Lassé des nombreux jeux de jambes qui se déroulent dans la salle de bal, tu t'éclipses discrètement pour échapper aux demandes incessantes des hommes et des femmes pour partager une danse avec toi. Plus de femmes, évidemment, tu as tendance à les attirer comme des moustiques sucerait une belle chair au sang sucré. Comme un voleur, tu arpentes quelques couloirs à la recherche d'un endroit plus calme, plus éloigné de la musique qui se joue sans cesse, de ces odeurs de sueurs, de nourritures qui se mélangent dans un concert qui devient désagréable.

Tu pousses un soupir, avec l'envie de retirer le masque qui recouvre tes yeux, mais te retiens. Après tout, on ne sait jamais, si c'est un bal masqué, il y a peut-être une raison. Cacher son identité, se mêler à la foule, tu te demandes s'il y a une raison à cela ; bien que tu ne sois pas du genre à passer inaperçu. Ta chemise bordeaux à moitié ouverte sur ton torse, qui rend tes tatouages plus que visibles, et ceux de ton visage ne laissent que peu de doutes quant à ton identité.

Ta main passe dans tes cheveux légèrement humides par les efforts fournis à contenter le plus de corps possibles sur la piste de danse endiablée, ta peau elle-même brille d'une pellicule qui résulte de ta ferveur à les faire tournoyer, les faire rêver l'espace de deux voire trois minutes.

Plus tu t'éloignes, plus tu te perds dans les couloirs de cette demeure mystérieuse, plus tes oreilles retrouvent un temps de paix, presque comme une déficience auditive qui te rend confus quelques secondes. Tu es cependant soulagé de la tranquillité du lieu, comme si personne n'avait osé s'aventurer aussi loin dans le château, par crainte, par politesse ou par retenue. Mais maintenant que tu as commencé, tu aimerais jeter un œil, curieux de ce que tu pourrais trouver.

Et c'est en t'arrêtant devant deux grandes portes ouvertes, que tu découvres une bibliothèque qui ferait palir n'importe quel collectionneur d'ouvrages aux couvertures de cuir et à l'odeur de papier qui n'attend qu'un fervent lecteur pour se remplir de quelques lignes d'encre noire. Tu t'avances alors, quelque peu émerveillé par le nombre de livres impeccablement rangés sur les étagères, ces dernières s'élevant jusqu'au haut plafond. Tout semble irréel dans cet endroit.

Tu t'enfonces entre les rayons, jusqu'à découvrir une silhouette concentrée sur un bouquin. Ainsi donc quelqu'un avait osé venir ici, seul, pour fouiller, pour, peut-être, percer quelques secrets du monde en cette soirée où tous sont occupés à se séduire, boire et manger de tout leur soûl. Tu ne t'arrêtes pas pour autant, tu as envie de connaître les intentions de cette personne, car tu es de nature curieuse.

« Justement, j'en viens. Je vois que je ne suis pas le seul à vouloir un peu de solitude. »

La couleur de sa chevelure te rappelle Vittoria, et cette manière de parler, le son de cette voix, tu te demandes si c'est elle. Cela lui ressemblerait bien.

« Ou peut-être, aurai-je pu espérer retrouver une connaissance, dans un endroit aussi reculé de la fête. »

Un sourire en coin se lève à sa remarque. Tu étais certain qu'elle continuerait de maintenir la comédie masquée initiée par un hôte que tu n'as encore jamais croisé. Fait étrange pour quelqu'un qui invite des centaines de personnes, de statuts et pays différents. Ne souhaite-t-il pas se vanter de tout ce qu'il possède ? Ne veut-il pas rencontrer ces petits hommes d'en bas ? Ceux qu'il a probablement regardés pendant des jours, voire des semaines, si ce n'est plus, avant de tous les convier à un bal.

Mystères.

Tu ne réponds donc pas à la remarque de ton amie d'enfance, te contentant de souffler par le nez, amusé, laissant un sourire décontracté étirer tes lèvres, tout en continuant ton inspection des lieux. Il n'est pas aisé d'avoir une bibliothèque de cette taille, tu te demandes combien de temps cela a pris pour posséder cette collection. Tu es admiratif.

Tu jettes un oeil à l'ouvrage que Vittoria pousse vers toi, sans lui accorder plus d'intérêt que cela. Si elle se défait de lui, c'est qu'il ne comporte rien d'intéressant. Ainsi, tes pas te conduisent vers les immenses fenêtres qui offrent une superbe vue sur les jardins, tandis que ton amie, elle, continue de fouiller les étagères.

« Ce qui m'interpelle le plus, c'est que personne ne l'ait vu ce soir. Il ne s'est pas présenté lorsque la foule a pénétré les portes du domaine. Je me demande quel est le véritable but de cette soirée. »

Car tous les nobles les plus importants se trouvent ici, laissant sans aucune surveillance leurs biens les plus précieux. Il serait aisé de voler, de détruire, de mettre à feu et à sang les quatre pays de Cheldis. Tu es méfiant, peut-être trop parfois, mais cela te fait tout de même tiquer.

Tu reviens aux côtés de Vittoria d'un pas nonchalant.

« Je n'ai jamais été friand de ces fêtes. »

Mais elle devrait le savoir, depuis le temps.

