Le 7 septembre 1551.

C’était une grande pièce ornée de divers décorations murales précieuses. Les couleurs dorées et acres suivaient l’éternelle ambiance sereine et luxueuse du Palais. Des divan confortables et drapés des plus beaux motifs de la région sont à disposition pour s’y installer. A l’intérieur, des livres de diverses origines sont rangés dans les murs taillés pour les accueillir. Comme principal sujet d’intérêt, des meubles jusqu’au plafond, se trouvait des centaines de curiosités antiques, parfois des crânes de monstre et des pièces rares tenues depuis des générations par la famille Royale, de quoi ravir les amateurs de sciences et d’Histoire autour de la merveilleuse nation de Djinn. Oh, bien sûr les patrimoines culturels accessible au grand public n’ont rien a envier à la collection personnelle des Ramses, mais il n’est pas rare d’entendre les plus grands noms dans ces domaines aborder cet endroit comme un “privilège rare et savoureux pour les grands esprits”.

Geb, Prince matérialiste comme ses prédécesseurs avant lui avait goût pour les belles choses, mais également les étrangetés de ce monde dont ils tenaient à en comprendre les moindres subtilités, bien que cette passion prenne place progressivement dans son propre bureau avec quelques trésors de ses voyages diplomatiques.

Bien sûr, rares sont ceux qui sont invités à y entrer puisque ces objets, d’une rareté sans nom, sont des vestiges d’un passé dont le Prince se doit d’en connaître les ficelles.

Il n’était donc pas étonnant qu’il prenne plaisir à coordonner en quelques occasions une réunion d’étude sur les découvertes historiques entourant Djinn et les divinités ou bien de laisser à quelques chanceux l’occasion de découvrir quelques pièces de la collection royale, bien qu’à présent ces échanges se soit transformé en un club élitiste dans lequel quelques grands noms de la société scientifique se plaisent à répondre présent au rendez-vous.

Et aujourd’hui, plus qu’autre chose était une réunion importante : Geb devait prochainement entreprendre son voyage pour la Tour avec son frère et quelques membres de l’armée et les rumeurs concernant l’entrée de l’Archevêque à l’intérieur n’a de cesse de faire parler d’elles.

- “Votre Altesse, pensez-vous qu’il soit raisonnable d’entrer dans cette Tour ?” s'inquiète l'un d'eux, “Jusqu’ici personne à notre connaissance n’en est sorti.”
- “Je doute que l’Archevêque ait décidé de prendre un tel risque sans s’être assurée de pouvoir en ressortir.”
- “Il s'agissait d'une folie, pour commencer.” marmonne un autre, “Depuis la tragédie d’Ios, j’ai entendu dire qu’elle se serait montré bien plus frêle. Peut-être que ses actions sont, de ce fait, plus inconscientes?”

Des rumeurs, encore et toujours. Geb entrelasse ses doigts et soupire.

“Ou bien, est-ce le fruit d’un ordre Divin. Pensez-vous qu’il s’agisse réellement d’une simple folie de sa part ? Certes, l’Archevêque a fait preuve d’une grande empathie envers son peuple, mais je n’irai pas jusqu’à penser qu’elle agisse impulsivement à présent.” Ses yeux se ferment brièvement, las, “Nul doute que les Hautes Sphères d’Ios ont eu leur mot à dire à ce sujet et que les décisions prises ont été mûrement réfléchies. Accordons encore un peu de temps à cela, avant de mettre nos cœurs en berne.”

Il prie, lui-même, pour que son instinct ne le trompe pas. Parmi les noms cités se trouvait après tout le Seigneur de Nordahl, ainsi que cette guide de Daishan dont il a apprit le savoir-faire de Kanagawa. Il prie pour eux, qu’ils donnent tort aux rumeurs de l’annonce de leur disparition.

Pour eux, et pour tout Cheldis.
Si même l’Archevêque n’est pas capable de revenir d’une des maisons divines.
Alors ils sont perdus.

Geb profite que la conversation dévie sur un tout autre sujet pour se lever, un sourire aux lèvres, en direction de la femme s’étant invitée dans le cabinet. Des salutations timides accueillent la femme tandis que la conversation passionnée ne s’arrête pas. Ils savent bien souvent que cette femme attire l’attention du Prince et que cette dernière ne s’en cache même pas.

Tant est si bien que beaucoup se sont déjà interrogés sur la relation les unissant tous les deux. Serait-ce la maîtresse du Prince Héritier ? Une prétendante ? Les rumeurs se multiplient sur les amourettes du Prince Geb Ramses, mais pour cette fois il ne s’en offusque pas quand il s’agit de Lycoris.

Tout cela n’est qu’un jeu dont eux seuls connaissent les règles, après tout.

