Une odeur d’abricot s’élève dans la rue. Tu n’as pas bien compris ce qui vient de se passer, mais tu te retrouves les fesses dans une bouillie de confiture. Tu regardes les énormes pots à tes côtés, renversés sur toi et sur les pavés sablonneux du marché. Il semble que ta malheureuse chute ait fait du bruit, car tu peux sentir de nombreux regards sur ton corps souillé de sucre. Une femme d’un âge avancé, torchon à la main, débarque sur les lieux et commence à râler sur la perte de ses produits sans même te voir.

Avec grand soin, pour ne pas glisser de nouveau, tu te relèves et regardes l’état dans lequel tu es. Tu laisses un soupir s’échapper de tes lèvres alors que ta main rejoint presque tes cheveux. Tu arrêtes ton geste, découvrant d’un regard que tes doigts sont collants de confiture. Enfin, la femme t’accorde un peu d’attention, coupant directement la réprimande qu’elle s’apprêtait à te lancer.

« V-vous êtes … »
« Veuillez accepter mes excuses, je ne sais pas comment j’ai fini dans vos confitures. »

Tu te souviens vaguement avoir été poussé par un chariot. Tu as dû trébucher, perdre l’équilibre et tomber. Tu ne vois pas d’autres explications.

« Non non ! J'aurais dû mieux exposer ces pots de confiture ! »
« Allons, vous avez un stand et vous devez vendre vos produits. Il est normal qu’ils soient exposés- »
« Attendez, je vais vous aider. »

Bien que tu aies refusé son aide pendant plusieurs minutes, quoi qu’elle veuille faire parce que tu n’en avais aucune idée, tu comprends rapidement qu’elle ne te laisse en réalité pas le choix. Elle ferme temporairement son stand et te demande de la suivre. Les minutes qui suivent sont étranges mais pas désagréables. Cela te fait tout drôle d’être traité comme un enfant et une personne importante en même temps. Elle te dit de prendre tes aises, que si tu as besoin de quoi que ce soit, tu ne dois pas hésiter, mais son instinct maternel est si développé que malgré sa politesse maladive et son embarras, tu te sens comme un gamin. La femme te propose un bac d’eau dans sa maison, avec quelques senteurs typiques du pays, déposant quelques vêtements amples sur un banc. Tu n’avais pas prévu de prendre un bain mais tu dois avouer que vu la chaleur de ce lieu, ce n’est pas de refus.

Elle te laisse un moment d’intimité, durant lequel tu essaies de chasser la sensation collante qui couvre ta peau. Il te faut pas loin d’une demi heure pour avoir un semblant de propreté, même si tu as toujours le sentiment de coller à certains endroits, tu es certain que tu ne pourras pas faire mieux. Tu te sens aussi propre que les maisons akieloises en ce moment. Tu regardes les vêtements proposés par la maîtresse de maison, et si le sarouel noir ne te pose aucun soucis, tu décides de ne pas couvrir le haut de ton corps.

Il fait beaucoup trop chaud pour porter quoi que ce soit en réalité.

Lorsque tu rejoins la femme dans la pièce d’à côté, elle lève directement les yeux et se redresse. Tu la coupes dans son élan cette fois-ci, car tu as autre chose à faire.

« Je vous remercie pour votre hospitalité, et les vêtements. Je vais malheureusement devoir écourter notre rencontre, car une personne importante m’attend. »

En la saluant poliment, tu rejoins la rue principale pour remonter jusqu’au domaine des Ramses, les yeux levés sur l’imposante architecture des lieux. Pour sûr, Héliopolis possède sa propre identité et se démarque des autres pays, mais il n’est pas un pays où tu aimes traîner. La chaleur est quelque chose que tu ne supportes pas, au point d’en devenir aigri et de froncer les sourcils. Tu te présentes au palais, et bien que les soldats semblent se poser des questions sur ta venue, tes tatouages et ton imposante carrure font office de présentation. Tu n’as même pas besoin de parler que des titres sont énoncés, que les dos se redressent comme des I et que l’on te fait presque des courbettes.

Tu ne t’y feras jamais.
Tu n’aimes pas ça.

Même si, il faut bien l’avouer, cela a ses avantages.

Geb Ramses, le Prince Héritier de ce pays de sable, s’est absenté quelques instants semble-t-il. Et si la présence de Darius Ramses ne te dérange pas plus que nécessaire, tu préfères autant attendre la personne désirée dans un endroit calme, là où la surprise pourra atteindre son paroxysme. Ainsi, oses-tu demander si tu peux l’attendre dans son bureau, là où les oreilles n’iront pas se promener. Là où la visite se fera bien plus officielle.

