Plongé dans la lecture d’un épais ouvrage, Tarek est perché au plus haut possible dans la grande bibliothèque, en hauteur pour apprécier sa lecture autant que le calme. Il n’aime guère être dérangé lors de ses -nombreuses- lectures.
Et, au moins, de là où il est, il sait qu’il ne croisera ni n’entendra Geb et Isis.

La tranquillité est ce qu’il recherche lorsqu’il lit, que ce soit ces romans importés ou encore les derniers essais des ingénieurs de Djinn. Mais aujourd’hui, il a préféré s’intéresser à un peu de politique. Le Roi ne semble pas avoir un jour éprouvé le désir ou la volonté de lui confier la moindre tâche, et Tarek ne compte pas sur Geb pour régler le problème.

En tant que second prince, quatrième enfant de la fratrie, il n’existe aux yeux de personne.
Inutile sur le plan militaire, inutile sur le plan technologique, inutile en diplomatie, politique. Personne ne se préoccupe de lui, il n’y a que Geb qui compte.
Tahira le soutient déjà, et Isis ne jure que par lui.

Lui, il n’a que sa mère.
Et Naël.

Il redresse la tête, fronçant légèrement les sourcils avant de laisser son regard glisser vers les fenêtres de la bibliothèque. Jugeant de la position du soleil, il s’étonne de ne pas encore avoir vu son petit frère. Ce qui n’est pas dramatique en soit, mais le benjamin des Ramses apporte à Tarek la tendresse qui lui manque.

Il ferme son livre et descend donc de son perchoir pour rejoindre le grand hall d’entrée. A cette heure, il doit probablement être en train de se délecter de quelques douceurs.

Mais alors qu’il passe la porte de la bibliothèque, il ressent un étrange sentiment. Une impression désagréable que quelque chose ne va pas. Et, bientôt, un garde passe devant lui à toute hâte avant de faire demi-tour et le rejoindre.

— V-Votre Altesse ! Vous voilà enfin !
— Que se passe-t-il ?
— C’est son Altesse votre jeune frère !
— Naël ?
— I-il… il vient d’être emmené pour se faire soigner. Il saignait abondamment de la tête et nous ne s-
— Allez prévenir ma mère immédiatement ! Et envoyez vos hommes en ville !
— M-mais votre Altesse, je…
— FAITES-LE !

Le soldat sursaute devant l’ordre autoritaire du prince et n’en demande pas plus, le saluant avant de s’en aller.

Tarek, lui, fonce vers le cabinet du médecin royal sans perdre une seule seconde.

Vision d’horreur.
Le visage si doux et si serein de son jeune frère déformé par la douleur, par le sang coagulé. Il écarquille les yeux devant ce spectacle atroce. Il se sent presque chanceler face à toute la terreur que ça lui inspire. Un mélange de colère, d’inquiétude et de culpabilité lui noue l’estomac. La gorge nouée, il ne pose aucune question, sous le choc.

Le corps médical s’affaire autour de lui pour lui promulguer les soins nécessaires, et Tarek attend. Que peut-il faire d’autre ?
On tente de le faire sortir, il ne bouge pas. On essaie de le raisonner, il reste immobile. A mesure que les minutes s’égrènent, le regard du prince s’assombrit. Il essaie de trouver une explication plausible. Qui pourrait ou voudrait s’en prendre au plus jeune fils du Roi de Djinn ? Lui qui est si doux, si paisible, si bon.
Il a beau retourner le problème dans tous les sens, mais rien ne s’impose à lui.

Les visites défilent naturellement une fois les soins achevés.
Naël est tiré d’affaire, et c’est un soulagement général. On explique qu’il lui faudra du repos, mais Tarek s’impose pour rester à ses côtés. Il faudrait employer la force pour le faire sortir.
On le laisse ainsi donc dans la pièce avec le jeune prince. Installé à côté de lui, Tarek l’observe longuement, sa main se glissant doucement dans la sienne.

Le cœur serré, la pression redescend finalement et il enfouit son visage dans son coude ; il a eu si peur de le perdre. Tout aurait pu aller si vite. Et Tarek pleure. En silence, il étouffe ses sanglots en priant les dieux de lui laisser son frère.
La fatigue le gagne finalement et il s’endort au chevet de Naël, sans lâcher sa main.

