Le toit n’était plus. Le soleil avait fait des ruines de la maison sa demeure, ne laissant entrevoir que quelques meubles éparpillés et des souvenirs du passé. Vestiges d’une époque tranquille. Révolue.

Manches retroussées et visage accablé par la fatigue, Asteria rassemblait ce qui lui restait sur la petite table en bois. Un regard nostalgique porté sur les livres empilés. A sa grande surprise ils étaient intactes. Délicatement, elle déposa sa main sur le premier d’entre eux, dispersant par la même occasion la poussière qui s’y été accumulée. Un sourire s’étire ses lèvre alors qu’elle redécouvre le titre de ce dernier «  Mythes et Légendes de Cheldis ». Un livre qu’elle connaissait par cœur. Un livre qu’elle réclamait souvent. Petite fille alors curieuse et pleine de questions.

Alors qu’elle s’apprêtait à prendre l’ouvrage pour le ranger dans ses affaires, un petit bout de papier dissimulé dans les pages attira son attention. Elle ouvrit alors le livre à la page concernée. Chapitre 8 « Le don d’Ielle ». Un chapitre qu’elle aimait particulièrement. Parce qu’il était incomplet. Parce qu’il contait une histoire en suspens, une histoire dont la fin n’était connue de personne, pas même de l’auteur lui-même. Une fin qu’Asteria aimerait un jour connaître, pour peu que cela possible. Ielle était, aux yeux de la jeune femme, un mystère fascinant. Un mystère avec lequel elle partageait une sorte de connexion. Un don. S’il l’on considère que la lecture du ciel en est un.

Asteria observa le papier soigneusement plié. Elle n’avait alors plus aucun doute sur le contenu de ce papier. Sans même l’ouvrir. Ce sens des détails, cette précision dans le choix du livre, dans le choix des mots, Asteria savait bien de qui il s’agissait. Car il n’y avait qu’une personne qui la connaissait si bien.

Un pincement au cœur à la simple pensée de sa mère disparue. Une mère qui lui manquait terriblement. Il lui fallut quelques secondes avant de se décider. Car elle savait ce qu’elle trouverait. Aussi fit-elle quelques pas avant de s’asseoir sur la chaise de la petite salle à manger, regardant le petit bout de papier avec émotions avant de finalement l’ouvrir.

Elle ne pu toutefois s’empêcher d’esquisser un sourire amusé à la vue de l’écriture difficilement lisible de sa mère. Il fallait dire que l’écriture n’était pas son fort. Asteria avait pourtant fait de son mieux pour lui apprendre. Sans succès. Et pourtant. Malgré les traits enfantins laissés par la plume, Asteria arrivait à la lire. Elle arrivait à l’entendre. Une dernière fois.

Elle la rassurait. Comme à son habitude. Comme elle avait toujours fait. Sa lettre était une invitation au voyage. Une demande de sa part. Un pardon aussi, car elle avait fait le choix d’être égoïste. Asteria avait toujours rêvé de partir explorer le monde. Elle n’avait cependant jamais réellement quitté la maison. Car elle aimait ses parents. Car elle voulait être là pour eux, en dépit de sa soif de découverte. Sa mère savait pertinemment ce qui la retenait. Tout comme elle savait ce qu’il adviendrait si la demoiselle serait restée avec eux ce jour-là. Si elle n’était pas partie pour Callariate. Raison pour laquelle elle l’avait convaincue d’y aller. La lecture devenait de plus en plus difficile au fur et à mesure que les larmes venaient brouiller sa vision, effaçant par la même occasion les traces laissées par la plume à leur contact. La jeune femme réussit cependant à finir sa lecture, séchant ses larmes par la même occasion. Non sans difficulté.

Ce n’est que quelques heures plus tard qu’elle reprit complétement son calme, mettant sa peine de côté pour avancer. C’est ce qu’elle devait faire. C’est ce qu’elle fera. D’un pas décidé, elle termina de rassembler le peu d’affaires qui lui restait. Une fois sa tâche terminée, elle s’empressa de prendre la pile de livres restants, bien déterminée à les rendre à leur propriétaire avant de partir pour son grand voyage.

Les rues étaient calmes. Silencieuses.

Asteria s’avança vers la porte d’entrée de la librairie, marquant son arrivée par le son habituel de la petite clochette reliée à la porte. Elle s’attendait à trouver le libraire habituel, un homme qu’elle côtoyait souvent de par sa présence régulière en ces lieux. Toutefois la voix qui la salua ne fût pas celle attendue.

- Oh ! Bonjour dame Kyristis. J’ignorais que vous étiez sur Ios.

Un sourire timide en guise de salutations. Bien que marqué par la fatigue et la précédente avalanche de larmes.

- Je suis venue rapporter certains ouvrages. La maison est détruite et je quitte prochainement Ios. Il serait dommage de laisser ces livres à l’abandon.

Alstroemeria Kyristis avait toujours été une femme étrange, insaisissable.