Après quelques regards et quelques échanges courtois avec Darius Ramses, tu es accompagné dans l’immense palais exotique jusqu’à la porte du bureau de Geb, dans lequel tu es le seul à entrer. La pièce porte son odeur. Des documents sont fraîchement posés sur le bois du meuble principal, et des livres couvrent les étagères murales. Tu prends le temps de regarder, coin par coin, ce qui caractérise son “chez lui”. Cette pièce doit avoir de nombreux secrets enfouis dans quelques pages usées d’ouvrages plus ou moins anciens, là où personne n’irait mettre son nez pour trouver une faiblesse.

Tu t’approches de la fenêtre pour regarder en contrebas. Le soleil sur le sable te pique les yeux, tu n’es certes pas habitué à ce paysage ou à cette luminosité, mais tu te demandes vraiment comment l’on peut vivre ici. Ton oreille se tire vers l’arrière à l’entente de quelques pas dans le couloir. Des chaussures s’arrêtent devant la porte alors que tu te faufiles derrière, là où il ne pourra te voir.

S’il avance prudemment dans la pièce, probablement surpris de ne pas te voir, toi, de ta position, tu aperçois ses cheveux noirs couvrir sa nuque. Tu peux sentir son parfum s’intensifier entre les murs de ce bureau. D’un coup sec, tu refermes la porte, plaçant ta main sur ses yeux.

Un souffle. Un seul.
Contre sa nuque.
Un rictus. Un seul.
Contre son oreille.

« Vous n’êtes pas suffisamment prudent cher Prince de Djinn. Le Roi d’une autre contrée pourrait tout à fait vous prendre en otage … »

Oh tu peux déjà imaginer la tête qu’il a fait lorsqu’on lui a annoncé ta présence. Son petit cerveau de génie a dû s'arrêter un instant, en essayant de comprendre. Peut-être s’est-il levé directement de sa chaise, ou s’il était déjà debout, peut-être est-il resté ainsi, à se demander si on ne lui faisait pas une farce. Tu ne serais pas étonné de savoir qu’il a demandé à ce qu’on répète les mêmes mots pour être sûr d’avoir bien entendu.

Sasori à Djinn ?

En attendant dans ce bureau vide de son mais rempli de son odeur, tu laisses un petit sourire amusé tirer tes lèvres. Tu paierais pour voir sa tête ou entendre ses pensées en ce moment-même, bien que tu puisses aisément imaginer tout ce qui se bouscule dans son esprit en te rejoignant au plus vite.

Parce que, ce fait-là, tu n’en doutes pas.

L’information est suffisamment importante pour qu’il bouge ses fesses immédiatement et qu’il te rejoigne sans délai. C’est une sensation étrange que d’entendre ses pas derrière la porte, une forme d’excitation grandit dans ton ventre, provoquant quelques spasmes incontrôlés, et une envie complètement folle de le faire tien.

Comme une piqûre de rappel.
Pour te souvenir de ce que ça fait.
Pour graver à nouveau les sensations que cela procure.
D’avoir Geb, enfin, pour toi.

Tes actions traversent ta pensée, et lorsque le Prince s’aventure dans son bureau, vide de toute présence, tu le kidnappes entre tes bras, barrant sa vue, chatouillant son cou de ton souffle et de tes mots. Sous les doigts qui couvrent ses yeux, tu peux sentir ses pommettes se redresser lorsqu’un sourire effleure le coin de ses lèvres, dans un soulagement qui ne peut plus être contenu.

Son timbre de voix t’a manqué plus que tu ne veux l’admettre, provoquant de nouveau, quelques petites décharges dans ton ventre, s'immisçant vicieusement plus bas. De simples échanges, une friction innocente, et c’est tout ton corps qui se rappelle, qui se réveille, qui s’exprime.

« Audacieux est le comportement de ce Roi dans les prochaines minutes. »

Ta bouche glisse sur son cou pour le mordre. Il y a tant de choses qui se bousculent en toi à cet instant que tu ne sais plus comment les gérer, ou comment les contenir. C’est comme si, avoir Geb, près de toi, l’entendre, le sentir, le ressentir brisait tous les cadenas de ta conscience.