Il se réveille en sursaut lorsqu’il sent une main sur son épaule.
Depuis combien de temps est-ce qu’il dort ? Il n’en a aucune idée. Mais quand il voit Naël redressé, il se fige un bref instant avant qu’un profond et long soupir s’échappe de ses lèvres.

— Naël… Il tend la main doucement vers sa joue pour la caresser de son pouce avant de se lever pour le prendre doucement dans ses bras. J’ai eu si peur… Il le libère et le regarde longuement. Comment tu te sens ? Tu ne dois pas forcer, d’accord ?

Il détache son regard de lui pour regarder autour d’eux. Une carafe d’eau a été déposée ainsi qu’un verre. Tarek s’écarte pour lui servir un verre et lui offre avec précaution.

— Naël… tu te souviens de ce qu’il s’est passé ?

Il s’excuse, et Tarek soupire doucement, l’ombre d’un sourire aux lèvres ; Naël n’est pas le genre de garçon à se mettre dans des situations compliquées par plaisir, ou par désir de créer des ennuis ou des soucis à ses proches. Tout le monde le sait.
Alors Tarek ne peut que balayer d’un geste de la main ses excuses.

Bien sûr, il s’est fait un sang d’encre pour son petit frère, mais il est là, vivant, et c’est tout ce qui compte.

Tarek reprend place sur sa chaise pour regarder son frère alors qu’il s’exprime sur son ressenti et ses souvenirs. Il hoche la tête, rassuré que Naël comprenne que son état nécessitera repos et calme. L’aîné inspecte le bandage sur la tête de son frère, n’y touchant cependant pas pour éviter de ruiner le travail des médecins, ou provoquer des douleurs inutiles à son cadet.

Quand Naël explique qu’il ne se souvient pas comment il est arrivé ici, Tarek s’apprête à lui répondre gentiment. Mais c’est à ce moment que son petit frère ajoute qu’il se rappelle des circonstances qui l’ont plongé dans cet état. Tarek fronce les sourcils alors que Naël évite soigneusement son regard.
Tarek tique.

Et l’aveu tombe.

Tarek reste d’abord immobile, mais il est évident qu’il est crispé, qu’il contient sa colère. Son regard s’est couvert d’un voile plus sombre. Celui d’une rage grondante, de l’inquiétude d’un frère. Le prince aîné ne détache pas son regard de son plus jeune frère ; il fait de son mieux pour ne pas exploser devant lui, mais ça lui demande un effort presque surhumain.
Il finit par fermer les yeux, venant pincer l’arrête de son nez, signe de son agacement.

— Naël. Tu ne peux pas m’annoncer que ce qu’il s’est passé ne va pas me plaire sans m’en dire davantage. Il redresse la tête vers lui. Qui a osé porter la main sur mon frère, sur un prince de Djinn ? Dis-le-moi ou je vais de ce pas écumer toutes les rues de la capitale pour traquer la moindre âme suffisamment pourrie pour s’en être prise à toi.

Tarek n’est pourtant pas de nature violente, mais quand il est question de Naël, il peut montrer un tout autre visage et devenir un tout autre homme.
Son petit frère est le seul qui se soucie de lui, qui l’aime comme il est ; sa douceur est un modèle pour tous. Qui pourrait être assez fou pour s’en prendre à quelqu’un d’aussi bon et généreux ?

Tarek s’est juré de veiller sur Naël, depuis toujours. Et de voir qu’il a failli à sa mission, à cet objectif personnel, ça le met hors de lui.
Il est en colère, mais il a parallèlement envie de pleurer. C’est la peur qui provoque en lui une telle réaction. Il déglutit et pose sa main, légèrement tremblante, sur la sienne.

— Petit frère… Naël… je t’en prie… Par Lotienix, donne-moi une seule raison de ne pas mobiliser l’armée pour mettre à mort le coupable.

Il n’a aucun droit de vie ou de mort sur quiconque, il le sait bien.
Mais pour sa famille, pour Naël, Tarek est capable de tout.

Les yeux de Naël trouvent les siens, et Tarek ne s’en dérobent pas, essayant de comprendre. Ou essayant plutôt de trouver la force de ne pas lâcher la main de son frère pour descendre dans la capitale.

Son petit frère s’explique enfin, avec une sorte d’hésitation, ou plutôt avec sa timidité habituelle. La réaction de son frère aîné n’a sûrement pas du le rassurer dans cette épreuve. Mais Tarek prend sur lui, le laisse parler sans l’interrompre tout en essayant de reconstituer ce qu’il vient de se passer.
Et c’est une vision qui l’effraie au plus haut point.