“Dame Lycoris.” sa main vient élégamment chercher la sienne, effleurant de ses lèvres le dos de sa main. Il la laisse rejoindre sa place alors qu’il somme un serviteur non loin d’apporter de quoi désaltérer sa convive.

Il trouve place à nouveau à côté d’elle.

“Je me porte convenablement.” Autant qu’il pourrait l’être après avoir été rappelé à l’ordre sur l’importance de répondre à quelques besoins vitaux par sa vassale. “Vous me voyez ravi de vous voir toujours aussi ravissante.” Il s’abstient de lui parler de la Tragédie d’Ios, mais il y pense malgré lui. Son regard brille de curiosité, sa chaise se tourne vers elle et sa main arborant multiples bijoux somptueux vient se poser à son menton, attentif.

“Dites-moi tout, ma tendre amie. Ces derniers mois ne m’ont pas permis d’assister aux récentes festivités.” Pour les rares d’entre elles qui se sont maintenues malgré les évènements d’Ios. “J’espère ne pas vous avoir trop manqué.”

Le regard de Geb longe son amie avant de reporter son attention sur son visage éclairé. Oh, Lycoris est une très belle femme et les Dieux savent qu’il lui est déjà venu une fois l’envie de céder à cette envie d’en découvrir plus.

Mais comme une envie soudaine et dévorante, celle-ci s’est estompée au profit d’un attachement tout particulier envers la jeune femme. Ce qui est, finalement, encore mieux que s’il s’était contenté de la laisser à son triste sort une fois sa folie soudaine appaisée.

Lycoris est ce genre de femme que l’on remarque facilement et qui, porte tout son intérêt et sa fascination quand elle laisse son esprit s’envoler à quelques taquineries. Elle qui semble avoir perdu énormément des années auparavant et qui malgré tout arbore un tendre sourire en conversant avec le Prince comme si de rien n’était.

Peut-être se ressemble-t-ils dans le fond, lassé des jeux de la cours, ils s’y mêlent pourtant comme d’une manière ironique de s’en détâcher.

Parce qu’ils aiment cela.
Parce que cela n’a pas plus d’importance que tout le reste.
Et qu’au final, Geb y tire quelques intéressantes conclusions quand certains de leurs sujets anecdotiques viennent trouver le Prince avec tout un sac de mensonges et de faux semblants.

Il les voit, grâce à Lycoris.

Son sourire s’étire un peu plus, amusé. “Qui ne voudrait pas vous faire des avances, après tout ?” Lui-même s’était laissé tenté à l’époque.

Le corps penché, il l’écoute avec une attention toute particulière alors que son sourire dédaigneux envers ces personnes dont Lycoris raconte les aventures se perd à ses lèvres.

“Mérite-t-il seulement votre attention, Ma chère Lycoris ?”

Il se pince le menton, cherchant une réponse appropriée à ce genre de problème léger. Puis finalement, il laisse sa main se perdre dans quelques tours grâcieux en poursuivant :

“Nul besoin de vous attirer les foudres de l’un ou l’autre, si vous voulez mon avis. Lorsque vous verrez ce couple à nouveau en soirée, faites donc porter une missive à cette très chère dame qui se chargera elle-même d’en faire ce qu’elle voudra. Après tout, être l’oiseau de mauvais augure n’est jamais vraiment une place de choix, et vous pourrez vous gausser de voir au loin cette pauvre mégère lancer ses chausses ou bien son verre sur son mari qui niera en bloc avec des rougeurs aux joues.”

Il lève sa tasse pour la laisser rejoindre ses lèvres.

“Les histoires d’infidélités sont plutôt monnaies courantes à bien y penser. La dernière fois un de ces barons d’Althéa s’était vanté de pouvoir compter sur son tableau “de chasse” plusieurs jeunes femmes de différentes régions.”

Il marque un temps, laissant le suspense planer

“Chose amusante de voir que trois conquêtes semblerait être un exploit remarquable d’après lui.” Il lève les yeux au ciel. “J’ai ouï dire que d’autres ne sont plus capable de les compter sur les doigts tant la liste de femme est particulièrement longue.”

Pas pour lui en tout cas, il lui est déjà arrivé dans sa jeunesse de trouver homme ou femme pour satisfaire une libido un peu trop présente et une frustration grandissante, mais il s’est toujours arrangé pour qu’ils ne soient que des relations de passages, des hommes et des femmes qui le remercierait presque de leur apporter un semblant de notoriété pour avoir sû attirer le regard d’un Prince.

“Avez-vous été tenue au courant, d’ailleurs ? Père souhaiterait me voir trouver ma future épouse avant mes trentes ans.”

Tout cela est d’un ennuis, lui qui est pourtant homme à se montrer indisponible et froid envers les multiples tentatives ne s’imagine pas qu’une femme parviendra à lui faire renoncer à ses principes.