« Le Prince de ce pays est bien au-dessus du soleil. Pour qu’un Roi se déplace pour lui … Il est assurément exceptionnel. »

Il y a bien des manières d’aborder un Prince, héritier du trône du pays du sable. Bien des façons d’être un Roi, nouvellement couronné pour tenir tête à une horde de monstres lorsque l’ancienne Reine se retrouve dépassée. Il y a des étiquettes et des codes à respecter, les riches avec les riches, les pauvres avec les pauvres. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir eu une noble éducation de ton côté. Tu n’en as toujours fait qu’à ta tête, et tu peux certainement blâmer ta génitrice pour cela. La noblesse dans toute sa splendeur t’a dégoûté avant même d’avoir atteint l’âge de plonger dedans. Sa vanité et sa jalousie t’ont poussé à te rebeller, encore et encore, et tout faire pour ne pas lui ressembler.

Que dirait-elle aujourd’hui ?
Alors que tu es Roi.
Alors que tu es en train de tripoter un Prince.
Un élu des Dieux.
Qu’Akielos te pardonne si aimer est une faute.
Tu ne reculeras plus.

Le temps s’est écoulé depuis votre jeunesse, trop d’années passées sur un malentendu qui a brisé vos rêves d’adolescents, le fantasme d’un jour être uni et vivre heureux comme dans les nombreux contes qui existent à Cheldis. Tu n’as plus envie de laisser filer ta chance, tu n’as plus envie d’hésiter. Tu ne veux pas mourir avec des regrets.

Pas lorsque cela concerne Geb Ramses.



Tu essaies de reprendre ta respiration mais ton esprit n’arrive pas à redescendre. Tu plonges tes prunelles sombres dans celles de Geb et lui murmures quelques mots.

« Je déteste vraiment la chaleur de ton pays … »

C’est une sensation indescriptible que d’être avec une personne chère à son coeur. Cette union, tu l’avais espérée tant d’années, fantasmée durant ta naïve jeunesse, pensant que rien ne pourrait entacher votre lien. En un sens, aujourd’hui, même si le cours du temps a fait son travail et vous a éloigné pendant dix ans, n’est-ce pas la même chose ? Vous êtes adultes, Geb et toi, c’est vrai mais tu as l’impression de redevenir cet enfant joueur, qui le taquine, qui blague, qui sourit en coin à chaque occasion. C’est étrange, et en même temps si naturel, que tu es légèrement décontenancé par tout ça.

Tu as tant de manières différentes d’exprimer ton affection. Avec Geb, c’est quelque chose d’incontrôlable, comme si tu ne pouvais pas lutter.

Est-ce le contexte actuel qui te pousse à être si déraisonnable ?
Est-ce que l’absence de Geb dans ta vie pendant dix années aura eu raison de cette liberté ?
Tu prends conscience qu’il faut profiter de chaque instant.
Quoi que tu fasses.

Tu resteras fidèle à toi-même.
Tu l’as promis.

Le rire cristallin de ton amant te sort de tes pensées un instant. A-t-il déjà ri ainsi, à coeur ouvert ? Et si oui, quand était-ce, la dernière fois ? Tu le regardes, t’inspires de ce moment pour le garder au plus profond de toi. Tu ne sais pas quand tu pourras apercevoir ce tableau à nouveau, autant en profiter au maximum tant que tu le peux. Tu souffles par le nez en réponse, fermant un instant les yeux. Tu te redresses et d’un geste de la main, remets tes cheveux en arrière. Certaines mèches retombent, lourdes à cause de la sueur.

« Helsinki est le grand froid, pas Nordahl. »

Ses lèvres viennent caresser les tiennes avec une douceur spontanée. Tu restes un instant pantois devant cet élan naturel qui vient du Prince héritier de Djinn, qui, il n’y a pas si longtemps, ne voyait encore que le bout de son nez. Après un nettoyage sommaire, effaçant la conséquence de vos actes sauvages à peine terminées, tu jettes un regard au prince qui te tend une Hékastone de glace.

Tu lèves un sourcil.

« C’est apprécié, merci. Il semblerait que tu te sois adouci depuis notre dernière rencontre. Attention à ne pas te ramollir Prince de Djinn. »

Un léger sourire et tu passes la pierre fraîche contre ta peau, grognant de plaisir face au contraste de température. En te rafraîchissant, l’esprit distrait, tu regardes de nouveau les étagères du bureau, remplies de livres, et puis tes yeux se posent sur Geb, qui ramasse votre foutoir sans nom.

