Après l’étrange mission aux côtés de la jolie mercenaire à la chevelure de jais, tu es lentement remonté à Nagano afin de faire le rapport de ta mission. Sur la route, tu t’es laissé prendre par les nombreux paysages agricoles qui bordent le lac d’Izu. Cela t’a rappelé de nombreux souvenirs, lorsque toi-même, tu t’occupais des champs avec ton père, tandis que ta mère enseignait les préceptes d’Akielos aux enfants du village.

Un léger sourire fend tes lèvres.
La tristesse t’envahit malgré tout.

Ton enfant n’aura pas découvert cette aventure à tes côtés, bien que tu aurais voulu lui donner le goût de la nature et la satisfaction d’un travail fait avec ses mains. En te laissant happer par de telles pensées, tu as dévié ta route pour longer les rives du lac, perdu dans de lointains souvenirs, comme s’il s’agissait de moments visités de la vie d’un autre individu. Une autre personne, un enfant différent de toi qui pouvais encore sourire et faire des blagues, heureux d’aider son prochain.

En marchant, absorbé par le paysage, tu as entendu des pleurs et cela t’a immédiatement réveillé. Tu as tourné la tête dans tous les sens et accouru comme s’il s’agissait de ton propre fils. Un petit garçon, tombé au milieu d’un chemin terreux, pleure à chaudes larmes, les mains sur les yeux. Cette simple vision suffit à te faire doucement sourire. Il s’agit sans doute de la chute la plus dangereuse qu’il ait jamais subi vu à quel point il crie.

Les enfants font souvent du cinéma pour qu’on leur accorde de l’attention, tu le sais bien. Tu as eu un loustic de ce genre également dans ta vie à un moment. Tu t’approches du garçon, poses le genou à terre et regarde sa jambe légèrement égratignée.

« Eh bien ! Le combat contre ce monstre devait être féroce ! »

Il s’arrête de pleurer et te regarde sans comprendre le sens de tes mots.

« Tu es un garçon courageux, mais si tu pleures comme ça, tout le monde va penser que tu t’es fait battre. Et on sait tous les deux que ce n’est pas ce que tu veux, n’est-ce pas ? »

L’histoire semble prendre forme dans sa tête, et il essuie d’un revers de bras les traces de larmes sur son visage, fronçant les sourcils pour se donner une certaine constance.

« Voilà qui est mieux ! »

Grâce à ta magie blanche, tu guéris en seulement quelques secondes sa blessure, et émerveillé devant cette petite lumière de soin, l’enfant se met à te poser mille questions. Comment tu as fait ça. Pourquoi cette armure sur ton dos. Tout à coup, la chute précédente semble loin derrière. Avec toute la bienveillance du monde, tu accompagnes l’enfant jusqu’au champ à proximité pour retrouver sa mère. L’enfant raconte avec enthousiasme son aventure à tes côtés, en omettant le fait qu’il ait pleuré toutes les larmes de son corps pour une petite égratignure de rien du tout.

La maman, enceinte jusqu’au coup, épuisée par son travail dans le champ, te remercie vivement sans savoir comment te rendre la pareille. Ici, tu revois ta femme qui refusait de se reposer malgré son énorme ventre pendant à travers ses vêtements, convaincue que le monde s’arrêterait si elle cessait de soigner les gens. Tu avales la boule dans ta gorge et lui proposes de la soulager un peu en l’aidant.

« Je vous aide avec ce champ, ensuite vous irez vous reposer. Vous ne voudriez pas de complications pour votre futur enfant, il est important de ne pas franchir ses limites. »

Malgré son embarras, elle capitule bien vite suite à tes arguments, mais ajoute qu’elle te récompensera avec un bon repas à la fin de la journée. Avec un sourire amical mais vide, comme à ton habitude, tu entreprends de défaire ton armure afin d’avoir plus de liberté dans tes mouvements.

Ainsi commence la culture des champs de riz. Les pieds dans l’eau, tu fais de ton mieux pour suivre les conseils de la maman, tandis que le petit garçon, qui a probablement été touché par ta petite leçon de vie, met également la main à la pâte.

Les heures défilent. Le petit garçon est allongé sur le chemin, épuisé, sous la douce chaleur de Kanagawa. Tu as relevé tes cheveux dans une queue de cheval haute comme à ton habitude, mais cela ne suffit pas à éloigner quelques mèches de cheveux de ton visage, qui se collent dessus de manière désagréable.

Alors que la maman, Sango, revient te voir pour t’apporter une boisson fraîche, tenant son dos et son ventre avec une grimace de douleur, tu entends une voix derrière toi. Tu lèves un sourcil. Le garçon se redresse et regarde le nouveau venu avec une curiosité mal contenue. Tu te retournes pour observer la personne qui vient de s’approcher, et la première chose qui te saute aux yeux, ce sont ces cornes sur le haut de sa tête.

Puis ses oreilles pointues.
Puis ses vêtements.
Puis son allure.
Puis …

Vient-il seulement de t’appeler “humain” ?

Un léger froncement de sourcils alors que machinalement, tu lui rends son signe de tête.

« Je ne suis pas certain de vous apporter quoi que ce soit. Vous devriez plutôt demander à cette dame, elle saura vous renseigner mieux que moi. »

Une légère inclinaison, et tu t’éloignes de quelques pas pour continuer de t’occuper du champ. Bien sûr, avant de travailler de nouveau, tu prends quelques gorgées de la boisson gentiment apportée par la maman de Kohaku. La sensation de fraîcheur te fait un bien fou, mais tu n’as pas le temps d’en profiter que l’Amari t’ayant accosté plus tôt, revient à la charge.