“J’espère avoir votre soutien pour trouver la perle rare… ou au mieux éviter au plus vite les gourdes et les potiches.”

L’écoute attentive, la tasse de thé se porte à nouveau à ses lèvres, s’abreuvant d’une petite gorgée qu’il déguste d’une légère caresse de sa langue sur ses lèvres. Il avait demandé avec son expérience du thé de Kanagawa. Si ce dernier n’était pas le plus plébiscité par le peuple en raison de la tension entre les deux régions, il était prince à pouvoir répondre de ses caprices sans se sentir gêné de l’assumer.

Et puis après avoir goûté le thé au Long Jing, même le plus récalcitrant des habitants de Djinn ne peut que reconnaître la qualité exceptionnelle de ce thé.

“Vous recherchez donc l’amour véritable. C’est un bien beau rêve que voilà” s’amuse-t-il à la taquiner. Leur père, le Roi Darius avait la “chance” sans doute d’avoir trouvé en la femme d’un comte sa moitié, une femme d’exception qui avait tous les avantages requis pour devenir la Reine de Djinn sans que son intégration ne soit trop complexe.

Mais comme on le lui avait souvent dit : ce genre de choses n’arrive qu’une fois tous les trois à régents, et bien souvent pas auprès de la première relation.

Ou alors l’amour s’estompe quand on l’imagine sincère et résistant. Voilà ce à quoi pouvait prétendre le futur Roi de Djinn. S’en soucie-t-il ? Non, il s’était déjà enfermé dans l’idée de ne pas avoir un mariage d’amour. De tendres affections, sans doute. Mais il ne pourrait certainement pas se défaire à l’idée de trouver amant ou amante quand la femme se trouvera alitée et incapable d’être approchée à cause de l’héritage qui gouverne son ventre ou bien la passion qui disparaît avec sa beauté.

Cruel est le Prince qui se sait être un mauvais époux avant même d’avoir essayé. Il se plaisait trop à être le centre de l’attention, à plaire pour s’imaginer se vouer corps et âme à une femme qui ne lui donnera plus de plaisir ou s’estimera ne plus avoir besoin de satisfaire son époux.

“Je me le demande, Lycoris…” Mais il s’abstient de parler de son cas avec elle, après tout, il peine déjà à se rappeler du nom des personnes qui ont visité sa couche, alors pouvoir les dénombrer était une chose impensable.

Il n’était pas non plus un sauvage.

Un fin sourire s’étire davantage, la voir manquer de s'étouffer rien qu’un instant à la nouvelle de ses potentielles fiançailles l’amusait. Il s’attendait à une réaction de ce genre, surtout venant d’elle. Lycoris connaît les penchants un peu dissipé de Geb Ramses bien qu’il ne s’abstienne de se montrer comme un butor auprès des gentes personnes de son entourage. S’étouffait-elle à l’image de ce cher Prince marié ? Doutait-elle de sa sincérité ? Il l’ignore et s’en moque éperdument à vrai dire.

Cela ne la rendait pas moins appréciable et, lui-même ne s’estimait pas être de moins bonne compagnie à cause de cela. Il savait se tenir.

“Je le trouve particulièrement laxiste pour ma part, bon nombre de jeunes femmes sont déjà mariées avec des enfants à l’âge de 24 ans. Mes sœurs peuvent s’estimer heureuses que père tienne aux valeurs instaurées par…”

Le terme ne sort pas.
Il est trop tôt encore pour laisser planer son nom entre ses lèvres. Il ferme les yeux, balayant sa phrase comme s’il venait de la terminer.

“Quoi qu’il en soit, j’ai pleinement confiance en vos capacités. Je sais que vous m’éviterez au moins de perdre mon temps sur des femmes de peu d’intérêt.”

Un instant.
Lycoris lui demande quelqu’un a su attirer son attention.
Une absence, un visage marque son esprit.

“Je suis navré cher Prince, mais je meurs d’envie de vous embrasser sur-le-champ.”

Et une nouvelle fois, son esprit balaye cette pensée. Ce n’est qu’une obsession qui disparaîtra avec le temps comme la première fois. Les rêves de ces dernières nuits ont simplement obstrué son esprit. Voilà pourquoi il repense à cette vieille affaire.

Un sourire amusé, son regard longe Lycoris, enjôleur.

“Il y a bien quelqu’un qui a su faire battre mon cœur le temps d’une soirée, mais je doute que cela soit dans nos plans à tous les deux.”

Ce qu’il aime jouer avec Lycoris, même par taquinerie. Un rire bref et finalement, il détourne la tête vers la fenêtre.

“Je n’ai guère le temps pour ce genre de choses, vous le savez bien. Alors disons que j’ai passé l’âge depuis longtemps de croire aux histoires d’amour. Mon père a peut-être trouvé l’amour à l’époque où sa vie n’était que chaos, mais ne dit-on pas que c’est dans la détresse que les battements du cœur se confondent avec l’espoir d’un amour véritable ?”