« Je suis certain de sentir tout un tas de choses, sauf le Sasori … Il m’est arrivé une aventure peu plaisante alors que je me dirigeais vers le palais. Cela dit, même si mes vêtements d’origine étaient loin d’être chaud, vous, les Djinns, avez bien compris la douleur des touristes. Ce tissu est léger, j’ai l’impression d’être nu. »

Léger sourire.

Ta main attrape doucement son poignet pour le tirer vers toi, alors que tes fesses se posent à peine sur le rebord du bureau. Ta main glisse dans sa nuque, tendrement, lentement, caressant ses mèches de jais qui touchent ta peau sans peine.

« Tes cheveux ont poussé. Et ta peau est plus foncée à nouveau. »

L’effet du soleil lui donne cet aspect de pain précautionneusement doré, une teinte qu’il avait finalement perdue en restant à Akielos. Approchant ta tête de lui, tu niches finalement ton nez dans son épaule, laissant le silence s’installer. Pour l’heure, vos mots ne sont pas utiles. Tu as simplement besoin d’écouter vos corps se retrouver, et sentir vos esprits se connecter.

CLorsque sa fierté est piquée, il répond à tes remarques en grinçant des dents. Ce qui te fait souffler du nez, amusé. Il est si facile de le faire sortir de ses gonds que tu te plais à le faire à chaque occasion qui se présente. C’est à ton tour de légèrement grimacer en te souvenant de cette aventure peu plaisante que tu avais vécue juste avant de mettre un pied dans ce palais.

Tu soupires.
Il n’y a rien à cacher de toute façon.
Et sans doute vaut-il mieux qu’il l’entende de ta propre bouche que par le biais de rumeurs déformées qui te présenteront de manières différentes.

« Un chariot m’a bousculé sur le marché, et je suis tombé dans des pots de confiture. »

En te rappelant la sensation collante de ta peau, tu as un léger frisson.

« Rien de grave, mais c’était loin d’être plaisant. Cela dit, la propriétaire de ces pots m’a généreusement offert une compensation. Voilà pourquoi je sens le Djinn et non le Nordahlois. »

Et rapidement, tu tires tendrement le prince contre toi pour le regarder, apprécier sa peau, son odeur. Tu le vois tel qu’il est aujourd’hui, sous le soleil qu’il aime tant, sous cette chaleur qu’il supporte plus que bien, dans des atours qui le caractérisent merveilleusement. Les mots de Geb caressent tes oreilles qui les accueillent avec grand plaisir. Tu ne pensais pas que de tels mots pouvaient avoir un effet comme celui-ci, tu ne pourrais d’ailleurs pas vraiment l’expliquer.

Tu te sens toi.
Mais une version apaisée.

« Nous avons passé beaucoup de temps ensemble après ta blessure … Je comprends ce que tu ressens aujourd’hui. Nous sommes soudainement séparés par des kilomètres de forêt, de mer et de sable … Il fut difficile de ne pas pouvoir partager nos expériences ou nos points de vue durant ce temps. »

C’est bien pour cela que tu es ici.
Et pour une autre raison également …

« Avant que je n’oublie … »

Tu sors de la poche de ton sarouel une petite boîte brune sculptée d’un soleil discret. Tu prends la peine de lui mettre sous le nez pour connaître sa réaction, et il ne te déçoit pas, car la surprise peut se lire dans ses yeux. Après quelques minutes où Geb se questionne, tu ouvres le couvercle pour dévoiler une bague d’or sertie d’une pierre précieuse bleue, rappelant la mer d’Althéa.

« Joyeux anniversaire Geb. »

Tu plisses doucement les yeux, et laisses un petit sourire amusé dresser ta bouche.

« J’espère que ce présent conviendra à un héritier désigné par les Dieux … J’ai beaucoup hésité sur ce que je pouvais faire, mais une bague me semble plus significative que tout le reste. Qu’en dis-tu ? »

Tu saisis l’anneau entre tes doigts et le lui tends.

« Le bleu te rappellera Althéa et la mer, ton aventure dans mon pays et ce qui nous sépare. »

Mais dans le langage des pierres, le saphir bleu est associé à la fidélité et la loyauté. Tu n’es pas le plus doué pour exprimer tes sentiments les plus bruts, mais avec ce cadeau, tu espères lui transmettre tes pensées sans avoir à en dire davantage.

« Disons plutôt que j’ai une réelle excuse pour être à moitié nu. Heureusement que Djinn est un pays où beaucoup de peau est visible. Ici, c’est chose normale. »

Tu plisses les yeux et le fixes un instant.