Si tu as essayé de te débarrasser de lui, c’est fichu.

Que peut-il bien vouloir à un homme comme toi ? Tu n’es pas certain de mériter une attention aussi grande de la part d’un Amari. Si tu es méfiant de bien des choses, tu as pu constater que ces êtres supérieurs sont dotés d’une intelligence et de capacités utiles pour vos nations en guerre. Tu ne peux pas dire que tu leur fais confiance en réalité, mais tant qu’ils ne font pas de vagues, et tant que ta Shogun les autorise, tu n’as rien à dire. Tu n’as pas non plus le statut pour converser avec de tels êtres, surtout lorsque certaines espèces sont gouvernées par une Déesse en personne …

Vraiment, il y a de quoi se sentir inférieur.

Alors pourquoi insiste-t-il quand d’autres personnes plus intéressantes que toi se trouvent aux alentours ?

Si tu pensais que l’être venu d’une contrée inconnue de tout Cheldis allait suivre ton bon conseil et s’adresser à la femme que tu aides … Tu t’es trompé. Le malheureux revient à la charge, pire encore, il te suit. Tu fronces de nouveau les sourcils en le regardant fixement sans rien dire. Tu ne sais pas exactement ce qu’il te veut, à toi particulièrement, mais il semble être déterminé à empiéter sur ta tranquillité.

Avec une attention toute particulière, tu l’écoutes se présenter. Nagaraja est ce que tu retiendras pour ne pas lui manquer de respect, le reste est un peu difficile à prononcer, même en faisant des efforts mentalement, et puis il est habituel qu’à Kanagawa, les gens s’appellent par leur nom de famille. Il prononce des mots que tu ne connais pas après son identité, cela te fait plisser les yeux.

Plus il parle, plus tu te sens petit.
Minuscule.
Insignifiant.
Comme un brin d’herbe dans une forêt.
Comme un grain de riz dans un bol.

Envoyé par la Kami Bokteth … Rien que cette mention suffit à te faire frissonner et te donner l’envie de fuir. Il n’a aucune raison de t’accorder une importance aussi grande, tu ne mérites définitivement pas de converser avec une personne de son rang. Cependant, plus il défend sa cause et son point de vue, plus tu te sens dérangé. Presque insulté.

Si pour vous, Humains comme il vous appelle, vous êtes curieux de ces êtres Amari et émerveillés par leur culture, il ne te viendrait pas à l’esprit d’aborder les choses sous cet angle. Tu es perplexe. Tu fais souvent partie de ces gens doux et bienveillants qui écoutent, qui conseillent, qui méditent, mais tu ne sais tout simplement pas comment réagir face à ce tels propos.

C’est presque comme s’il parlait à des indigènes, un groupe de petits hommes non cultivés, qui ne parlent même pas la même langue. Sauf que tout ce qu’il raconte, tu le comprends, à l’exception faite de son rôle. Tu jettes un oeil à la femme enceinte non loin, et tu remarques aisément sa mine contrariée, voire agacée par un tel comportement de la part de cet Amari. L’enfant, quant à lui, ne cesse de le regarder avec insistance, curieux mais visiblement dérangé par quelque chose lui aussi, sans doute sans comprendre de quoi il retourne exactement.

Après son monologue, tu n’as pas bougé. Tu l’as écouté tout du long, essayant de digérer toutes les informations prononcées en si peu de temps. Tu le fixes sans trouver les mots pour lui répondre dans un premier temps. Tu es bousculé par le garçon qui vient s’accrocher à toi dans un réflexe de protection. Ta main se pose sur sa tête pour le rassurer.

« Ecoutez … Je ne sais pas quelle idée vous avez derrière la tête, mais vous dérangez le travail accompli ici et cette famille. Je ne voudrais pas manquer de respect à un être tel que vous, envoyé par la Déesse Bokteth, mais je ne peux pas vous apporter l’aide dont vous avez besoin. »

Tu t’inclines poliment. Puisque tu es l’objet de sa curiosité, tu devrais sans doute partir. Le plus gros du travail a été fait de ce côté du champ, elle devrait être tranquille pendant plusieurs jours jusqu’à ce que son mari prenne le relai. Tu t’inclines de nouveau devant la femme, et salut doucement le petit garçon, avant de porter ton regard sur l’Amari.

« Je ne peux pas vous aider, tout simplement parce que je ne suis pas agriculteur. Si vous voulez en savoir plus sur notre culture et comment nous travaillons, alors je vais réitérer mon conseil. Demandez à cette dame. »

Prendre la fuite pour éviter d’attirer l’attention est la meilleure solution en ce moment.

« Votre argent ne m’intéresse pas non plus, j’en suis navré. »

Tu plisses les yeux, alors que tes doigts remettent tes cheveux en place, desserrant l’élastique qui les maintient.

« Je n’ai rien à vous apporter, je suis formel. »

Tu t’inclines une nouvelle fois, par respect, et tournes les talons pour récupérer tes affaires. Après un regard vers lui à nouveau, non pas par provocation, mais pour saluer la beauté de ce personnage coloré, tu pousses un léger soupir et entreprends de rentrer à Nagano cette fois.