Geb n’était pas un romantique dans l’âme, il ne croyait pas non plus qu’il serait capable d’aimer ou d’être aimé par une personne censée qui n’aurait d’yeux que pour lui et non pour la place de choix à ses côtés.

C’est ainsi.

“Mais n’est-ce pas là où le défi est le plus intéressant, ma chère Lycoris ? Aider un Prince aussi aigre que ma personne à trouver un semblant d’amour dans un mariage voué à d’autres desseins ?”

Même s’il le lui demande, il doute qu’elle soit capable d’y parvenir. Mais pourquoi pas ? Au mieux, la personne que Lycoris lui trouvera sera intéressante.

Au pire, cela lui donnera une occasion de taquiner gentiment son amie de n’avoir pas su l’aider.

Quand Geb entend la propre réflexion de Lycoris sur le sentiment amoureux, il réalise à quel point ils se rejoignent sur de nombreux points. Sans doute s’est-il arrêté de croire en l’amour parce qu’il lui était impossible de l’avoir, peut-être parce qu’il a rapidement compris qu’il lui serait difficile d’en comprendre la complexité.

Et que le monde dans lequel il se destinait ne permettrait pas qu’on lui autorise certaines choses sans en payer lourdement les conséquences pour lui et la prestigieuse famille Ramses.

Par respect, et probablement par crainte qu’une question retour lui soit posée, il préfère ne pas insister sur le sujet de cet amour perdu. Cela ne le regardait pas…

Pas pour cette fois, en tout cas.

“Je vois ce que vous voulez dire. Et c’est probablement pour cela que je m’intéresse davantage à votre opinion sur la chose que je ne le ferai moi-même.”

Un pouffement, semblable à une quinte de toux silencieuse s’échappe devant la crédulité de son amie. Un rire qui n’en est pas un, une manifestation presque maladive de ces années à laisser ses émotions prendre la poussière dans le fond de son coeur. N’avait-elle pas compris ? A moins que son petit jeu n’ait pas eu l’effet souhaité, dommage, lui qui aurait aimé la voir se sentir acculée de flatterie devant les regards parfois curieux des hommes de la pièce, s’imaginant voir alors une énième prestation de séduction de la part du Prince. Est-ce qu’il alimentait la conversation à leur égard ? Il ne le pense pas, ces hommes sont des éminents chercheurs qui profitent des logements des Ramses pour se retrouver et développer les réflexions sur l’Histoire.

Alors ce que le Prince fait de son temps, s’il se montre distrait par moment leur importait peu, au final.

“Et en quoi puis-je vous aider, dans ce cas, très chère ? Je ne suis pas du genre difficile, mais rare sont ceux qui parviennent à piquer pleinement mon intérêt.” un demi-mensonge, sans doute, Geb est extrèmement exigeant lorsqu’il s’agit de trouver la personne qui partagera sa nuit. Rare sont les chanceux à pouvoir glisser une main dans ses cheveux pour y trouver le plaisir d’un soir.

Mais plus rares encore sont ceux qui parviennent à arracher un frisson du Prince, plus rares sont ceux qui comblent pleinement ce dernier. Insatisfait. Il ne sait pourquoi.

“Mais sinon…” ses mots se perdent dans une syllabe sonore, le rappel de cette personne qu’elle n’estime ne pas être elle finit par le ramener à ce même visage.

Encore.
Toujours.
Obsessionnellement.

Ses lèvres entrouvertes, il ne trouve pas la manière d’exprimer parfaitement ce qu’il pense. Et puis un geste las de la main, il rétorque :

“Je doute qu’une telle personne existe. Mais… Imaginons qu’il faudrait que cette personne soit…”

Il ferme les yeux, s’imaginant autant que possible ce qu’il pourrait vouloir de cette femme.

“J’aimerais… Qu’elle me sorte de mon quotidien par ses simples mots. Que d’un regard suffise à m’extirper un instant de mon rôle lorsque le temps me le permet, et que sa présence apaise mon stress que vous connaissez particulièrement tenace.”

Il laisse une grande inspiration évacuer la soudaine chaleur dans sa poitrine.

“J’aimerais aussi… Qu’elle m’autorise d’une certaine manière à ne pas craindre l’apparition soudaine de mes défauts, bien qu’il n’y en ait pas énormément. Que lorsque je viens lui prendre un baiser, mes pensées s’envolent comme si rien de tout ce qui existe n’a d’importance en cet instant.”

Il rouvre les yeux, car lorsque finalement il termine son discours, il réalise que chaque trait se perd dans des souvenirs vagues et lointains qu’il a partagé avec cet être cher.

Qui n’existe plus que dans ses songes. Il se racle la gorge.