« Je sens ta moquerie contenue dans tes mots. Si tu veux tout savoir, la confiture avait bon goût, et la gente dame qui m’a aidée était plus embarrassée que moi. »

Tu ne vois aucune honte dans le fait d’avoir été bousculé. Si tu avais trébuché avec tes propres pieds, tu aurais probablement ri de ta bêtise, mais ce n’est pas le cas. Sans doute que le fait d’avoir des cuisses musclées ne permet pas à tes pieds de se rencontrer si facilement faut dire, l’écart entre eux est suffisamment grand pour- Ce n’est pas important. Tu te disperses.

Et si le Prince cherchait ses mots, tu ne lui laisses pas le temps de formuler une phrase de plus que tes gestes suivent ta pensée et lui présentent une boîte. Une boîte spécialement conçue pour lui, avec un soleil rappelant Djinn, rappelant le Prince héritier de ce pays chaud, comme au-dessus de tout et de tout le monde tout le temps.

Lorsque la mention de son anniversaire traverse tes lèvres, il semble descendre de son petit nuage. Il répète les mots machinalement comme une formule magique, comme des syllabes qu’il ne comprend pas. Tu lèves un sourcil, peu étonné qu’il ait lui-même oublié son propre anniversaire, et laisses un léger soupir s’échapper.

Tu lui laisses le temps de se rendre compte de ce que tu lui mets sous les yeux, de ce bijou pourtant simple, mais dont l’immense signification n’a besoin d’aucune demande. Les mots ne sont pas utiles pour exprimer totalement la nature de ce cadeau. Une promesse muette, dissimulée derrière un regard sincère et un silence quelque peu embarrassant.

La peau colorée de Geb te fait légèrement sourire, fier de l’effet que cette surprise a sur lui. Bien sûr, cela n’aurait pas eu autant d’impact si tu ne l’avais pas fait spontanément en mode Sasori. Tu es si imprévisible que même le fier prince de Djinn en a perdu la voix.

Tu souffles par le nez, amusé par sa question.

« Je ne m’en préoccupe pas. La preuve étant que je suis ici, sans demander l’avis de qui que ce soit, et sans prévenir. »

Sans aucune hésitation, tu attrapes l’anneau et plonges son doigt dedans. Main gauche. Annulaire. Soigneusement choisi parmis tous les autres que Geb peut avoir attachés à ses paumes. Tu agis avec un tel naturel, avec une telle confiance, que l’on pourrait croire que tu y as longuement réfléchi. Que tu as longtemps fait le film de ce moment dans ta tête et que tu sais exactement comment faire.

Mais tout n’est qu’improvisation.
Un peu plus de cérémonie pour faire rougir un prince à la peau déjà bien sombre.

A sa question, à ce sourire amusé, comme s’il venait de subir une désillusion, tu approches ta bouche de son oreille pour frôler avec provocation son cartilage de tes lèvres.

« Quelle interprétation espères-tu qu’il y ait de ce cadeau ? J’ai l’impression que tu as de folles idées en ce moment, Geb Ramses. Attention à ne pas te faire avoir par un petit Seigneur devenu Régent … Il pourrait bien profiter de ta naïveté pour t’épouser afin d’obtenir plus de pouvoir … »

Tu souris contre lui avant de te détacher de lui, posant la boîte sur son bureau, laissant tes yeux se faufiler sur ton environnement, l’air de rien. Tu sais que tu viens de le troubler. Il se demandera probablement si tes mots sont sincères, si la blague comprend une part de vérité ou s’il vient de s’imaginer ce que tu viens de lui dire. Il y aura peut-être un peu de fierté quant à ce rappel de différence de pouvoir, une réflexion que son Altesse Royale de Djinn avait faite presque un an auparavant à ton encontre. Va-t-il bomber le torse et râler ? Te regarder à la manière de te dire que tu n’es qu’un idiot. Ou va-t-il simplement garder le silence devant ta provocation ?

Laissant tes fantaisies s’entasser dans ton esprit, tu poses tes yeux sur le prince de Djinn, dont quelques cheveux se coincent derrière l’oreille par ses doigts. Sa chevelure est bel et bien plus dense et plus longue que lors de votre dernière visite, mais elle n’a pas perdu de sa brillance naturelle. Tu le sais, après tout, que Geb aime prendre soin de lui, de son apparence et de ce qu’il renvoie de sa personne. Tu restes tout de même étonné qu’il y pense, en ces temps troublés.