Les yeux de l’aîné se ferment alors qu’un soupir franchit la barrière de ses lèvres ; il porte sa main à son visage avant de se rapprocher, ses bras venant entourer la silhouette de son petit frère. Il connaît bien sa nature, le blâmer ne servirait à rien ; on ne peut changer la nature profonde de quelqu’un. Aussi, si Naël a le cœur sur la main, il faudrait faire avec.

— Naël, calme-toi…

A-t-il un jour été efficace pour rassurer quelqu’un ? Sans doute pas.
Mais son amour pour son petit frère n’est un secret pour personne, et encore moins pour le premier intéressé. Tarek prend soin de caresser ses longs cheveux blancs, cherchant les bons mots pour l’apaiser. Mais sans minimiser l’incident.

— Tu as été très courageux pour protéger ton ami… Mais tu as été très imprudent également. Il soupire doucement, s’écarte à peine sans rompre le contact. C’était une pensée noble que tu as eu d’intervenir. Mais qu’est-ce qu’il se serait passé s’il avait été armé d’une épée ? La pensée de trouver son frère mort lui glace le sang et il se crispe à cette vision. Naël… je… je ne veux plus que tu recommences quelque chose d’aussi dangereux.

Il réalise qu’il n’est sans doute pas à sa place de lui dire des telles paroles, elles reviennent à leur père ou leur mère. Mais Tarek n’a jamais eu de cesse de couver ce petit frère qui lui rend son amour.

— Si Père apprend que tu as été dans les bas-quartiers… Il ferme brièvement les yeux. Il finira forcément par l’apprendre un jour ou l’autre, c’est le Roi. Je ne peux pas promettre que ton ami et sa famille ne soient pas punis pour avoir attenté à la vie d’un prince de Djinn. Que ce soit volontaire ou non…

Une pause lourde de sens durant laquelle Tarek se détache de Naël.
Il réfléchit aux alternatives, aux décisions que son père pourrait prendre. Lui-même, il y a quelques minutes, était prêt à prendre une escouade pour aller traquer le scélérat qui a osé blesser son frère.

Mais punir un habitant pour son comportement alors que Naël n’aurait jamais dû se trouver là… ce serait provoquer la colère du peuple. Pour autant, cet acte ne doit pas rester impuni. Tarek soupire, se rendant compte que ces questions là relèvent d’une personne bien plus diplomate et sensée qu’il ne peut l’être.
Il tourne finalement la tête vers Naël.

— Comment as-tu rencontré ce garçon ?

Tarek voit bien que ses mots sont certainement durs à entendre pour son petit frère, mais il ne sait pas comment le formuler autrement. Son cœur se serre inévitablement en voyant l’émotion dans le regard et la voix de Naël. Un soupir discret franchit ses lèvres et il le rejoint une nouvelle fois.

Il a toujours été proche de Naël, et ce depuis sa naissance. Peut-être un peu trop.
Toujours en train de le couver, de l’infantiliser. Avec le temps, Tarek prend conscience que ce n’est pas lui rendre service que de le traiter comme un enfant. Il s’améliore de jour en jour alors que Naël grandit. Mais l’aîné ne peut s’empêcher de vouloir veiller sur lui.

Un peu à la manière de Geb lorsqu’ils étaient petits.
La façon dont il aurait aimé être traité par ce grand frère qu’il admirait tant. Ce frère qui l’a laissé pour compte quand la gloire l’a éclaboussé. Quand leur père a fait de lui son unique préoccupation.
Tarek ne veut pas que Naël ressente la solitude et l’abandon qu’il a lui-même ressenti quelques années en arrière.

Le second prince l’écoute donc conter l’histoire de sa rencontre avec le jeune garçon qu’il a sauvé plus tôt. Et il cligne des yeux quand son petit frère évoque les chats.
Il reste interdit un instant, le laissant poursuivre tout en le fixant avec des yeux ronds comme des billes.

— Un… chat.

Un bref instant de silence, et Tarek lâche un rire.
C’est rare, toujours bref, mais surtout toujours sincère quand ça se produit.

— Tu me surprendras toujours, petit frère. Suivre les chats dans tout Héliopolis et te faire des amis grâce à ça… il n’y a qu’à toi que cela pouvait arriver.