“Bref… Vous savez, ce que tout le monde attend d’une femme respectable et digne de mon rang. Qu’elle soit une bonne cheffe de famille, qu’elle entretiennent et dirige les serviteurs d’une main de fer.”

S’il ne s’était pas arrêté à temps, sans doute aurait-il rougit de s’être autant perdu dans ses réflexions.

“Impossible est le mot, en effet.” Geb replace une mèche de ses cheveux hors de ses yeux, il n’aurait pas pu mieux dire “C’est pour cela que je me contenterai d’une compagne qui saura piquer mon intérêt sans aller jusqu’à cet extrême” Et lorsque l’envie lui prendra, sans doute ira-t-il laisser son coeur s’aventurer à quelques fantaisies. Quel cruel destin que celui-là, quelle manigance honteuse que de se vouer à un mariage sans amour et à briser le coeur de sa compagne comme d’une promesse dissimulé entre ses voeux d’amour.

Mais quand vient le tour de Lycoris de plaisanter sur la similitude de certains critères avec elle, un souffle amusé s’échappe des lèvres de Geb. “Vous feriez une Reine d’exception que beaucoup me jalouserait d’avoir si tel était le cas…” Mais il ne le fera pas, car toujours dans son esprit bourgeonne une idée malicieuse dans laquelle elle et un de ses officiers se retrouveraient à roucouler dans les jardins désertiques de Djinn. Il ignore si cette histoire a eu une suite, mais il espère avoir l’occasion de les faire se recroiser à nouveau si tel était le cas.

Par simple caprice princier.

Puis la question fatidique, un moment de flottement et de calme peint les traits du Prince, et puis finalement c’est un nouveau regard vers la fenêtre qui couvre une brève émotion. Rêveur, oui sans doute était-ce le terme parfait pour décrire la façon on il s’est rappelé de la chose.

Comme d’un rêve, une illusion.

Et puis pourquoi le lui cacher ? Ce n’est pas comme si cela avait une réelle importance s’il laissait échapper quelques informations, tant que le nom n’était pas clairement cité.

“Je l’ai rencontré fut un temps, oui… Mais c’est une histoire vieille d’il y a dix ans donc il n’y a pas grand chose à en retirer, ma chère Lycoris. J’étais jeune, intimidé et encore en pleine formation pour devenir l’homme que je serai un jour. Nous nous sommes bien entendu mais nous avons finalement coupé les ponts avec le temps.” Un instant perdu dans cette agréable pensée, puis finalement un bref sourire princier étire ses lèvres. “Aujourd’hui il n’y a plus rien à retirer de cela et nous avons tous deux fait nos propres choix à présent. C’était… Une passion éphémère.”

Du moins, il le pense, pour Sasori.
Lui en revanche ne pouvait aller à l’encontre des paroles de Lycoris.
Oui, dès l’instant où Ryoji s’est présenté à lui pour lui parler de Sasori, il a ressenti quelque chose.
Oui, dès cet instant il a nié en bloc.
Oui, depuis ce jour ses pensées se perdent par moment à repenser à lui, à rêver de lui alors que rien n’aurait dû y revenir.

C’est comme si ce garçonnet avait ouvert une boîte qui n’aurait jamais du être ouverte, celle dans laquelle tous les maux du Prince sont enfermés pour que plus jamais il n’y repense.

“Mais… Cela était bien avant que je ne vous rencontre. Aujourd’hui vous êtes celle qui illumine mes soirées mondaines et mes séances de thé, ne doutez pas à présent que je n’ai d’yeux que pour vous pendant ces moments ma tendre Lycoris.”

Nouvelle flatterie, c’est un jeu dont il ne se lasse jamais avec elle.

Son sourire ne se perd pas lorsqu’elle la voit rougir, il ne peut pas se lasser de s’amuser de la sorte avec elle.

“Je le sais, je ne sais que trop bien ce qui circule sur nous, Lycoris.” il s’en amuse, car il s’imagine qu’au moins les rumeurs se montrent bien plus amusante que celles qui circulaient sur son amie et sa famille. On ne pouvait pas totalement empêcher les rumeurs de se propager, mais il pouvait au moins les contourner. “Mais je pense que c’est parce que les instigateurs de ces rumeurs sont de ceux qui ne vous ont pas vu à votre anniversaire l’année dernière.” Taquinerie, encore, toujours…

Bien que le temps ait changé et que les années où ils ne se préoccupaient que peu de ce qui les entourait était révolu, il y avait quelque chose de particulièrement agréable dans leurs conversations.

Elle lui amenait ce bol d’air frais dont il avait tant besoin, ce moment où il est ramené à l’importance de respirer, parfois.