Elle lève les yeux vers toi, avec un ouvrage qui semble piquer soudainement son intérêt. Tu te penches dessus, et avec elle, lis quelques lignes. Tu en viens à la même conclusion qu'elle : une histoire d'amour. Mais la deuxième partie de ses propos te donne envie de la contredire.

« Vous savez que ce sont souvent les histoires d'amour qui cachent et révèlent les plus grands secrets ? Il y a beaucoup plus à apprendre sur les contours de ces drames, que sur le cœur lui-même. »

Tu lui adresses un petit sourire taquin.

« Et vous ? Que faites-vous à l'écart de la fête ? L'ennui, ou votre curiosité concernant cet endroit ? »

Tu entends très bien son hypothèse, et peut-être a-t-elle raison. Tu n'aurais probablement jamais organisé une telle soirée sans te montrer, sans te mettre en avant. Sans permettre aux invités de t'admirer, de te regarder, de t'admirer ou te craindre. Après tout, quel intérêt ? Tu n'es pas aussi diplomate que Kiseki, ni même aussi patient, il faut que les choses se fassent à ta manière jusqu'au bout. Ainsi, tu écoutes Vittoria sans la contredire, sans répliquer non plus.

Tu n'as aucune idée du but de cet hôte.
Même s'il doit bien s'amuser de tous ces fous dansant sur une piste sans connaître les failles de ce sol majestueux.
Tu espères simplement que la soirée ne tourne pas au vinaigre, car cela serait un désastre.
Aucune issue possible, si ce n'est sauter dans le vide et mourir d'une terrible chute.

Enfin, tu te battras bec et ongles si cela devait arriver, bien évidemment. Tu es un guerrier, un redoutable combattant et ta musculature en est la preuve flagrante.

Tu souffles par le nez à sa remarque, en levant les yeux au ciel pendant une seconde.

« Que voulez-vous donc éclaircir dans ce cas ? Je suis curieux à propos de vos réelles intentions maintenant. »

Malgré sa réticence, elle prend le temps de lire quelques lignes, de tourner quelques pages et d'émettre quelques commentaires à voix haute, tout en avouant ne pas avoir de talent de danseuse.

« Quel dommage. J'aurai apprécié vous regarder danser et défier d'une simple œillade votre cavalier de faire un commentaire sur vos compétences douteuses. »

Un peu de moquerie, avant que tu ne portes à nouveau ton attention sur la vue qu'offre la bibliothèque.

« Qu'est-ce que cela vous rappelle exactement ? »

Ta première question est évitée, ce qui te provoque un léger sourire. Même en une soirée comme celle-ci, elle ne souhaite pas se confier sur ses réelles intentions. Et ton sourire s'agrandit à la plaisanterie, lorsque son coude rencontre tes abdos contractés. Il peut être agréable de se détendre ainsi avec quelques personnes, de s'adonner à quelques phrases taquines sans se demander si son interlocuteur va être offensé, vexé et finir par s'en aller. Vittoria et toi vous connaissiez depuis suffisamment longtemps pour vous permettre un écart de ce genre à vos personnalités bien moins drôles en temps normal.

Ton attention toute dirigée ailleurs, tu te contentes de faiblement hausser les épaules lorsque, de nouveau, elle ne souhaite pas répondre à la question sur la relation mentionnée. Tu ne réfléchis pas plus loin mais tournes bien vite ton regard sur elle, lorsqu'elle trouve un intérêt sur un étrange bouquin. Tu restes près de la fenêtre pour observer le paysage, mais l'écoutes d'une oreille attentive.

Quel étrange récit.
Si d'autres races existaient en ce monde, autre que les humains et les Dieux, cela se saurait. Ce n'est tout de même pas quelque chose que nous pouvons ignorer, être un homme-bête ou un homme-poisson n'est certainement pas invisible. Tu restes pensif, bien que cela te paraisse complètement absurde. Cependant, ce domaine volant est la preuve que vous ne connaissiez pas tout ce qui peut exister sur cette planète. Tu restes silencieux, bien que Vittoria ait la même réflexion que toi.

« J'en pense ... »
« Que faites-vous là ? »

Ta tête se tourne vers l'homme qui se présente dans la bibliothèque, augmentant la luminosité de l'éclairage de la pièce, vous aveuglant presque.

« Vous n'avez pas le droit d'être ici. Comment êtes-vous entrés ? Aah, peu importe, sortez s'il vous plaît. »

Impossible de voir son visage, car il est entièrement couvert d'une armure dont tu ne connais pas l'origine ni la matière. Tu glisses une main sur ton menton, réfléchissant encore quelques instants avant d'opter pour un comportement docile. Tu n'aimerais pas que l'on te jette de cette soirée alors que tu as encore des choses à y faire et découvrir.

« Allons-y Seigneuresse. Il semble que cette pièce contienne des secrets que notre hôte souhaite précieusement garder. »

Le soldat se tend lorsque tu passes à côté de lui pour sortir de la bibliothèque, un sourire aux lèvres.

« Je vous souhaite de vous amuser Vittoria, trouvez donc un partenaire de danse qui saura vous faire perdre la tête. »

Un léger coup d'oeil amusé vers elle, et tes chaussures claquent contre le sol de marbre du couloir pour rejoindre la salle de bal.