Peut-être était-ce dû à ce sourire constant sur ses lèvres ? Ou ses yeux d’or qui donnaient l’impression qu’elle savait tout du monde et des secrets de chacun. Rien ne semblait la surprendre, ni même lui faire hausser un sourcil. Alstroemeria était une énigme, et il était impossible de connaître ses intentions, à moins que cette dernière ne soit décidée à les partager. Ce qui n’était jamais le cas. Elle avait quelque chose d’intimidant. Si bien qu’Asteria s’adressait à elle en utilisant son nom de famille, chose qu’elle ne faisait que rarement.

L’historienne la remercia d’un sourire alors que la noble s’avança vers elle pour lui proposer une tasse de thé. Un geste qu’elle ne refuserait pour rien au monde, surtout en cet instant. Une mine un peu gênée quand Alstroemeria remarqua son état. Il fallait admettre que la demoiselle cachait mal sa peine. Et si habituellement elle faisait au mieux pour avoir l’air présentable, ce n’était guère sa préoccupation ces derniers temps.

- M.. Merci beaucoup. Se serait avec plaisir.

Un regard sur les livres qu’elle tenait et leur état. La catastrophe semblait les avoir épargnés à son soulagement. Il fallait espérer que leur propriétaire soit du même avis. Dans le cas contraire la jeune femme serait bien embêtée, car au-delà de la gêne provoquée elle se retrouverait rapidement à court d’argent au vue de la quantité de livres empruntés.  

- J'espère ne pas trop empiéter sur votre emploi du temps. Ce dernier doit être chargé je suppose..

Elles étaient arrivées jusqu’à une petite pièce à l’arrière de la librairie.

Le lieu n’avait rien d’extraordinaire en soi, mais il dégageait une ambiance chaleureuse et reposante. L’odeur des livres et du café, le grincement du parquet en bois et le charme du mobilier semblaient inviter les personnes présentes au calme et à la tranquillité. Un décor simple qui lui rappellerait presque chez elle, à quelques éléments près.

Si Asteria n’avait pas été historienne, sans doute aurait-elle apprécié travailler dans un tel endroit. Ses journées auraient été bercées par le son des pages qui se tournent et l’odeur du papier. Elle aurait pu vivre ainsi, échanger avec les clients sur quelques romans à l’eau de rose et autres nouvelles littéraires tout en assistant ses parents dans leurs métiers respectifs le soir venu. Un train de vie agréable certainement, mais la demoiselle était bien trop jeune pour rester enfermée. A son âge, elle avait besoin de voyages, de découvertes et de rencontres. La ville-temple était trop petite, trop vue.

Un regard gêné tandis que la noble répondait, à demi-mot, à son inquiétude.

- J-Je ne mérite pas tant d’attention.

Asteria lui avait répondu dans un murmure, timidement. Elle ne savait pas comment interpréter la gentillesse de son hôte. Son geste à son égard la touchait, mais pour une raison qui lui était inconnue, la jeune femme ne pouvait s’empêcher de s’interroger sur les intentions de la noble. Cette dernière lui était inconnue, mystérieuse. Elle n’arrivait pas à cerner sa personne. C’était un sentiment étrange, presque frustrant.

L’historienne s’installa à la petite table et lui tendit les livres qu’elle attendait. Elle observait  Alstroemeria d’un regard discret alors que la gérante de la boutique inspectait les ouvrages de façon minutieuse. La roturière était éblouie par la grâce et l’élégance de son interlocutrice. Elle dégageait une prestance certaine, presque hypnotisante

Ce fut la question de la noble qui sortit Asteria de son admiration soudaine. Elle releva la tête dans un sursaut. Les joues légèrement teintées, son regard croisa les yeux d’or de son aînée.

Je compte m’installer à Heliopolis quelque temps. Le peuple de Djinn a une avance remarquable sur bien des sujets. Ils ont un lien particulier avec le temps, passé comme futur. J’espère y trouver des indices sur certaines périodes oubliés de l'histoire et mon coeur me dit que Tikraes recèle certainement des secrets sur cette question.

A défaut de pouvoir lui poser directement la question, Asteria espérait pouvoir trouver quelques éléments de réflexion sur place.

- Il existe peut être certains récits sur ce qui a pu se passer autrefois. Des traces du passage d’Akielos lors de son long périple, des écritures anciennes dissimulées dans certaines ruines ou d’autres indices à proximité des tours. Ou à l’intérieur..

Mais seule la tour d’Azaïth autorisait quelques valeureux à pénétrer le territoire des Dieux. Bien que pleine de volonté et de curiosité, la demoiselle ne se sentait pas encore capable d’un tel périple. Elle comptait néanmoins se renseigner auprès de Kléomène sur ce qui y était caché, elle attendrait cependant quelques jours avant d’échanger avec cette dernière, l’Archevêque avait suffisamment à faire après la catastrophe.

- Si j’y arrive, il est probable que je me lance dans l’écriture d’un ouvrage passionnant.