Qu’il le fasse est une excellente chose. C’est un moment privilégié avec soi-même où l’on essaie de penser à l’instant présent, où l’on se recentre, où l’on laisse ses songes divaguer vers un avenir meilleur.

« J’imagine que tu as raison. »

Un léger sourire se dessine, tandis que tes yeux ne le quittent plus. Tu regardes ses faits et gestes, lorsqu’il attrape ce qui ressemble à un tableau couvert d’un tissu précieux et cher dans un coin de la pièce. Dire que tu ne l’avais pas vu est un mensonge, mais quelque part, tu avais préféré chasser l’idée qui s’était cachée derrière ce tissu. Pour reculer l’évidence, sans doute.

L’hékastone de glace passe presque nerveusement sur la peau de ton cou, tes doigts agréablement refroidis par la simple présence de cette pierre dans ta paume. Ou peut-être est-ce une vicieuse anxiété qui te gèle le bout des doigts, comme seule et unique preuve d’appréhension pour l’épreuve qui t’attend.

Tu ne prononces aucun mot. Que pourrais-tu dire ? Beaucoup de choses se bousculent dans ta tête. Ceci est le dernier tableau. La dernière pièce manquante d’une quête qui dure depuis presque cinq ans. Tu les as tous trouvés, avec l’aide précieuse de ton fils. Bientôt, les toiles seront réunies au même endroit, dans une salle spécialement préparée pour elles. Un espace où toi seul peux y accéder.

Tu sens le regard de Geb sur toi, il essaie de savoir quelle sera ta réaction concernant ce tableau, mais tu ne sais pas sur quel pied danser donc pour le moment, tu n’as pas d’expression particulière. Tu retires les éléments gênants du bureau pour faire de la place, veillant à ne pas éparpiller les affaires du Prince au profit de cette toile. Tu prends le temps, comme pour reculer, encore, l’échéance de la découverte.

Tu gardes une respiration correcte depuis que le sujet a été entamé, pour éviter de perdre la face. Tu n’as encore jamais confronté ton deuil de manière aussi directe. D’autant plus que Geb est présent. Tu ne sais pas si c’est la meilleure idée pour toi.

C’est comme si tu devais choisir entre l’un ou l’autre, alors que, l’absence de Chiaki impose le choix d’office. Tu laisses un soupir s’échapper, essayant d’alléger ton cœur lourd par la même occasion, mais rien n’y fait.

Le Prince de Djinn te laisse la place. Le silence ne fait que lui répondre, tu es bien incapable de savoir quoi dire. Ton esprit est à la fois rempli et vide, tu es bien incapable de faire le tri dans l’immédiat.

Tu t’approches, avec toute la confiance dont tu es capable, comme d’habitude. Tu ne veux pas perdre la face. Tu ne veux pas montrer que tu es troublé par un tel objet. Tu es Sasori, bon sang. Tu luttes contre tous tes signaux intérieurs pour tirer sur la corde et défaire le tissu qui couvre le tableau. Tes gestes sont presque trop rapides, comme si tu voulais te débarrasser de cette tâche au plus vite pour être tranquille. Pour passer à autre chose.

Tes yeux arpentent la toile. D’un coin à l’autre. Suivant les courbes des barques dessinées, emportées par les vagues du tsunami.

« La vague de Kanagawa. » prononces-tu dans un léger sourire, tes mots sonnant presque ironiques.

« Une catastrophe imaginaire de l’artiste. Pour ceux qui n’y connaissent rien, on n’y voit qu’une grande vague, avec des bateaux avec une montagne au loin. Mais rien n’a été choisi au hasard. Tous les détails ont leur importance et sont sujets à interprétation. Il avait un don particulier pour les estampes, une manière de créer de l’art avec peu, avec des scènes du quotidien. Il aimait regarder le paysage et subir l’inspiration de plein fouet. »

Tu pousses un soupir et recouvres sommairement la toile avec son tissu, comme s’il était trop difficile de la regarder trop longtemps. Comme si tu n’avais pas envie de replonger dans les souvenirs de cette époque, les souvenirs liés à l’histoire de cette toile, de la signification cachée de cette vague.

« Je pensais que tu avais oublié cette histoire. Après tout, tu ne l’as acheté que pour … Me provoquer et m’agacer. Avec les évènements récents, je ne pensais pas que le sujet reviendrait maintenant. »