Il est attendri et ne peut s’en cacher.
La pression redescend naturellement. Il secoue doucement la tête, venant caresser doucement les cheveux de son cadet tout en reprenant place à ses côtés.

— Naël, j’aimerais que tu me fasses une promesse. A moi, mais au reste de la famille aussi, même s’ils ne sont pas là. Je pense pouvoir parler au nom de tous sans trop me fourvoyer… Une légère pause. J’aimerais que tu sois un peu plus prudent à l’avenir… Loin de moi l’idée de t’empêcher d’aller où bon te semble mais… Il soupire doucement. Naël, je ne pourrais pas supporter de te perdre pour des choses aussi… triviales. Il cherche ses mots, secoue finalement la tête. Je ne suis pas aussi éloquent que notre prestigieux grand frère, mais j’espère que tu pourras me comprendre.

Tarek n’est pas nécessairement doué avec les mots.
Même s’il n’a rien contre les balades de son petit frère, il condamne le manque de prudence de Naël. Ces chats auraient pu le conduire dans un coupe-gorge et il aurait pu être attaqué sans que rien ni personne ne puisse le savoir ou lui venir en aide. Cette pensée le terrorise.

— J’espère que tu me pardonneras un jour de vouloir te couver comme je le fais… Il tente un sourire. Mais pour ma décharge, tu ne me facilites pas la tâche, Maître Félin.

Il a fait naître sur les lèvres de son frère un sourire, et c’est l’un des plus beaux cadeaux qu’il puisse lui faire. Savoir Naël triste est très douloureux pour lui. Il ignore pour quelle raison il tient tant à le savoir heureux, et en sécurité. A le protéger de tout.
Est-ce son rôle de frère aîné qui dicte sa conduite ? Sans doute, mais il y a forcément autre chose. Quelque chose qu’il projette sur son petit frère.

Peut-être le sentiment de ne pas être aimé.
Tarek ne veut pas que Naël puisse un jour ressentir ça, encore moins de la part d’un des membres de la famille. Il sait à quel point ça peut être douloureux. Lui qui ne semble pas trouver grâce aux yeux de leur géniteur, ni aux yeux de Geb. Sans doute aussi de leurs sœurs. Son comportement n’aide certainement en rien.

Voir Naël avoir cependant le sentiment d’être dans une prison dorée le fait culpabiliser.
A trop le couver, il entretient, voir accentue, ce sentiment chez son petit frère. Il devrait faire des efforts. Au moins pour le bien-être de son frère.
Son auriculaire se nouant au sien, Tarek comprend que Naël a bien l’intention de respecter sa promesse. Un nouveau sourire étire les lèvres du prince aîné. Il est à la fois rassuré et confiant.

La main de Naël vient alors ébouriffer ses cheveux et Tarek cligne des yeux, surpris et désarçonné par son geste. Est-ce qu’il essaie de le rassurer ?
L’intention le touche profondément. Mais son cœur se serre à ce contact. Le dernier à avoir frictionné ainsi ses cheveux n’était autre que Geb, il y a quelques années déjà. Il réprime une grimace éphémère à la simple vision de son visage dans son esprit. Moue bien vite remplacée par une expression plus tendre alors qu’il chasse doucement la main de son petit frère pour mieux de redresser.

— Je t’aime aussi Naël. Je vais te laisser te reposer un peu, Mère ne devrait pas tarder. Je reviens plus tard, d’accord ?

Un sourire puis un baiser sur son front, et Tarek s’éclipse doucement.
Une fois le pas de la porte passée, son visage se ferme, sa tendresse disparaît.
Et un voile sombre habille son regard.

L’argenté ne remontre le bout de son nez que quelques heures plus tard, quand Naël est enfin autorisé à quitter le cabinet médical royal.
Tarek a pris soin de ne pas croiser les autres membres de la famille, préférant retourner voir son petit frère seul. Et pour cause, il est armé de deux grosses capes à capuches, généralement utilisées pour les excursions dans le désert, afin de se protéger du soleil ardent.

— Comment te sens-tu ? Suffisamment en forme pour marcher un peu ?

Tarek ne fait jamais de surprise.
Premièrement, parce qu’il n’aime pas ça lui-même.
Deuxièmement, parce qu’il n’a personne à qui en faire dans tous les cas.
Mais pour Naël, il est prêt à toutes les exceptions. Ou presque.