“Aurais-je l’audace de vous mettre à ce rôle si je ne suis pas capable de m’y tenir ?” Il plisse les yeux, rieur. “Après tout, nous ne risquons pas de nous revoir avant un moment. Je ne vous l’avais pas dit Lycoris, mais je compte aller à Akielos prochainement. Je vais entrer dans la Tour d'Argos. Il est de mon devoir d'y aller par moi-même.”

De l’inconscience, lui avait-on dit, de la folie, même, car jusqu’alors personne n’était ressorti vivant de cette tour. Son père lui avait demandé de prendre son mal en patience, de voir si l’Archevêque reviendrait de son voyage avant de s’engager dans une mission aussi périlleuse.

S’ils perdaient l’Archevêque, la plus haute représentante religieuse, comment est-ce que l’élu des Dieux pouvait bien s’imaginer sortir de la Tour ?

Mais ils devaient comprendre, ils devaient se faire une idée de la Tour pour mieux la comprendre. L’analyser…

Geb est persuadé que cette Tour est la clé autour de ces catastrophes et tous ces phénomènes. Il devait donc s’y intéresser de plus près.

Le plus près possible.

“Je sais ce que vous allez me dire, Lycoris…” commence-t-il en soupirant, craignant que son amie ne vienne à l’en empêcher.

Geb retient ses mots dans le fond de sa gorge en regardant son amie, son expression emplie de joie et de lumière s’éteint progressivement en réalisant les mots du Prince. Oh, il n’aime pas cette expression sur ce visage, il l’a rarement vu jusqu’alors mais son présage n’est jamais bon.

Lycoris, qui est toujours si solaire, qui trouve toujours les mots pour extirper le Prince de cette morosité, de lui arracher parfois un sourire amusé, referme son visage comme une eclipse priverait du soleil.

Ses épaules se détendent, couvrant à son tour son expression bienheureuse devant l’inquiétude de son amie, même s’il ne pouvait qu’être touchée devant son intérêt pour lui, il était déraisonnable de prendre son changement comme d’un rien.

Aux paroles de Lycoris, il réalise que les regards des chercheurs se sont tournés vers eux. Bien qu’ils s’occupent de leur propres affaires lorsque Lycoris et Geb discutent, ils ne laissent pourtant pas échapper quelques brides de la conversation.

Un regard désapprobateur en leur direction, le Prince les voient rapidement se refermer sur eux-mêmes avant de désigner la jeune femme. Après tout elle venait tout juste de leur donner raison.

Geb soupire.

“Je… Je comprends votre inquiétude, Lycoris. Vraiment.” Et puis d’une voix plus haute pour répondre également aux curieux de la salle. “Mais c’est une décision que j’ai mûrement réfléchi comme vous dite et personne, ne me détournera de cela.”

A moins qu’on ne l’enferme, mais il a l’accord du Roi lui-même, quoi qu’on en pense.

Il quitte sa chaise, tendant la main vers Lycoris avec beaucoup de tendresse.

“Venez avec moi, Lycoris.” Il oublie parfois que les discussions peuvent être sources de curiosité ici également. Après avoir convié les chercheurs à poursuivre leur discussion en promettant de revenir discuter avec eux par la suite, il guide Lycoris loin de la pièce jusqu’à rejoindre les jardins royaux.

L’endroit n’est pas aussi verdoyant que partout ailleurs, mais la châleur n’a pas eu la tenacité des Ramses de profiter d’un merveilleux jardin dans lequel on a placé bon nombre d’arbustes et de plantes afin d’apporter de la verdure dans ce milieu où l’or brûlant domine.

“Comme vous le savez sans doute, L’Archevêque est elle-même partie à la Tour d’Argos il y a quelques jours de cela. Et… J’ai l’intime conviction qu’il ne s’agit pas là que d’un simple coup de tête. Elle reviendra et elle montrera à tous qu’il se possible de se confronter à cette Tour.”

Sa main se pose sur la sienne avec douceur, à la manière qu’il a toujours porté une grande attention aux femmes de son pays, à ses soeurs.

“Lycoris, j’ignore encore ce qu’il y a a découvrir, c’est vrai. Je n’ai pas la certitude d’y revenir en un seul morceau… Mais je vous promet que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour revenir. Je ne suis pas encore complètement fou.”

Il n’a aucune intention d’abandonner son peuple, ni même son pays sans un Roi pour le gouverner à la mort de son père.

“Vous savez… J’ai passé des nuits entières à lire les rapports sur les Tours, à réfléchir à la choses, aux événements qui sont suvenus. Mais je serai bien incapable de pouvoir me faire une réelle idée des enjeux auxquelles je dois me préparer sans y aller par moi-même. C’est mon devoir en tant que Futur Roi.”

