseure ? Kagiri semble penser que non, qu'il n'y a pas que du mal à ça. Cependant elle peine d'abord à saisir sa métaphore, si bien qu'elle en penche la tête d'incompréhension. Cette histoire d'ombre ne lui parle pas. L'épée en revanche... On peut en forger une en s'inspirant de celle de quelqu'un d'autre. Au final ça restera une épée très personnelle, forgée de ses propres mains. Tout comme on se forge son propre chemin grâce aux enseignements qu'on reçoit, en honorant ceux qui ont précédés.

Kléomène doit admettre une chose, c'est qu'elle admire la façon dont Kagiri parle toujours avec le cœur, telle une enfant candide fière de ce qu'elle raconte. C'est adorable de sa part.

-Mon épée... J'aime beaucoup cette métaphore. Elle est parlante et simple à comprendre.

A quoi ressemblera la sienne une fois terminée ? La kanagawaise affirme avoir hâte de la voir, que la base est déjà magnifique. Nul doute que l'archevêque va garder cette idée en tête dans le futur. Une fois plus calme, il est très agréable de discuter avec la jeune femme.

-Je m'en souviendrai, tu peux en être certaine. Cette histoire d'épée va me suivre pendant longtemps je le sens. Je vais m'appliquer à en forger une la plus belle possible.

Elle se relève finalement, baissant les yeux sur Kagiri avec un sourire.

-Et il me tarde également de voir la tienne. Je ne doute pas que tu as un bel avenir devant toi.