Le voilà qu’il passe la cape sur le dos de son frère, ajustant la capuche de sorte à ce qu’on ne le reconnaisse pas, mais tout en lui permettant de voir où il va. Puis il réitère l’opération sur lui avant de lui tendre la main.

— Est-ce que visiter Héliopolis la nuit en ma compagnie te semble un divertissement acceptable pour oublier cette triste mésaventure ?

Tarek a conscience que sa proposition n’aurait pas entièrement l’effet escompté.

Naël est passé par un traumatisme évident. Et si la plaie à son front finira par se cicatriser, que la douleur finira par s’envoler, son esprit gardera une blessure vivace.
Parce que son jeune frère est ainsi, le cœur sur la main et la main tendue vers les autres. Là où Geb et lui sont certainement bien plus égoïstes.

Tarek tend les bras, ajustant sa propre capuche avant de saisir doucement la main de son petit frère. Ses doigts se referment sur sa main de manière protectrice et tendre. Pour rien au monde Tarek ne laisserait les ténèbres envahir le cœur de Naël. Il lutterait pour qu’il continue à sourire.
Imaginer des larmes sur son visage innocent lui serre bien trop le cœur.

Et pourtant… même si les circonstances sont inhabituelles, ce sont des épreuves de la vie comme d’autres. Elles forgent le corps et l’esprit.
On apprend toujours de ses expériences, même les plus mauvaises.

— Quelques gardes nous suivront pour assurer notre sécurité si le besoin s’en fait ressentir. Mais ils resteront à distance. Il place son index sur ses lèvres pour lui intimer le secret. Père n’est pas au courant de notre escapade. Tâchons de ne pas faire d’esclandre. S’il venait à le savoir, ce serait problématique.

Pour Naël plus que pour lui.
Parce que, dans le fond, Darius a certainement perdu tout espoir en son deuxième fils depuis de longues années maintenant. S’il venait à se produire une quelconque mésaventure, Tarek en prendrait la responsabilité.

— J’ai informé Mère de notre sortie afin de ne pas l’inquiéter. Elle devrait faire au mieux pour occuper Père si nécessaire.

Sans aller jusqu’à la qualifier de mère laxiste, la Reine de Djinn est bien plus permissive et compréhensive que son époux le Roi. Quand bien même elle en appelle toujours à la prudence, elle base ses décisions sur la confiance. Le fait de l’avoir informée de cette sortie était donc la meilleure chose à faire.
Mais Naël n’a pas besoin de savoir tout ça.

Les deux princes quittent donc le palais, main dans la main, pour rejoindre les rues encore animées et éclairées de la cité d’Héliopolis.

La vie nocturne de la capitale est différente de celle diurne.
Ce sont des éclats de rire, des effluves nouvelles, des musiques entraînantes. Comme si le coucher du soleil réveillait en chaque âme un besoin de festoyer, de célébrer la journée de labeur qui s’achève enfin.
Depuis l’un des balcons du palais, Tarek a déjà entendu et vaguement aperçu les habitants, mais il n’avait jamais vraiment eu l’occasion de s’y rendre.

Le prince ne lâche pas la main de Naël, par peur de le voir s’engouffrer dans les allées et de le perdre de vue, certainement. Ou peut-être qu’il n’a pas réalisé qu’il emprisonnait toujours son frère. Toujours est-il qu’il finit par se stopper quand il aperçoit un chat.
Il le désigne à Naël puis le libère de son emprise pour mieux s’approcher du félin.

Il tend la main avec un respect évident puisque la petite créature constitue un animal sacré et vénéré sur les terres de Djinn. La boule de poils renifle les doigts du prince avant de miauler et de bondir vers lui, se servant de son épaule dans l’unique but de rebondir et de rejoindre le sol.

Le chat ne tarde pas à venir se frotter aux jambes de Naël en ronronnant, faisant alors naître un sourire sur les lèvres de Tarek.

— C’est décidément de bon augure de voir que les chats t’aiment autant, petit frère…

Puissent-ils veiller sur toi pour toujours.

Les deux frères reprennent donc finalement leur promenade, sans manquer de faire quelques haltes pour grignoter quelques délicieuses spécialités préparées sous leurs yeux. Si les habitants les reconnaissent, ils n’en disent rien et les servent avec chaleur et enthousiasme.

Et la virée nocturne ne fait que commencer.