Lorsque ses pas s’arrêtent, il lui désigne dans les jardins un espace un peu isolé entre les arbustes, devant eux, un petit point d’eau de pierre entouré de nombreuses plantes et d’un Khejri majestueux, en-dessous, il protège la statue de la défunte Reine-Mère. Une excentricité de leur père afin que tous puisse se rappeler de sa grande beauté.

Sa mère était belle, oui.
Elle était forte et douce à la fois.

Son regard s’attendrie avant de retrouver sa dureté habituelle d’un battement de cil.

“La Reine-Mère ainsi que mon père se sont toujours battus pour que Djinn puisse demeurer un lieu sûr, un endroit en constante évolution dans tout ce qu’elle fait. Lorsque le précédent Roi de Djinn, mon grand-père a perdu la vie à cause de la Fièvre du Désert, mon père qui était encore un jeune Prince a porté le fardeau de la couronne pour temporiser au mieux l’épidémie. Il s’est battu pour que le peuple puisse résister au mieux face à la maladie et la famine. La Reine-mère n’était alors qu’une guerrière de l’armée quand ils se sont rencontrés, mais elle a prit rapidement de l’importance dans l’événement comme dans le coeur de mon Père. Encore aujourd’hui nous ne pouvons que la remercier pour l’organisation qu’elle a déployé pour que les étrangers puissent vivre paisiblement en Djinn.”

Un soupire, même si employer le passé en parlant de sa mère est encore déchirant, il garde son sang-froid devant Lycoris.

“Tout cela pour vous dire… Que je ne compte pas rester les bras ballants à attendre que les choses se tassent d’elles-mêmes. Djinn aussi a beaucoup souffert des catastrophes naturelles, sans parler des monstres qui gouvernent le désert et les zones arides. Il est…” il hésite, son regard se perd un instant sur l’arbre devant eux.

“Des fleurs…”

Il croit rêver, il a toujours cru que cet arbre ne fleurirait jamais et encore moins en cette saison. Est-ce là l'une des conséquences des changements d'atmosphère depuis l'ouverture de la Tour ?  Il s’approche, laissant Lycoris derrière lui pour observer de plus près les branches colorées de l’arbre. Geb ne sourit pas, il en a perdu toute la sincérité depuis longtemps ormis quelques étirements de ses commissures, ses mots se sont perdu un instant, son regard a oublié de garder sa dureté le temps de cette découverte.

Essayait-il de la convaincre comme elle le soupçonnait ?

Sans doute. Il ne pouvait pas lui cacher sa modeste tentative de la rassurer du mieux qu’il pouvait. Mais il était ainsi. Geb connaissait la peur qui trahissait les traits de sa douce amie quand les choses venaient à tourner mal. Et certainement que le jour de l’annonce de l’ouverture de la Tour, comme de l’arrivée des monstres et des étrangers, la peur avait défiguré sa beauté de multiples rides. Et que dire des événements d’Ios ?

Il aurait aimé la réconforter ce jour-là si elle avait pleuré, la consoler dans ses bras, lui promettre que les choses s’arrangeraient.

Mais ce n’est pas le cas. L’étreinte de son bras se resserre un peu plus contre elle pour lui offrir toute la sympathie dont il peut faire preuve. Lycoris aurait sans doute mérité un ami moins courageux, mais présent.

“Lycoris…” tente-t-il alors qu’elle poursuit, soulève calmement sa position sous le regard attentif du Prince. Il ne saura pas calmer sa crainte, il le sait, quoi qu’il dise. Alors le mieux était encore de l’écouter, la laisser mettre des mots sur ses sentiments, arborer un sourire triste, empathique face à sa peine.

“Je vous le promets.” Il restera vivant. Il reviendra au moins pour elle, elle qui s’inquiète pour lui, Geb, et non cette représentation princière qu’on voit de lui. “Et je reviendrai avec des tonnes de choses à vous raconter. Ce voyage est aussi une façon de mieux appréhender les secrets qui entourent cette Tour. L’Archevêque a déjà partagé certaines d’entre elle à son retour, mais il est nécessaire, pour de nombreuses raisons, que je fasse également le voyage.”

Le Prince se devait de faire preuve de force et de courage, mettre sur son palmarès son voyage à la tour. Ce sera une image fort pour le peuple de Djinn, il le sait. Et au-delà, sans doute pourront-ils trouver des solutions au mal qui ronge Cheldis.

la vue de l’arbre en fleur près de la statue commémorative de sa défunte mère le conforte dans cet espoir. Des miracles peuvent survenir en tout temps, il espère que cela est un signe d’encouragement de sa mère, où qu’elle soit.

“Je ne sais pas si nous devrions nous en réjouir ou nous en inquiéter… Mais la vue reste belle.” souffle-t-il en se perdant dans la beauté du feuillage fleuri. Quand Lycoris lui indique quelque chose au pied de l’arbre, il l’invite à s’approcher avec lui prudemment.

