Sous le ciel impérieux d’un été à son zénith, l'astre solaire, triomphant et hautain, se plaisait à feindre une dilution dans l'azur immaculé, piqué d'éclats d'or. L'éclatante lumière semblait s’épancher, inondant le ciel de son éclat brûlant et infini. Et, là-bas, sur les eaux du port d’Ios, les navires reposaient, leurs coques blanches miroitant sous le feu implacable, où l'onde claire brillait, presque aveuglante, comme un miroir tendu à l'infini.

La vie grouillait, fourmillante, sur les pavés brûlants des quais. Une foule bigarrée, fervente et désordonnée, donnait à la scène l’aspect d’un vaste théâtre où le drame humain se jouait sous les regards indifférents du firmament. Voilà des mois, de longs mois que l’archevêché, dans sa sage patience, tentait d’apaiser la crise, de trouver le juste équilibre pour accueillir cet exode massif qui déferlait sur les saintes terres. Mais hélas, aucun miracle ne semblait vouloir adoucir le fardeau de cette épreuve.

Les ressources, telles des promesses flétries, se faisaient rares, le vivre-ensemble, cette fragile vertu, s’effritait comme un sable fin sous les doigts avides du temps. Et le port, témoin silencieux, devenait chaque jour davantage le théâtre d’affrontements amers, où chacun, féroce et farouche, cherchait à s’emparer des précieuses denrées vitales. Dans ce tohu-bohu de corps et de cris, le désespoir prenait la forme d’une arène où se consumaient peu à peu les dernières lueurs de fraternité, et où l'homme, pris de fièvre, en venait à oublier toute grâce devant le spectre de la faim.

Assis, solitaire, à une table déserte sur les quais du port, le comte — devenu depuis la chute de Nilyx un simple homme parmi les hommes, un être dépossédé de tout sauf de ses souvenirs — fixait l’horizon, où les contours de l’île se devinaient, à peine esquissés dans la brume lointaine qui flottait sur le golfe d’Ios. Épuisé par les tâches quotidiennes qui s’amoncelaient, il avait, dans un élan de lassitude, saisi l’occasion de se retirer un instant. Sa récente initiation à la maîtrise du bouclier magique, forgée avec âpreté sur les terres sauvages de Nordahl, l’avait marqué au plus profond de sa chair et de son esprit.

Machinalement, il avait arpenté les pavés du port, comme pris dans une routine familière et ancienne, pour veiller à l’arrivée sans encombre des marchandises sur les navires djinns. C’était là la dernière mission qu’il avait assumée pour le compte de la famille royale, et même en territoire étranger, même en Akielos, ce devoir semblait s’inscrire en lui comme un tic, une habitude presque involontaire.

Les yeux perdus dans le vide, le comte ruminait ses pensées les plus amères, hanté par les échecs cuisants, rongé par les doutes qui le minaient depuis trop longtemps. Il n’avait toujours aucune nouvelle de ses parents, et bien que l’espoir brûlât faiblement dans son cœur, il préférait ne pas se leurrer quant à leur survie. Sa sœur, elle, restait murée dans une catatonie silencieuse, comme si le poids du monde l’avait brisée de l’intérieur. Lui-même se sentait vidé de tout sens, d’une inutilité cruelle, quoi qu’il entreprît pour alléger le fardeau de ceux qui l’entouraient. Et, dans cette nuit intérieure, l’ombre de Lycoris planait encore : aucune nouvelle, aucun signe de cette égérie disparue douce à son cœur. Même le prince héritier n’avait pu lui offrir la moindre piste, la moindre parcelle d’espoir.

Mais Surya n'avait pas le luxe de se laisser envahir par les ombres du désespoir. C’était là un luxe que le destin lui refusait, car il savait qu’un instant de faiblesse suffirait à le précipiter dans un abîme dont il ne se relèverait peut-être jamais. Il ne pouvait fléchir — pas encore, pas ici. Pour tenir à distance la noirceur intérieure qui menaçait de l’engloutir, il savait qu'il devait se plonger dans l’action, s’abîmer dans l’effort, se rendre utile coûte que coûte. Ainsi, l’action devenait pour lui une sorte de refuge, un espace où sa volonté pouvait encore briller d’une lueur de sens.

À peine arrivé en Akielos quelques jours auparavant, il avait perçu au détour des tavernes un murmure grondant, un malaise latent, comme une houle prête à se briser. Les citoyens du port d’Ios, déjà éreintés par la crise, faisaient circuler d’inquiétantes rumeurs. Il se disait qu’un groupe d’anarchistes projetait de s’emparer des marchandises précieuses amassées sur le port. Dans le contexte actuel, cette menace n’avait rien d’invraisemblable. La misère et le manque exacerbent les rancœurs, et Surya comprenait combien la moindre étincelle pouvait mettre le feu aux poudres.

Aussi savait-il qu'il devait agir sans attendre, prévenir l’escalade de la violence avant qu'elle n'embrase cette communauté fragile. Bien qu’il fût habitué au fracas des armes, il n’aspirait guère à répéter les scènes de carnage dont il gardait encore la vision douloureuse. La bataille menée trois semaines plus tôt dans la région de Zabcia lui pesait comme un lourd fardeau, et il savait que trop de sang avait déjà été versé. Chaque goutte d'encre versée dans cette chronique de douleur ajoutait à son âme des poids qu’il peinait de plus en plus à porter.

Ainsi, le comte, arraché à sa courte rêverie, leva les yeux et contempla l'étendue du port d’un regard acéré, attentif à tout ce qui pourrait paraître anormal. L’immensité du quai se déployait devant lui, comme un champ de tension sourde, où chaque bruit, chaque mouvement semblait empreint d'une intention cachée. Les voiles tendues des navires, bercées par le vent, murmuraient aux oreilles du comte les récits des eaux lointaines, mais lui restait ancré ici, les sens en alerte, scrutant l’invisible.

D'un pas mesuré, il avançait, observant les ombres mouvantes parmi les étals et les caisses de marchandises, sondant les allées où les dockers et les voyageurs s'affairaient, cherchant à déceler le moindre attroupement suspect, la moindre agitation imprévue. La rumeur qui s’était insinuée dans les tavernes lui revenait en mémoire, et chaque visage, chaque geste prenait à ses yeux une nuance de méfiance. Les mouvements semblaient parfois s’interrompre lorsque son regard se posait, comme si les intentions mal dissimulées se pliaient à la lumière de sa vigilance.

Il se tenait prêt à agir, une détermination calme gravée sur son visage. Une prière secrète brûlait en lui : que ces rumeurs, pour une fois, ne soient que des murmures portés par le vent, des chimères sans prise sur le réel. Mais il savait trop bien que la paix n'était qu'un souffle éphémère, un équilibre précaire qu’il fallait préserver, ne serait-ce qu’un instant de plus.