“Eh bien… Cela m’en a tout l’air.” intrigué, il jete un coup d’oeil en haut de l’arbre à la recherche de réponse. “Mais pourquoi serait-il au sol ? Serait-il tombé ?”

Il hésite à s’en approcher afin de ne pas déranger la nature, mais si le nid n’avait pas tenu dans l’arbre que devraient-ils faire ? Le remettre à sa place ? Geb n’a jamais été très doué pour ces histoires de faunes et de flores, lui qui restait le plus souvent concentré sur ses livres et ses enseignements politiques en aurait presque oublié d’apprendre que les oiseaux construisaient des nids et pondaient des oeufs.

Presque.

“Peut-être… Devrions-nous le remettre dans l’arbre…”

La bouche formant un rond, le Prince Geb se laisse facilement embarqué dans les explications de Lycoris, alternant son attention entre elle et l’oeuf, il a regarde inspecter ce dernier de sa hauteur, se rassurant de le voir intact.

Chanceux, il l’était probablement pour n’avoir rencontré dans sa mésaventure un chat joueur ou toute autre animal voyant dans l’oeuf un festin de Roi.

Et soudainement le craquement le fait tréssauter, sans ouvrir la bouche, il ne craignait que finalement ce petit oeuf était bel et bien fragilisé de sa chute. Mais les mots de Lycoris le fait tourner sept fois sa langue dans sa bouche, bien heureux de ne pas avoir prouvé une fois de plus sa candeur face à la réalité du monde. Son regard se tourne alors vers l’oeuf dégourdit, dont la coquille perd en solidité progressivement, lentement.

Geb n’ose pas bouger, montrant un visage bien calme malgré son coeur tambourinant d’excitation tel l’enfant qu’il est. Puis s’impatiente un peu, combien de temps est-ce que se spectacle devait durer ? Ne devait-ils pas accorder un peu de leur force pour laisser ces petites pattes retrouver le sol ? Sa bouche s’entrouvre, mais à la vue des jours rosies de Lycoris, de son tendre regard sur ce spectacle, le dissuade de dire quoi que ce soit.

Ainsi soit-il, il attendra avec elle.

“Tellement petit que j’ai peur qu’il ne se fasse mal en sortant de sa coquille.” finit-il par admettre, pris au jeu de la découverte. Lorsque derrière eux les pas d’un garde s’approchent d’eux, que sa voix se prépare à faire preuve de sa présence, le Prince lève la main pour le faire taire.

Il se doutait bien de ce qu’il allait lui dire, mais il ne voulait pas l’entendre tout de suite.

“Attendez, soldat, nous profitons du spectacle.” dit-il, tel le Prince capricieux qu’il est.

Un moment de silence suffisant pour que les petites pattes de l’oiseau trouve le nid et s’extripe finalement de sa coquille. Son petit corps sans plume le faisait ressembler à un rat sans oreille ni pattes avant, et que dire de ces grands yeux clos qu’il imaginait globuleux ? L’animal manquait de grâce dans sa naissance, mais, dans le fond de son coeur, il ne regrettait absolument pas d’avoir assisté à ce spectacle, rien qu’une fois. Laissant à son amie la possibilité de l’observer encore, il se redresse pour discuter avec le garde à voix basse avant de soupirer.

Son père réclamait sa présence pour son rapport, et le Roi n’aimait pas attendre.

Il glisse un coup d’oeil vers Lycoris, avant de s’approcher d’elle.

“Lycoris, je suis navré, mais il va devoir que je vous quitte pour le moment. Le Roi réclame ma présence.” une pause, puis sa main prend la sienne. “J’aurais aimé resté plus longtemps avec vous… Qu’allez-vous faire de…” cette chose “L’oisillon ?”

Il était certain qu’ils ne pourraient pas le laisser ici, et si elle souhaitait l’emporter, le Prince n’y voyait aucun inconvénient. Rapidement, sa tête se tourne vers le soldat, lui ordonnant d’aider Lycoris à ses moindres demandes et à l’escorter ensuite jusqu’à ses appartements.

“Je ne suis pas certains de pouvoir vous revoir rapidement, mais profiter de votre séjour en Héliopolis comme il vous siera, je suis certain que ma soeur Isis se fera un plaisir de vous parler de ses nouvelles inventions.”

Quand lui était incapable de répondre aux besoins d’attention de sa soeur, il savait qu’il pouvait compter au moins sur Lycoris. Une dernière caresse tendre sur sa main, et il quitte les jardins pour reprendre ses fonctions.

Bien que les retrouvailles ne furent que de courtes durées, il aura eu le courage de lui parler de son voyage, et, même s’il n’aime pas la blesser, la voir essayer de l’en dissuader, de rester auprès d’elle, lui a réchauffé le coeur.

Au moins une personne qui attendra son retour de la Tour.
Au moins une…